dimanche 27 janvier 2008

J'ai compris

Longtemps, j'ai cru que les méchants venaient d'Orient et d'Afrique et étaient mus par la haine. Que l'on se comprenne bien : en tant que gentil petit Occidental bien tolérant et bien cool, il n'était pas question pour moi de tomber dans le panneau d'amalgames racistes et néo-coloniaux. Il est impossible de commettre le mal sciemment ou alors, c'est qu'on poursuit des buts qui légitiment le machiavélisme le plus cynique.
Longtemps, j'ai cru que les musulmans radicaux étaient vraiment les grands méchants. Que l'on se comprenne bien : j'étais vraiment persuadé que ma belle société française était quand même un modèle; alors, pourquoi est-ce que je me serais posé la question : "Est-ce que l'Occident est une civilisation pérenne?", moi qui ne voyais pas plus loin que le bout de mon horizon? Moi qui pensais que la France était une civilisation? Qui pensais que l'occidentalisme était une utopie?
Longtemps, j'ai cru que les systèmes qui nous gouvernent étaient grosso modo bienveillants pour leurs concitoyens consciencieux et appliqués. Que l'on se comprenne bien : je ne pouvais concevoir que le mal fasse partie du réel et de l'existence. Quand on est jeune, il est plus confortable de se dire que les accidents de la vie sont des accidents obéissant au hasard et que la croyance dans le mal ressortit de l'obscurantisme. J'étais loin d'imaginer que par un beau jour de 2001 des avions abattraient deux tours et s'attaqueraient à l'emblème de la Défense nationale de la plus grande puissance occidentale. A l'époque, pour moi, il était inconcevable que ce ne soit pas les grands méchants qui fassent le coup et que ces grands méchants ne soient pas des ennemis de l'Occident. Musulmans ou autres, peu importe, ma tolérance se satisfaisait qu'ils soient avant tout des radicaux dévoyés et décervelés.
Longtemps, j'ai cru que j'avais l'insigne chance d'appartenir au camp du Bien, au camp des Gentils, et que les méchants étaient ceux qui voulaient empêcher le camp des gentils d'organiser le monde comme ils le souhaitaient, d'une manière nécessairement gentille et bienveillante. Que l'on se comprenne bien : j'étais loin de deviner que les méchants et les gentils ne faisaient qu'un et que les grands méchants désignés n'existaient pas, plutôt à l'état de mythes que de personnes physiques, plutôt à l'état de boucs émissaires que de bourreaux effectifs.
Longtemps, je me suis satisfait d'une vision d'Occidental privilégié, qui préférais, pour ne pas voir la vérité et l'évolution du monde, se placer du coté de la paix et de l'amour. Peace and love. Que l'on se comprenne bien : il est tellement confortable de réfuter les crimes des siens en se plaçant du point de vue de l'universel irréfutable et absolu, de la moralisation fantastique et fantasmée. Now, I know.
Par hasard, un jour, j'ai été contraint de quitter ces habits confortables de personne morale et estimable - et j'ai compris. J'ai compris à quel point il était dur de quitter ses préjugés quand les préjugés se nomment tolérance, paix, respect et vitalité. J'ai compris que les crapules se réclamaient des valeurs positives comme les honnêtes gens et qu'il n'était possible de démasquer l'hypocrisie qu'à partir de ses actes. J'ai compris que les méchants n'existaient pas, ou si peu, c'est-à-dire à l'état de pantins plus ou moins désarticulés, plus ou moins manipulés par l'Occident.
J'ai compris que les méchants auxquels je croyais (tant) étaient bel et bien des méchants et que d'aucuns (les gentils Occidentaux qui pour faire gentils se mettent contre l'Occident) avaient bien tort de fermer les yeux sur leurs agissements. Simplement j'avais aussi tort que raison. Les méchants étaient des vrais méchants parce qu'ils étaient des projections des gentils. Les méchants étaient très méchants parce que les gentils étaient très méchants. Les gentils étaient très gentils parce qu'ils étaient très hypocrites. Il suffisait qu'un grain de sable n'enraye leur belle machine d' hypocrisie, et les gentils tombaient le masque et se montraient prêts à tout, y compris aux pires méchancetés à l'égard de leur propre camp.
J'ai compris que notre beau monde s'écroulait, que la guerre des civilisations signifiait l'écroulement de la civilisation occidentale. J'ai compris que ce monde s'était fourvoyé, qu'il faudrait être courageux et pugnace, qu'il faudrait reconstruire. Au final, l'homme repartirait de plus belle. Oublierait-il ses mensonges et ses omissions? Oui, puisqu'il était si facile de croire que le monde est gentil et que si l'on vit dans le confort, c'est que le confort est un idéal accessible et aisé à obtenir. Le propre de l'homme est ainsi de projeter avec une candeur déconcertante ce qu'il fait sur ce qui est : si le monde est gentil - pour moi, c'est que le monde est gentil. Point. Si le monde est méchant - avec les autres, c'est que les autres sont méchants. Poing.

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