samedi 5 janvier 2008

Objectif : ordre!

La popularité dont jouit le formatage, la légitimité dont il se targue auprès des masses tient au fait qu'il oscille constamment entre ordonnation et objectivation. Le formatage tend certes à faire du formaté un objet, mais dans le même temps il contribue à assurer la constitution de l'ordre. Le formaté est celui qui, en se faisant objet, contribue à l'ordonnation. Sans formatage, pas d'ordonnation, d'une certaine manière. D'où la légitimité et la popularité du formatage, le fait que l'individu suive de manière aussi moutonnière le système : il n'est pas coupé d'un système qui l'opprimerait purement et simplement. Il fait le système avant d'être opprimé par le système. C'est dire que l'ordonnation n'est pas possible sans le formatage. C'est dire aussi que l'ordonnation n'est pas possible sans l'objectivation. Est-ce à développer l'idée selon laquelle le formatage est nécessaire, et donc la vision connexe et désespérée selon laquelle l'objectivation est aussi nécessaire que pernicieuse (définition de l'insidieux : association du nécessaire et du pernicieux)? En tout cas, il faut distinguer dans le formatage le moment où l'ordonnation crée de l'objectivation (dans chaque formaté, mais aussi en direction des formatés les plus fragiles, qui se retrouvent purement formatés), mais où cette objectivation se trouve au service de l'ordonnation; et l'évolution de cette objectivation au service de l'ordonnation à la suppression de l'ordonnation et à son remplacement par l'objectivation au service aberrant et absurde de l'objectivation.
Tant que l'objectivation est au service de l'ordonnation, le formatage est à sa place. Le mécanisme du formatage au service de l'ordonnation suppose que le formaté s'objective dans une certaine mesure en même temps qu'il offre au formaté de participer à l'ordonnation. Le formaté en ordonnant s'ordonne. Le formaté s'épanouit dans la mesure où il participe aussi du mécanisme d'ordonnation. Autrement dit, si le formaté sert en s'objectivant l'ordonnation, l'inverse est aussi vrai : l'ordonnation sert aussi le formaté en lui conférant une dimension qui n'est pas seulement celle du formatage/ordonnation amis qui confine à l'idée qu'il contribue au formatage/ordonnation.
Cette ambivalence, qui fait la fois la richesse et la faiblesse du formatage, contient sa faiblesse dans la dérive inévitable qu'elle ne manque pas d'engendrer. Le mécanisme du formatage, qui abaisse dans le moment où il élève, n'est pas un processus stable et renouvelable à l'indéfini. Il suppose par trop l'usage du formatage dans son processus d'ordonnation pour qu'une dérive ne manque pas de survenir à un moment ou à un autre et que l'objectivation prenne une place de plus en plus importante dans le processus d'ordonnation. C'est même une conséquence logique du processus d'ordonnation que de déboucher logiquement sur l'assimilation de l'ordonnation à l'objectivation.
Ce pour une raison assez simple : c'est que l'objectivation présente par rapport à l'ordonnation l'avantage de tendre vers la réduction du processus. Il est bien plus simple, plus direct et plus évident de réduire l'ordonnation à l'objectivation que de respecter la complexité de l'ordonnation par rapport à l'objectivation. Rappelons que l'ordonnation suppose la reconnaissance dans l'ordonnation de la part qui résiste à la définition et qui tend au néant. Reconnaître cette part, c'est se condamner à jamais à ramener l'ordonnation à de l'inexplicable, de l'inestimable, de l'indéfinissable et du complexe.
Il est inévitable que l'ordonnation mène à un moment ou un autre à sa réduction et sa simplification. A partir du moment où l'homme ne reconnaît pas le néant, l'ordonnation entre en crise et au moment où le mécanisme s'estime le plus performant, il est en fait au plus mal. Tant que le processus est en mesure de satisfaire à la complexité de l'ordonnation, il tient compte du néant. Cette étape est propre à chaque ordre. L'ordre qui n'est pas encore assuré reconnaît l'ordonnation. A partir du moment où il gagne en force et en assurance, il tend à oublier que son ordonnation dépend des autres ordonnations - que son processus d'ordonnation dépend étroitement des autres processus d'ordonnation. A partir de ce moment s'amorce le déclin de l'ordre en même temps que son sentiment de puissance. L'ordre est tellement assuré qu'il pense que son existence est une nécessité et qu'il envient à oublier que son ordonnation n'est pas unique. Quand l'ordre s'imagine être seul à bénéficier du processus d'ordonnation, la déliquescence commence et apparaît le processus d'objectivation en tant que substitut à l'ordonnation. Tant que l'ordonnation n'est pas assurée, l'objectivation comme substitut n'est pas viable.
Dès que l'ordre estime être seul, maîtriser l'ordonnation, il est légitime que surgisse l'objectivation, en tant que processus logique de la logique de l'ordre estimant de l'intérieur être le maître de son ordonnation. L'objectivation surgit quand l'ordre estime être le responsable de son processus d'ordonnation. L'objectivation répond à la vision que l'ordre a de son processus propre d'ordonnation. Quand l'ordre estime que son ordre correspond à un seul ordre et à une pure définition correspondant à des éléments d'ordre, alors l'ordre bascule vers la réduction de son espace à des objets (l'ordre n'est un objectif que s'il est composé d'objets). C'est l'ordre qui se croit fort qui tend à réduire ses composants à des objets; autant dire que ce sont les composants de l'ordre qui tendent à avaliser cet état de fait et cette conception sans s'en aviser eux-mêmes. Les membres de l'ordre avalisent d'autant plus le processus d'ordonnation qu'ils pensent de ce fait perfectionner l'ordonnation et soutenir l'ordonnation.
Inutile de préciser que cette tragique méprise est constitutive de tout ordre et que les signaux actuels quant à l'état du nihilisme nous renseignent sur l'état dans lequel se trouve le système. Verdict : état de décomposition avancé. Contrairement à ce que la propagande essaie de nous faire accroire (le système garantirait à l'homme l'état le plus heureux de tous les temps), il ne fait pas bon être homme à l'époque contemporaine...

Aucun commentaire: