lundi 25 février 2008

Entre nous

Pour comprendre l'identité biaisée qui assaille notre monde, examinons quelle définition proposer de l'identité moderne, puisque l'identité contemporaine n'est jamais qu'une excroissance de l'influence qui commence à la modernité et qui prétend apporter un fondement à tout - même au coléoptère. L'identité est désormais non plus stable et figée, chose impossible, mais toujours en jeu de miroirs. Autrement dit, la supercherie consiste à prétendre que l'identité est trouvée dans la mesure où la définition revient à dire l'insaisissable.
Je sais qui est Dieu : Il est qui Il est. Je sais ce qu'est le réel. Il est le réel. Certes. Je sais qui je suis : je suis autre, donc je suis vraiment. Pas vraiment! Il n'est jamais facile de produire une définition de l'identité, sachant que l'identité est l'indéfini. Justement. La seule identité qu'ait trouvée la modernité à opposer à l'indéfinissable de toute identité, c'est la supercherie par excellence, celle qui consiste à avancer qu'on a trouvé l'essentiel, alors que la découverte se rapporte en fait à l'erreur la plus classique et à la dérobade la plus caractérisée.
Essayons donc de définir l'identité moderne : c'est l'identité insaisissable, l'identité éclatée, l'identité impossible, l'identité intermédiaire. L'identité se présente comme toujours ailleurs, soit toujours autre. C'est une identité réfractaire en ce qu'elle se situe toujours dans le reflet. La réflexion comme reflet de l'insaisissable et de l'insondable? En tout cas, cette identité est plus introuvable que la truite du torrent, dont les écailles interdisent au pêcheur la prise directe et à mains nues. Cette identité est toujours différée, avec l'idée que le différé permettrait de renvoyer à jamais à un direct, dès lors mythique et jamais rencontré.
Voilà pourquoi je parlerais d'identité en miroirs ou en bandes. Le propre du miroir est de ne jamais prêter le flanc au fondement. Quel est le reflet premier? Comment déterminer qui fut le premier de l'oeuf ou de la poule? Le plus prudent est encore d'inventer un fondement qui n'appartienne pas au domaine des choses connues. C'est ce qui se produit avec notre identité. Pour être toujours autre, elle est toujours définie et toujours parfaite.
Le plus sûr moyen de conférer à quelque chose la perfection revient à lui donner un caractère toujours autre et toujours ailleurs. Le propre de l'identité comme fondement moderne, c'est qu'elle se trouve bel et bien dans la mesure, où elle ne correspond jamais, au grand jamais, à des formes connues. L'identité moderne est supérieure en ce qu'elle transcende les catégories, surtout celles de singularité et d'historique. Qu'est alors cette transcendance? Une certitude d'autant plus vague qu'elle est informe et protéiforme. Quelque chose dont le mérite remarquable consiste à n'être jamais pour mieux être.
Rien de tel pour être que de n'être jamais. A défaut, soyez vaguement. Rien de tel pour être pur que d'être parfaitement informe. Ce qui vous forme vous difforme. Fort de cette constatation frappée au coin du bon sens, nos Prométhéens modernes ont décrété que l'identité serait vraiment quand elle ne serait pas, c'est-à-dire, puisqu'il faut bien être quelque chose, quand elle serait peu, prou - et encore. C'est ici qu'intervient l'identité pirate : pour pirater, il faut appartenir à un ailleurs bien particulier, un ailleurs qui n'est jamais rien de précis. Pour être pirate, il faut être d'ici dans la mesure où l'on est de nulle part.
Le pirate est l'antre de l'entre. Entre autre lieu, le pirate est de tout et de nulle part. Le pirate n'a pas d'ancre. Le pirate n'a pas d'antre. Le pirate est de l'entre. Telle est la supériorité moderne : être de l'entre, se réclamer de l'entre. Raison pour laquelle l'entrisme est si bien perçu? En tout cas, le 911 a au moins ce mérite d'être le grand révélateur de nos manipulateurs qui se prennent pour nos démiurges. Si être supérieur, c'est être entre, alors les cerveaux du 911 étaient des dieux véritables.
Ils insufflent l'histoire et l'Esprit, comme dirait ce bon vieux Hegel, que je lis quand je m'ennuie dans le bus, tant il est accessible. Nos pirates sont supérieurs parce qu'ils ne se laissent ni saisir, ni surprendre. On ne définit que dans la mesure où l'on est indéfinissable, autre, ailleurs. Dès lors, le plus court chemin vers l'identité de démiurge réside dans la manipulation et le mensonge, dans la destruction et la violence. C'est ce qu'ont toujours fait les pirates, avec cette notable réserve qu'ils ignorent ou qu'ils font semblant d'ignorer, que l'identité pirate n'est viable qu'à l'ombre de l'identité réelle et effective. Sans identité réelle, l'identité pirate serait impraticable. Pis : avec l'identité réelle, l'identité pirate finit aussi par s'effondrer, quand l'identité réelle qu'elle a trouvée commence à s'épuiser pour de bon.
Il faudra dire et répéter que nos démiurges sont des profiteurs de grands chemins, dont les plans sont de grossières arnaques qui n'apportent que misère et destruction. Ils n'ont commencé à prospérer puis à dominer le monde qu'avec la Grande Erreur de la modernité : laisser croire que l'identité avait été trouvée et qu'à partir de ce moment, les choses ne seraient plus jamais pareilles. Effectivement, les pirates prospèrent sur l'erreur et la supercherie. Ce qui est réellement inquiétant, c'est que leur domination indique que le monde court à sa perte et qu'ils sont incapables d'une autre attitude que celle de la domination implacable avant la destruction finale. Heureusement, il s'est toujours trouvé des capitaines valeureux pour pendre haut et court les pirates et rassurer l'équipage (et/ou les passagers). N'est-ce pas, W.?

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