jeudi 28 février 2008

Trans(ap)parences

L'actuelle culte de la transparence se heurte au réalisme, qui indique assez que l'information circule mal, c'est-à-dire de manière manipulée et que le système prétend d'autant plus à la transparence qu'il produit en fait de la confusion et de la manipulation. Pour une société de transparence, il faudrait que le réel soit différent de ce qu'il est, c'est-à-dire un réel où l'apparence première et immédiate équivaudrait à la réalité.
Ce n'est pas le cas. Le réel est infiniment plus trouble et complexe. Ce n'est certainement pas un hasard si l'époque contemporaine est celle qui remet en question les axiomes de l'ontologie atavique, qui n'est ontologique que dans le domaine de la philosophie, et qui vient en fait plus largement du religieux, c'est-à-dire de toutes les formes de religieux depuis les premières formes polythéistes. La remise en cause porte sur la question fondamentale de l'Etre distingué des étants en termes heideggériens (et avant lui hégéliens).
Tant que l'époque moderne se débattra entre la contestation et l'annonce d'une solution crédible, elle devra apporter cette solution crédible, ce qui n'est pas vraiment le cas à l'heure actuelle. La seule solution apportée n'est autre que l'évacuation du fondement/Etre et son replacement par l'apparence immédiate, qui ne résout rien du tour, voire le morcellement, qui empire le problème. Dieu est mort, nous serine-t-on, et quand on est de bonne foi on admet que c'est l'homme qui l'a assassiné.
Si on gratte les fonds de tiroir, on se rend compte comme par enchantement et hasard que l'avoir a remplacé l'être depuis cette mort criminelle et hautement problématique. C'est ici qu'intervient de manière merveilleuse et certainement pas hasardeuse la différance si chère à notre cher Jacques. Différer, en effet, c'est trouver le prétexte idéal pour ne jamais avoir à produire ce qu'on avance. Différer, aussi et surtout, c'est trouver le lien et le liant manquants depuis la révocation de l'Edit de l'Etre. Dieu se fait différance, pourrait-on dire, c'est-à-dire que la différance pense trouver une réponse viable et une parade durable à l'absence d'Etre/Dieu.
Las! Comme son nom le laisse suggérer, la différance est une pitoyable dérobade. La différance est rance. Il n'y a pas que le terme différend qui se rapporte et se connecte à différance. On trouve aussi différEnce, bien sûr, puisque c'est à partir de ce terme que Derrida a forgé son néologisme-aveu. Qu'est-ce que la différence, sinon la reconnaissance du changement au niveau ontologique le plus profond? Eh bien, la différance se présente plus comme une doctrine de résolution que comme un problème à une question laissée ouverte ou en suspens. On résout en différant.
Vaste et pitoyable dérobade! Certainement, le problème de Dieu ne se résoudra pas par son remplacement en différance. Dieu affrontait le problème du mystère. La différance ne fait que le reporter aux calendes grecques, avec les inévitables dégradations progressives que l'on connaît pour les endurer au quotidien. Loin de résoudre la transparence écornée, la différance montre qu'elle ne fera que rendre le système plus opaque. Dans un monde qui se revendique libre parce qu'il diffère sans cesse et sans expédient, il ne faut pas s'étonner que survienne le 911 comme moyen de conforter la différance - le différend au service prévisible de la différance. Et dans un monde de différance, il est hautement certain que l'opacité soit la vraie définition de la transparence. Transparence : cercle vicieux, que Nietzsche baptiserait Éternel Retour, et dans lequel l'apparence réputée seule et absolue est sans cesse suivie d'une autre apparence, dans un jeu de miroirs et de dérobade infini.

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