jeudi 17 avril 2008

Défaut de preuve

Il existe plusieurs moyens de rendre l'évidence contestable voire douteuse : c'est ainsi que le meilleur moyen de rendre tabous certains sujets est de les renvoyer dans la sphère des illusions et du néant dès qu'on les aborde. C'est le rôle que jouent notamment des termes comme conspirationnisme, complotisme, mais aussi antisémitisme. Il existe aussi un autre moyen : exiger des preuves.
Celui qui exige des preuves estime ainsi que les arguments présentés par l'accusateur sont en défaut, imparfaits ou incomplets. Mais quelle est l'exigence quant à la preuve? Je me souviens d'une interview entre John-Pol Lepers pour la Télé libre et Webster Tarpley, accusé de complotisme, et peut-être même de révisionnisme, parce qu'il a osé remettre en question la version officielle du 911.
Alors que Tarpley essaye d'expliquer les raisons ou les preuves qui lui ont permis de parvenir à son travail d'historien, Lepers ne cesse de le couper dans ses explications en exigeant des preuves. Des preuves, des preuves, toujours plus de preuves! Mais quel est le statut de la preuve ici convoquée avec le ton de l'injonction? On connaît la preuve de type déductif et la preuve de type inductif. La déduction est certaine, quand l'induction laisse paner le soupçon et l'incertitude.
Aujourd'hui, quand on cherche à discréditer pour mieux l'ignorer une version contestataire, on invoque le manque de preuves. Que veut dire ici ce terme? Que désigne cette attente? D'ordinaire, la preuve est la manifestation de l'évidence, en ce que prouver, c'est amener la certitude au grand jour. La structure de la preuve exige ainsi que ce qui est prouvé soit illuminé, c'est-à-dire apparaisse à la lumière de l'immédiat.
Le défaut de preuve est à prendre en corrélation avec la possibilité de l'ignorance et de l'incertitude. Ce n'est pas parce que le fait n'est pas prouvé que le fait est faux. D'un point de vue ontologique, le défaut de preuve indique aussi que la réalité ne se manifeste pas seulement dans ses apparitions ou dans son immédiateté. Le caché et l'obscur sont aussi constitutifs de la réalité. Le phénomène en tant que ce qui se manifeste, se produit et apparaît est ainsi à comprendre dans une acception ontologique assez ambigüe et complexe : car si ce qui apparaît n'est jamais que l'expression de l'incomplétude.
Cette constatation implique que le phénomène n'est jamais visible dans on intégralité et que sa représentation ou sa description ou sa compréhension fasse l'objet d'une possibilité d'erreur. Comment décrire la forme de l'iceberg sachant que sa partie immergée est mineure et incomplète? C'est accepter le risque d'imprécision que de constater que le phénomène tel qu'il apparaît n'est pas le phénomène tel qu'il est.
Allons plus loin : la preuve souffre du fait que tout phénomène n'apparaît jamais que de manière imparfaite et incomplète. La preuve de ce fait est toujours en défaut. Qu'est-ce que prouver alors? Jamais donner la complétude du phénomène, mais seulement sa description selon la régularité de ces apparitions. C'est ainsi que la description de l'iceberg se fera le plus souvent de manière analogique et inductive. Pour décrire parfaitement tel iceberg donné et singulier, encore faut-il se livrer à des analyses poussées qui impliquent des moyens techniques poussés (matériels de plongée et mesures scientifiques).
Rapporté aux apparitions du réel, les analyses les plus fouillées peuvent très bien ne jamais livrer l'identité (soit la forme ou les contours) de l'auteur de l'action incriminée. Il suffit pour qu'il soit innocent que le phénomène ne laisse transparaître que l'apparence attendue et autorisée. Souvent, le reél est d'une telle complexité que le phénomène se trahit par quelques imperfections dans ses efforts pour apparaître de manière différente de ce qu'il est. En même temps, tout le monde s'efforce de montrer son meilleur visage et non l'entièreté de ce qu'il est.
La liste des meurtres et des affaires judiciaires non élucidés suffit à prouver que la vérité n'éclate pas toujours au grand jour et qu'il arrive souvent que le phénomène ne livre pas l'intégralité de son identité au grand jour ou à l'apparence. Evidemment, l'erreur provient le plus souvent d'un défaut d'informations dû au manque d'efforts et d'investigations.
Si l'équipe du Titanic avait approfondi ses investigations sur la résistance du navire et sur les possibilités qu'il coule dans un naufrage tonitruant, nul doute que le naufrage aurait pu être évité. Quand on ne veut pas savoir la forme singulière de l'iceberg, on pêche par omission. La plupart des affaires judiciaires pour vols mineurs ou pour agressions mineures se soldent par des non lieux. Presque à chaque fois, si des équipes d'enquêteurs étaient employées sans relâche, ils subsumeraient le réel.
Il se révèle très rare que le phénomène ne finisse par livrer ses secrets. Cela arrive parfois, ce qui prouve que la vérité est inaccessible pour l'homme. Néanmoins, les efforts auquel l'homme consent pour découvrir des preuves montrent le besoin d'approfondir, de fouiller et de creuser (y compris au sens archéologique) dans les manifestations du phénomène. La possibilité de ne pas découvrir telle ou telle facette du phénomène implique a fortiori l'impossibilité de décrire dans son intégralité l'ensemble du phénomène.
C'est ici qu'intervient l'exigence extrémiste de preuve, que l'on pourrait aussi baptiser exigence de doute extrémiste (c'est d'ailleurs je crois ce que reproche à un moment Tarpley à Lepers). J'entends par extrémisme la réclamataion impossible de produire l'ensembel du phénomène sans quoi les preuves manqueraient. Demanedr l'impossible et réfuter le possible, en somme. Cet extrémisme est d'autant plus perceptible quand il s'applique à des phénomènes complexes, à des enchevêtrements de phénomènes ou à des structures extrêmement sophistiquées de phénomènes.
Exiger de fournir l'intégralité du phénomène quand l'apparence est déjà passablement confuse, c'est bien entendu réclamer avec mauvaise foi l'impossible au nom de la vérité et de la preuve. Ce culte de la preuve est ainsi l'apologie du mensonge, car exiger l'intégralité de la vérité, c'est encourager et couvrir les manifestations du mensonge au nom de cette vérité suspecte et extrémiste.
Dans le cas du 911, il est tout à fait possible de prouver que la version officielle est fausse dans son apparition complexe. Mais il est impossible de prouver qui sont les auteurs de l'acte terroriste. Il est possible de réfuter au nom de preuves nombreuses et concomitantes la version officielle, mais il n'est pas possible de passer de cette vérité négative à la vérité positive. Pourquoi?
Tout simplement parce que la vérité négative est possible à affirmer dans la mesure où elle suppose la négation du phénomène dans son apparition quasi immédiate. Il n'est pas besoin de fouiller beaucoup pour se rendre compte que 19 terroristes n'ont pu avec la seule aide du réseau nébuleux d'Al Quaeda mener à bien leurs opérations kamikazes sans l'aide des plus hautes instances de la défense aérienne américaine et/ou de l'appareil d'État (au sens large du terme). Sinon, qu'on nous explique comment tant de défaillances et d'incohérences simultanées sont simplement possibles. Je précise que ces manifestations simultanées ne sauraient relever du miracle ou d'un quelconque concours malencontreux de circonstances additionnées jusqu'à l'impossible.
Reste que le lien de la vérité négative (preuve parcellaire et immédiate) à la vérité positive impliquerait la connaissance et la maîtrise de l'ensemble du phénomène (quelle que soit l'étendue de ce phénomène). Exiger de produire ce lien, c'est rendre impossible la production de preuves et l'éclosion de la vérité. C'est aussi exiger d'une certaine manière qu'on accepte le présupposé le plus manichéen : toute la vérité ou - le mensonge. Mais encore : prouver son innocence, ce qui est impossible en vertu du principe d'incertitude qui plane sur toute chose (se reporter notamment au dramatique procès d'Outreau, où les accusés manifestement innocents devaient pour s'innocenter prouver leur innocence!).
Dès lors, tout est dit : le culte de la preuve intégrale ou totale s'explique parce qu'il va de pair avec l'ontologie de l'immédiateté. Selon le dogme de l'époque, tout le réel tient dans l'apparence immédiate. Le reste n'est que balivernes et billevesées - au pis, portion congrue et quantité négligeable. Un peu comme le métaphysicien classique ne rejette pas le hasard, mais lui laisse un rôle des plus mineurs, l'ontologue de la Raison ne nie pas tout à fait les arrières-mondes, mais à condition qu'ils soient exceptionnels - et l'exception confirme la règle, n'est-ce pas?
Exiger la preuve extrême ou intégrale, c'est interdire de chercher au-delà des apparences immédiates. C'est aussi se montrer du côté du système et de sa représentation fanatique et controuvée du réel. Jamais une telle preuve ne saurait être administrée, parce que le fondement de l'ontologie hyperrationnelle est tout simplement délirant et dément : oser que le réel tient dans l'apparence immédiate est aussi fou que prétendre que la preuve implique l'intégralité du phénomène.
A chaque fois que les thuriféraires du système avancent ce genre d'exigences, on peut se montrer certain qu'ils sont de mauvaise foi et que leur mauvaise foi sert l'apologie du système bancal. Mais c'est de cette sorte que fonctionne aussi la pétition de principe selon laquelle la version officielle est juste pare qu'elle est juste. Rien de plus difficile que de faire admettre la vérité quand la vérité signale l'avènement de sombres présages annonçant de funestes règnes.

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