mercredi 9 avril 2008

Le hasard fait bien les choses

Dans son intransigeance à faire de l'égalité de chaque individu détenteur d'une portion de Raison le substrat sur lequel s'appuie le système, la propagande immanentiste (qui répond points pour points aux caractéristiques d'une propagande systémique, soit religieuse, à ceci près que la religiosité en question est aussi mutante que dévoyée, puisque destructrice de cultes et de culture) est contrainte de lier son dogme de la liberté au Hasard.
Entendons-nous bien : le hasard ici couvre la liberté, en ce que la liberté sans le hasard serait tout simplement impossible. Entendons-nous bien : impossible pour le système et sa propagande, selon laquelle le système est le meilleur des systèmes et le seul en mesure de rendre l'homme heureux. Dès lors, la liberté sans le hasard serait la plus sûre garantie de l'aliénation de la majeure partie des individus à quelques dominateurs et prédateurs. Il faut le hasard pour que la liberté discernée en chaque individu doté de Raison ne débouche pas sur le constat nécessaire : à supposer que l'égale répartition de la liberté soit vraie en chaque individu, il n'en demeure pas moins vrai que cette liberté-là ne saurait faire fi de la volonté si chère à Schopenhauer (un philosophe plus profond que Max Weber et plus conséquent que Nieztsche).
Dans un donné d'égale répartition entre individus, la liberté égale ne suffit pas, car à contenu égal, il n'en demeurerait pas moins que quelques volontés également libres prendraient le dessus sur les autres volontés également libres. Le communisme ne sait que trop que l'égalité rationnelle débouche sur l'inégalitarisme foncier, pour les raisons sus-mentionnées.
On pourrait les formuler autrement : sans le hasard, la liberté ultrarationnelle équivaudrait au rétablissement du déterminisme le plus strict, selon lequel la providence ici désigne la domination aristocratique ou oligarchique/synarchique de quelques volontés égales sur les autres. C'est dire à quel point le dogme de la liberté n'est pas l'équivalence de la maîtrise du réel et que l'égalitarisme de la liberté ne signifie nullement que le paradigme de la Raison est adéquat à ses ambitions de dominer el réel et de l'assujettir aux attentes de l'individu.
Comme ce point est aussi crucial que d'un autre débat, nous en revenons au Hasard. Il pointe le bout de son nez parce qu'on a besoin de ses services en l'alliant à la liberté rationnelle. C'est qu'il s'agit d'un hasard de type rationnel. Entendons-nous bien : le hasard a toujours servi la cause superficielle et inconséquente de ceux qui se prévalaient de l'option de l'impossibilité (les tragiques à la suite de Rosset) ou de ceux qui se réclamaient de l'évacuation de Dieu (avec son corolaire, le remplacement par un substitut inférieur, mais encore totalement vide de sens). Résumons : le hasard tragique est conséquent dans son inconséquence; le hasard classique est conséquent dans sa faiblesse inconséquente et non assumée.
Mais le hasard selon la Raison est encore un peu différent. Ce n'est pas un hasard philosophique. Sa seule prétention est de servir le fonctionnement fort pragmatique d'un système qui se veut cynique dans son utilitarisme : ça tourne, donc c'est bon. Ne cherchons pas plus loin. Malheureusement, ça ne tourne pas et si l'on avait pris la peine de chercher, on se serait enquis de l'erreur évidente et éclatante.
En attendant que l'effondrement du système soit le résultat de son aveuglement, il reste à ausculter ce hasard ultrarationnel qui est hasard mutant autant que la Raison est mutante. Ce hasard a pour fonction de légitimer l'égalité au sein de la liberté. Autrement dit, le hasard nie que des volontés (égales ou pas, parce qu'en plus, elles ne sont pas égales pour un sou, ce qui réduplique leur inégalitarisme foncier) puissent dominer l'ensemble des volontés au sein du champ du donné. Le hasard sert à cautionner le remplacement de Dieu par la Raison. Le hasard permet de ne pas expliquer le trop explicable : que dans ce donné faux, l'égalitarisme ultrarationnel aboutit au totalitarisme le plus inégalitaire.
Le hasard est un faux déterminant, un faux invariant, un faux fondement : il sert à remplacer le fondement manquant (Dieu est mort) par le nouveau soi-disant fondement (le hasard est né). Il n'arrive qu'à produire un mensonge. Car le hasard n'est strictement rien. Aucun valeur n'est transposable de Dieu au hasard. Le hasard est un moyen de déni, de dérivé et d'occultation. Il sert à exprimer la confiance dans le système faux et aberrant. Qu'est-ce que le hasard libre, égal et (ultra)rationnel?
C'est surtout le moyen de différer constamment, soit de pratiquer le procédé de la dérive à l'infini. Le hasard est le cache-sexe ou l'arbre qui cache la forêt. Il permet seulement de ne pas trop se poser de questions, jusqu'au moment où il n'est plus temps de s'en poser. Pour le dire d'un mot, d'un mort, le hasard masque que le système fondé sur la raison et la liberté mutantes n'a pas précisément de fondements. On a remplacé l'ancien fondement, accusé de tous les maux, par un non-fondement. On n'a pas remplacé, en fait, on s'est juste contenté de faire semblant.
Le hasard est seulement le fondement de tous les faux semblants dans la chaîne des innombrables faux semblants dont notre système nous renvoie en creux la liste consternante et incompréhensible. Le hasard est un non fondement qui s'intègre dans l'éviction du fondement Dieu et dans son remplacement par le non fondement de la Raison mutante. Le système a muté en ce qu'il est passé d'un mode de fonctionnement imparfait mais viable à un mode de non fonctionnement parfait et non viable. On mesure le Progrès (puisque tel est la terminologie du slogan) à l'aune de pareilles avancées de l'esprit humain et de l'homme tout court.

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