jeudi 1 mai 2008

Distinguo chez l'ennemi

Distinguons dans notre effort incessant et inépuisable pour désamalgamer les Juifs, les sionistes et les Israéliens. Ces trois distinctions suffisent à montrer que la question du judaïsme est d'une complexité inouïe. A chaque fois que l'on essaye de procéder à des tentatives de compréhension du mouvement juif, on se heurte à une telle somme de distinctions et de différences qu'elles autorisent à rebours ceux qui ont intérêt à empêcher et à bloquer toute critique à amalgamer la critique pour la faire taire. Grosso modo, il s'agit de laisser entendre que toute critique contre certains Juifs est en fait une critique essentialiste contre tous les Juifs et que de ce fait toute critique contre certains Juifs est antisémite.
Il est évident que l'esprit critique qui veut faire montre de sa tolérance et de son refus de l'antisémitisme doit commencer par établir ces trois distinctions entre les Juifs, les sionistes et les Israéliens. Puis, à l'intérieur de ces mouvements parfois reliés et parfois distincts, donc propices par leurs différences et leur homogénéité à tous les jeux d'amalgame et d'ombre, y compris les plus troubles, l'observateur modéré et nuancé doit introduire la notion de groupuscules.
J'ai proposé et je me tiendrai à l'appellation de sionistes fondamentalistes pour qualifier ces dérives au sein des Juifs, qui touchent au plus près des intérêts d'Israël, de l'Occident et du monde humain. Mais ce n'est pas assez : au lieu d'identifier le noeud gordien du problème dans la mouvance des sionistes fondamentalistes, qui, après tout, ne sont que des fondamentalistes comme on en trouve dans toutes les religions, je propose en plus, pour désamalgamer et introduire de nouvelles et fécondes distinctions, qui empêcheront le lynchage (spécifiquement de nature antisémite), et favoriseront la compréhension de la vérité, de discerner au sein des mouvances du fondamentalisme sioniste un fondamentalisme sioniste activiste, profondément élitiste, mondialisé, occidentaliste, un fondamentalisme que l'on peut relier à certains groupes de pression et d'intervention, notamment aux États-Unis, qui détruisent les intérêts réels des Juifs, des sionistes et des Israéliens.
Bref, distinguons encore au sein des sionistes fondamentalistes, puisqu'à en croire Wittgenstein, on ne distingue jamais assez! Tel est le paradoxe, inaltérable et logique : les actions de ces mouvances sionistes fondamentalistes détruisent profondément ce qu'elles prétendent servir et aider : le judaïsme et Israël. Le pire ennemi des Juifs, des Israéliens, des sionistes, ce ne sont pas ceux qui se montreraient explicitement antisémites, encore moins ceux qui partent des faits pour dresser des criques nuancées, modérées et désamalgamantes (je me targue d'appartenir à ce groupe lucide et en quête de vérité). Le pire ennemi des Juifs, des sionistes et des Israéliens est intérieur et tient à ces groupes fondamentalistes désaxés.
Le grand penseur Leibowitz, qui se situe à un niveau de pénétration et de profondeur bien supérieur à toutes les tentatives intellectuelles que les fondamentalistes pourront oser et produire, ce grand monsieur, cet esprit épris de vérité et pétri de lucidité, cet apôtre véritable du judaïsme, du sionisme et de la cause d'Israël, avait compris que ceux qu'il nommait les Judéo-nazis (quelle formule après la Shoah!) étaient les vrais ennemis d'Israël. Pis, ces défenseurs fanatiques et acharnés d'Israël se réclamaient de causes ultranationalistes et démentes pour constituer en fait le vrai parti en mesure de menacer l'existence, la viabilité et la pérennité de l'État si particulier (au regard de son avènement principalement) d'Israël.
En regard de son histoire et des conditions qui ont présidé à sa naissance (la tragique Shoah), les exactions des sionistes fondamentalistes sont une insulte à l'État d'Israël et la preuve qu'Israël et les États-Unis ont certainement leur destin lié par un fait tragique et souvent trop occulté : tous deux sont atteints par le même mal redoutable de la menace intérieure. Ce sont des Américains qui causent les plus grands torts au peuple américain et aux institutions américaines; de même, ce sont des Israéliens, des sionistes et des Juifs qui causent les plus grands dommages aux intérêts du judaïsme, singulièrement aux intérêts de l'État d'Israël.
On a souvent tendance à présenter la version selon laquelle l'ennemi est extérieur. C'est la thèse caricaturale de Carl Schmitt et des nazis. C'est ainsi que le peuple américain partage la thèse selon laquelle les ennemis de l'Amérique sont extérieurs à l'Amérique : ce sont pêle-mêle les communistes, les islamistes et tous les ennemis de la démocratie et de la liberté. Coïncidence incroyable, les ennemis de l'Amérique se trouvent de plus en plus correspondre aux mêmes figures que les ennemis revendiqués d'Israël.
Ce sont donc les terroristes islamistes, les ennemis de la liberté et les partisans du totalitarisme fondamentaliste tourné contre l'Occident en même temps que contre Israël. La vérité est toute autre pour qui veut vraiment voir : les ennemis de l'Occident et des États-Unis se trouvent effectivement être les mêmes que les ennemis d'Israël dans la mesure où tous deux partagent le même ennemi et que cet ennemi est intérieur. Il se trouve qu'il s'agit du sionisme fondamentaliste qui gangrène l'État des États-Unis et l'État d'Israël conjointement et qui gangrène désormais les institutions occidentales.
Groupuscules et mouvances du sionisme fondamentaliste, Judéo-nazis... : dans tous les cas, ces appellations qui regroupent des mouvances au sein du fondamentalisme sioniste ne débouchent jamais sur une accusation, encore moins une condamnation des Juifs, qu'ils soient Israéliens ou non, qu'ils soient sionistes ou non, qu'ils appartiennent ou non à des communautés dispersées dans le monde. Il s'agit simplement de substituer l'ennemi intérieur véritable à l'ennemi extérieur et étranger fantasmé.
Il s'agit de comprendre que le mécanisme de la projection en germes explique que le profil des ennemis intérieurs correspond en tous points, de manière saisissante, au profil du terroriste fantasmé islamiste. Il se trouve enfin que les faits, les impayables faits, démontrent avec acidité et acrimonie que le terrorisme islamiste existe bel et bien, à condition que l'on comprenne qu'il est étroitement relié à ceux qui s'en prétendent les victimes et qui ont compris depuis belle lurette le parti dévoyé qu'il y aurait à tirer d'un statut de victime transformé en victimisation.
Grâce à l'anathème d'antisémitisme versé devant chaque critique pour faire taire la critique, les fondamentalistes ont trouvé le moyen à court terme d'encourager et d'exciter leurs (ex)actions. Malheureusement, les premières victimes de la victimisation sioniste fondamentaliste sont les Juifs eux-mêmes, d'où qu'ils viennent dans le monde. A terme, les méthodes du sionisme fondamentaliste nuisent profondément aux intérêts qu'ils prétendent servir, à tel point que la parole de Leibowitz risque d'être une prophétie redoutable : ce seront les sionistes les plus enragés qui seront les auteurs de la destruction de l'État d'Israël qu'ils chérissent (apparemment) au point de verser dans le nationalisme démesuré et fervent.
Il reste à répéter que ce sont toujours des groupes internes au sionisme fondamentaliste qui jouent ce rôle funeste de destructeurs travestis en constructeurs de la paix et qu'il n'est pas question d'amalgamer et de provoquer des réactions de rejet et de lynchage, malheureusement déjà bel et bien présentes au sein de certaines populations, non sans raison initiale - et explicable. Il reste aussi dans le même mouvement de pensée à se demander pourquoi la Shoah interdit comme un verrou ou un tabou déformant et fallacieux de voir l'évidence quant aux dérives de certains pans du fondamentalisme juif, quand il est si facile d'incriminer l'islamisme ou les dérives de certains pans d'autres peuples (les Saoudiens ou les Pakistanais en sont deux bons exemples) sans encourir le (même) risque d'accusation de racisme ou autre forme d'amalgame visant à interdire la critique au nom de la liberté.

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