dimanche 11 mai 2008

Rance différand

A qui profite le crime? Cette question est très pertinente, parce que quand on a le tort d'oser affirmer qu'il se pourrait que des Israéliens aient collaboré avec des Anglos-Américains pour fomenter le 911, on a quelques chances d'être taxé de paranoïaque révisionniste et complotiste. Parfois aussi d'antisémite. Shoah oblige?
Pourtant, le crime du 911 ne profite ni aux Juifs, ni aux Américains, ni aux Occidentaux. Finalement, le crime va profiter à ceux qui sont accusés de l'avoir commis : les Orientaux - et puis aussi les Africains, mais il ne faut pas proférer cette vérité aujourd'hui risible un peu trop fort.
Le ridicule ne tue peut-être pas, mais y'a des limites à la casse. J'imite la classe. Je passe et rase (en campagne) les murs. A qui profite le crime du 911? Il est évident qu'à cette question, on serait tenté de répondre : aux puissants et aux Occidentaux. Certes. Il est certain que depuis le 911, la guerre contre le terrorisme est intentée par les Occidentaux et profite surtout à leurs intérêts géostratégiques, en particulier à ceux tournés autour du pétrole.
Mais la question : "A qui profite le crime?" pose surtout le problème de l'identité et de la responsabilité de ces Occidentaux. En particulier, qui est responsable : seulement l'individu? Mais l'identité de l'individu élude le problème de la responsabilité dite collective. On sait que la forme la plus stable n'est pas l'individu, mais l'État. Dans ce cas, l'État est l'identité la plus achevée, à défaut d'être parfaite.
La dialectique incessante entre l'État et l'individu pousse l'identité à une certaine ambivalence : qui est responsable vraiment en cas de responsabilité collective? Les individus? Mais au nom de quel ferment? La volonté générale? Cet argument très critiquable est en même temps le seul valable. Car la responsabilité individuelle est aussi trop sélective et restrictive. Elle ne donne pas accès aux actions conduites par des foules (peu sentimentales en général) et par des peuples.
Dans le cas du 911, on entend toujours deux types d'accusation tomber avec régularité et une certaine monotonie :
- soit l'argument selon lequel la contestation de la version officielle signifie immanquablement que le contestataire est mû par des sentiments antiaméricains;
- soit l'argument selon lequel la contestation de la version officielle signifie immanquablement que le contestataire est mû par des sentiments antisémites;
- parfois, c'est aussi les deux arguments en même temps.
Il sera toujours temps de se demander pourquoi ces deux arguments. Parce qu'ils sont des remparts inexpugnables? Parce qu'ils sont l'expression à rebours de la vérité?
Sans doute un peu des deux et jamais complètement l'un et/ou l'autre à la fois. Accuser le peuple américain et/ou le peuple israélien signifie :
- soit qu'on accuse tous les Américains ou les Israéliens, ce qui est absurde;
- soit qu'on attribue aux institutions américaines et/ou israéliennes une responsabilité pour des actes commis par des ressortissants agissant au nom d'institutions, quand bien même ces agissements sont ignorés par la (très) grande majorité de leurs peuples.
Dans le second cas, les nombreux exemples historiques rappellent si besoin en était que le principe de la responsabilité étatique, collective et institutionnelle n'est pas un mirage ou un leurre. Il serait bon qu'on se rappelle de ce point essentiel quand on ouvrira une vraie enquête impartiale et internationale concernant les attentats du 911. Juger des institutions américaines et/ou israéliennes ne signifie ainsi certainement pas que l'on accrédite la culpabilité totale et collective des peuples américain et israélien, mais que l'on estime valide le principe de la responsabilité collective quel que soit le degré d'implication institutionnelle.
C'est là justement que le bât blesse dans le cas du 911. Dès qu'on approfondit un peu la question de l'identité des commanditaires ou de la responsabilité des auteurs, on se rend compte que ce ne sont pas des institutions qui ont fait le coup. Du coup, on comprend d'autant moins les insinuations grotesques d'antiaméricanisme ou d'antisémitisme. Comment se sentir concerné par des accusations qui visent des peuples, comme l'antisémitisme ou l'antiaméricanisme, quand précisément les institutions représentant les peuples se trouvent dédouanées en tant qu'institutions? Quand le principe de la responsabilité collective n'est pas attaqué en tant que tel?
Il faudrait s'amuser et remarquer que le portrait dressé par la version officielle est remarquablement juste dans ses contours : Al Quaeda répond à la description d'une nébuleuse terroriste qui n'est pas précisément un individu, mais qui n'est pas non plus un État. Un groupuscule, une faction ou quelque chose de ce genre. En tout cas, une forme mutante et insaisissable qui se trouve dénuée de responsabilité et d'identité.
Alors, s'il est indubitable que ce n'est pas Al Quaeda qui a fait le coup, il est fascinant de constater que grâce au principe de projection, on arrive à écouter ce que déclame vraiment la version officielle : au niveau de l'identité et de la responsabilité, ce sont des pirates relevant de factions dénuées de responsabilité individuelle et/ou collective qui ont fait le coup. Des pirates transversaux, qui infestent de manière transversale le plus haut niveau des institutions occidentales. Coup de génie! Cou du foulard!
Ces types sont des génies parce qu'ils se sont assurés, en même temps que le casse du siècle, de l'impunité rêvée! Le crime parfait! Ocean Eleven puissance douze! Eh oui, l'impunité, qui n'en rêverait pas? On sacrifie trois mille personnes - ou peu s'en faut, on met à bas les symboles de la puissance financière mondiale, on canarde la défense nationale de l'hyperpuissance, et coup suprême, cerise sur le gâteau, on fait porter le chapeau aux lampistes gâteux d'Al Quaeda, sortes de croisements inattendus entre des matamores désaxés et des hommes des cavernes, avides de vodka et babas devant la promesse de quelques vierges paradisiaques en string islamiques...
Si, si, ça existe! Ca excite, aussi? En tout cas, j'en connais qui ont dû se marrer de leur trouvaille saugrenue et si idéelle. Peut-être avaient-ils potassé leur Homère avant de réciter leur entretien d'embauche (en tant que concepteurs en terrorisme, un métier d'avenir)? La botte de Captain Némo? Effectivement, si c'est personne qui a fait le coup... Dans l'histoire, Ulysse le rusé s'en tire à bon compte parce qu'il se fait passer pour ce qu'il n'est pas. Déjà...
Dans le cas du 911, les factions qui ont monté le 911 ont compris que si le coup était intenté par des individus, le principe de la responsabilité individuelle serait mis en avant - et les coupables seraient identifiés. Si le coup était monté par des institutions ou des États, le principe de la responsabilité collective servirait de rempart à des poursuites retentissantes. Que ne nous a-t-on pas rebattu les oreilles avec l'appellation d'État-voyou! Même Derrida s'en souvient encore! Les petits moutons de la pensée unique occidentaliste et élitiste font leur gorgée chaude avec Derrida qui aurait un peu trop bu avant de délirer sur ce coup, de manière quasi posthume!
Les Afghans qui se marièrent un jour de bombardements s'en rappellent aussi, de manière moins sorbonnarde, caïmanne et protocolaire, mais ils ne pourront pas se plaindre de leur déveine : ils ont payé le prix de la responsabilité collective. C'est de la faute de l'État afghan : il n'avait qu'à pas protéger et abriter des horribles nids de terroristes vénéneux dans ses montagnes et sur son sol! Sinon, les gentils alliés pro-américains ne se seraient pas sentis obligés de le châtier et de liquider autant d'innocents pour du pétrole!
Oups! Pour la dernière remarque, elle m'a échappé. Je voulais dire : pour prix de la mémoire collective et de la repentance mémorielle. Faut pas charrier avec le terrorisme. Les mots génèrent des maux. Justement, les guerres émanent de puissances collectives et institutionnelles. Un État déclare la guerre, un individu déclare le duel : seuls les terroristes ne déclarent rien du tout.
C'est parce qu'ils sont sans identité, sans forme, sans fondement - et sans principe. Serait-ce un luxe que d'être un zombie ou un spectre, affublé d'une identité fantomatique et privé d'existence viable et définissable? Les terroristes n'émargent à aucune liste des responsabilités connues et répertoriées. Ce n'est pas que l'on ne puisse décrire leur fonctionnement et leur structure intimes.
C'est que leur fonctionnement n'obéit à aucune reconnaissance officielle et humaine. On connaît l'identité singulière ou l'identité populaire, institutionnelle, étatique; on ne connaît pas l'identité de la faction, du sous-groupe ou du groupuscule. Raison pour laquelle il n'existe aucune responsabilité reconnue et aucune peine existante pour ce genre de formes. L'impunité découle de l'identité : j'ai défini cette identité précédemment comme différante, appellation très déconstruite et clin d'œil au pape Derrida, dont je goûte fort peu les arabesques méditatives.
La différance, c'est le sens qui n'est jamais stable, qui est toujours en fuite (en avant), en cavalcade, en cavale. A y bien réfléchir, à y bien regarder aussi, ce qui n'est pas identifié n'est pas responsable. L'identification, c'est la définition. Coupable, mais pas identifiable. Responsable et identifiable.
L'identité différante, c'est précisément cette identité qui n'est pas identifiée et qui de ce fait fuit constamment le principe de responsabilité. L'exercice de la définition, aussi. C'est pourquoi dans le 911, il faut des lampistes et des alibis pour dénoncer avec virulence un coupable identifié et responsable. Car des coupables identifiés et reconnus, il n'y en a pas. Littéralement et sans mauvais jeu de mots. Sans blague?
Si on lit entre les lignes (vraiment), on se rendra compte que les responsables sont coupables, à condition que l'on se pique de différance et que l'on comprenne ce que sont les identités de factions et de sous-groupes. Pas des identités institutionnelles. Pas des identités individuelles. Des identités hybrides.
C'est le propre du 911 et de la guerre contre le terrorisme que d'amorcer une ère nouvelle : la fin des identités collectives stables et définissables et l'avènement des identités hybrides et composites.
Justement, les immanentistes répondent merveilleusement bien à l'effort et aux effets de la question différante : ils sont au coeur des institutions occidentales, ils gravitent dans la banque et la finance, ils tiennent les leviers principaux, ceux de l'économie, et ils sont persuadés de leur mission civilisatrice pour les siècles du troisième millénaire chrétien.
Il reste à comprendre à l'analyste un peu sérieux, celui qui veut dépasser le seuil de l'immédiateté factuelle et journalistique, que l'interprétation ontologique et méditative délivre un verdict nuancé et souple : pas les Américains, pas les Israéliens (deux peuples innocents), pas les Juifs (une communauté aussi transpopulaire qu'innocente); mais : les immanentistes, en tant que mouvement et mentalité diffuse à travers Israël, les États-Unis, le Royaume-Uni et tout l'Occident.
Pas seulement. Egalement chez les Saoudiens et les Pakistanais apparemment - aussi. Mais je ne voudrais pas instiller de différands diplomatiques et théologiques entre des peuples aussi antagonistes et ennemis que les Saoudiens et les Israéliens. Heureusement que les Anglo-Saxons, les Américains d'aujourd'hui, les Anglais d'hier (et des colonies), sont là pour réconcilier ces inconciliables et incunables - identiques.

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