jeudi 12 juin 2008

Insûreté

Lors d'une émission de France Culture dont j'ai tout oublié, la date et l'heure notamment, un intervenant éclairé dénonce le discours sécuritaire qui recouvre de son ombre menaçante et fantomatique/fantasmatique l'Occident comme un symptôme éclatant de décadence. Qu'est-ce que l'option sécuritaire sinon la réclamation qui survient à un moment où l'ordre se délite et se désosse?
Le bon peuple réclame de la sécurité quand il se sent précisément en insécurité, c'est-à-dire sous la menace d'un ennemi dont il est intéressant de noter le relatif anonymat.
Précisément, l'intervenant souligne l'évolution du vocabulaire de sûreté à sécurité. Il insiste notamment sur le fait que la sécurité renvoie à un sentiment et ne corrobore plus une politique précise, au contraire de sûreté, qui était le terme antérieur employé et qui désignait un état clair, état social et politique dans lequel le citoyen est justement en sûreté.
Il serait intéressant de creuser à propos de ce sentiment - de sécurité : car si la sécurité est un sentiment, ce sentiment traduit un déplacement du fait vers l'appréciation et le ressenti. Il ne s'agit plus de sûreté, il s'agit de se sentir sûr. Mais l'on peut tenir un discours sécuritaire qui ne contribue pas à ramener la sureté parmi l'ordre social. Pis, il se peut que la sûreté disparaisse à proportion que la sécurité apparaisse - et la remplace.
La sûreté renvoie à ce qui est sûr. La sûreté indique que l'ordre est certain et fiable. La sûreté est le droit primordial que l'ordre constitué garantit à ses adhérents. Quand ce qui est sûr disparaît, c'est que les valeurs essentielles qui fondent l'ordre s'estompent. La sûreté renvoie ainsi au sens comme direction et comme fondement intangibles.
La sécurité comme sentiment très subjectif ne peut apparaître que quand surgit l'insécurité, soit quand disparaît la sûreté, comme effondrement des valeurs et délitement du sens. Autrement dit, la sécurité est un sentiment qui vient remplacer avec défaut un état. On passe de l'objectif au subjectif.
La sécurité survient pour compenser précisément la disparition de la sûreté et c'est en quoi le discours sécuritaire signale toujours l'absence de sûreté ou le manque de sûreté. Car dans un système sûr, le sentiment de sécurité est inexistant. L'insécurité ne se développe que parce que le système manque de sûreté, soit n'est pas sûr de soi. Ce n'est pas un mince paradoxe que de constater que la politique de sécurité ne peut que prospérer sur l'insécurité, soit l'insûreté, mais aussi que la sécurité est fonction de la sûreté.
Dans la sûreté, pas d'insécurité; dans l'insûreté, de la sécurité. La sécurité suppose le manque de sûreté. Je crois que le plus important touche au sens derrière le sens, je veux dire au sens comme direction derrière le sens que les mots peuvent prendre. Le sens des mots n'est jamais anodin et signale toujours le sens en tant que direction générale.
La sécurité est un glissement de sens qui signale de fait l'insécurité, soit, plus grave, l'insûreté en tant que dégradation objective de l'ordre vers le désordre social. Admettre cette réalité, c'est ne plus seulement critiquer le discours sécuritaire comme un mensonge et un leurre, mais comme l'enregistrement implicite, quoique clair, que le sens s'effondre et que la peur envahit les esprits. La peur survient quand le sens s'estompe. Tout un symbole.

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