dimanche 22 juin 2008

Le zénith de la chute

Pourquoi les transcendantalistes occupent-ils une place si majoritaire dans l'histoire de la pensée que les immanentistes coïncident chaque fois avec des périodes de crise? Les périodes immanentistes surviennent chaque fois avec des crises profondes de sens et d'orientation dont l'épisode de Babel est un excellent récit. L'immanentisme consiste précisément à se présenter comme couronnement et achèvement.
Il est clair que la décadence rime avec la démesure et que jamais la décadence ne se présente comme décadence. Au contraire, elle est décadence en tant qu'elle a le chic pour se travestir en succès. Babel est le succès par excellence de l'homme, qui parvient enfin à la réconciliation. Babel exprime la réconciliation du sens et de l'identité : selon Babel, l'homme a les moyens de faire en sorte que la partie devienne le tout.
C'est précisément le projet de l'immanentisme : penser et projeter par la pensée le tout. La mondialisation et l'idéologie mondialiste ne sont que des avatars du mythe de Babel, qui tient à la grande réconciliation. L'immanentisme est un projet unique, qui se présente toujours comme projet de réconciliation, de dépassement et de réussite totale. L'unicité ontologique se redouble ainsi d'une unicité prévisible au niveau de l'action.
Le transcendantalisme exprimait le besoin de scinder le réel pour conserver le lien entre la partie et le tout. L'immanentisme survient en période de crise parce qu'il confond la partie et le tout. C'est dire que le discours le plus assuré voire triomphal est en fait le plus destructeur, car le plus fragile. Au moment où l'homme s'estime au faîte de sa puissance, au moment où il croit confusément qu'il est en mesurer de dominer le monde, l'homme en fait est enclin à poser les bases de l'immanentisme.
L'homme décline quand il croit dominer et l'indice de ce déclin n'est autre que le signe ostensible de sa domination apparente et figurée. Figée aussi. L'immanentisme n'est autre que l'appétit de domination qui s'écroule quand il croit qu'il touche enfin au but : il est enfin devenu le tout et il est enfin en mesure d'affirmer que ce tout coïncide avec son propre entendement et ses propres attentes. L'homme possède le désir de se faire Tout et il ne s'en prive pas.
Tel est Babel et telle est la perte véritable. Le transcendantaliste avait conscience de sa faiblesse et c'est ce qui le sauvait en le poussant à respecter la partition entre lui et le réel (partie et tout). L'immanentiste a gagné autant en imprudence qu'en confiance et c'est ce qui l'amène à considérer qu'il est en mesure de postuler le tout. Que ce tout soit par enchantement le propre développement de ses attentes et fantasmes n'est qu'un prolongement logique et très hyperrationnel. Il est vrai que l'immanentisme est fondé sur la Raison pour fonder la centralité de l'homme.
L'immanentiste dénonce la partition ontologique dans la mesure où cette partition le mène à nier le tout. Il croit à tort gagner en unité et cohérence alors qu'en fait il sombre pieds et poings liés dans la démesure et qu'il préparer sa chute. La partition est indispensable à l'édification et à la pérennité du sens. C'est un sens fatigué et pour tout dire sens dessus dessous qui est poussé à perdre la boussole et à estimer que le sens ne signifie plus rien.
Pour finir, l'immanentisme fin de règne est celui qui revendique la perte du sens, son inanité et/ou son renvoi aux calendes grecques. Quand de telles propositions sont avancées, qui traduisent la fin du sens dans la mesure où le sens est dénié, c'est le signe que le sens donné est en fin de course et que Babel se prépare : soit le faux zénith avant la chute la plus cruelle et la plus incompréhensible pour les immanentistes. Pour les esprits lucides, l'affaire est pourtant entendue depuis belle lurette.

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