vendredi 6 juin 2008

Vanité des vérités



A un moment de son terrible argumentaire/aveu, Claude, dont on voit qu'il cherche à concilier l'honnêteté et l'apaisement (surtout ne pas s'embarrasser avec des problèmes inquiétants), finit par demander en substance à von Bülow pourquoi il cherche à savoir la vérité puisque la vérité ne sera pas connue.
Cette phrase est très intéressante et elle revient en boucles dans les arguments servant à dissuader de manière cynique les chercheurs de vérité et contestataires de la version officielle du 911 (les deux expression sont synonymes, puisque la version officielle est un tissu de mensonges cousus de fils blancs). Postuler qu'on ne saura jamais la vérité, c'est :
1) postuler que le système est pérenne et qu'il peut assumer le mensonge du 911 (et le mensonge en général) sans que son fonctionnement en soit affecté de manière profonde et structurelle;
2) postuler que la vérité factuelle et historique est impossible à atteindre et à trouver.

1) Concernant la première assertion, c'est une absurdité incoulable et quiconque comprend que le mensonge tue le système à petits feux comprend que le 911 n'est pas un petit feu, mais que cet argument est un contre-feu. La démocratie a besoin précisément que les évènements soient sus et que des complots ne puissent se dérouler. L'argument du complotisme n'est qu'une misérable parade rhétorique employée à des fins de diversion pour nier le problème existant. Mais ce n'est pas en niant le problème existant qu'on le fera disparaître.
Il reviendra même avec usure. Le mensonge consiste à couvrir les complots au nom du postulat que les complots ne sauraient advenir dans une démocratie. Certes, mais l'histoire enseigne que ce n'est pas ce qui se produit et surtout, l'existence avérée des complots avertit que la démocratie est en voie de destruction. On a fermé les yeux devant l'assassinat de JFK et on a fait comme si Oswald le lampiste était l'unique responsable.
Comme il a été assassiné quelques temps plus tard, on a tourné la page comme si de rien n'était et on a fait de même avec de multiples autres assassinats explicites, comme celui de Matin Luther King à la même période, parce qu'on ne voulait pas affronter le vrai problème que posaient ces complots : l'extinction de la démocratie. C'est la question que pose le 911 et à cette question la lâcheté qu'incarne Claude en l'occurrence consiste à répondre que ce n'est pas si grave, puisque la vérité ne sera jamais trouvée. Sous-entendu : le système va se poursuivre bon an, mal an. Dont't worry, be happy.
Malheureusement, tout se paye et je suis heureux de rendre raison sur ce point au plus grand des immanentistes, le solide et solitaire Spinoza, que l'injustice du transcendantalisme en crise n'empêcha pas de vivre et d'écrire.
Il faut avoir le courage et la lucidité de regarder les choses en face et d'oser : le mensonge détruit la démocratie, pare que le mensonge est contraire aux principes de la démocratie et que de toute manière, quel que soit le régime politique, le mensonge est contraire au réel. Le mensonge n'est pas anodin, encore moins innocent. Le mensonge annonce la destruction et les arguments déployés pour le légitimer de manière sous-jacente sont en fait des prétextes et des diversions.
Au fait : Claude exprime bien un sentiment immanentiste, qui veut que la vérité soit introuvable, soit que le sens soit différant. A force de différer, on se dit qu'en adoptant cette posture ontologique, on légitime l'absence de vérité et le mensonge, mais malheureusement, la différance est un prétexte et une diversion qui ne fait là encore que nier le problème. La différance est la théorie postmoderne et la diversion ontologique qui vient conforter et appuyer l'impéritie morale et la lâcheté politique.

2) Concernant la seconde assertion, il est certain que la vérité historique existe et que l'homme peut la retracer. Sans doute les interprétations de ces faits sont-elles plus discutables, encore que je croie que les controverses quant aux interprétations historiques viennent le plus souvent non d'ignorance mais de parti-pris idéologique. C'est ainsi que le nietzschéen Paul Veyne est un historien romain de premier plan, mais qu'il affirme sans ambages que la chute de Rome est quasi inexplicable et qu'en tout état de cause elle ne saurait être imputée à l'idée de décadence. Au contraire... l'Empire romain se portait assez bien et sa chute est aussi subite qu'inexplicable... Sans blagues.
Cette mauvaise plaisanterie s'adosse sur le postulat ontologique (et farcesque) selon lequel le sens n'explique rien et la plupart des évènements surviennent ainsi, sans qu'aucune explication ne puisse être apportée. C'est évidemment un prétexte et une diversion pour nier que la décadence existât et que les raisons historiques permettent d'expliquer pourquoi un Empire comme Rome s'effondre ainsi du jour au lendemain. Certainement pas de manière inexplicable et sans décadence.
Dans ce cas, s'agirait-il de décadence subite ou cette décadence plonge-t-elle ses racines dans des évènements plus anciens? Ce n'est pas le spécialiste Veyne qui nous en informera puisqu'il n'est pas question de comprendre quoi que ce soit qui remet en question l'occidentalisme. L'URSS était en décadence parce que Veyne croit que le communisme est le péril de l'occidentalisme alors qu'il en est une application directe et le complément à cet atlantisme auquel il souscrit avec idéologie.
Dans le cas de la Révolution française, le par ailleurs excellent François Furet a écrit des livres admirables sur cet évènement, mais il se prononce lui aussi pour une certaine prudence : il est très malaisé de dire ce qui s'est vraiment passé pendant la Révolution française. L'argument est à mon sens plus recevable, parce que la Révolution française est encore fort proche de nous et qu'elle nous conditionne étroitement. Mais néanmoins on peut se poser la question de savoir si aucun élément tangible d'interprétation et de compréhension ne se dessine ou si ces historiens au nom de l'impartialité et de l'objectivité (de la rigueur) refusent d'interpréter quand l'évidence est trop douloureuse ou trop sombre à envisager.
Que dirait-on si un historien dans deux mille ans nous disait : concernant le 911, on ne peut rien dire et concernant la chute de l'Occident, empire très particulier et fort différent de l'imperium romain, on ne peut certainement pas conclure à la décadence de cette civilisation ou de cette culture? De qui se moquerait-on? Fermerait-on les yeux?
Concernant la Révolution française, il est certain que la proximité et la parenté de l'événement nous incitent à la prudence la plus élémentaire, mais : ne pourrait-on pas suggérer que la difficulté d'interpréter nous vient surtout de la connexion entre la Révolution et l'avènement institutionnel de la bourgeoisie aux plus hautes charges de l'État français.
L'aristocratie et la royauté s'effondraient, fort bien, mais cet effondrement est-il seulement le signe d'un progrès indubitable de la rationalité, de la liberté et de la justice ou n'est-ce pas la propagande immanentiste qui nous vend ce progrès pour nous faire adhérer à son projet? La Révolution française a-t-elle vraiment engendrer le progrès pérenne et viable ou a-t-elle plus prosaïquement signifié que désormais c'était la Raison et ses conséquences prévisibles et marchandes qui s'emparaient du pouvoir?
Sommes-nous dès lors en mesure de juger cet événement alors que la lecture de cet événement sous une grille immanentiste et hyperrationnelle nous conduit à interpréter la Révolution française comme un événement qui ne sert pas du tout la liberté et la justice, mais la bourgeoisie comme classe sociale capitaliste et éminemment immanentiste. Le progrès marchand est-il le progrès?
Ces questions ne visent pas à restaurer la monarchie en France, mais à comprendre pourquoi on occulte systématiquement le sens pourtant visible de la Révolution française : par prudence ou par souci idéologique de protéger l'immanentisme et de le faire passer pour un progrès alors qu'il met en péril le fonctionnement de la culture et de la pérennité de l'homme?
C'est ainsi qu'il faut comprendre la position de Claude concernant la vérité impossible, comme le sens diffère parce qu'il est impossible : Claude n'est jamais qu'un épigone de la mentalité immanentiste qui favorise à ce titre les disciplines objectives et scientifiques comme l'histoire (sciences humaines, mais sciences quand même) et qui disqualifie tout ce qui ne se pare pas des atours de l'hyperrationalité travestie en rationalité. C'est ainsi que des esprits comme Furet, et, à un degré moindre, Veyne, nous vendent leur sauce idéologique au nom du refus de l'idéologie et de l'objectivité prudente.
Il est certain que ce type d'oeuvres, celle des Veyne, même celle des Furet, n'a qu'une durée de viabilité assez restreinte, qui ne dépasse pas les trente ans et qu'à cet égard, il est intéressant de constater que l'immanentisme est une soupe souvent fort fragile et friable. On pourra argüer que Spinoza est un grand esprit, mais Spinoza est philosophe, pas historien, et il est certain qu'il faut laisser un peu de temps pour juger de la postérité véritable de Spinoza. Non que la postérité dira que Spinoza est un penseur nul, mais qu'il est inféodé à l'immanentisme, et qu'à ce titre Spinoza risque de connaître une fortune qui le reconnaît comme penseur de crise.
Un grand immanentiste est-il un grand penseur? Une pensée de la crise est-elle une grande pensée?
A ce sujet, il est très important de laisser le temps au temps et de comprendre que cent ou deux cents ans ne sont pas suffisants pour juger d'une oeuvre, surtout à une époque qui n'hésite pas à promouvoir des centaines d'oeuvres et à les porter au pinacle inconsidérément (ce qui ne signifie pas que des oeuvres mineures n'aient pas de valeur, tant s'en faut). Spinoza est sans doute un penseur de qualité, mais je parie mon clavier qu'il sera beaucoup moins cité dans mille ans que Platon et qu'on le considérera, parmi d'autres qualités impressionnantes et enviables, surtout comme le meilleur représentant de l'immanentisme. C'est peut-être beaucoup, mais c'est aussi sans doute peu.

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