lundi 11 août 2008

Au nom de la cause

Il est fascinant pour un chercheur de l'immanentisme de se pencher sur les conditions de création du peuple juif. Dans la Bible, les histoires propagées narrent les tribulations d'un peuple sémite venu de Mésopotamie et y retournant de temps à autre. Les Egyptiens sont issus des métissages incessants entre l'Afrique, l'Europe et la Mésopotamie, mais originairement ils sont Africains.
Les Juifs sont des Sémites au même titre que les Arabes ou les Araméens. Les Sémites étaient si imbriqués entre eux, tribus ou peuplades plus ou moins nomades, plus ou moins sédentaires, que Jésus le Juif s'exprimait semble-t-il en Araméen. Il existe encore des millions d'Araméens en Irak, dans l'un des territoires de l'ancienne Mésopotamie. Qui étaient les Juifs de la Bible? Les historiens éprouvent les pires difficultés à bien cerner qui était cette peuplade. Des épisodes aussi fameux que la sortie d'Égypte sont sujets à caution, de même que l'esclavage en terre d'Égypte.
Mythographie? Historiographie? L'existence de Jésus, qui sur ce point intéresse moins les Juifs que les chrétiens, est indécidable d'un strict point de vue historique : Flavius Josèphe le contemporain, juif romain, ne mentionne jamais l'existence de ce Roi si spécial, au contraire des chrétiens primitifs qui falsifieront certains écrits pour réécrire l'histoire du côté des vainqueurs.
Sans polémiquer, le côté fort peu historique du peuple dit juif se manifeste aussi dans les travaux de certains historiens contemporains israéliens, qui montrent que la filiation historique entre les Hébreux et les Israéliens ne coule pas de source, ce qui pose un problème considérable, car la revendication de la terre d'Israël découle de l'appartenance de cette terre sacrée aux Juifs antiques.
En particulier, le foyer historique du sionisme, qui est une idéologie occidentaliste, comme il y eut le communisme d'obédience marxiste ou le libéralisme d'obédience anglo-saxonne, provient grosso modo de l'Europe centrale et des steppes slaves. Il ne s'agit pas de discuter de la validité de la religion juive, qui est en outre une fort noble religion, ou du droit d'un croyant à adhérer au judaïsme, indiscutable; il s'agit de comprendre que le sionisme revendique une filiation qui est illusoire et qui correspond fort bien (par contre) au projet de l'immanentisme.
Justement, l'histoire du sionisme montre que ce sont les calvinistes restaurationnistes qui sont à l'instigation du sionisme et que les rabbins ont longtemps désapprouvé l'idéologie sioniste. Le sionisme a été récupéré par l'alliance objective des milieux calvinistes et juifs de la haute banque et de la grande finance. C'est ainsi que l'on retrouve les grands banquiers derrière des accords comme la déclaration de lord Balfour.
Si l'on ajoute à cette situation inédite, qui explique grandement pourquoi Israël de nos jours possède une influence considérable dans la marche du monde, influence bien supérieure au réel pouvoir dont il dispose, le fait que les vrais initiateurs d'Israël et les soutiens d'Israël, Juifs ou protestants, se meuvent tous dans l'univers du colonialisme en passe de muter en néocolonialisme décolonisé, on comprend qu'Israël est la créature connexe à la décolonisation.
Israël est vraiment une création 100% de l'immanentisme. On a en effet :
- la création d'un État sur un territoire déjà peuplé par des autochtones colonisés que l'on nomme aujourd'hui les Palestiniens (ce fait est inacceptable moralement et politiquement).
- la création d'un État à partir d'un peuple sans terre, tel Jean du même nom, et qui surtout est un peuple dont l'identité de peuple pose de sérieux problèmes de nationalité. Les sionistes se voudraient ainsi d'autant plus tribalistes/communautaristes et intraitables sur leurs origines que les racines qu'ils revendiquent sont très probablement fausses et mythographiques.
Si l'on essaye de comprendre cette histoire reconstituée et cette création qui frise la pureté, on comprend que l'intégrisme dont il s'agit ici correspond parfaitement à l'immanentisme. On a créé un peuple, un État de manière absolue si bien qu'on peut parler de pureté immanentiste. Le sionisme correspond bien à une mutation très particulière du judaïsme qui évoque clairement la mutation immanentiste et qui débouche sur une recherche de pureté inexplicable selon el prisme du judaïsme.
Les exigences du sionisme sont incompréhensibles d'un point de vue nationaliste : un nationaliste israélien serait en total désaccord avec la politique actuelle d'Israël. A moins peut-être de se mettre à la place d'un nationaliste totalement borné et allumé. Quant à la morale religieuse du judaïsme, elle se trouve en désaccord expresse avec la politique d'Israël, qui poursuit les exigences du sionisme sur un monde de surenchère et de gradation (en parallèle avec le libéralisme de plus en plus ultralibéral et impérialiste). A chaque fois, on mentionne le sionisme progressiste et modéré alors qu'il sert à masquer des politiques qui coïncident de plus en plus ouvertement avec les aspirations d'un Jabotinsky. C'est ainsi que le sympathique Bibi Netanyahu, dont le père était secrétaire de Jabotinsky, n'est pas pour rien le dirigeant actuel du Likoud.
Ce qu'on nomme le courant Likoud n'est pas l'expression du conservatisme libéral classique, mais du sionisme le plus intransigeant (les centristes de Kadima ne sont pas mal non plus). Il reste à comprendre que dans cette optique, les néocolonialistes se sont servis d'Israël et du sionisme comme idéologie pour servir les intérêts mondialistes de la finance occidentale. La mondialisation est l'autre nom du néocolonialisme. Le néocolonialisme a réuni les deux Empires coloniaux français et anglais en une seul cause occidentale, dont les États-Unis sont le fer de lance et Israël la vitrine hyperreélle.
Israël est la création autant que la créature de l'immanentisme : l'occidentalisme ici en question consiste à perpétrer et perpétuer le colonialisme au nom de la décolonisation. Cette première et exorbitante hypocrisie se redouble d'une seconde, aussi atroce : c'est que la première phase de colonisation servait les intérêts de l'impérialisme bien réels et très classiques.
Mais le néocolonialisme est un colonialisme bien particulier en ce qu'il se sert des aspirations civilisationnelles et culturelles du colonialisme pour pratiquer une revendication délirante : cette fois, il s'agit d'imposer la civilisation de l'Hyperréel aux détriments du réel. J'en appelle à Héraclite, qui évoquait à quel point il est périlleux pour l'homme de voir ses désirs comblés. Pas seulement. Clément Rosset énonce aussi que le réel finit toujours par triompher - et avec usure. Deux avertissements prémonitoires, que les immanentistes feraient bien d'écouter dans leur démesure.
Ils en sont incapables car leur programme est monstrueux : remplacer le reél par leurs désirs est impossible, conduit à un affrontement larvé et permanent et à des catastrophes qui sont peut-être finalement celles qu'annonce l'Apocalypse. Israël donne une indication précise et précieuse de cette prétention vouée à l'échec le plus piteux et tragique. Sauf que le millénarisme ne correspondrait pas à la venue de Jésus tant souhaitée (le Retour du Christ) par les héritiers des restaurationnistes, qui correspondent aux sectes actuelles du christianisme sioniste anglo-saxon. Sans doute faudrait-il plutôt considérer que l'Apocalypse précède de peu la conquête de l'espace, non comme ère de bonheur millénaire, mais comme conquête acharnée et terrible. Après tout, le combat et la sueur, c'est ce que préfère encore l'homme.

Aucun commentaire: