lundi 18 août 2008

Lieu noir

On s'étonne de la différance immanentiste. Cette différance mérite amplement son A majeur après l'épopée piteuse de Derrida, un de nos glorieux et inoubliables postmodernes à oublier (au plus vite, avec Deleuze et Compagnie), non à cause de Hegel ou que sais-je d'autres véritables penseurs modernes, mais parce qu'elle exprime l'immanentisme derrière la pompe et la morgue. La différance est le sens introuvable tout comme elle est l'identité introuvable.
Il est important de noter que la définition la plus pertinente de l'identité est de posséder un extérieur et un intérieur, soit d'être localisable. Le propre de l'identité est d'indiquer un lieu précis. Ce n'est qu'à partir de cette localisation que peuvent se développer d'autres types d'identité, plus rationnels et virtuels.
Quand on se penche sur l'identité d'un peuple, on se rend compte que tout peuple commence par être une tribu, soit un groupe ancré dans une terre et un sol. Je m'excuse pour les références que d'aucuns jugeraient empreintes de nazisme, mais la bêtise existait bien avant le nazisme. Il n'est pas de peuple sans ancrage premier dans un sol. Pas de Français sans France en somme, tout comme pas d'hommes sans Terre.
Dans le cas de la colonisation des États-Unis par l'Europe et l'occidentalisme, il est clair que le réel a joué un vilain tour de passe-passe à l'Hyperreél. En s'imposant sur les autochtones, les Américains nouveaux ont vraiment cru avoir gagné et avoir affermi la cause de l'immanentisme. The american way of life : ce slogan bien connu de propagande renvoie à la cause spécifique de l'immanentisme.
En fait, l'immanentisme s'est dissout dans le réel, si bien qu'on peut dire que les circonstances ont joué un tour pendard à ceux qui estimaient parmi les Conquistadors, les colons et les esclavagistes que l'Hyperreél avait une quelconque chance de l'emporter. En remplaçant purement et simplement les Indiens, les colons européens, puis leurs successeurs n'ont fait que remplacer un réel par un autre, se fondre dans le réel tant stipendié.
Mais l'immanentisme ne s'est pas éteint dans cette opération de simple magie blanche. Si seulement les États-Unis avaient validé le passage d'une population à une autre, la monstruosité relèverait de l'extermination morale - pas ontologique. En l'occurrence, l'extermination était ontologique parce qu'elle n'a pas donné lieu à une identification réelle.
L'immanentisme a perduré, parce que les Américains ont vraiment cru à la réussite triomphale de leur programme et ont persisté dans l'immanentisme. Le propre de l'immanentisme est de ne pas posséder d'identité et de mode d'identification. En acquérant la terre américaine, on aurait pu penser que les nouveaux Américains allaient revenir dans le réel comme on rentre dans le rang. Point du tout!
Nos chers cow-boys de Far West, pour le stéréotype subliminal, ont cru remplacer les Peaux-Rouges, mais le Nouveau Monde contient dans son expression archétypale bien autre chose que l'idée de la singularité de toute chose soumise au devenir. On remarquera que l'immanentisme prétend imposer un tel changement que la réalité immanentiste serait à chaque fois nouvelle. C'est en cela qu'elle est hyperréelle.
La mentalité américaine est demeurée profondément ancrée dans l'immanentisme, qui lui permet de croire vraiment au rêve américain et à toutes ces sornettes plus ou moins débiles la plupart du temps. Quelle est cette mentalité qui permet d'affirmer que les États-Unis sont toujours dans l'Hyperréel et qu'ils n'ont pas accédé à la réalisation, au sens où ils seraient retournés dans le reél?
Il s'agit en fait d'accorder le primat à la représentation de son désir sur l'effectivité des faits. Tel est le royaume de l'Hyperréel, tel est l'american way of life. De ce point de vue, on peut dire que les Américains n'ont pas changé et de ce point de vue on peut d'autant plus remarquer (enfin!) le malaise culturel que l'on sent persistant aux États-Unis que celui-ci n'est pas une carence de transition, mais le signe irréfutable d'une absence d'identité.
Tel un fantôme qui erre dans l'espace parce qu'il ne possède pas d'identité propre, les États-Unis montrent d'inquiétants signes de faiblesse identitaire parce qu'ils n'ont jamais réussi à prendre la place de ceux qu'ils avaient exterminés. Est-ce le signe d'une malédiction touchant le peuple le plus matérialiste et le moins spirituel de l'histoire? Ne voit-on pas que la prolifération presque bactériologique des Eglises réformées et autres dérives plus ou moins sectaires signalent justement que le religieux transcendantal s'est commué en sectarisme fondamentaliste et que l'esprit de l'immanentisme rôde et souffle sur ces braises brûlantes?
L'identité différante qui est le symptôme premier du malaise américain est à mettre en perspective avec l'histoire de ce peuple qui a pris la place du peuple original et autochtone, tout comme l'Hyperréel se destine à prendre la place du réel. Dès lors, il n'y a pas lieu de s'étonner de la politique impérialiste que mènent les États-Unis depuis leur création et le plus souvent au nom de l'antiimpérialisme.
Naturellement, on pourrait opposer à cet impérialisme un courant américain antiimpérialiste, mais ici il importe surtout de comprendre que l'autisme politique à l'égard du reste du monde que les États-Unis entretiennent alternativement avec leur hyperactivisme impérialiste cache en fait le même phénomène.
Comme l'on souffle le chaud et le froid, les Américains cumulent le paradoxe de se désintéresser du monde et de poursuivre leur colonisation. Colonisation immanentiste, il va sans dire. Raison pour laquelle la guerre d'Irak n'est pas un échec : elle poursuit en fait le but de la destruction du réel, comme la guerre en Afghanistan ou la guerre du Liban sous-traitée à la vitrine israélienne. On pourrait dans cet ordre d'idées considérer que la guerre du Vietnam sonnait déjà comme un avant-goût putride de ce qu'annonçait la décolonisation la destrcution du reél pour le remplacer par l'Hyperréel.
Malheureusement, le déclin du système immanentiste permet de comprendre que le remplacement est de moins en moins envisageable et que l'Hyperréel en est à détruire les territoires réels qu'il annexe pour tenir le coup. Combien de temps - encore? Reste que sans doute le délire ne serai pas allé aussi loin si l'immanentisme s'était aperçu qu'il se dupait en pensant qu'il pouvait réussir. A chaque fois que l'immanentisme a réussi dans sa courte prise de pouvoir moderne, il s'était en fait commué en réel.
Depuis que la mutation immanentiste est passée à un stade avancé de déclin et de dégénérescence, le fameux postmodernisme des snobs à courte cervelle, l'immanentisme est tellement faible que son coup de chance initial ne fonctionne plus du tout. Au lieu de réussir le coup des États-Unis, désormais l'immanentisme en est à lutter pitoyablement et laborieusement pour conserver un peu de terrain ou en grappiller un peu. Au final, il perd toujours.
C'est ainsi que personne n'est dupe de l'état de fragilité d'Israël, qui explique sa politique actuelle aussi suicidaire que monstrueuse par son besoin de tenir le coup face aux autochtones. Israël possède un reél problème d'identité, comme tous les États immanentistes, et il n'est pas prêt de résoudre ses problèmes de guerre.
La paix est impossible, car il n'y a pas de paix entre l'Hyperréel et le réel. Point n'est besoin de trop fouiller pour comprendre l'inexplicable défaite contre le Liban voisin en 2006 : malgré les méthodes technologiques les plus pointues, les immanentistes ont réussi à perdre contre le Hezbollah réel et passablement armé. Tout un symbole de la dégradation des structures hyperréelles, qui bientôt perdront du terrain, comme cela sera prochainement le cas en Israël avec la question démographique.
Cette question démographique en dit long sur l'absence d'identité israélienne : les Israéliens craignent d'être submergés par la reproduction du réel. C'est imparable et le fait qu'Israel en tant que vitrine immanentiste de la décolonisation ne parvienne pas à prendre la place du pauvre peuple palestinien ne dit long sur l'impuissance de l'Hyperréel, qui ne s'est pas rendu compte, dans sa démesure, qu'il ne parvenait à prendre la place du réel que sur un coup de chance et sur un retentissant malentendu.

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