mercredi 13 août 2008

Parcours d'un occidentaliste

http://sabyl.forumactif.com/actualite-relative-a-l-islam-et-aux-musulmans-f10/abram-shulsky-le-faucon-meconnu-du-pentagone-t1040.htm

"Salam.


Une petite biographie d'un homme qui gagne à être connu :

ABRAM N. SHULSKY.

Universitaire et haut fonctionnaire américain, Abram Shulsky, né en 1941, est originaire de Rochester, ville située sur la côte Est des Etats-Unis, dans l'Etat de New York. Il est le premier des deux enfants du couple formé par Samuel Shulsky, dit Sam Shulsky (1907-1982) qui fut trente ans durant l'un des ténors de la presse financière new-yorkaise, et par son épouse, Mollie Cohen, issus tous les deux d'émigrés européens de religion juive et de culture ashkénaze.

En 1960, après de solides études au collège, Abram, surnommé "Abe" Shulsky entame un cursus de mathématiques à l'Université de Cornell. Sous l'influence d'Allan Bloom, jeune et sémillant professeur de philosophie dont il fait bientôt la connaissance, il se tourne finalement vers les sciences politiques (1964). C'est également sur le conseil de Bloom qu'il intègre l'Université de Chicago où enseigne alors l'éminent philosophe d'origine allemande Leo Strauss, qui exercera une influence déterminante sur l'évolution intellectuelle de Shulsky, comme sur celle, dit-on, de son camarade de classe de l'époque, Paul Dundes Wolfowitz*. A. Shulsky passe son Master en 1968 avec pour thème de mémoire la "critique du discours sophistique par Platon dans le dialogue du Protagoras". Il obtient quatre ans plus tard un doctorat en sciences politiques (PhD). Soutenue sous l'égide du successeur de L. Strauss, le professeur Joseph Cropsey, la thèse que Shulsky consacre à "l'Infrastructure de la politique d'Aristote" sera très bien reçue.

Pour autant, le jeune chercheur ne semble pas attiré par la tranquille carrière universitaire qu'on lui propose. Après avoir si longtemps travaillé le problème sous l'angle théorique, il apparaît plutôt soucieux de pouvoir mettre en pratique, et le plus rapidement possible, sa conception de la politique. Ses talents personnels et son entregent lui ouvrent à cet égard de vastes perspectives. En 1975, à trente-cinq ans, il est recruté par le staff de campagne de Daniel Moynihan, alors représentant des Etats-Unis à l'ONU. L'élection de Moynihan au Congrès des Etats-Unis permet à Shulsky de travailler à partir de 1976 au sein de la Commission du Sénat chargée des questions de renseignements. Il enquête en particulier sur les méthodes de désinformation utilisées contre l'Occident par la propagande soviétique. Rallié au camp républicain peu de temps après l'arrivée de R. Reagan au pouvoir en 1981, il entre au Pentagone où il devient l'un des principaux adjoints du vice-secrétaire d'Etat à la Défense, Richard Perle. Sa longue carrière au sein de l'administration républicaine se poursuivra sous la présidence de George Bush Senior entre 1988 et 1992.

Après l'élection de Bill Clinton, Shulsky ne rejoint pas les rangs de l'Université. Le monde du renseignement l'a semble-t-il suffisamment fasciné pour qu'il décide de s'y concentrer tout entier. Il est rapidement embauché par la Rand Corporation. La Rand, prestigieuse et très influente institution privée, créée en 1945, fait appel aux compétences de nombreux chercheurs en géopolitique à qui elle commande des rapports, très gracieusement rétribués, afin d'orienter les décisions des responsables du Pentagone en leur proposant des perspectives de défense stratégique à long terme. Shulsky s'affirme au cours de cette période comme un spécialiste attitré des questions chinoises, il publie plusieurs travaux sur l'attitude que les Etats-Unis devront adopter envers Pékin dans le monde de l'après Guerre froide.

Il revient au Pentagone en 2001, après l'élection de George Bush Junior. Le nouveau vice-secrétaire d'Etat à la Défense, Paul Wolfowitz obtient sa nomination comme directeur du "Bureau des Opérations spéciales du Pentagone" (Office of Special Plans), crée de manière non officielle en août 2002 sur la base de l'ancien Northern Gulf Affairs Office (NGAP), qui dépendait jusque-là du Near East and South Asia Bureau (NESA). La création de l'OSP, voulue par le secrétaire d'Etat à la Défense D. Rumsfeld et par ses adjoints, Paul Wolfowitz et Douglas Feith se trouve alors motivée par un objectif simple ; offrir au Secrétaire sa propre source d'information sur le Moyen-Orient, et sur l'Iraq en particulier, une source d'information qui soit en même temps fiable, efficace, et surtout capable de surmonter les divisions qui perturbent régulièrement le travail des diverses agences de la communauté du renseignement américain (CIA, DIA, NSA, etc.). A cet égard, l'OSP se bâtit rapidement une fameuse réputation. La "Cabale" comme on la surnomme à Washington, inquiète à la fois par l'originalité de ses méthodes et le flou de ses objectifs **. Son directeur, A. Shulsky joue évidemment un rôle clé, bien qu'encore mal connu, dans le déclenchement de la guerre d'Iraq en accréditant tout au long de l'année 2002 la thèse -qui sera plus tard infirmée, de la présence d'armes de destruction massive dans ce pays, ainsi que l'idée d'un lien étroit entre Saddam Hussein et les preneurs d'otages du 11 septembre. Longtemps classée secret défense, l'existence de l'OSP est finalement révélée au public par un article du New Yorker en mai 2003 ***. Au cours des mois qui suivent, tandis que la guerre en Iraq s'enlise et que les raisons qui l'ont déclenché s'avèrent fictives, Abe Shulsky se retrouve accusé par plusieurs experts d'avoir excessivement politisé sa mission. En juillet suivant l'OSP change de nom et redevient le Northern Gulf Affairs Office.

Pourtant, alors que la plupart des principaux concepteurs de la guerre quittent peu à peu leurs fonctions ****, Abe Shulsky reste en poste comme directeur du NGAO. Bien plus, au début de l'année 2006, il participe de près à la création du Directorate for Iran, un nouvel office du Pentagone spécialement destiné à collecter des informations sur le dossier du nucléaire iranien *****. De nombreux analystes craignent alors un retour à des méthodes qui avaient été pourtant vivement condamnées au cours des années précédentes.

Considéré comme l'un des hommes les plus influents de l'administration Bush, A. Shuksky est également membre actif du Project for a New Americain Century (ou PNAC), un think-tank néo-conservateur, crée en 1997 par William Kristol, le patron de l'hebdomadaire Weekly Standard. Le PNAC a longtemps été présidé par universitaire américain, Gary Schmitt avec lequel Shulsky a co-écrit plusieurs travaux sur le monde du renseignement ,avant que ses responsabilités gouvernementales ne l'accaparent complètement. Le premier d'entre eux, publié en 1991 (la 3e réédition date de 2002) s'intitule Silent Warfare : Understanding the World of Intelligence. Le second est un rapport adressé au Conseil de Sécurité nationale en 1996 ; The Future of U.S. Intelligence. En 1999, les deux hommes ont également publié un essai, Leo Strauss and the World of Intelligence dans lequel ils entreprennent d'étudier la portée et l'actualité de la pensée straussienne dans le cadre bien spécifique du monde de l'espionnage et du contre-espionnage. Le PNAC affirme d'emblée ses ambitions sur son site internet, sur lequel on peut lire en exergue : "American leadership is good both for America and for the world ; and […] such leadership requires military strength, diplomatic energy and commitment to moral principle". D'après Gary Schmitt, la fondation du PNAC en 1997 avait essentiellement pour but de contrer ceux qui, à Washington, semblaient vouloir renouer avec l'isolationnisme dans le contexte de l'Après Guerre froide.

Comme on le devine à la lecture des lignes qui précèdent, Abram Shulsky a été au cours de ces dernières années, à la fois en tant que chercheur et en tant que responsable politique, l'un de ceux qui ont le plus essentiellement contribué à définir la nouvelle stratégie militaire et diplomatique des Etats-Unis dans le monde. Ayant toujours fait preuve d'une extrême discrétion, il semble fuir les lumières médiatiques, car il n'accorde pratiquement aucune interview. De même, son nom n'apparaît dans aucun organigramme officiel, il n'assiste par conséquent à aucune représentation publique et, fait assez rare pour être signalé, aucune photo de lui ne circule sur le net.




Notes :

* Parmi les autres "straussiens-bloomien" ayant fait une prestigieuse carrière, hormis Shulsky et Wolfowitz, il faut mentionner Clifford Orwin, Thomas Pangle, Christopher J. Bruell et Charles Fairbanks qui ont tous fait leurs classes sur le campus de l'Université Cornell à Ithaca.

** Parmi les collaborateurs de Shulsky au Pentagone à cette époque, citons : Harold Rohde (spécialiste de l'islam et du Moyen-Orient) et Reuel Gerecht (membre du PNAC, voir ci-dessous). Le directeur du NESA, et donc le supérieur direct de Shulsky était William Luti (spécialiste des questions de stratégie militaires) qui travaillait sous les ordres de Douglas Feith, l'adjoint de P. Wolfowitz, lui-même bras droit de Donald Rumsfed. Cette chaîne de commandement fut la cheville ouvrière des guerres menées par les Etats-Unis au Proche et Moyen-Orient entre 2001 et 2003. Elle agissait de concert avec le Conseil de Sécurité National (où officiait en particulier Eliott Abrams, considéré lui aussi comme un néo-conservateur passionné) et la Maison Blanche (où le vice-président Richard Cheney était son principal avocat).

*** Plus tard, le lieutenant-colonel K. Kwiatkowski, qui travaillait au sein du NESA entre 2002 et 2003 reconnaîtra avoir été à l'origine de la révélation de l'existence de l'OSP.

**** Paul Wolfowitz est nommé à la direction de la Banque mondiale en janvier 2005, Douglas Feith démissionne en août 2005 et Donald Rumsfeld perd son poste en novembre 2006.

***** Parmi les personnes soupçonnées de travailler dans le cadre du Directorate For Iran, outre Shulsky lui-même, firgure John Trigilio (de la DIA, les renseignements militaires) et Ladan Archin (spécialiste d'origine iranienne). Ils oeuvrent sous la direction de David Denehy, l'adjoint d'Elizabeth Cheney, fille du vice-président des Etats-Unis et directrice du "Bureau Moyen-Orient" au Département d'Etat. Au-delà de la question du nucléaire, la chute des régimes syriens et iraniens représente l'objectif clairement affiché de ces "Faucons" du Département d'Etat



Sources :

Seymour Hersh, "Selective Intelligence", New Yorker, 5 mai 2003.
David Dudley, "Paul's Choice", Cornell Alumni Magazine Online, juillet-août 2004, volume 107, numéro 1.
Laura Rozen, "US Moves to Weaken Iran", Los Angeles Times, 19 mai 2006.

Site de la Rand Corporation : http://www.rand.org/
Site du PNAC : http://www.newamericancentury.org/"

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