lundi 18 août 2008

Progréation

Il serait temps de comprendre que le progressisme dont on nous rebat les oreilles mérite d'être enfin rattaché à son origine, l'immanentisme. Quand l'immanentisme est un système minoritaire en plein développement, avec la modernité, mettons 1492, le progressisme consiste à imposer l'immanentisme contre le système transcendantal atavique, la monarchie en gros, un type de système qui a toujours existé depuis l'avènement de l'humanité avec quelques variantes.
Si la monarchie se durcit ainsi en France et ailleurs, avec notamment la monarchie de droit divin, ce n'est pas hasard : c'est parce que le système classique vacille. Le point névralgique de déstabilisation tient dans la magnification de l'apparence et du factuel. L'outil de propagande résidera dans l'extraordinaire épanouissement de la science et de la technique à partir de la modernité.
L'immanentisme s'appuie sur cet outil de propagande, dont la variante extrêmement niaise et optimiste sera le scientisme/positivisme, pour démontrer que ses principes sont supérieurs aux principes du transcendantalisme. Bien entendu, il s'agit d'une galéjade, car l'immannetisme ne fait qu'améliorer considérablement l'apparence. Non seulement il déshabille Pierre pour habiller Paul - il déshabille le reste du réel pour habiller l'apparence-, mais encore il détruit le reél en laissant entendre que le reél, c'est l'apparence.
La réduction immanentiste, d'une violence inouïe, est indexée comme le Progrès tant qu'elle n'est pas au pouvoir. C'est ainsi que les intellectuels des Lumière peuvent se présenter comme des dissidents par rapport au pouvoir. Spinoza était même persécuté par le pouvoir, en particulier celui de sa communauté juive d'origine. A partir du moment où l'immanentisme arrive au pouvoir officiellement, grosso modo avec la déferlante des Révolutions en Occident, la notion de progrès change subitement : le progrès est arrivé au pouvoir.
Dès lors, la droite atavique et ancienne consistera à résister à ce progrès officialisé. On parlera de réactionnaires, soit de ceux qui souhaitent que l'ordre ancien revienne. Quant à l'immanentisme, il recouvre tous ceux qui sont en faveur de la démocratie. Tout le champ politique du progrès immanentiste est incarné par les différents courants du progrès immanentiste. Dans ce cadre très large au départ, les progressistes immanentistes sont ceux qui veulent instaurer un progrès de l'immanentisme constant, en partant du postulat que l'immanentisme tel qu'il se donne est à améliorer encore (et encore). Quant aux conservateurs, leur postulat est différent : ils revendiquent au contraire que le progrès immanentiste tient au donné et qu'il n'est pas admissible ni convenable d'améliorer ce donné.
Les gauchiste immanentistes se réclament ainsi de Marx, quand les conservateurs immanentistes s'appuient sur les idées libérales développées par la Révolution anglo-saxonne. Il est frappant de considérer que dans l'institution de l'immanentisme, un Voltaire considéré comme progressiste du temps où il s'opposait au pouvoir transcendantaliste aurait été considéré comme un conservateur, lui le sympathisant radical des théories anglo-saxonnes les plus ultralibérales. L'évolution des lignes politique du transcendantalisme à l'immanentisme est ainsi stupéfiante, si bien que le progrès connote à la fois une certaine option ontologique et une ligne interne à cette option.
L'immanentisme tardif tend à s'unifier sous la pression de la destruction progressive et accélérée du système. C'est ainsi que les courants progressistes et conservateurs se rapprochent jusqu'à ne plus former peu à peu qu'une seule et même voix. C'est le signe au fond que le progressisme et le conservatisme proviennent tous deux de l'immanentisme et partagent la même opinion. Pas seulement : il s'agit également d'affirmer que l'unification de l'immanentisme reconnaît la caducité du progressisme immanentiste.
Dans ce cadre, le progressisme traditionnel de type immanentiste ne possède aucune valeur. Au nom du progressisme tardif, il faut en fait comprendre que le progrès consiste cette fois à défendre coûte que coûte toutes les valeurs immanentistes en déclin, soit la politique immanentiste contre son déclin (irrémédiable). Ce progressisme est fort proche du conservatisme immanentiste puisqu'au fond ils se fondent sur la même ligne.
Leur différence tient plutôt dans le fait qu'ils se partagent les rôles pour promouvoir l'immanentisme. Leurs fonctions respectives sont plus complémentaires qu'antagonistes. Le conservatisme s'occupe plus du fonctionnement interne et pur de l'immanentisme et se manifestera ainsi davantage par ses préoccupations économiques (puisque la politique immanentiste promeut l'économique). Le progressisme se focalisera sur la promotion du système immanentiste face aux résistances extérieures de type politique et religieux en cherchant à montrer que le système immanentiste est supérieur aux autres systèmes transcendantaux et constitue un progrès considérable et extraordinaire.
Ce partage des rôles implique que tacitement progressistes et conservateurs soient d'accord sur leurs rôles respectifs et sur le partage des rôles. C'est ainsi qu'il faut comprendre la complémentarité entre deux conseillers éminents et influents de la vie politique américaine, Zbigniew Brzezinski et Henry Kissinger comme symboles de la complémentarité immanentiste. L'un est démocrate, l'autre conservateur, l'un fut le conseiller de Carter, l'autre de Nixon, mais les deux au fond viennent du même courant immanentiste.
En France, la mode des nouveaux intellectuels traduit et trahit bien cette identité immanentiste. Tout ce qui est nouveau est connoté immanentiste parce que la prétention de la nouveauté cache aussi bien le changement que la médiocrité du type immanentiste. Il serait intéressant d'analyser cette nouveauté affichée et revendiquée pour comprendre la mode des nouveaux philosophes. C'est ainsi que BHL se veut le porte-étendard du progressisme immanentiste, quand Glucksmann penche de plus en plus vers le conservatisme et que Bruckner incarne au moins implicitement ce conservatisme, avec sa justification aberrante de la guerre en Irak.
Evidemment, tous ces intellectuels se prétendent de gauche, quand bien même cette gauche serait nouvelle, originale ou spéciale. Si l'on veut vraiment tenir un intellectuel conservateur immanentiste de poids explicite et déclaré, on élira Finkielkraut, qui n'est pas vraiment un réactionnaire, mais plutôt un partisan du conservatisme immanentiste. Taguieff va plus loin encore dans ce modèle, mais il est trop mineur pour posséder vraiment du poids et se contente de dénoncer les complots à longueurs d'ouvrages massifs - et faux quant au fond idéologique.
Ce qu'il faut comprendre c'est que les intellectuels immanentistes éprouvent les pires difficultés à se présenter comme conservateurs car l'immanentisme est toujours empreint du Progrès. Sans Progrès, pas d'immanentisme. Le conservatisme immanentiste possède lui-même la notion de Progrès, quand le progressisme immanentiste n'est jamais que le redoublement du Progrès par l'adjonction d'un progrès interne. De ce point de vue, même le plus conservateur des immanentistes est en tant qu'immanentisme et de son point de vue immanentiste un progressiste d'un genre un peu particulier.
La France se situe aux marches de l'Empire immanentiste, dont l'épicentre est à chercher dans les États-Unis (même s'il s'agit d'un épicentre symbolique et trompeur). Ce que l'Hexagone revendique d'original est la caricature mimétique des postures immanentistes indiquées par l'Empire lui-même. Je vise le soutien inconditionnel aux politiques israélienne et américaine, elles-mêmes alliées inconditionnelles avec la mère-patrie, l'Angleterre, berceau de l'Empire colonial britannique (en mutation néo-coloniale).
Ces intellectuels sont des propagandistes qui prennent leur source au même abreuvoir. Leur originalité est comique si l'on s'avise que le géniteur du nouvel antisémitisme est Daniel Pipes, un intellectuel proche des néo-conservateurs et symbolisant un conservatisme immanentiste dur : soutien inconditionnel de la guerre en Irak et en faveur de la colonisation du Grand Israël. Membre également de l'officine américaine CFR, ce qui est un pur hasard.
Touts ces faits pour comprendre que le progressisme immanentiste de version tardive n'est pas seulement l'allié objectif du conservatisme immanentiste, ce qu'il a toujours été (il suffit sur ce point de comprendre la complémentarité entre le libéralisme et le communisme dans l'immanentisme). Il en est son promoteur et sa propagande, sur un mode très clair : tandis que le conservatisme agit, le progressisme loue.
Rien de tel pour les conservateurs qu'un homme d'action, conseiller, politicien ou banquier; rien de tel pour les progressistes qu'un orateur et un intellectuel comme relai et voix autorisée. Deux parfaits compléments l'un de l'autre, en somme. C'est ainsi qu'on comprend en France le parcours ahurissant de BHL, le faux philospohe dont la nouveauté patente consiste à n'avoir introduit aucune idée, même mineure, digne de ce nom, dans le champ intellectuel et philosophique; par contre à avoir relayé et recyclé les slogans atlantistes depuis trente ans, autour du nouvel antisémitisme et du progressisme le plus controuvé et pervers; enfin à avoir débité nombre de sornettes qui seraient réjouissantes si elles n'étaient pas sinistres, dont la plus criante sans doute est le symbolique et symptomatique épisode de son amitié frelatée et frauduleuse avec le commandant Massoud, assassiné le 9 Septembre. Deux jours avant le 911. Tout un symbole.

Aucun commentaire: