mercredi 10 septembre 2008

Les deux, mon général

Je lis qu'il faut à l'Américain 8 tonnes de pétrole et à l'Européen 4 pour assurer leur mode de vie respectif et occidental. Au juste j'ignore s'il s'agit de tonnes à l'année mais c'est le plus probable. Ce chiffre a de quoi vous file le vertige. En moyenne, 6 tonnes pour l'Occidental, si tant est que ce genre de moyennes ait un sens.
C'est dire qu'avec cette symbolique de l'or noir, le mode de vie occidentaliste et immanentiste est un mode de vie élitiste et peu viable. Si peu viable qu'il est déjà condamné et que sa pérennité à courte échéance est quasi impossible.
Certes, on pourra trouver de nouvelles sources d'énergie et je crois fermement à ce modèle de prospection, mais rien ne dit que ces sources permettront une transition sans heurt avec la fin de l'ère du pétrole et qu'elles n'engendreront pas de sérieux dysfonctionnements au sein des cultures mondialisées. En tout cas, ce chiffre illustre le fait irréfutable de la complicité de ce qu'on nomme le peuple ou les masses avec les élites de l'Occident.
On entend souvent l'argument selon lequel la culpabilité reposerait sur le cynisme éhonté des élites occidentales, accusées de tous les maux. Les masses seraient naïves et ignorantes. Voire. La naïveté consentante possède un nom bien précis pour qui veut se montrer un tantinet lucide : au mieux, cela s'appelle de la complicité.
Il serait plus cohérent et plus réaliste de comprendre que le délitement des élites et leur dépravation de plus en plus prononcée s'expliquent parce que les élites finalement suivent le cours de l'ordre auquel elles appartiennent et que l'ensemble de cet ordre est solidaire. Si les élites périclitent, c'est que les masses en dessous sont aussi atteintes par le même mal, celui de la décadence ou du déclin, celui qu'on a tendance à nier quand on se veut dans le déni le plus nihiliste, cynique et sinistre.
Les élites sont élitistes, précisément, parce que les masses se montrent moutonnières. Dans le système immanentiste, c'est l'intérêt occidentaliste qui prévaut. Voilà qui signifie que les Occidentaux vivent aux dépens du reste de l'humanité et des richesses naturelles situées sur les territoires des autres peuples. Si c'était seulement le fait d'une oligarchie, cela ferait belle lurette que les masses se seraient révoltées.
400 ans d'esclavage, plus de 200 de colonisation, 50 de néocolonialisme, il est trop facile d'incriminer seulement les élites oligarchiques agissantes et de fermer les yeux sur la responsabilité de ceux qui laissent faire. Pourquoi laissent-ils faire s'ils se font tant voler, extorquer et amadouer? Pourquoi accepteraient-ils de payer un tribut de plus en plus lourd à leur morne silence et à leur acceptation égotiste et désabusée?
La réponse est simple. Elle coule de source. Si elle n'est pas plus communément envisagée, c'est qu'elle est implacable. Terrible. Les moutons acceptent de se faire plumer tant qu'ils y ont leur intérêt. Les masses occidentales et occidentalistes se taisent parce que les élites les arnaquent en leur reversant une partie du pactole.
Pourquoi croit-on que les négociateurs américains répètent aux Asiatiques et aux puissances émergentes, mastodontes effrayants pour l'imagerie populaire, que le niveau de vie des Américains n'est pas négociable? On pourrait étendre cette exigence et affirmer sans ambages que le niveau de vie des occidentalistes n'est pas négociable.
Si l'on récapitule le schéma, il ne faudrait pas que les élites occidentalistes soient les boucs émissaires d'un système dont elles ne sont que la partie émergée la plus visible. Il est certain que ces élites prévaricatrices pratiquent l'outrance et la quête viscérale de leurs intérêts destructeurs parce que mercantiles. Mais elles ne peuvent agir de la sorte sur la durée, ces élites marchandes et bourgeoises, que parce que les masses de l'occidentalisme les laissent faire - parce qu'elles ont intérêt à les laisser faire.
Et le plus méprisable, ou mesquin, c'est que ces masses rejoignent le mercantilisme déglingué de l'occidentalisme qu'elles forment en grande majorité, parce qu'elles trouvent leur intérêt dans ce jeu de dupes : en laissant aux élites la plus belle des parts du gâteau, elles ont le confort de s'adjuger des parts moins enviables, mais nettement appréciables. Elles y ajoutent le plaisir supplémentaire de goûter un confort et une quiétude typiquement nihilistes et auxquels elles aspirent.
Les grandes bourgeois plus ou moins bohèmes, plus ou moins requins, manifestent certes un appétit de pouvoir et de lucre impressionnants. Le peuple les soutient dans le fond, parce que leur servilité et leur lâcheté leur permettent d'empocher les miettes savoureuses d'un festin délicieux. Qui sont les profiteurs? Les élites carnassières? Le peuple des stipendiaires? Les deux, mon général.

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