mercredi 15 octobre 2008

Sacré fils de lutte

Si l'on veut comprendre ce qui se passe, en termes de crise, l'Hyperréel a gonflé et le réel a décru à proportion, soit avec usure. Voilà qui signifie que le travail du désir ne recoupe pas le travail du réel, tant s'en faut. Le pur travail du désir défait le travail du réel, en ce que le désir est coupé d'un réel auquel il fait pourtant partie.
Selon le système classique, le désir n'est viable que s'il est capable d'intégrer le réel, c'est-à-dire de transformer le réel non humain en réel ordonné par l'homme. Cette transformation se fait par le truchement du sacrifice, qui consiste à rendre sacré le profane. Le sacrifice est un geste qui consiste à détruire du fini pour fabriquer du fini.
La fabrication du fini se produit par la transformation de l'infini en fini. Cette opération est celle du sacrifice : si on l'analyse, elle devient très claire. Le sacrifice est très cruel en ce que le fini doit se détruire pour se reconstruire. C'est le mythe du Phénix. Donner pour recevoir serait aussi une formule marquante.
La légende de l'alchimiste transmutateur de plomb en or est tout à fait adéquate pour expliquer cette opération si mystérieuse qu'elle s'apparente à de la magie ou à du surnaturel. L'opération peut se décomposer ainsi : il faut d'une part détruire du fini; et d'autre part construire du fini à partir de cette destruction. Les hommes ont remarqué qu'à partir de cette double action, le fini perdurait, c'est-à-dire qu'il était possible de régénérer du fini par l'opération du sacrifice.
En effet, le fini a tendance à dégénérer s'il n'est pas renouvelé et seule cette double opération qui est le sacrifie par excellence permet de régénérer le réel. Les sacrifices servent ainsi souvent à changer le cours du réel défavorable, mais l'aspect défavorable émane en fait du manque de réel ou d'un réel qui tend à se détériorer. Le sacrifice sert, plus profondément qu'à rendre favorable le cours des choses, à régénérer le réel (ou le cours des choses).
Si l'on compare le sacrifice classique et transcendantaliste au sacrifice mutant du 911, on se rend compte que le sacrifice serait intenté pour sauver du fini dans les deux cas. Mais le sacrifice immanentiste détruit et ne reconstruit pas. Car pour reconstruire, il faut reconstruire ce qui a été détruit. Il est impossible de reconstruire à partir du néant. Le néant provoque le néant. L'immanentisme croit béatement que le sacrifice s'apparente à une destruction et que la destruction du néant engendre la reconstruction automatique.
Il faut adhérer à la croyance dans le néant pour estimer benoîtement que le néant sollicité produit du fini. En réalité, le néant produit du néant alors que le seul moyen de produire du fini est de reconstruire du fini à partir de la destruction finie. Dans le cas du 911, on se rend compte que les actions entreprises n'ont jamais consisté à reconstruire, mais plutôt à accentuer cette destruction dont on mesure les effets croissants et seulement provisoires à l'aune de la crise monétaire qui se profile et pointe le bout de son nez.
Maintenant, il est capital de mettre en regard la mutation du sacrifice en constatant qu'historiquement le sacrifice tend à s'abolir avec l'avènement du monothéisme. Deux épisodes illustres illustrent cette abolition du sacrifice qui se produit par étapes : le premier cas est biblique avec le sacrifice avorté d'Isaac par son père Abraham. Le second cas est celui de la guerre de Troie qui commence par le sacrifice de la fille d'Agammemnon, Iphigénie, là encore sauvée in extremis par l'intervention du divin.
Dans l'Ancien Testament, l'épisode manifeste déjà le monothéisme balbutiant, quand dans la mythologie grecque, le divin évoque plutôt le polythéisme. L'abolition du sacrifice ne résout nullement le gain ontologique du sacrifice qui est propre au polythéisme séculier. Le monothéisme amorce un changement de l'humanité qui se réunit. Le sacrifice est aboli pour encourager le mouvement du réel. Le sacrifice explicite devient implicite : si le Christ se sacrifie pour tous les hommes, cela signifie implicitement que le sacrifice sera désormais de grandir et de s'étendre.
Il est frappant de constater que selon cette lecture, l'immanentisme constitue une rupture et une révolution en ce qu'il est aussi et surtout une formidable régression. Le polythéisme était un mouvement perpétuel et stable à partir du sacrifice originel, qui consiste de manière atroce et rituelle à sacrifier des hommes. Le sacrifice reste polythéiste et assez rituel avec l'évolution première du sacrifice depuis le sacrifice humain vers le sacrifice bestial. Le monothéisme reprend explicitement ce sacrifice, puis l'abandonne définitivement avec le christianisme, qui est vraiment une religion de l'entre-deux, entre monothéisme et religion à venir. L'Islam privilégie davantage le sacrifice humain et montre par là même qu'il reste attaché à la conservation et au maintien du monothéisme.
Il est clair que l'immanentisme cherche à stopper cette progression par le mondialisme qui n'est pas un statu quo, ante ou ibidem, mais une régression. Le mondialisme est à comprendre comme une formidable régression, car ce qui ne se développe plus régresse ipso facto. Alors que du polythéisme vers le monothéisme s'évanouissait le sacrifice, l'immanentisme rétablit le sacrifice avec usure : c'est le sacrifice de masse en lieu et place du sacrifice individuel.
C'est un sacrifice vain qui tend vers l'hécatombe, à ceci près de notable et de frappant que ce ne sont plus des bœufs, mais des hommes qui sont utilisés comme matière innocente. L'immanentisme manifeste la crise par l'expression de la régression. Le sacrifice permettait la stabilité ontologique et politique en ce que l'usage du sacrifice permettait de régénérer les choses. Le monothéisme abolit le sacrifice et ouvre la voie à un substitut du sacrifice qui est l'expansion. Soit on demeure et on sacrifie, soit on ne sacrifie plus et on croît. Entre les deux, la crise immanentiste demeure et meurt. Cette crise survient parce que l'expansion monothéiste touche à sa fin et que l'homme a le choix entre deux perspectives : soit le mondialisme qui est l'humanité réunie sur Terre et repliée sur soi; soit l'expansionnisme spatial, qui est la poursuite logique de l'ambition expansionniste et unificatrice.
L'homme est pris dans un piège : s'il prétend demeurer au mouvement mondialiste, il est prisonnier de l'impossibilité de revenir en arrière. Le sacrifice peut rendre les choses favorables. Il ne saurait en aucun cas inverser le cours des choses et réaliser le miracle du retour dans le passé.
C'est un peu ce qu'attente plus qu'elle ne l'intente la crise immanentiste ne ce que le mode opératoire du sacrifice était valable pour une dimension polythéiste, soit pour des groupes de taille tribaliste. A l'heure et à l'ère du mondialisme, le sacrifice atavique, même l'humain, est trop faible pour régénérer le dégénéré.
Il ne faut pas s'étonner que le 911 survienne comme une monstrueuse hécatombe et un holocauste vain : car il est impossible qu'un sacrifice, même de taille géante, puisse combler la crise immanentiste. L'acte de gigantisme du 911 s'explique ainsi par la croyance qu'en augmentant les doses valables à l'époque du polythéisme, on serait en mesure de venir à bout de la crise de dimension mondiale.
Peine perdue! Il aurait peut-être fallu songer à expliquer au préalable aux cerveaux du 911, ces oligarques atlantistes, que leur acte était désespéré et que le seul moyen de sortir de la crise revenait à sortir de l'immanentisme, soit à changer les valeurs fondatrices. Sortir de l'immanentisme, c'est non pas augmenter les doses du sacrifice, mais se rendre dans l'espace. Poursuivre la culture et la religion. Quitter les rivages sombres des ravages nihilistes.
Justement, en parlant de nihilisme : le fond de l'affaire réside dans la compréhension du néant. Il est évident que du néant ne saurait sortir quelque chose. Il est par conséquent évident que les immanentistes, pour souscrire à cette thèses folle, simpliste et dévoyée, sont des désaxés notoires et des criminels dangereux. Leur croyance au néant les amène tout naturellement à détruire au lieu de construire et à penser que leur entreprise destructrice est le contraire de ce qu'elle est : non pas une œuvre supérieure et exceptionnelle, mais le sacrifice du réel à des représentations fausses et des illusions stupides.


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