vendredi 17 octobre 2008

S'écouter râler

Je visionne par Internet la nouvelle émission télévisée que Raphaël Enthoven consacre sur Arte à la question du pouvoir.

Philosophie
envoyé par arte

Au juste, j'ignore si cette émission lancée à grands frais sert vraiment la philosophie, mais il est certain qu'elle risque fort de faire péter les plombs déjà bien surchauffés à notre animateur montant.

Pendant que son père commet un aveu de spinozisme ou de nietzschéisme éhonté et dégénéré, Ce que nous avons eu de meilleur, son fils se la joue professeur séducteur et élitiste. Il n'intervient que sur des médias culturels et sur des thématiques philosophiques.

Jamais il n'a paru aussi affecté et précieux, si bien que l'expression de petit marquis lui convient à merveille. Pour qui goûte Molière, c'est exactement un petite marquis de la mouture Molière, avec une nuance : Molière raille avec bonheur l'aristocratie dégénérée et fêtarde, quand Enthoven incarne la bourgeoisie intellectuaillonne et fortement dégénérée - là encore. Il serait temps de comprendre que l'étude d'Enthoven est passionnante pour comprendre les méandres et le fonctionnement de notre société, en particulier de son versant intellectuel et intellectualiste. Après tout, si l'on doute de ce que j'avance, que l'on vérifie la généalogie fort peu philosophique et fort affairiste d'Enthoven Jr. et l'on mesurera la véracité de cette représentation d'un Enthoven fils du meilleur ami de BHL et avatar encore plus consternant de ce BHL disciple implicite de Pipes et de Strausz-Hupé.
J'aimerais revenir sur deux caractéristiques consternantes d'Enthoven Jr., parce qu'elles exhibent avec emphase la vraie personnalité de ces personnages médiocres et consternés de cernes qui prétendent dicter la conduite intellectuelle de l'Occident.

1) Pour commencer, Enthoven se targue avec son invitée Spector d'éviter avec bonheur l'idéologie. Spector, je ne connais pas, elle parle bien, elle est vive et intelligente, mais son nom m'évoque le spectre. Spectre - de l'idéologie? Encore une normalienne, encore une agrégée, encore un professeur, comme Enthoven, comme la plupart de ses invités, à la télé désormais, sur France Culture aussi, ce qui en dit long sur son réflexe et son préjugé de coterie, et sur le fait qu'Enthoven figurerait fort bien, en compagnie de son père par exemple, au sein du salon Verdurin. Il s'entendrait à la perfection avec Cottard. Comment traiterait-il le pauvre Saniette?

http://www.arte.tv/philosophie

En tout cas, la revendication affectée d'absence d'idéologie est cocasse. Elle illustre la présence d'une idéologie qui ne dit pas son nom, tant il est certain que l'absence d'idéologie n'est possible qu'à condition que l'on comprenne bien ce que l'idéologie figure : le remplacement de la forme religieuse classique et la mutation de la forme religieuse en idéologie. Si Enthoven prétend supprimer l'idéologie, par quoi l'a-t-il remplacée, s'il lui est impossible de passer de la partialité à l'impartialité, ou, dans son jargon sibyllin et transparent, de l'idéologie à l'absence d'idéologie?
La réponse coule de source : en tant que représentant mineur et superficiel de l'immanentisme tardif et dégénéré, Enthoven est à la philosophie ce que l'expert est à la pensée : une réduction et une déformation (professionnelle). Dès lors, son absence d'idéologie marque le refus de tout engagement politique en philosophie, ce qui peut se comprendre, mais surtout, ce qui est beaucoup plus grave, le refus de toute pensée au profit de l'examen pur et simple de l'histoire de la philosophie, soit la réduction de la philosophie à des histoires de la philosophie la plus professorale et la plus impensée. C'est inquiétant et symptomatique d'une pensée qui aimerait non seulement ne plus penser (ça fait mal à la tête); mais aussi ne plus dépenser, je veux dire limiter la pensée à ses manifestations les plus finies et délimitables.
Ah oui, j'avais une question à adresser à Enthoven l'impartiEl (on la fait en version Derrida, ça fait aussi Bobo Chuintant Bon Gendre) : lui qui n'est affecté ni infecté par aucune idéologie, que pense-t-il du sionisme? Serait-il sioniste? Approuverait-il l'existence et le comportement actuels d'Israël? Je rappelle que le sionisme est une idéologie. Par ailleurs, lui qui collabora avec tant de zèle à Charlie Hebdo en compagnie de l'inénarrable Val, comment se situe-t-il sur l'échiquier du néoconservatisme et de l'atlantisme? Croit-il vraiment à la guerre contre le terrorisme? Estime-t-il vraiment que la version du 911 est acceptable? Dernière question sur cette absence d'idéologie : lui qui fut le compagnon de Bruni la bob qui chante, à moins que ce ne soit la chanteuse qui fait des bobos, lui qui est l'ami théâtral de Barbier le directeur comédien de l'Express, que pense-t-il de la gauche caviar, celle qui caviarda l'anticapitalisme et qui aujourd'hui a opéré une alliance irréfutable avec la droite financière incarnée par Sarkozy en France?
Toutes ces questions sont capitales pour qui veut comprendre ce que recouvre l'appellation ahurissante de "refus de l'idéologie" : c'est l'idéologie du refus de l'idéologie qui est le pendant du refus de la religion par l'immanentisme? Le refus de l'idéologie survient en période de post-idéologie, soit à l'ère pestilentielle de l'idéologie dégénérée. Elle trouve sa place cohérente dans l'immanentisme fin de règne qui nous envahit de son ombre agressive et de sa graisse ombrageuse.

2) Plus le temps passe, plus le tic est travers, voire vice : Enthoven fait montre d'une arrogance et d'une prétention qui n'ont d'égales que la suffisance de sa vraie stature (un mime efficace de pensée au service d'idéologies travesties du refus de l'idéologie). Bien entendu, pour frimer de la sorte, il faut être dépourvu de valeur, et empli de valeurs, puisqu'on montre d'autant plus dans l'immédiat qu'on n'a rien à montrer en fait, sans quoi ce serait l'humilité qui vous tiendrait de manteau, et non cette redingote encrassée et insupportable de morgue et de morve bilieuses.
L'affectation d'Enthoven se manifeste notamment dans sa diction châtiée, qui lui fait prendre des accents boudinés, entre la diction aristocratique française fin Empire, bien après le dix-septième de référence, et un pseudo accent anglais de cottage new age. Le but est d'insister jusqu'à l'inceste, notamment sur les fins de mots, également de moduler son phrasé en prenant des postures chantantes à la limite du criard, enfin de prononcer certains phonèmes avec une affectation si particulière qu'elle déforme le mot employé pour lu donner une tournure snob. Ainsi de cul-ture, qui est bien entendu fortement accentué sur la deuxième syllabe -ture, mais avec un tel luxe d'emphase que le mot donne quelque chose comme : -tchuuh, en lieu et place de -ture. Le culte de l'emphase en lieu et place du culte de la cultchuuh, voilà qui est comique. Merci, Enthoven Jr., vous avez au moins le mérite de nous faire rire à gorge déployée, car votre petite jeu rhétorique fait pschiit comme la version officielle de l'assassinat de JFK ou comme le 911!
C'est peut-être cela, l'idéologie du chichi et du blabla, pour reprendre deux expressions de Schiffter dûment avalisées par votre mentor Clément Rosset. Je vise l'idéologie de celui qui accorde l'exclusive importance de son attention à l'apparence. Il est vrai que vous prenez un soin mortifère à vous vêtir de noir et que vous êtes présenté comme le plus séduisant des professeurs de philosophie. Quand donc cesserez-vous ce donjuanisme puéril et grotesque? En tout cas, en faisant de la pensée un exercice de pure séduction, vous opérez dans le platonisme le plus réducteur, et dans le contresens nietzschéen, c'est-à-dire que vous imitez à la perfection la limite de votre ex beau-père, ce Bobo Histrion Ludique dont on dit tant qu'il vous exaspère - parce qu'il vous ressemble?
Soit on vit dans l'apparence, soit on souscrit au dualisme d'obédience platonicienne. Votre apparence est fort rance, car elle réduit le réel à la primauté de ce qui apparaît, et encore, de ce qui apparaît le plus immédiatement. Cette conception ontologique conduit à la réduction la plus dérisoire et périlleuse, parce que soit on comprend Nietzsche comme un empilement d'apparences, un sophisme pour ne pas affronter le problème dualiste, soit on démissionne et on verse dans la démagogie ontologique, comme c'est votre cas fétide.
Bien entendu, les choses sont certainement plus simples : vous vous contentez de surfer sur la vague médiatique de l'immanentisme et d'utiliser votre bagout et vos titres universitaires pour faire mousser les méthodes à la mode : en l'occurrence, imiter au lieu de penser et utiliser le slogan publicitaire en lieu et place du concept philosophique. C'est ainsi que vous marchez beaucoup dans vos (é)missions télévisées, moins par amour des péripatéticiens, voire des péripatéticiennes, que par référence à Nietzsche le montagnard de Sils-Maria. Faut-il préciser que vous n'arriveriez pas à la cheville de Nietzsche s'il vous prenait l'envie de vous mesurer à votre Everest et que le plus bel hommage à adresser à quelqu'un quand on veut l'imiter est encore de se différencier de lui?
La dernière des choses qui m'est venue à l'esprit quand je vous ai aperçu sur Dailymotion et sur le site d'Arte, c'est : il s'écoute parler. S'écouter parler, c'est bien entendu un renversement de la parole. On parle d'ordinaire pour dire quelque choses à quelqu'un. Dès lors, si l'on parle pour soi, on parle pour ne plus rien dire. C'est votre cas. Ce qui vous caractérise, c'est l'affectation qui cache l'affection du nihilisme et du vide. Le vide n'existe pas, ainsi que le savait fort bien Pascal, ce qui implique que le vide soit une fausse représentation. S'écouter parler, c'est ainsi parler en poursuivant un but faux.
Quel est ce but? Si s'écouter parler est une absurdité comique, surtout quand on fait une émission médiatique destinée à un auditoire large, s'écouter parler signifie, outre un oxymore aberrant et absurde, la réduction ontologique de la parole à l'apparence immédiate. On est loin du Verbe, loin du Logos, loin de tout style, même délirant à la Sade.
On hait dans la médiocrité, dans l'erreur et dans le dévoiement intellectuel et social. Désormais que nous ne sommes plus aux temps de Molière, ce n'est plus de l'aristocrate frelaté et fin de cycle dont il faut se moquer. C'est de la figure du grand bourgeois nihiliste et détruit, dont l'autodestruction et la destruction ne se manifestent pas par des signes extérieurs de déchéance, mais au contraire par l'ostentation et l'exhibition outrée et rococo.
Enthoven Sr. et Jr. sont des figures intellectualistes et snobs de cette bourgeoisie moribonde et agonisante, comme BHL leur complice, comme Sollers leur comparse, comme tant d'autres, et ils ne se rendent pas compte qu'ils assassinent tout ce qu'ils touchent et tout ce qu'ils révèrent, la pensée, la parole, l'élégance, la séduction. Il ne restera plus de leur héritage qu'un tas de cendres putrides, comme dans les cauchemars, et il est bien entendu et bien écrit qu'ils ne possèdent certainement pas le pouvoir de Phénix de renaître de leurs cendres. C'est de bonne augure : voilà qui indique que la crise immanentiste est bientôt finie.

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