jeudi 9 octobre 2008

Volupté générale

Ce qu'il faut comprendre et ce qu'annonçait le 911, ce n'est pas le prétexte et le blanc-seing délivrés pour autoriser la guerre contre le terrorisme, c'est le prétexte et le blanc-seing en vue de parvenir à la destruction des nations. La généalogie des nations doit nous faire comprendre qu'il y eut une évolution explicite et reconnue du concept de nations, depuis la période dite classique, notamment dans l'Antiquité, jusqu'à la modernité.
La nation classique par opposition à la moderne est le résultat d'une identité bien particulière : celle de la volonté générale classique par opposition à la volonté générale rousseauiste qui préfigure à l'émergence des nations modernes suite aux Lumières et suite à la Révolution française (comme paradigme des Révolutions modernes).
La volonté générale classique montre que la volonté individuelle peut être dépassée par l'unification des volontés et que cette unification est possible, contrairement à ce qu'annonce Rosset dans le Démon de la tautologie. La volonté générale n'est pas seulement le produit de l'ensemble donné de volontés individuelles, auquel cas elle ne serait pas seulement fragile - mais impossible. Elle est la constitution d'une forme de volonté indépendante et différente de l'ensemble des volontés individuelles.
C'est le secret politique que va découvrir l'homme : seul, il n'est rien. En peuple, il est l'animal le plus fort du monde. Quelle est l'identité de la volonté générale? La première identité est l'identité de la terre : la volonté générale est étroitement liée à une terre, un lieu, un sol. On fait mine de nos jours d'associer ces thèmes au nazisme pour mieux occulter que le premier lien de la volonté générale provient du sol. C'est la propagande de l'immanentisme tardif qui veut faire croire que la Raison produit un concept bien supérieur aux concepts politiques classiques.
Le tribalisme découle directement d'un enracinement au sol ou à la terre, ce qui corrobore le vieil adage africain selon lequel le premier homme est un paysan. En tout cas, l'évolution naturel de l'homme commence par un enracinement géographique.
Cet enracinement géographique est la carte d'identité de l'homme et elle va de pair avec le polythéisme. Plusieurs dieux équivalent à la reconnaissance de plusieurs lieux. L'homme populaire est l'homme d'une terre. L'identité du peuple évolue avec l'évolution de la réunification de l'homme. Au départ, les peuples sont une myriade morcelée parce que l'homme ne connaît que les bornes de son endroit. Sa géographie est cantonnée à sa connaissance empirique du monde.
Avec le temps, cette géographie se développe jusqu'à se mondialiser. L'homme se réunit, ce qui signifie qu'il va adapter sa géographie au réel. L'identité de la volonté générale évolue ainsi de la tribu à la notion de nation. Le monothéisme exprime le passage du polythéisme tribal vers le rationalisme moderne de la nation. Paradoxalement, le monothéisme s'arrête aux portes de la modernité et laisse place à la crise, ce qui fait que l'ambition originelle du monothéisme d'être la religion unique de l'humanité ne saurait être menée à bien.
Au contraire, il y a plusieurs monothéismes, au moins deux, car tout historien sait bien que le judaïsme est un monothéisme tribaliste coincé dans un entre-deux impossible, entre tribalisme et peuple rationnel, polythéisme et monothéisme. Le monothéisme est la représentation cosmogonique d'un seul Dieu pour un seul peuple. Problème : deux monothéismes s'affrontent, le christianisme et l'Islam.
Si l'on est honnête, sans être musulman, monothéiste ou croyant, on reconnaîtra que le monothéisme le plus rationnel est l'Islam et que le christianisme comporte en son sein sa propre sortie vers la crise immanentiste. De ce point de vue, le polythéisme était la découverte d'un équilibre pérenne où la volonté générale était clairement définie : à partir du sol. La rupture de l'équilibre polythéiste vient de la soif d'union et d'unité humaine.
Elle pousse l'homme à se développer et peu à peu, au fil de cette évolution identitaire, l'homme en vient à évoluer dans sa représentation du réel : de polythéiste, il devient monothéiste, puisque le dieu est la représentation d'un enracinement populaire auprès d'un sol ou d'une terre. Le monothéisme contraint l'homme à passer d'un divin très concret (tel dieu renvoie à tel arbre, et ainsi de suite) à un divin de plus en plus abstrait et idéel (le dieu unique renvoie au réel).
Le Dieu unique paraît plus réconfortant et se révèle nécessaire à l'homme en quête d'unité, mais il est un Dieu qui suppose l'explication du monde alors que le réel est indéfinissable et inexplicable. D'où le fait que le monothéisme est nettement plus bancal que le polythéisme. Dans l'histoire religieuse, il est déjà l'annonce d'un certain déséquilibre et la fin du cycle du transcendantalisme. Le polythéisme était pérenne, le monothéisme débouche sur la crise immanentiste.
Le monothéisme engendre une évolution politique très forte : le religieux est de moins en moins concret et de plus en plus abstrait. On n'invoque plus tant des dieux liés à des lieux que des valeurs charriées par le Dieu. Ces valeurs sont tout à fait en adéquation avec la montée en puissance de la raison monothéiste, tout à fait reconnue par les théologiens monothéistes, que ce soit les premiers Pères de l'Église, Saint Augustin, mais aussi déjà Isaïe ou certains passages de l'Ancien Testament. Les théologiens islamistes en feront qu'accentuer ce rationalisme soumis à Dieu.
C'est ainsi que naît peu à peu la nation, qui tient compte de l'unification de l'homme et qui se révèle un ensemble plus important que la tribu. La nation comporte toujours une volonté générale qui est de plus en plus vague. Il est normal que l'on peine à définir la nation, en tout cas que la nation exprime un entre-deux, coincée entre l'équilibre polythéiste et l'avancée monothéiste.
C'est ainsi que la nation première, d'avant les Lumières, conserve la structure du pouvoir monarchique classique, mais qu'elle s'appuie de plus en plus sur la notion de valeur et de moins en moins sur la nation de sol. C'est ainsi qu'on en arrive à une nation qui n'évolue plus entre le sol et la raison, mais qui suit directement le la de la Raison sans le sol en tant que mutation de la raison et qui se veut en rupture nette et directe avec l'ancienne raison inféodée au religieux, selon la conception platonicienne et pythagoricienne directement influencée par les conceptions antiques, en particulier les conceptions égyptiennes.
La Raison immanentiste déverse sa propagande : elle aurait trouvé un fondement supérieur à l'ancien fondement religieux. Il suffit de lire les Lumières, Kant et Rousseau, pour comprendre que les Révolutions sont le changement de régime politique entérinant la nouvelle identité de la volonté générale. Auparavant, cette volonté générale qui venait du sol était dans un entre-deux encore compatible avec le réel palpable : le sol.
Désormais, cette volonté générale est totalement sous la coupe des valeurs hyperrationnelles, qui font de la spéculation virtuelle. Seule la Raison meut officiellement les valeurs de la volonté générale et de l'identité populaire. On sent poindre ce débat avec force et acuité dans la ocntroverse entre l'identité du sang et l'identité du sol. Les Français se targuent d'appartenir au droit du sol, ce qui signifie non pas qu'ils se réclament du sol antique et immuable, mais que ce sol contient les valeurs hyperrationnelles qu'annonce la Révolution française des révolutions. Être français, c'est ainsi relever des valeurs républicaines écrites et codifiées explicitement par la Constitution et que l'on peut résumer avec le triptyque "liberté, égalité, fraternité".
Le fameux droit du sang tant honni correspond en fait au droit politique antique et atavique. Il ne s'agit nullement de défendre ce droit du passé, mais de comprendre qu'aujourd'hui encore le droit politique est traversé par le débat sur le sol et la Raison; et à quel point ce débat est façonné de l'intérieur par la propagande hyperrationnelle de l'immanentisme. Être du côté de l'immanentisme revient à être du côté du Bien, quand être du côté du classicisme serait presque un acte nazi.
Affligeant! Toujours est-il que l'identité de la nation hyperrationnelle est bien entendu la Raison. Cette Raison était au départ raison, puis, à son âge d'or, elle est un peu la faculté supérieure qui distingue l'homme et qui est présente dans tous les individus. Malheureusement, ces différents visages de la Raison sont des métamorphoses qui ne peuvent mener qu'à la vraie incarnation de la Raison.
Hegel notait avec raison et oraison que la Raison ne cessait de changer de visage et de gagner en perfection. Au juste, je ne sais ce qu'il penserait de l'immanentisme et s'il avait compris que la raison n'avait pas muté positivemnet en Raison, mais qu'elle exprimait par l'hyperrationalisme la crise extrémiste de l'Hyperraison.
En tout cas, la Raison ne peut mener qu'à l'individu, c'est-à-dire qu'à la volonté individuelle ou au désir individuel. Spinoza, l'immanentiste idéaliste, si cette association oxymorique a encore quelque sens, postulait que le désir est ce qui meut l'individu, ce qui revient à faire du désir non pas le socle commun de la société, mais la puissance de l'individu. Schopenhauer, plus pessimiste, notait que le substrat ontologique de la volonté est aveugle.
Rosset, l'immanentiste le plus représentatif et conséquent du nihilisme tardif et dégénéré, trait qui n'implique pas que la pensée de Rosset soit dénuée de profondeur malgré la dégénérescence, écrit des textes emblématiques prenant acte de la disparition de la volonté générale. Selon Rosset, la volonté générale n'existerait pas, ce qui au besoin démontrerait la folie de Rousseau. Qui est le plus fou de Rousseau ou de Rosset? Celui qui postule la Raison au fondement de la volonté générale ou celui qui nie la volonté générale pour d'excellentes raisons?
Il faut prendre acte de cette disparition de la volonté générale sous les coups de buttoir de la Raison, qui ramène finalement tout à l'individu et qui détruit les concepts d'État et de nations parce que la Raison en peut qu'individualiser. Évidemment, cette nécessité manifeste la défaite de Rousseau et des Lumières, qui croyaient sincèrement dans le Progrès de la Raison et qui auraient été les premiers catastrophés à comprendre ce que ce Progrès comportait de funeste et de macabre.
La destruction actuelle des nations signifient que la Raison au final est le règne de la domination individuelle. Dans ce théâtre des opérations douteuses et glauques, les individus s'associent pour former des factions ou des cercles interindividuels, mais l'essentiel est de comprendre que la prééminence de la Raison en tant que manifestation individuelle implique le grave danger que tentait de conjurer la volonté générale : il est désormais impossible de lutter contre les dérives de l'oligarchisme et de l'élitisme forcené, puisque la volonté générale n'existe plus.
La volonté générale était le socle qui permettait d'éviter la suprématie de l'individualisme et qui posait le collectivisme institutionnel et étatique en opposition pérenne à la destruction élitiste et à la domination d'un petit groupe sur le reste. Dans cette destruction des nations, la Raison manifeste son dernier visage avant la disparition de l'immanentisme. Si la volonté général existe, c'est précisément parce que l'homme ne sait que trop que ce péril signifierait la disparition de l'homme.
Sans la volonté générale au sens politique, l'homme n'est pas viable. La volonté générale signifie tout simplement que l'Etre existe, dans le langage ontologique. Il est facile de retranscrire cette assertion en niveau monothéiste : Dieu existe. En langage religieux transcendantaliste : le divin existe. Façon de signifier aussi que le fondement du réel pour l'homme ne réside pas dans l'affirmation béate et absolue de sa puissance individuelle, mais dans la formation d'une puissance collective à partir des synergies interindividuelles.
Façon aussi de comprendre que la Raison comme mutation inquiétante mène au colonialisme destructeur, à l'impérialisme dominateur et à la cacophonie politique. Il est plus qu'urgent de restaurer le concept de volonté générale et de subsumer derrière la lecture de Rosset ou de Nietzsche les explications qui montrent sans l'ombre d'un doute que la destruction programmée des nations n'est pas possible dans un monde où la légitimité de la volonté générale est irréfutable.
Dans le monde de l'absence de volonté générale, les nations ne peuvent que disparaître puisque le fondement supérieur et évident réside dans l'individu. D'où l'individualisme forcené et monstrueux, le culte de la domination individuelle et cette perte de repères inquiétante et éclatante où se révèle toute Raison ignare et repue quand on l'interroge sur le réel. Fort savante comme un perroquet académique, à la Rosset, elle vous expliquera que le réel est inexplicable et que la morale n'existe pas.
Dans le cas d'un mimétisme moutonnier et inconscient, elle appliquera les pires méthodes de barbarie sans se rendre compte de son profond et inquiétant visage. Toute cette évolution n'aurait pas été possible sans la prise de pouvoir de la Raison et c'est pourquoi il est temps que l'immanentisme disparaisse. Encore faut-il se réjouir de cette évaporation identitaire de la faction balbutiante à l'aune des nombreuses incohérences théoriques et pragmatiques de l'immanentisme. La destruction de l'identité générale au profit de l'identité individualiste est certes impossible à installer véritablement sur la durée, mais sa simple évocation suffit à montrer ce qu'est le dernier degré de l'immanentisme, le visage du nihilisme le plus rougeoyant, celui qu'avait annoncé et condamné un nihiliste déséquilibré et un immanentiste génial comme Nietzsche, soit le contempteur prophétique et nihiliste du nihilisme contemporain.

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