vendredi 30 janvier 2009

Le mot vivant

"Je suis la mort."

Un des mérites dont se targue tout écrivain de valeur est d'être un auteur comique. BHL est un auteur comique. Il suffit de lire ses interventions pendant le carnage d'Israël contre Gaza pour s'en rendre compte. Il suffit de lire l'ensemble des déclarations de BHL pour piquer de vrais fous rires. BHL est le plus grand auteur comique de son temps. La seule différence entre le comique classique et le comique de propagande, le comique d'un BHL, soit d'un propagandiste typique d'une sous-branche de l'immanentisme tardif et dégénéré, le sionisme fondamentaliste et désaxé, tient au caractère volontaire. Quand Proust, grand auteur comique et ignoré, décrit les tocades et les foucades de Charlus, on rit à gorge déployée. Mais Proust faisait exprès! Le génie de Proust tient dans ce comique, qui consiste en gros à plaquer de l'inanimé sur de l'animé, pour reprendre la théorie d'un grand philosophe contemporain de Proust, Henri Bergson.
BHL ne fait pas exprès. BHL plaque de l'inanimé sur de l'animé sans s'en rendre compte. Le comique chez BHL, c'est de décrire une ville assiégée sans y être allé. C'est d'expliquer son amitié avec un légendaire chef de guerre, qu'il ne connut que de très loin. C'est de légitimer l'injustifiable, cette guerre sanguinaire et totalement suicidaire, que l'entité sioniste d'Israël a eu la folie de lancer contre les civils de Gaza. Quelles que soient les raisons, c'est inacceptable.
Et tous ceux qui s'entêtent à justifier l'injustifiable auront à répondre de leur folie. Pour BHL, la cause est entendue : son "oeuvre" de propagandiste est mise au rebut et à la poubelle à mesure qu'il en produit les lignes ou les pages. C'est un châtiment terrible que d'être discrédité et raillé avant la fin de la lecture. C'est le châtiment qu'encourt BHL, propagandiste et aussi emblème de la mauvaise foi. Mais alors, en quoi consiste ce comique involontaire, qui fait rire quand on se veut le plus sérieux, le plus grave, le plus dramatique, le plus tragique, le plus bouleversé?
Chacun a pu constater que BHL avait depuis belle lurette sombré dans la boursoufflure et la grandiloquence. On peut sans risquer de se tromper émettre le jugement des Anciens sur le pire des péchés humains : la démesure. BHL a versé dans la démesure, à mesure qu'il abusait du style épique et enflammé, du jeu pervers du je impénitent et pédant.
Mais quand BHL explique que le massacre récent de Gaza signale la retenue d'Israël; quand BHL s'accorde une importance qu'il n'a manifestement pas, quand BHL réinvente les faits et les invoque pour se justifier (au nom de la vérité qu'il rejette?); qu'est-ce qui explique le comique de BHL, soit le comique du propagandiste? Je me souviens d'une anecdote très drôle concernant la dernière campagne d'Irak. Le propagandiste de Saddam explique à la télévision sans se démonter que l'ennemi américain connaît une cuisante défaite à mesure que l'armée américaine approche des portes de la tour d'où il intervient (il existe une variante de cette histoire dans Le Réel de Rosset, avec le retour de Napoléon, qui montre que l'histoire bégaie). Sans se démonter, notre propagandiste persiste et signe. Plus il se trouve en décalage avec le reél, plus il s'enferre dans sa folie, plus il s'entête dans la gradation de son mensonge.
Ainsi va BHL, qui explique un massacre par la mansuétude des bourreaux. Aurait-il échappé à notre grand coeur sioniste que la politique israélienne est suicidaire ou faut-il conclure de cet aveuglement étonnant que BHL est lui-même suicidaire? C'est à la fois atroce et c'est comique. Le comique provient manifestement du décalage entre le reél et la représentation. Représentation morte et gelée, au sens où Rabelais parle de paroles gelées, qui dissone avec le reél. Si quelqu'un vous explique qu'il grille les feux rouges parce qu'ils sont verts, c'est à la fois terriblement drôle et dangereux.
C'est exactement l'exercice auquel se livre BHL, qui perd son temps à expliquer que les criminels sont des pacifistes et des agneaux. Dès lors, le comique au sens de Bergson apparaît : la superposition de l'inanimé et de l'animé est patente. La représentation de BHL ressortit de l'inanimé; quand le reél est animé. C'est dire que BHL fait le mort et chute à chaque fois qu'il écrit. Sans doute BHL est-il pour partie de bonne foi. Je veux dire que son éloignement du reél, ses conditions de vie très privilégiées, tout le cinéma et l'agitation autour de sa personne, sa vie d'acteur, l'empêchent de comprendre intégralement qu'il écrit de l'inanimé dans un monde animé, qu'il se fout plus de sa gueule enfarinée que de celle de ses lecteurs.
Il faudrait aller plus loin et observer que BHL cherche d'autant plus à accélérer sans cesse le mouvement et la cadence autour de sa personne, à personnifier l'agitation, l'air brasé violemment, les incessants reportages au bout du monde, les conditions de vie les plus difficiles qu'il est en fait accablé par un des plus terribles châtiments : BHL est mort. Mais BHL n'est pas mort après avoir vécu. BHL est mort en vivant. BHL est mort de son vivant. Triste privilège pour ce grand privilégié! Sinistre exception! Funeste incarnation! Macabre incantation! BHL est ainsi vraiment la réincarnation du mort-vivant et l'illustration selon laquelle toute légende et tout mythe signifient l'expression symbolique d'une réalité primordiale.

http://www.alterinfo.net/Gaza-Medias-en-guerre-4-Carnets-de-guerre-,-le-dernier-tract-de-BHL_a29171.html?PHPSESSID=077709a47aed2b794b27207e44174aca


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Image: www.bakchich.info
Image: www.bakchich.info

Dimanche 18 Janvier 2009, alors que prenait fin l’opération « Plomb durci » à Gaza, paraissait dans le Journal du dimanche (JDD) un indispensable « témoignage exclusif » de l’inévitable BHL [1]. « Exclusif » de tout autre point de vue sur le conflit que celui de son auteur, infatigable défenseur de la politique israélienne, et « témoignant » de la préférence accordée par le JDD au papier people et sournoisement partisan plutôt qu’à un véritable travail d’enquête ou à la « tribune libre » ayant l’honnêteté de se présenter comme telle.

Toutes les prétendues « enquêtes » de BHL, hélas, se ressemblent (voir par exemple :« Une “exclusivité” du Monde : le tourisme de propagande de BHL en Israël). Narcissisme infatué, style boursouflé, partis-pris aussi outranciers que soigneusement dissimulés : le cocktail – imbuvable – est connu, mais trouve toujours preneur. Cette fois, ce n’est pas Le Monde – peut-être refroidi par les dernières fanfaronnades de BHL en Géorgie qui avaient suscité quelques remous, notamment grâce à la publication d’un article de Rue89 [2] – mais le Journal du Dimanche qui accueille l’écrivain-philosophe-romanquêteur. Le JDD qui, on s’en souvient, avait assuré la promotion du dernier BHL-Houellebecq [3] ; un journal dont le rédacteur en chef n’est autre que Claude Askolovitch, qui s’était chargé sur RTL le 8 juillet, de dénoncer en dépit de tout bon sens « un article antisémite dans un journal qui ne l’est pas » et son auteur, Siné, provoquant ainsi le licenciement de ce dernier, sous les applaudissements de BHL [4]. On est entre gens de bonne compagnie.

Le problème posé par ces « témoignages » et autres « récits », répétons-le puisque BHL récidive, n’est pas le positionnement politique de leur auteur en lui-même, mais bien le statut de ces articles, aux allures de reportage, qui, tordant ou sélectionnant les « faits » à leur convenance, confondent allègrement subjectivité et partialité sans scrupules. Le terme de « témoignage » est à cet égard d’une précieuse ambiguïté : le terme peut connoter l’impartialité de celui qui a vu sans être impliqué. Mais comme le témoin ne peut rendre compte que de ce qu’il a vu, il suffit de ne voir que ce que l’on veut bien voir, tout en sachant d’avance ce que l’on va en dire, pour produire des éditoriaux camouflés en enquête de terrain – autrement dit, de la propagande à l’état pur.

Narcisse en Orient

Trait saillant de ces indigestes épopées, elles mettent avant tout en scène BHL, qui rend compte des réflexions de BHL, retrouve des amis de BHL, et visite des gens importants qui « témoignent » d’abord de l’importance de BHL. Ainsi, on suit Bernard chez Ehoud Barak (« Ehoud Barak chez lui. Je l’ai vu, hier, à Palmachim, entouré de ses généraux. Et je le retrouve, aujourd’hui, dans ce salon… »), Shimon Pérès, (« Amos Oz est effondré. Le grand écrivain […] que je retrouve, à Jérusalem, chez notre ami commun Shimon Pérès… »), ou Ehoud Olmert, qui se confie aussitôt à lui ( « d’une voix plus sourde, comme en confidence, il entreprend de me raconter la dernière visite d’Abou Mazen, il y a trois semaines, dans ce bureau, à la place même où je me trouve… »). Sur les 105 phrases de l’article (hors propos au discours direct des interlocuteurs), on ne compte pas moins de 62 marques de la première personne. Soit un taux moyen de narcissisme de 59%.

« BHL-moi-je » n’est pas seulement le sujet grammatical des phrases qui valident sa présence et consacrent son importance, mais son propre metteur en scène : le metteur en scène indispensable d’un interviewer dont le « témoignage » tomberait sans cela de lui-même : quel intérêt à aller interroger les dirigeants israéliens sur place et de « témoigner » de leur discours, quand ceux-ci ont tous les moyens disponibles pour communiquer par eux-mêmes et ne s’en privent pas ? Il faut faire croire à la nature exceptionnelle des relations de BHL pour faire croire à la nature exceptionnelle des révélations qu’il rapporterait. Ainsi de sa visite à « Yovan Diskin », patron du Shin Bet, qui commence par ces mots : « Il n’a, à ma connaissance, jamais parlé. En tout cas pas depuis le début de cette guerre. […] Il me reçoit, aux aurores, dans son bureau… ». Notons d’abord qu’il existe peut-être un « Yovan Diskin » n’ayant « jamais parlé », mais il n’est pas chef du Shin Bet. En revanche, il existe un Yuval Diskin, chef du Shin Bet… dont un moteur de recherche permet de retrouver en quelques secondes un nombre appréciable de déclarations. Un exemple, en 2006, ici ; un autre, le jour même de la rencontre « aux aurores » avec BHL, ici. Mais peu importe. Le problème est que même recueillie pieusement dans leur salon, la communication du patron de l’Agence de Sécurité intérieure ou du chef du gouvernement d’Israël reste de la communication. Et que BHL la rapporte comme une révélation.

Témoin…de moralité ?

Comment croire un instant que l’intimité qu’il revendique n’influe en rien sur la façon dont BHL présente ses interlocuteurs ou considère leurs arguments ? On apprend ainsi, que « Yovan » Diskin est « est grand. Massif. Une allure militaire que démentent un jean, des baskets et un T-shirt », qu’Ehoud Olmert peut raconter « non sans drôlerie , le ballet des médiateurs trop pressés », et qu’Ehoud Barak joue du piano : « je le retrouve, aujourd’hui, dans ce salon, tout en longueur, qui semble construit autour des deux pianos dont il joue en virtuose . » D’où le choix du « témoignage » : est-ce la faute de BHL s’il ne voit en Ehoud Olmert qu’un « ministre-pianiste », et non le responsable d’une politique que d’autres qualifient de criminelle ? Liberté souveraine de la subjectivité mondaine.

Les « rencontres » de BHL sont opportunes. Est-ce sa faute si « parcourant Israël », il tombe sur Asaf, « patron d’un restaurant à New-York et, dans ses périodes de "réserve", pilote d’hélicoptère Cobra », Asaf qui déclare fort heureusement que « rien ne justifie la mort d’un gosse » et qui ajoute ne pas tirer quand il aperçoit des civils ? Mais BHL, scrupuleux, ne se démonte pas : « J’ai mis Asaf au défi de m’apporter la preuve de ce qu’il dit. Et c’est ainsi que je me retrouve ici, dans le Néguev, sur la base de Palmachim… ». Et BHL obtiendra « ainsi » la preuve, par l’image et le son, qu’Asaf dit la vérité, et la dit, du même coup, pour toute l’armée israélienne. Car BHL, rassuré de constater qu’il y a « des Asaf dans Tsahal », en conclut logiquement qu’Asaf n’est « pas l’exception mais la règle ». Cette histoire édifiante est sous-titrée : « Asaf détourne son missile ».

L’un des objectifs manifestes du périple israélien de BHL est donc de « témoigner » de la moralité d’une armée [5] au moment où celle-ci est accusée de graves et répétées violations du droit humanitaire [6]. Mais ces accusations sont passées sous silence, quand elles ne sont pas qualifiées purement et simplement de « rumeurs ». Dans le salon d’Ehud Barak, il préfère l’écouter philosopher sur le « dilemme moral auquel son armée est confrontée »

Et ce témoin de moralité est évidemment d’une totale neutralité, lui qui, on l’apprend au détour d’une phrase, va « à Sderot, par principe et solidarité, chaque fois que j’arrive en Israël ». Une « solidarité » bien sélective, et un « principe » – mais lequel ?

Des « faits »…

Une autre technique éprouvée des publi-reportages de BHL consiste, en marge de ses passionnantes aventures, à présenter comme des faits – de préférence historiques – ses propres interprétations, avec un aplomb qui tient lieu de démonstration. Ainsi, avec « Yovan » Diskin : « Ce que l’on ne peut pas ignorer c’est ce fait - ce contexte : Gaza qui, évacué, devient, non l’embryon de l’Etat palestinien tant espéré, mais la base avancée d’une guerre totale contre l’Etat juif ». Si « avancée » que ladite « guerre totale » a déjà presque entièrement détruit Israël. Ou encore, au détour d’une conversation avec Ehud Barak : « Je m’apprête à lui demander comment l’homme de Camp David, la Colombe qui offrit à Arafat, il y a neuf ans, les clefs d’un Etat palestinien dont celui-ci ne voulut pas , vit personnellement ce dilemme ». Cette présentation de l’échec du sommet de Camp David mériterait de figurer dans tous les manuels d’histoire, ayant l’avantage de formuler de façon concise la version israélienne des « faits ».

Et quand BHL ne voit presque rien, ce qu’il croit voir est encore un fait. Ayant pris soin de nous prévenir que « le point de vue de l’"embedded" n’est jamais le bon point de vue », et qu’il l’a « évité toute [sa] vie », notre baroudeur saute dans véhicule militaire israélien et « témoigne » :

« Et puis, enfin, je peux me tromper mais le peu, très peu, que je vois (buildings plongés dans l’obscurité mais debout, vergers à l’abandon, la rue Khalil al-Wazeer avec ses commerces fermés) indique la ville sonnée, transformée en souricière, terrorisée - mais certainement pas rasée au sens où purent l’être Grozny ou certains quartiers de Sarajevo. Peut-être serai-je démenti quand la presse entrera enfin dans Gaza. Mais, pour l’heure, c’est, encore, un fait. »

Comprenons bien : « dans l’obscurité », BHL voit « très peu » et peut « se tromper », mais il n’en est pas moins « certain » que la ville dont il entrevoit les faubourgs n’est pas « rasée » parce qu’il voit des buildings debout – comme il en restait sans doute dans Grozny et dans d’autres « quartiers » de Sarajevo. Voilà pour le « fait », dont il anticipe prudemment le « démenti ». Une telle rigueur laisse sans voix.

…Et des « rumeurs »

Quant aux informations mettant en cause l’armée israélienne, et qu’il conviendrait, comme les autres, de vérifier, elles ne portent plus sur des faits à peine entrevus, mais ne sont que des « rumeurs » sans consistance :

« Nous parlons, aussi, des armes terrifiantes qu’utiliserait Tsahal (et dont l’effet serait d’"avaler" l’oxygène autour du point d’impact). La rumeur du jour , pourtant, cette histoire de maison où l’on aurait, dans la zone de Zeitoun, attiré cent personnes avant de tirer dans le tas lui semble si insensée qu’il ne sait, ni par quel bout la prendre, ni comment elle a pris corps. Tout a commencé, semble-t-il, par un vague témoignage recueilli par une ONG . Puis quelques journalistes : "Qu’on laisse la presse entrer - comment, si nous ne sommes pas là, démentir les on-dit ?" Puis c’est le village médiatique planétaire qui s’est emballé : "Tsahal aurait... Tsahal pourrait... le docteur X confirme que Tsahal serait à l’origine de...". Ah le poison de ces conditionnels subtils et soi-disant prudents ! Dans deux jours, on ne parlera plus de la rumeur de Zeitoun. »

Ah le poison de ces assertions sans preuve et rapportées sans recul quand elles émanent des autorités israéliennes ! Et BHL, témoin borgne de la propagande de guerre, de pontifier : « La désinformation, ou le mythe hébreu de Sisyphe ». L’information, ou le mythe vénéneux de BHL.

« Autre rumeur dont j’ai pu, moi-même cette fois, vérifier le caractère infondé : celle du "blocus humanitaire" ». Au passage, BHL règle son compte à une autre rumeur. La « vérification » consiste simplement à tenir pour vraies des allégations d’origine inconnue et des déclarations de source non identifiée : « Je passe sur l’affaire des ambulances touchées par erreur par Tsahal mais bloquées, à dessein, par le Ministère de la Santé du Hamas qui prend ses civils en otage et ne veut surtout pas les voir soigner à l’hôpital Soroka de Beer Sheba. » Comment BHL a-t-il pu s’assurer d’une « erreur » de Tsahal ou du « dessein » du Hamas ? Mystère… Reste la première « rumeur » : « L’information décisive c’est ce mercredi, 14 janvier, que je la recueille - au terminal de Keren Shalom, extrême sud de la bande de Gaza, où une centaine de camions passent, comme chaque matin, sous l’œil vigilant des représentants des ONG. Mais les faits sont les faits. Et le fait est que ce sont plus de 20.000 tonnes qui sont entrées, depuis le début de l’opération, sous pavillon de l’Unicef ou du World Food Program... » D’où BHL tient-il ce « fait » ? Mystère… En revanche, il ne manque pas de le commenter à l’aide du propos que lui aurait adressé un lettré : « Comme me le dit le colonel Jehuda Weintraub qui fut, dans une autre vie, l’auteur d’une thèse sur Chrétien de Troyes et qui rempile, à soixante ans, dans la "Coordination" de l’aide : "La guerre est toujours horrible, criminelle, pleine de fureur ; pourquoi faut-il, à son atrocité, ajouter encore le mensonge ? ". » Une remarque pleine de bon sens. Pourquoi « ajouter le mensonge » quand on peut se contenter de demi-vérités, et d’une présentation biaisée et tronquée de prétendus « faits » ?

Résumons : un « vague témoignage » contredisant la version et la vision des autorités israéliennes est une « rumeur ». Un « vague témoignage » de BHL suffit en revanche à établir des « faits ».

Témoin… ou porte-parole ?

Selon le chapeau du JDD, BHL a rencontré « tous les dirigeants israéliens ». Tous ? Non. Mais, à la lecture de son « témoignage », il semble qu’il ait essentiellement rencontré des Israéliens, pas tous « dirigeants », mais tous partisans de l’opération en cours [7].

Mais soyons juste, BHL rencontre aussi des Palestiniens, ou des « Arabes israéliens » (comme il est « convenable » de les nommer quand ils vivent en Israël…). Trois rencontres (en une semaine…) dont chacune illustre la bienveillance et l’équité de notre écrivain voyageur.

- La première rencontre a lieu dans « l’une de ces villes d’Arabes israéliens qui ont choisi, en 1948, de rester chez eux », où BHL arrive au milieu d’une manifestation : « 15.000 personnes qui protestent contre le "génocide" de Gaza ». Premier mot « arabe » rapporté par le « témoin ». Une conversation va même s’engager entre ce dernier et un de ces « jeunes en cagoule qui hurlent [8], au cœur d’Israël donc, des appels à l’Intifada », une conversation qui vaut d’être rapportée en intégralité :

« "Cet Israël que vous vomissez n’est-il pas votre Israël, demandé-je à l’un d’entre eux ? N’est-ce pas l’Etat dont vous êtes les citoyens, au même titre et avec les mêmes droits que ses autres citoyens ?" Le garçon me considère comme si j’étais un fou. Il me répond qu’Israël est un Etat raciste qui le traite comme un sous-homme, l’interdit d’Université et de night-clubs et n’a, en conséquence, aucune fidélité à attendre de lui. Sur quoi il rattrape ses camarades - m’abandonnant à ma perplexité : belle solidité d’une démocratie qui s’accommode, en temps de guerre, d’un citoyen sur cinq au bord de la sécession politique. »

Les propos du jeune hurleur ne méritent sans doute pas, à la différence des autres interlocuteurs (israéliens), d’être rapportés au discours direct. Mais peu importent au fond l’authenticité de la rencontre et la « fidélité » de BHL. On retiendra plutôt sa « perplexité » en face d’une contradiction manifeste entre sa vision d’Israël (« Etat dont vous êtes les citoyens, au même titre et avec les mêmes droits que ses autres citoyens ») et celle d’un Arabe israélien (« Etat raciste qui le traite comme un sous-homme »). « Perplexité » qui pourrait déboucher sur un questionnement, une remise en cause, ou pourquoi pas une enquête « exclusive » ? Sans surprise, BHL préfère au contraire en profiter pour… chanter à nouveau les louanges d’Israël (« belle solidité d’une démocratie »), trop bonne de « s’accommoder » de ces Arabes qui la critiquent !

- La seconde entrevue est d’abord une interview ratée, celle d’Abou Mazen, absent de Ramallah. BHL joue de malchance, Yasser Abdel Rabbo, dont il prend soin de rappeler qu’il a porté avec lui « naguère, le plan de paix de Genève », est absent lui aussi. Il se rabat donc sur « Mustapha Barghouti, Président de la Palestinian Relief Society - ainsi que Mamdouh Aker, médecin, autorité morale et vétéran du dialogue israélo-palestinien ». Une place croissante est laissée aux Palestiniens puisqu’ils prononceront quatre autres mots, dans une conversation entièrement rapportée au discours indirect :

« Ni l’un ni l’autre ne croient au sérieux d’une offre de paix portée par un Premier Ministre sur le départ. L’un comme l’autre parlent avec sévérité d’un Abou Mazen coupable d’instaurer un "Etat policier". Et je sens surtout comme ils prennent garde de ne surtout rien dire qui paraisse accabler un Hamas dont la rue palestinienne, ils le savent, est solidaire. Et pourtant... En y réfléchissant bien, en écoutant le premier me dire sa nostalgie du "plan saoudien" de coexistence des deux Etats, en voyant le second s’animer à la seule évocation de sa "Lettre à Itzak Rabin" publiée, en 1988, par le Jérusalem Post parce que les journaux arabes l’avaient refusée… »

Un résumé de quatre phrases qui rapporte moins des propos que leur interprétation par BHL, et qui, on en conviendra, n’ « accable » pas trop Israël. Mais ce n’est pas terminé.

- Dernière évocation des Palestiniens : « Et pourtant […] en observant enfin, au retour, l’allure des jeunes gens et le visage dévoilé des jeunes filles qui font la queue, avec moi, pour entrer à Jérusalem, au check point de Kalandiya, je me surprends à y croire à nouveau. Ils sont là, bien sûr, les interlocuteurs d’Israël . Ils sont là, les partenaires de la paix future. »

Certes, « ils sont là ». Mais BHL ne leur adressera pas la parole et ne la leur donnera pas. Tout un symbole – doublé d’une réalité statistique : sur l’ensemble du texte, le nombre de mots prononcés (au discours direct) par des Israéliens, tous favorables à la guerre, est de 442, soit 17,6%. Et l’on a vu dans quel contexte favorable ces discours étaient tenus. Le nombre des mots prononcés par des Palestiniens ou des Arabes israéliens est de 5 (« génocide », « plan saoudien », « Etat policier »), soit 0,20%. Un « témoignage » équilibré.

Un « témoignage » ? Non. Un tract de propagande, recyclé quelques jours plus tard sur France 2. Une version illustrée des commentaires parus quelques jours plus tôt dans Le Point. Une nouvelle imposture.

Olivier Poche

Lire la suite : Annexe : le grand art du recyclage

Notes

[1] L’article est surmonté de cette présentation : « Pour le JDD, l’écrivain Bernard-Henri Lévy a parcouru Israël pendant huit jours au cœur de l’opération "Plomb durci", rencontrant tous les dirigeants de l’Etat hébreu. Un témoignage exclusif. »

[2] « BHL n’a pas vu toutes ses "choses vues" en Géorgie ».

[3] Voir ici même : « Le JDD d’Askolovitch présente : une coproduction BHL-Houellebecq ».

[4] Dans une tribune publiée dans Le Monde du 22 juillet 2008 et intitulée « De quoi Siné est-il le nom ? »

[5] Et de l’humanité de ses membres : ainsi, embedded, il souligne « la lassitude, le dégoût profond de la guerre » des réservistes qui l’accompagnent, dans une contre-propagande aussi caricaturale que le « cliché qui veut réduire Tsahal à un ramassis de brutes s’acharnant sur les femmes et les vieillards », cliché pris… par BHL.

[6] Pour un aperçu de ces accusations portées notamment par le CICR, MSF et l’ONU, lire par exemple « A Gaza, l’attitude de Tsahal révolte les humanitaires », dans Libération du 10-11/01/09

[7] Le seul point de vue divergent est évoqué au détour d’une phrase (« On peut - comme les pacifistes israéliens - se dire que la destruction des dits tunnels aurait suffi. On peut - c’est mon cas - estimer que, cette guerre ayant déjà eu pour effet de faire découvrir à la planète leur existence et de mettre donc les Egyptiens au pied du mur, Israël pourrait s’en tenir là et, dès aujourd’hui, 11 janvier, cesser le feu. »), dans un raccourci ambigu qui suggère que les « pacifistes israéliens » (que BHL n’a semble-t-il pas rencontrés) auraient soutenu la guerre…

[8] Car les manifestants qui scandent des slogans n’ayant pas l’heur de plaire à BHL « hurlent », « braillent » (« comme le braillaient les manifestants de ce week-end… », Le Point, 8 janvier 2009), ou « vocifèrent » (« ces foules d’Européens hurlant, vociférant, déchaînés… », Le Point, 15 janvier 2009).


http://www.acrimed.org/article3062.html


Jeudi 29 Janvier 2009"

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