dimanche 19 avril 2009

Bien tôt

1) Quelques citations empruntées à Pierre Hillard, La Fondation Bertelsmann et la "gouvernance mondiale" :

"Ce qui doit tomber, il ne faut pas le soutenir, mais le pousser."
Friedrich Nietzsche.

"Seuls les plus petits secrets ont besoin d'être protégés. Les plus gros sont gardés par l'incrédulité publique."
Marshall McLuhann.

2) Quelques équivalences :

Démocratie = volonté générale représentée par la totalité.
Aristocratie = volonté générale représentée par une élite.
Oligarchie (/synarchie) = élite non représentative tapie dans fausse démocratie.

La question est : quelle est la différence entre démocratie et aristocratie?
Surtout : quelle différence entre aristocratie et oligarchie?
Pour les Anciens, la démocratie conduit à la démagogie. Au siècle de Platon, c'est ce qui se produit. Après la démocratie athénienne, unanimement vantée pour son brillant et son Périclès, la Tyrannie des Trente, menée par des oligarques, dont l'oncle de Platon en personne, un certain Charmide, mais aussi son cousin Critias. Au passage, l'éloge de la démocratie conduit à certains malentendus : l'idée que la démocratie est universelle et que si son application est restreinte, c'est qu'elle se trouve en voie de développement.
C'est l'idée que propagent les occidentalistes progressifs pour vendre leur utopie démocratique et rendre leur existence supportable : si la démocratie s'est développée pour l'instant seulement en Occident, c'est parce que c'est son berceau et son foyer. Elle va continuer son développement et s'étendre à l'ensemble de l'humanité. La démocratie serait-elle le feu politique? La vraie question à poser après un bon siècle de démocratie à la sauce libérale, c'est : le moins qu'on puisse oser, c'est que l'expansion de la démocratie ne se laisse guère remarquer. Frappe plutôt l'alliance des démocraties avec des régimes autocratiques corrompus et le goût contre-nature des dirigeants démocrates pour des méthodes tout à fait népotiques et oligarchiques.
La démocratie moderne est adossée au libéralisme. La démocratie antique n'était pas libérale. Les deux ont pour point commun de pratiquer l'élitisme démocratique. Athènes ne possédait des citoyens libres qu'avec des métèques et des esclaves (pour simplifier). L'Occident ne possède des citoyens libres qu'avec la colonisation et l'appauvrissement du reste de la planète (quasiment). Je veux bien entendre tous les beaux discours du monde, y compris les plus béats ou les plus stupides, comme ceux d'un Bruckner, mais le développement de la démocratie ne s'est jamais laissé constater.
On a plutôt affaire à un élitisme de la démocratie, qui suppose que la majorité de l'humanité soit asservie pour les besoins d'une minorité de privilégiés. Voilà qui débouche inévitablement sur l'oligarchie et sur la fragilité politique la plus grande. Car bientôt les privilégiés, loin de se mettre d'accord, se disputent plutôt pour instaurer à l'intérieur de leur territoire privilégié de nouvelles lignes de domination. C'est à ce moment que les dominants parmi les dominants se créent l'illusion de leur toute-puissance quasi divine.
Pour le dire vite et bien, nos oligarques se prennent pour des dieux. En général, avec ce genre de raisonnement naïf et désaxé, on a déjà un pied dans la catastrophe quand on y croit. C'est le cas. Quand on veut créer un système oligarchique à l'intérieur de la démocratie, et de cette manière éclatante dominer dans le système démocratique de domination, on crée un effritement de la volonté générale, du tissu social, ce qu'un président français terne nomma un jour "fracture sociale".
La connexion entre oligarchie et démocratie est patente : la démocratie est d'essence élitiste, ce qui peut sembler une contradiction entre son étymologie et son effectivité, mais qui en fait est tout à fait prévisible dès l'étymologie. Demos : le peuple - mais lequel? Le peuple en tant qu'ensemble populaire humain, soit le genre humain - ou le peuple en tant que représentation d'une certaine classe sociale? Le peuple : le peuple athénien, au sens où dans la cité athénienne les seuls citoyens athéniens sont compris comme l'expression du peuple?
La projection historique de ce peuple athénien dans la modernité est tout aussi éclairante : le peuple est-il circonscrit aux peuples d'Occident? Dans cette acception et cette logique, le peuple démocratique est entendu comme la démocratie réservée à une certaine élite. Exclusif : démocratie. La démocratie, c'est l'expression de l'égalité et de la fraternité dominatrices et élitistes.
Dès qu'on identifie le fondement élitiste et dominateur dans l'idéal insoupçonnable et inattaquable démocratique, on comprend que l'oligarchie n'est jamais que le ver dans le fruit lui-même empoisonné. D'ailleurs, l'incarnation moderne de la démocratie est appelée justement démocratie libérale. Il est toujours plus parlant de considérer que la modernité est dominée par la mentalité libérale plus que par le capitalisme. Le capitalisme est une manifestation économique qui empêche de comprendre le coté idéologique, philosophique et ontologique qui transparaît dans le libéralisme.
Si l'on reprend la lecture marxienne de l'économie, Marx au fond fait comme tous les idéologues, même s'il fait moins simpliste qu'Adam Smith, Bentham ou Ricardo : il évacue les questions classiques de la métaphysique et de l'ontologie pour se concentrer sur le règlement progressiste du sensible ou du fini. Il ne faut pas attendre d'un immanentiste qu'il vous dévoile l'intégralité du sens de son engagement. Marx lui-même ne s'en rendait pas compte et s'illusionnait.
Marx est le père spirituel de l'idéologie de type progressiste. De ce fait, c'est un immanentiste. Il pense en immanentiste et il pense dans l'immanentisme de son temps, qui accouchera de la dégénérescence dont notre époque est le paradigme terminal. Marx est immergé dans la fausse différence, en ce qu'il est persuadé d'incarner l'opposition à ce qu'il nomme le capitalisme. Mais son opposition est interne - à l'immanentisme, si interne qu'il n'identifie comme ennemi que l'aspect économique, pragmatique et inégalitaire.
Dans le fond, le Progrès que propose Marx n'est l'opposition au capitalisme qu'interne. Marx est un ennemi interne, un opposant interne. Pas de changement interne. Historiquement les grands capitalistes ont aidé le communisme soviétique. Ils soutenaient le complément de l'immanentisme pragmatique pour équilibrer l'ensemble de l'édifice à leur avantage. Pour que Marx sorte de sa réduction aveuglée (aveuglante aussi), il aurait fallu qu'il identifie la capitalisme comme l'expression et la mentalité purement économique d'une idéologie, soit de la considération de l'idée comme donnée finie.
Si Marx avait vu qu'il s'opposait à une idéologie, il aurait identifié le libéralisme. Il n'aurait dès lors pas opposé à l'idéologie libérale et à son expression économique capitaliste son idéologie progressiste et révolutionnaire. Il en aurait perçu les limites - et la condamnation logique. Mais Marx est emprisonné dans les rets de son opposition et il n'interroge jamais la portée, la dimension de son opposition. Son vrai ennemi délivre le niveau où il se place.
En dominant le capitalisme, il accouche du dépassement idéologique. Pour dépasser le libéralisme, encore lui aurait-il fallu dépasser l'opposition idéologique. Raison pour laquelle il est plus profond et pertinent de lutter contre le libéralisme que contre le capitalisme - plus intéressant et sensé de considérer que le capitalisme est un expression du libéralisme que l'inverse.
L'éloignement de Marx est la condition sine qua non pour échapper à la lecture idéologique de l'idée et pour revenir à un niveau élevé/profond comme l'expression de Platon. Ne pas s'étonner des liens entre le communisme, le socialisme, le fascisme et le libéralisme à l'aune de la lecture idéologique et de la compréhension que toutes les idéologies sont l'expression de l'immanentisme comme expression ontologique et religieuse moderne.
Une fois que l'on a cerné la démocratie comme processus ambivalent, au moins, sans doute processus destructeur, on en revient à la lecture antique, dont Platon est la meilleure voix occidentale. Les Anciens penchaient en faveur du régime aristocratique. Justement, quand on soulève en terre démocratique le problème de l'illusion démocratique, soit le fait que nous sommes de moins en moins en régime démocratique, contrairement au fonctionnement institutionnel revendiqué, avec notamment un développement de plus en plus explicite de l'oligarchie, et le renfermement des citoyens sur des buts individualistes et privés antinomiques avec l'exercice pérenne de la démocratie, les réponses de déni commencent par réfuter cette thèse, puis, si la thèse est étayée, par expliquer que finalement, au pire, la démocratie serait menacée par l'aristocratie.
Au final : non seulement la démocratie n'est pas menacée, puisque nous nous mouvons dans la fin de l'histoire, mais en plus seuls les anciens régimes aristocratiques menacent les régimes démocratiques universels et en expansion. Sion. Soit. Malheureusement, ce n'est pas le retour à l'aristocratie qui menace la démocratie. Pauvres fous qui voient le jour de leurs yeux crevés! C'est l'oligarchie, mon huile.
Les occidentalistes qui se targuent d'animer la flamme de leur progrès destructeur et égotiste, ces torturés minables ont oublié l'essentiel, car ils ont été élevés pour considérer l'accidentel comme le primordial. L'analyse des Anciens est mue par leur méfiance et leur prévenance à l'égard de la démocratie. Pourquoi? Tout simplement parce que l'oligarchie qui est connexe de la démocratie, ainsi que nous l'avons vu tout à l'heure, n'a rien à voir avec l'aristocratie. Si seulement les démocraties pouvaient refluer vers des aristocraties! Mais on ne recule pas d'un train vers un autre, d'un wagon vers un autre, d'un rail vers un autre.
On ne peut jamais revenir en arrière, tout simplement parce que la différence ne se répète pas. Appâts. La différence entre l'aristocratie et l'oligarchie est capitale, tellement énorme que ne pas la voir, c'est comme ne pas voir un éléphant dans un magasin de porcelaine : considérer l'accidentel et détourner les yeux devant l'essentiel. En quoi consiste cette différence?
L'oligarchie ne représente jamais la volonté générale. Le système oligarchique abolit le principe de représentation classique, soit la volonté générale. Dans l'oligarchie, les élites ne représentent qu'elles-mêmes et ne travaillent que pour elles-mêmes. Dans l'oligarchie, ainsi que l'enseigne l'histoire de la synarchie européenne, l'essentiel est que l'absence de volonté générale détruit la volonté générale. Fous ta Cagoule! La subversion de la volonté générale par un petit groupe comploteur, démarche qui explique l'accusation manipulatoire de complotisme, aboutit à la destruction du groupe au nom de sa manipulation par un de ses sous-groupes.
Syndrome du parasite : le parasite détruit par définition l'organisme qu'il parasite. En travaillant pour leurs intérêts propres et personnels, les élites oligarchiques ne travaillent plus pour les intérêts du groupe auquel elles appartiennent. A partir de ce moment, les élites oligarchiques détruisent ce qu'elles prétendent changer, subvertir et manipuler. A noter que le système oligarchique n'est fonctionnel et patent qu'à partir du moment où il domine effectivement le système qu'il subvertit, soit toujours le système démocratique.
Si l'oligarchie ne renvoyait pas aux élites, alors les factions oligarchiques seraient démantelées et traînées dans la boue pour leurs menées séditieuses et destructrices à l'encontre des intérêts du groupe qu'elles subvertissent. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l'oligarchie ne peut s'épanouir que dans la démocratie, puisque l'aristocratie bloque l'oligarchie. Raison soit dit en passant de la prévention quasi répulsive à l'encontre de la démocratie par les Anciens.
Pourquoi cette méfiance? Parce que précisément l'aristocratie est la représentation de la volonté générale qui interdit le mécanisme antithétique et pervers de la subversion de la volonté générale. Le détournement de la volonté générale par des représentants qui travaillent pour leurs intérêts personnels. Le système aristocratique présente plusieurs déclinaisons de sous-systèmes, dont les plus connus en Europe sont les régimes monarchiques.
Les aristocrates dominent certes, et parfois outrageusement, le reste du groupe. Il arrive fréquemment que les aristocrates se considèrent ouvertement comme les élites qualitativement supérieures au reste du groupe, avec un fort sentiment de mépris et une domination de tous les instants. Raison pour laquelle les populations préfèrent le système démocratique. Mais c'est oublier que l'aristocratie est le représentant de son groupe. C'est ainsi que l'aristocrate a souvent en charge des fonctions guerrières.
Il défend dans la guerre son groupe, comme il défend de manière générale son groupe. Idem pour les fonctions religieuses, qui sont assumées par des prêtres, dans la mesure où ces prêtres créent les valeurs culturelles qui permettent au groupe de subsister. L'aristocrate opprime le groupe souvent, mais le représente toujours. L'oligarque opprime le groupe toujours et ne le représente jamais. Il s'en sert comme d'un dessert et d'une desserte, il l'utilise, le manipule, l'épuise. Au final, il en fait un désert. La tourte.
L'illusion la plus dangereuse est de rapporter insidieusement l'oligarchie à l'aristocratie. Les Anciens savaient que la vraie connexion relie la démocratie et l'oligarchie, avec pour prolongement la démagogie. Au contraire, l'opposition à l'oligarchie réside dans l'aristocratie. Si l'on se fonde sur cette observation de bon sens, largement occultée, puisqu'on ignore l'existence du phénomène oligarchique et qu'on omet fatalement de relier la démocratie à l'oligarchie, il reste pour le futur à concevoir et à imaginer les liens entre démocratie et aristocratie, de telle manière que le péril oligarchique soit identifié comme péril et qu'il ne puisse ressurgir.
Il reste surtout à prolonger le travail ontologique de reconnaissance du nihilisme, d'identification du nihilisme atavique à sa forme moderne, de création conceptuelle de l'immanentisme, de création de l'ontologie de demain, dont les langes et les limbes sont présentes dès aujourd'hui, perceptibles dans l'effondrement de l'immanentisme et dans la preuve patente que l'immanentisme nihiliste n'est pas viable.
La question politique est : quelle forme politique est compatible avec le religieux qui succédera au transcendantalisme, dont le monothéisme est la dernière forme d'incarnation? Parlons au nom du divin : apportons l'intuition ontologique d'inspiration artistique. Rendre les aspects positifs de la démocratie compatibles avec les aspects positifs de l'aristocratie. Empêcher le retour de l'oligarchie. Car si la démocratie est l'expression du peuple, son cheval de Troie (ou défaut interne) est de prêter le flanc à l'oligarchie. Commençons dans notre coin notre travail préparatoire ontologique et nous verrons émerger les propositions politiques comme des prolongements logiques et nécessaires. Bientôt.

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