vendredi 10 juillet 2009

Le mythe du mensonge

L'enquête sur le mythe mène plus loin que le mensonge : elle conduit jusqu'au néant.

Une question majeure dans l'opération du sacrifice : quelle est la différence entre mensonge et religiosité dans le mythe? Deux définitions sont proposées pour le mythe :
1) le mythe est un mensonge;
2) le mythe est une histoire religieuse.
Quelle est la différence entre le mensonge et le récit religieux? Cette différence est capitale parce que des scientistes et des positivistes vont laisser entendre que les récits religieux sont des mensonges. Pis, des esprits pervers vont partir de cette conception pour expliquer qu'il suffit de mentir pour instiller certains récits d'ordre religieux.
Quelle est la différence entre un mythe et un mythe? Quelle est la différence entre un mensonge et la vérité religieuse? On pourrait commencer par observer que le mensonge est ici strictement d'obédience sensible quand le mythe religieux consiste à dire quelque chose qui excède le sensible et qui de ce fait se trouve rapporté au transcendant.
Mais comment va-t-on distinguer le mensonge du vrai? Le discours charlatan du religieux? Le discours religieux introduit-il du différent dans le sensible? Renouvelle-t-il le sensible? Mais comment distinguer ce renouvellement vrai du faux? Commençons par identifier le nihilisme inscrit dans le mensonge. On croit que l'introduction du néant permet de renouveler le sensible. Qu'est-ce que ce néant positivement défini?
Le mythe convoque l'imaginaire en ce qu'il donne de la réalité une apparence qui excède le sensible. C'est en ce sens qu'un récit mythique convoque des personnages réels tout en leur attribuant des caractères qui excèdent leur personnalité factuelle. Il s'agit de montrer que le sensible est excédé de toutes parts par le reél et que les caractéristiques les plus remarquables du sensible sont parées d'attributs qui ne sont plus factuels et qui sont considérés comme mythiques.
D'un côté, le mythe est reconnu comme supérieur au sensible; de l'autre, il est difficile de le distinguer du mensonge. Qu'est-ce que le mensonge? C'est quand on présente un élément de manière différente de ce qu'il est. Il est rare qu'on présente A pour B, mais il est fréquent qu'on mélange A avec des caractéristiques de B, soit que B soit imaginaire, soit qu'il soit réel. Le mensonge n'existe pas. Quelle différence y a-t-il entre le religieux et ce qui n'existe pas?
Cette question est d'autant plus capitale que les nihilistes n'établissent pas de différence entre le mensonge et la vérité. On comprend selon quel fondement : dans leur système, la vérité renvoie au néant, qui égalise tout. C'est ainsi que les relativistes clament que la vérité n'existe pas, de Spinoza qui préfère la notion de joie à Nietzsche qui préfère la volonté de puissance.
Ne parlons pas des postmodernes, qui évacuent la question de la vérité au nom de l'immanentisme - précisément. Il convient de remonter jusqu'à Spinoza pour comprendre l'ensemble de ces disciples et de leurs épigones. Au départ, ils sont assez imposants, comme Nietzsche; et puis ça se finit avec la cohorte des petits maîtres postmodernes, qui sont incapables d'autre passe-passe que de répéter servilement leurs histoires (de la philosophie) en laissant entendre qu'ils ont inventé du lourd.
Cas d'un Deleuze. Les suivants ne comptent déjà plus : des histrions historiens si dégénérés qu'ils émargent au nombre des sangsues, des ratés et des dégénérés. Du brillant décadent est-il encore du brillant - ou seulement du rutilant? Quand la vérité n'existe pas, c'est tout simplement qu'aucun point de repère n'est valable. Inconvénient de l'immanentisme : si tout est dedans, tout est pareil - immanent. Et à l'extérieur? L'autre inconvénient, c'est que du point de vue du mensonge, tout se vaut, puisque le néant égalise - tout.
C'est ainsi que Rosset cite dans Le Choix des mots la formule de Zola : "Quand la terre claquera dans l'espace comme une noix sèche, nos oeuvres n'ajouteront pas un atome à sa poussière" (extrait de L'Œuvre je crois). Rosset commente ainsi cette citation, dans Le Réel : ce qu'il y a de désespérant, c'est moins de disparaître individuellement que de savoir que tout disparaîtra. Tout disparaîtra, slogan d'un chanson du groupe rock Noir Désir peu de temps avant l'épisode tragique de l'homicide de Bertrand Cantat sur Marie Trintignant, les amants maudits.
Tout disparaîtra, c'est-à-dire tout retournera au néant. Le néant est l'Un auquel aspirent les immanentistes qui en général se présentent comme des spinozistes ou des laïcs antiplatoniciens. La différence théorique entre le mensonge et la vérité?
1) en théorie : le néant explique le recours au mensonge comme à l'équivalent de la vérité, car ce qui compte au fond, c'est que le seul moyen de renouveler le réel/sensible tient dans le recours au néant. Voilà qui signifie rien de moins que la destruction est ce qui construit. Charmant. Quant au statut privilégié, voire suprême, du mensonge, il faut comprendre que ce mode de raisonnement repose sur l'erreur centrale de l'immanentisme : le néant est positif. Dès lors, la vérité signifie qu'un élément réel dépasse le néant; quand le mensonge renvoie au néant. On comprend pourquoi Nietzsche privilégie le mensonge à la vérité. La vérité est un concept essentialiste, quand le recours au mensonge garantit le contact avec le néant. Le slogan qui appuie cette théorie est le célèbre ordo ab chao de certains atlantistes extrémistes (voir notamment Strausz-Hupé), qui explique que le reél (rapporté au sensible) s'obtient par le néant.
2) en résultat : c'est la destruction, parce que le recours au chaos n'engendre pas l'ordre, mais le désordre. Peu à peu ce désordre s'intensifie et l'on assiste à la disparition en lieu et place de l'ordre escompté. Ordre nouveau? Erreur d'attente ou de programme? Peut-être pas si l'on s'avise que pour un nihiliste conséquent le néant est l'expression subliminale et paroxystique de l'ordre.
Le religieux transcendantaliste excluait le néant en postulant l'Etre. L'immanentisme rétablit le néant en postulant l'immanence de l'Etre. Affirmer comme Spinoza que Dieu est la Substance en soi et par soi, c'est-à-dire qui est l'unique Tout n'étant pas conçu par d'autres modes ou d'autres choses, est un postulat gratuit, en tout cas qui conduit sous couvert de monisme à réintroduire subrepticement le néant.
Le monisme est le vrai dualisme, qui oppose le sensible au néant. Quand Nieztsche reproche à Platon et au courant transcendantaliste d'avoir produit un dualisme fictif avec l'arrière-monde imaginaire, il ne se rend pas compte que le seul moyen d'exprimer l'Un est d'en passer par l'Etre dans la mentalité antique, alors que le nihilisme ne réconcilie que pour mieux sauter sur le point principal de contradiction : dans la chaîne des raisons ou dans le finalisme, comment expliquer l'infini ou Dieu?
Spinoza l'exprime par une pirouette : Dieu est l'infini. Dieu est la Nature, la Substance, ce qui n'est pas conçu par quelque chose d'autre que lui. Il est le Tout et l'Incréé. De ce fait, le rationalisme de Spinoza se heurte au manque décisif de son intuition universelle (ce qu'il nomme le quatrième mode de connaissance) : l'infini dans l'immanentisme est le grand indéfini. Si l'infini est l'indéfini, c'est que Spinoza n'est pas parvenu à sortir de son opposition au transcendantalisme (de type platonicien) et que son immanentisme, quels que soient ses avantages, est un échec d'ensemble.
L'ontologie immanentiste résulte en fait du vieux nihilisme, contre lequel s'oppose la métaphysique. De ce point de vue, l'effort de Platon pour prévenir le nihilisme qui s'exprime dans la crise monothéiste et dans l'avènement des atomistes et autres sophistes est d'ores et déjà contrebalancé par la pensée d'Aristote, le maître de l'ambiguïté, balançant entre les théories de son maître et les critiques contre l'idéalisme au nom du pragmatisme.
Aristote est un homme du milieu, oscillant entre le nihilisme et le transcendantalisme, et c'est sans doute ainsi qu'il faut comprendre son adoration de la vertu cardinale, la prudence. Spinoza distille sous des airs doucereux la violence du renversement. La violence chez Nietzsche est explicite car il est le prophète de l'immanentisme tardif et dégénéré; tandis que Spinoza le saint est le premier annonciateur, un soi-disant tolérant qui se serait émancipé du judaïsme pieux des marranes pour disserter en traités more geometrico.
Tu parles! Si aujourd'hui l'homme contemporain ne parvient plus à distinguer entre le mythe et le mythe, entre le mensonge et la vérité religieuse, c'est qu'il n'a plus qu'une vérité, lointaine descendance du positivisme et du scientisme : la religion des faits. Lui expliquer que tel fait est vrai ou que telle affirmation est fausse lui est encore acceptable. Que le réel excède le sensible ou que le sensible ne soit qu'une part du reél le dépasse.
A une époque où l'on peut laisser entendre que des théories réductrices ou absurdes en tant que théories comme le cognitivisme ou son cousin soi-disant opposé le comportementalisme seraient novatrices, alors qu'elle ne sont que des sous-productions du scientisme le plus étriqué, il est difficile de suggérer que le reél est un terme indéfinissable et que l'existence de Dieu est d'autant plus balayée comme une insulte rétrograde que le Réprouvé n'a jamais été véritablement réfuté et renvoyé à ses calendes ataviques. Dieu a été assassiné par son remplaçant putatif, l'homme, qui n'a pas la carrure, c'est le moins qu'on puisse noter.
Ainsi donc le mythe est religieux de part en part. Le considérer comme un mensonge relève déjà d'une conception dans laquelle on considère que les conceptions religieuses passent et que celles qui sont dépassées n'ont plus d'autre sens qu'un sens extra-religieux, une qualité littéraire ou imaginative. Le Panthéon grec nous divertit à condition bien entendu qu'on ne le prenne pas trop au sérieux, et surtout pas au pied de la lettre.
La différence capitale entre le mythe et le mythe, c'est avant tout que le mythe existe en tant qu'il est religieux. Le mythe religieux consiste à reconnaître l'existence d'un autre monde transcendant au sensible. Le mensonge désigne dans cette acception le refus de croire dans le transcendantalisme classique et constitutif de l'histoire. Rappelons que le polythéisme constitue l'essence du transcendantalisme et que le monothéisme n'est qu'un terme tardif et un épisode somme toute assez rapide dans l'histoire humaine, quelque chose comme trois mille ans environ (et maximum en approximation).
Le mensonge au sens le plus profond, au sens religieux classique, comme au sens ontologique classique, désigne le nihilisme, dont l'immanentisme est l'incarnation moderne. Mentir, c'est refuser le transcendantalisme et approuver sous couvert d'immanentisme le refus d'un autre monde que ce monde-ci. Il suffit de lire un auteur emblématique comme Rosset pour comprendre ce qu'est la pensée d'un nihiliste de stade terminal (au sens culturel et non pas individuel il va sans dire).
Rosset est un écrivain remarquable et peu reconnu, mais il est normal que l'époque la plus putride de l'immanentisme ne reconnaisse pas son prophète. Nul n'est prophète en son pays. Analyser sérieusement Rosset, c'est comprendre à quel point notre belle époque est foutue. Rosset est tragique, mais plus à titre occidentaliste qu'ontologique. Rosset considère à la suite de Nieztsche et de Spinoza que le mensonge est supérieur à la vérité.
Rosset progresse dans l'immanentisme depuis Spinoza et Nietzsche : il exprime clairement ce que Spinoza laisse entendre sous sa progression géométrique et ce que Nietzsche voile du masque (profond?) de sa folie furieuse - ou apathique. La structure du mythe pour ces gens est forcément du mensonge ou, si le sens est trop remarquable, s'il est trop indélébile pour être dégradé, on le range dans la catégorie du religieux dépassé, n'est-ce pas, par la production éclatante de science et de laïcité conjuguées.
Dès lors, comment faire la distinction entre un mythe véritable et un mythe mensonger? C'est simple : qui fait appel au transcendant? Qui postule que le reél excède le sensible et que l'immanent n'est jamais qu'un objet particulier ou singulier? Si l'on prend le cas emblématique et symptomatique du 911, on peut hurler au complotisme et suivre la version officielle, pourtant mensongère et complotiste. On sera plus avisé d'y voir un complot, le complot millénariste par excellence, venant d'immanentistes occupant des postes stratégiques qui croient que leur importance sociale signifie qu'ils sont des dieux.
Ces impertinents feraient mieux de reconnaître leur erreur incommensurable. Ils ne savent pas ce qu'est un sacrifice parce qu'ils sont nihilistes. Leur menée pour régénérer le reél est condamnée à l'échec, car elle s'ancre sur le nihilisme, qui postule que le néant existe positivement et qui cache ce nihilisme dans un fourre-tout mêlant pêle-mêle Spinoza, Nieztsche ou l'idéologie (en ce moment l'ultralibéralisme). Souvent nos brillants complotistes n'ont pas conscience de leur nihilisme et le recouvre de conceptions de l'existence indirectement immanentistes.
Ils peuvent se réclamer de l'amoralisme stratégique, du politique, du capitalisme, de l'atlantisme, d'idéologies, de la laïcité ou d'hérésies monothéistes. Ils font le jeu du diable et sont environnés par des hommes de main nantis de pulsions homicides, des hommes qui se comportent comme des bêtes et qui ne se rendent pas compte que l'ange fait la bête. Qui fait la bête fait le dieu?
Le mythe est critiqué parce que le transcendantalisme s'est effondré. La différence entre mythe et mensonge n'apparaîtrait que si l'on restituait la mentalité transcendantaliste et que l'on montrait l'absurdité du raisonnement immanentiste. La différence tient à la croyance dans le reél. Comment considères-tu le néant? Si tu crois au néant, tu produiras des mensonges. Si tu crois à l'Etre, tu produiras du religieux. Evidemment, dans cette configuration, il est capital de transformer le récit de type imaginatif pour parvenir à révéler l'Etre, soit à révéler que le reél excède de très loin la dimension de son apparition immédiate.
C'est pourquoi les immanentistes, qui se recroquevillent sur leur bastion sensible avec leur manie réductionniste forcenée, ne se rendent pas compte qu'ils exigent l'impossible en définissant la vérité comme factuelle. Puis ils produisent à leur tour des mensonges, forts du principe selon lequel il suffit de mentir pour parvenir au néant et que le concept de Vérité idéaliste n'est qu'un mensonge de plus et une incompréhension tragique du reél.
Quand aujourd'hui des historiens sincères nous expliquent que les récits bibliques sont faux, que l'Exode n'a pas existé ainsi ou que le Roi Salomon n'était pas ce roi luxuriant et tout-puissant, ils se fondent sur les faits et ils expliquent avec raison que les mythes religieux mentent, puisque les faits leur donnent tort. Comment distinguer le mensonge biblique du mensonge atlantiste qui cautionne et répète la vérité officielle du 911?
Ce n'est pourtant pas très compliqué. Il n'est nul besoin d'être un érudit de l'exégèse ou un spécialiste des expertises théologiques. Il suffit en fait de ne pas confondre le sens religieux de la lettre. Au sens factuel, les récits bibliques ou n'importe quel récit religieux n'ont aucun sens et qui plus est s'appuient sur des traditions et des distorsions factuelles. Le texte ne fait sens que dans une dimension religieuse.
Aujourd'hui, les laïcs sont très fiers d'exhiber leur différence d'interprétation, mais ils ne se rendent pas compte que les naïfs littéralistes du monothéisme, que ce soient les chrétiens, les musulmans ou même d'autres polythéistes, étaient bien plus à même de comprendre la dimension religieuse et qu'ils voyaient, pour reprendre la terminologie chrétienne, avec les yeux de la foi. Nul besoin pour un esprit religieux de maîtriser une douzaine de langues et de cumuler les diplômes scolaires les plus prestigieux. La dimension religieuse est ouverte à n'importe quel individu.
C'est ce qui fait la supériorité du religieux sur le philosophique. L'appel à la raison implique des complications qui nécessitent une spécialisation assez contraignante et au final peu productive. Quand on se rend compte que le platonisme est une ontologie proche du christianisme et que Nietzsche appelait le platonisme un christianisme pour aristocrates, on comprend que le plus urgent est encore de lire les textes des chrétiens, qui sont plus accessibles et qui de surcroît ouvrent une dimension plus importante que les ratiocinations de la raison.
La supériorité du religieux sur le philosophique apparaît quand on pose la question du statut du mythe. Reste à comprendre que le religieux ne se confond jamais avec le factuel. Le propre du religieux est de convoquer n'importe quel élément qui paraîtra imaginaire ou extrasensible de telle sorte qu'il exprime autre chose que du sensible. L'imaginaire en question n'est tel que si on ne le comprend pas. Souvent, les analystes des mythes sont frappés de la puissance et de la profondeur de ces récits qui surpassent de loin la tradition littéraire bourgeoise.
C'est que le gage de la profondeur tient précisément à l'exhibition de cette profondeur. La profondeur, ainsi que le savait un Panofsky, n'est une dimension artistique au sens classique que dans la mesure où elle provient du religieux. Le religieux subsume la profondeur du reél parce qu'il est d'obédience transcendantaliste. Dans l'immanentisme, impossible d'envisager la question de la profondeur, puisque l'infini est une superposition d'attributs, pour parler comme Spinoza, et que les attributs infinis de la Substance sont inconnaissables à l'homme.
C'est un postulat irrationaliste de l'ami Spinoza, qui n'en est pas à son premier coup de force contre le reél qu'il fait mine de tant chérir, et à sa suite Nietzsche ou Rosset, qui se réclament d'autant plus du réalisme (au sens de lucidité) qu'ils sont en fait des ennemis de tout ce qui aime le reél. Une fois que l'on a compris la différence entre un mensonge factuel et un mythe religieux, il reste à se débarrasser du présupposé immanentiste selon lequel le récit religieux serait au mieux un mensonge sous prétexte qu'il aurait été dépassé par la science et la religion du fait.
Cessons de supposer que les récits religieux sont des mythes, soit des histoires qui quand on n'y croit plus n'ont plus qu'une valeur symbolique/littéraire. Cessons de confondre les résultats impressionnants de la science dans un domaine fini très circonscrit avec la vision réductrice et aberrante que la science propose du réel. Tant qu'on ne comprend pas cet aspect fondamental, on ne peut avoir accès ni au reél, ni à l'existence, ni à ce qui constitue son sel, l'expression religieuse. On vit dans une perte de temps et on accrédite les postulats de l'immanentisme, individualisme, hédonisme, libertarisme, athéisme et autres billevesées allègres qui contribuent à mener le monde vers la ruine avec l'aveuglement des thuriféraires les plus zélés.
Plus on est immanentiste, plus on se rebelle : piège de l'immanentisme. La rébellion actuelle est acquiescement au système immanentiste, puisque se rebeller, c'est aller dans le sens d'un système qui renverse les valeurs classiques. Ceux qui se rebellent vraiment contre l'immanentisme en payent très rapidement le prix. Posez-vous la question de la rébellion : les rebelles accréditent quel type de valeurs et s'opposent à quel type de valeurs? Ils ne peuvent s'opposer qu'aux valeurs traditionnelles puisque la ruse de l'immanentisme est de faire disparaître la notion de valeur sous le fatras de la puissance ou de la domination. Nouvelle valeur que la valeur traditionnelle : valeur associée au mythe du Surhomme.
Comment l'immanentisme a pu imposer sa propagande et nous divertir avec le mythe religieux, soit avec le préjugé selon lequel tout ce qui était religieux était dépassé et que la profondeur du religieux était rétrograde, juste bonne à être exploitée par les nouvelles analyses immanentistes? Malheureusement, le nihilisme côtoie de près la réaction religieuse dont le transcendantalisme constituait jusqu'à présent l'acmé de l'antidote.
Dès que le transcendantalisme s'effrite, se fissure ou se lézarde, le nihilisme réapparaît. L'exemple le plus frappant se déroule à l'époque de Platon, dans l'Athènes en fin de zénith, où les sophistes et les atomistes viennent l'espace d'un temps menacer les dieux de la cité. Ne nous méprenons pas : Socrate appartient à ce mouvement puisqu'il fut accusé d'impiété et de corrompre la jeunesse. On peut ne pas comprendre ou acquiescer à cette condamnation comme Nietzsche, il n'empêche que le Socrate réel n'était pas le Socrate de Platon.
Le Socrate réel était assimilé à cette insurrection contre les valeurs. Que Socrate soit ce moraliste dépeint par son disciple Platon n'empêche nullement que Socrate ait eu recours au dialogue rationnel pour parvenir au Bien et que l'argumentation de type rationnel contrevienne au religieux. Spinoza l'immanentiste ne connaît que trop le religieux pour appartenir au courant nihiliste. Les sophistes et autres matérialistes sont au fond fort proches de Spinoza.
Nietzsche lui-même, philologue éclairé, vouait une adoration aux cultes sataniques du style Dionysos et en particulier aux courants du sophisme et de l'atomisme. Tant qu'on démonise, on se donne bon espoir. Le rationalisme est l'exigence suprême de tous les nihilistes, parce que le rationalisme donne l'impression de maîtriser le reél. En réalité, la raison ne maîtrise que la chaîne des raisons, soit le fini. Comme le nihiliste estime dans sa folie qu'il maîtrise le reél, il ne se rend pas compte que la tentation de réduction ontologique intervient chaque fois que l'opposition religieuse vacille.
Qu'est-ce que le religieux classique? C'est le lien, soit le rappel que le réel excède de toutes parts le sensible. Qu'est-ce que la réaction nihiliste? C'est la réduction du reél au sensible, soit au réel connu par nos sens. Le reste importe peu au nihiliste, qui postule que l'infini est inconnaissable pour l'homme et que le mieux est de l'ignorer et de se concentrer sur le connaissable. Cette mentalité fausse, qui conduit dans son stade terminal à comparer le fonctionnement de l'esprit humain à un ordinateur, soit à réduire l'homme à la fonction de machine, aboutit à des résultats matériels éclatants.
C'est l'explosion de la science et de la technique. Les nihilistes jubilent et prouvent la supériorité de leur système par le progrès terrible des productions sensibles. Il n'est pas question de lutter contre le progrès scientifique, mais de constater que c'est un type de connaissance finie. Le fait est que cette connaissance finie ne peut en aucun cas prétendre expliquer le reél. Dès que la connaissance finie prétend expliquer la connaissance infinie, nous assistons à du nihilisme, soit à la réduction de l'infini au fini.
Le nihilisme détruit l'infini et le fini. Il transforme l'infini en fini et il empêche le contact du fini avec l'infini. Du coup, l'infini s'appauvrit, s'épuise et finit par s'étioler jusqu'à disparition - le néant. C'est en tant qu'alternative que le nihilisme est faux. C'est en tant que conception générale du reél que le scientisme et le positivisme sont faux. Les conceptions qui prétendent expliquer de manière générale le reél par la science ou la technique sont fausses.
Dès qu'on énonce cette vérité, les partisans du réductionnisme cognitif s'énervent et à court d'arguments, parlant fort parce qu'ils ne connaissent pas, ils s'échauffent la bile, ils tempêtent et ils compensent leur manque de fond par des cris d'orfraie. Ils ont peur, car leurs fondements sont bancals et menacent de s'effondrer. Avoir donné sa vie pour des broutilles, avoir cru dans des chimères n'est pas facile à accepter. Mieux vaut s'énerver que d'oser regarder.
Pourtant, il ne s'agit pas d'appeler à la disparition des inventions immanentistes, comme les sciences, les sciences humaines ou les technologies de plus en plus pointues. Il s'agit de constater que la science ne progresse qu'à condition qu'elle se fractionne et qu'elle se disperse. La spécialisation de plus en plus outrancière des sciences, pures ou humaines, ne conduit pas à l'erreur de ces disciplines prises en tant que telles.
Le bon sens constate que les méthodes scientifiques sont inaptes à saisir l'ensemble du reél et que l'objet d'étude ne saisit jamais le sujet d'étude. De la même manière que les sciences ne comprendront jamais le réel, les sciences humaines ne saisiront jamais l'homme. Ce n'est pas la prétention objective des sciences qu'il convient de nier, mais la prétention des sciences à comprendre le sujet du reél.
Ce n'est pas les innombrables sciences, plus ou moins humaines, qu'il convient de congédier, que l'immanentisme comme explication du réel. Le mensonge tient moins aux productions de la science qu'à la volonté démesurée de réduire la connaissance aux sciences (quel que soit le type de science). Là réside le mythe mensonger de l'immanentisme, mais il est vrai que l'immanentisme en tant que religion du déni de la religion ne peut que produire des mythes frauduleux.
Reste à s'interroger sur l'ébranlement du transcendantalisme. Le monothéisme était venu prendre la suite du polythéisme et poursuivre le transcendantalisme, sans se douter qu'il l'achevait. Le christianisme est cette religion de la sortie de la religion, à ceci près qu'il est faux d'estimer que la sortie de la religion est possible. Pas d'homme sans religion. Il est temps d'envisager une religion pérenne, pas la religion du déni de la religion, qui n'est qu'une transition, l'expression d'un malaise dans la culture.
Pour comprendre ce qui cloche dans le mythe de type transcendantaliste, il faut se rendre compte que le recours à l'absolu ne dit plus rien de nos jours. Pourquoi l'absolu ne dit-il plus rien alors qu'il parlait auparavant tant aux gens? Les symptômes qui démontrent historiquement la perte de sens sont la découverte scientifique que la Terre est ronde et la découverte géographique des Amériques. Ces découvertes traduisent la supériorité du sensible sur l'absolu et la négation de l'absolu, qualifié par Nietzsche d'arrière-monde illusoire.
Il serait hâtif de considérer que ces deux épisodes emblématique sont les causes de l'effondrement du transcendantalisme. En réalité, il en sont les symptômes. Les causes sont que le recours au sensible forcené s'explique par la perte de sens de Dieu. Le transcendantalisme fait sens tant que l'on explique le sensible par le reél au sens où l'on explique la partie par l'Un.
1) Dans le polythéisme, la différence est la tribu et le même est le monde de l'homme. Le reél n'excède pas le monde de l'homme. Du coup, la stabilité du modèle polythéiste vient du fait que la multiplicité du reél, attestée par la multiplicité des dieux, est sans cesse stabilisée par l'adjonction de Même. Les dieux sont le Même et stabilisent le devenir incessant du monde sensible morcelé.
2) Dans le monothéisme, l'intérieur passe de la tribu au monde de l'homme. L'extérieur est le non-humain. Le réel est la conjugaison du monde de l'homme et du réel étranger à l'homme. L'unification du monde de l'homme aboutit au renversement du dualisme constitutif : le monde de l'homme devient le Même, quand le réel non-humain devient la différence. Le divin devient la différence en même temps que le divin passe du statut de multiple au statut d'Un.
L'unification du divin se fait par l'unification de la différence. La différence était autrefois le multiple, alors que désormais, le multiple/sensible est devenu identique. Mais le renversement du monothéisme implique que la différence soit le divin et que cette différence soit unique : unité qui signifie l'identité entre les deux parties du reél, le monde humain et le monde non-humain.
Dans le polythéisme, la partie était la tribu, d'où la multiplicité des parties et la multiplicité des différences. Dans le monothéisme, la partie est l'individu, plus la tribu. Si l'on se souvient que l'Un vaut mieux que le deux, ou, si l'on préfère cette approximation, que l'Un vaut mieux que le multiple, il faut bien que la différence soit unique, pour former l'Un de type platonicien. Raison du Même de Parménide : le Même est cette différence qui se réconcilie avec le même sensible.
En même temps, le Même monothéiste butte sur une aporie qui explique que Heidegger ne parvienne jamais à définir l'Etre. L'Etre est ce qui dépasse les étants, mais ce prolongement est indéfinissable. Le monothéisme butte sur une difficulté que nous allons analyser. Pour le moment, revenons à la mentalité polythéiste.
Le polythéisme vient du multiple et explique le reél dans le multiple : l'identité de la tribu allait de pair avec la multiplicité des tribus. L'horizon ultime était l'homme. Le réel n'excédait pas cette identité, tandis que l'horizon monothéiste tient compte de l'agrandissement des frontières : désormais le reél dépasse l'homme. Le monothéisme explique le reél dans l'unité du monde de l'homme avec le monde non-humain : le réel.
Cette unité va de pair avec l'agrandissement du sens, qui passe du monde multiple au monde unique et unifié. Le monothéisme implique un Dieu pour tous les hommes, quand le polythéisme réclamait plusieurs dieux pour chaque peuple. Dans le polythéisme, l'extériorité butait sur d'autres peuples, d'où la multitude des dieux et les panthéons.
Dans le monothéisme, l'extériorité butte sur l'espace. On comprend la revendication épisodique du nihilisme antique : l'espace est le néant. La revendication des nihilistes s'appuie sur le postulat selon lequel l'infini évoque le néant. La réponse de Platon et des monothéistes est une adaptation du transcendantalisme à l'expansion et à l'unité humaines : l'extériorité au monde de l'homme est meilleure que l'intériorité.
Sans cette réponse surprenante, l'homme est condamné au nihilisme. Le polythéisme exprimait l'inverse de cette combinaison parce que le réel s'arrêtait aux portes de l'homme : l'intérieur est meilleur que l'extérieur parce que l'identité entre l'intérieur et l'étranger existe - l'homme. L'étranger est l'étrange parent. L'étrange familiarité de l'être. Dans le polythéisme, l'étranger est encore l'homme. Dans le monothéisme, l'étranger est le non-humain. Établir des ponts entre identiques est possible, à condition qu'on en dépasse pas les frontières du même, qui sont cantonnées à l'humain. Hors de l'humain, ce qui est différent ne peut être que supérieur.
En cas d'infériorité, l'extérieur (le différent) exprimerait la dévalorisation de la différence. Au contraire, la différence valorise l'intérieur en régime du même (régime polythéiste). Le polythéisme établissait le même ou la répétition, quand le monothéisme établit l'autre ou la différence. L'inversion normative du transcendantalisme s'explique par le déplacement de la frontière identitaire : en agrandissant son territoire sensible, l'homme a butté sur le problème de l'étranger. Il est passé de l'étranger identique (l'espèce) à l'étranger différent (l'espace). Du coup, soit il dévalorisait la différence, soit il la magnifiait. S'il la dévalorise, il sombre dans le néant.
Il n'a d'autre choix que de postuler la perfection (l'Etre) à côté de son monde imparfait (le sensible). Tant que le processus d'humanisation du monde est en marche, le postulat monothéiste tient la route. Il s'agit de conforter le transcendantalisme en faisant en sorte que la partie soit reliée au tout. L'ajustement du monothéisme tient à l'affirmation de l'identité du sensible et de l'Etre, soit du même et de la différence.
Le monothéisme parle d'accroissement qualitatif parce qu'il passe du multiple à l'unité, mais cette unité repose sur un socle bancal : la différence est unique. Dans le polythéisme, la différence était le multiple et le sensible. L'unicité de la différence est obligatoire pour sauver le système transcendantaliste, qui repose sur l'identité des deux états fondamentaux du même et de la différence. Cependant, la limite de cet équilibre est prévisible : quand la frontière du même sera atteinte, la différence unique volera en éclat et le nihilisme réapparaîtra.
Pis, le transcendantalisme s'effondrera parce qu'on ne peut aller au-delà de l'unité et que la fin du monothéisme signe ainsi la fin du transcendantalisme. Le nihilisme remplacera la différence par le néant et stipulera que le sensible est le reél. Plus triomphal que jamais, il expliquera pompeusement que la vraie unité réside dans ce monisme qui exacerbe le néant et qui magnifie la destruction. Les Spinoza et les Nieztsche seront traités comme des rois.
A partir du moment où la partie se réunit et forme un tout, l'extérieur devient l'étranger et le tout se suffit à lui-même, donnant l'impression que le différent est inutile et que l'homme est parvenu à l'état qu'il identifie comme la perfection, soit le même. C'est le raisonnement nihiliste, qui tient Dieu pour une illusion dont il convient de ne pas parler. Par ailleurs, le nihiliste bannit le changement au nom du monisme : les choses sont toujours identiques, ainsi que le professait Schopenhauer, l'immanentiste pessimiste au sens où il est le plus grand des irrationalistes avec son postulat de l'absurdité.
Par rapport au nihilisme comme succession du monothéisme, l'ontologie est le versant rationaliste du monothéisme. Le polythéisme tendait à diviniser le même. La philosophie était inutile, ce qui ne signifie pas que la pensée et la raison n'existaient pas, tant s'en faut, mais qu'elles se trouvaient comprises dans l'expression religieuse. Pas besoin de raisons pour penser le même. Par contre, la raison est indispensable pour penser la différence, car elle sert à combler la carence religieuse en même du monothéisme.
L'adaptation monothéiste a affaibli le transcendantalisme. La philosophie n'apparaît dans la Grèce antique que pour compléter le monothéisme qui balbutie en Mésopotamie, qui s'élabore autour de l'Égypte, notamment chez les tribus nomades comme les juifs et qui connaîtra une première mouture avec le christianisme. Quand on cherche des ancêtres aux Grecs, on tombe sur des prêtres ou des influences religieuses.
La philosophie ne peut exister que si l'on commence à isoler un Même, l'Etre de Parménide par exemple, sans quoi on en reste au paradoxe le plus branlant, avec Héraclite ou avec toute conception irrationaliste. La philosophie a besoin du Même pour commencer à se former, tandis que la religion polythéiste était à l'aise avec le différent qu'elle savait pouvoir renouveler à tout moment.
C'est sous le polythéisme comme expression la plus équilibrée et pérenne du transcendantalisme que les sacrifices ont lieu, parce que les sacrifices expriment le renouvellement ontologique, dont la forme est patente : renouvellement du différent par le même. Le monothéisme abolit les sacrifices (la Passion) ou les ritualise dans une expression minimaliste et inoffensive (l'Aïd el-Kebir, qui est la plus grande fête musulmane). De ce point de vue, l'avènement du discours rationaliste marque déjà le début de la crise, dans la mesure où il complète le monothéisme comme pratique religieuse lacunaire.
On peut tout aussi bien affirmer que le monothéisme marque le début de la crise religieuse transcendantaliste et que la propagande monothéiste présente le monothéisme comme couronnement du religieux dans la mesure où il en est plutôt l'enterrement de première classe. La philosophie signifie que le monothéisme ne parvient à prolonger le transcendantalisme qu'au prix d'une dégradation des conditions de pérennité.
Maintenant, on ne peut comprendre le mythe comme sortie de la religion que si l'on comprend pourquoi l'on est sorti de la religion et ce qu'était la religion. Transcendantalisme. Qu'est-ce que le transcendantalisme et pourquoi en est-on sorti? Expliquer la partie par le tout n'est possible que si :
1) l'on part du principe qu'il faut une prolongation;
2) l'on part du principe connexe qu'il faut une limitation.
La prolongation est le moyen de parvenir à l'unité. Cette prolongation en régime transcendantaliste s'exprime par le Même ou la répétition. Les polythéistes conçoivent le Même morcelé, quand les monothéistes postulent le Même unique et unifié. Problème : le Même morcelé était l'expression la plus authentique en ce qu'il intégrait en son champ la différence, mais il n'est plus envisageable depuis le retournement monothéiste engendré par l'unification de l'homme. Quant au monothéisme, il se pare du prolongement le plus conséquent, mais son prolongement subit une certaine contradiction : l'Etre étant parfait, comment se fait-il que sa complétude souffre de l'incomplétude?
La fausse grande philosophe Simone Weill l'a rappelé avec pertinence et a montré à quel point de contradiction se trouvaient le monothéisme et sa petite soeur la philosophie. Simone Weill qui appartient au club des trois mille plus grands philosophes du vingtième siècle, et qui a le bon goût de cumuler des origines juives et une foi chrétienne, la brillante Weill s'interroge sur ce Dieu parfait qui aurait créé on ne sait trop pourquoi l'imperfection et l'incomplétude sensibles.
L'unité monothéiste est ainsi le signe de l'affaiblissement, pas celui de l'amélioration. Dans le polythéisme, l'unité existait déjà. L'unité monothéiste est seulement une unification qui résulte d'un renversement et qui consiste à travestir la différence en répétition. A partir du moment où le monde de l'homme se trouve dépassé, l'équilibre transcendantaliste est rompu. L'équilibre n'est possible qu'à la condition que l'homme puisse limiter.
Tant qu'il limitait le reél au monde de l'homme, tant que les tribus étaient l'intériorité et le reél le monde de l'homme, l'unité tenait la route parce qu'elle s'appuyait sur la limitation. L'infini était limité, c'est-à-dire que l'infini était appréhendé par l'homme. Certes, limiter l'infini est en contradiction, mais cette contradiction était aisément réfutable par la production du système polythéiste stable. D'ailleurs, l'objection du nihilisme n'est pas récente.
Elle est constitutive de l'homme. Le nihilisme constitue une vraie objection : comment ne pas postuler le néant sachant que l'homme est contraint de limiter pour connaître? L'inconnaissable n'est-il pas au fond l'infini? Et partant, l'infini n'est-il pas plutôt le néant que ce prolongement curieux du divin? Divin morcelé ou Dieu unifié, c'est kif kif pour le nihiliste. C'est même mieux en régime monothéiste car les contradictions sont plus flagrantes.
L'objection nihiliste acquiert même une portée plus impressionnante sous le monothéisme, qui ne se remettra jamais tout à fait de son couronnement autoproclamé. Le coup de force polythéiste consistait à unifier le multiple? Le coup de force monothéiste opère une gradation dans la contradiction en unifiant dans l'unité. La limite du monothéisme se situe dans la limite du monde de l'homme, étant entendu que limiter Dieu est une tentation assez spécieuse.
C'est libérer l'espace considérable du néant que de limiter Dieu. L'erreur vient précisément du statut de la différence, qui passe du fini à l'infini et qui du coup devient unique au lieu de morcelée. L'unité du reél n'est que difficilement compatible avec la différence unique. L'unicité de la différence, c'est l'incompatibilité du changement et de l'infini. Ce qui change tout le temps n'est pas compatible avec l'unité, alors que l'unité passe mieux avec la répétition, qui a l'avantage d'une certaine stabilité.
Le transcendantalisme essaye de concilier le reél avec la partie, la souffrance de la partie de passer à côté du tout. Cette soif de limiter est tout à fait compréhensible, car on ne peut comprendre d'un point de vue fini sans limite. Il faut comprendre que le postulat initial de l'homme est une optique anthropomorphique. L'homme part de ce qu'il connaît, le sensible, et il prolonge pour mieux limiter. C'est-à-dire qu'il limite l'infini à partir de sa propre limite et selon les critères de sa limite.
En conférant à la différence le statut unique de divin, le monothéisme concède sa grande instabilité, en lieu et place de la stabilité polythéiste, puisque le changement fait divin, c'est l'instabilité. Essayer de conserver l'identité intérieure (le sensible même) tient de la gageure et ce n'est pas en interdisant les sacrifices que l'on enraye le bouleversement en tant que paroxysme du changement. Essayer de limiter le changement n'est pas un programme viable, d'autant qu'on condamne le transcendantalisme à la fin du programme monothéiste.
La fin du monothéisme, nous y sommes : l'homme est parvenu à la fin de son unité et désormais la mondialisation qui s'arrête au mondialisme, c'est le spectre du nihilisme qui frappe de plus ne plus violemment. L'immanentisme : voilà un moment que nous y sommes, mais il faudrait être myope pour ne pas apercevoir désormais que quelque chose cloche et que ce qui cloche cloche de plus en plus. Carillon.
Il est normal que la partie ne puisse postuler l'unité qu'à partir de son deux constitutif, car le propre de la partie consiste précisément à être partie - finie : en ce sens, la partie a toujours affaire au tout. Il est instructif et intéressant que la partie pour commencer son dualisme nécessaire et fondamental (au sens où l'homme ne peut postuler l'unité sans le socle du dualisme) ait recours à la différence sensible. C'est que la première expérience se l'homme réside dans le changement et que le changement est associé au morcèlement.
Le besoin de stabilité de l'homme le pousse à diviniser et extérioriser le même. Extérioriser et totaliser, puisque le divin se trouve être l'universel. De ce point de vue, le monothéisme sonne comme le besoin de changement : l'homme sent que sa structure profonde consiste à constamment changer, soit à approfondir et agrandir son territoire. Territoire géographique : l'homme contrôle de plus en plus de reél (sensible). Territoire mental : l'homme connaît autre chose que le fini.
Le transcendantalisme est vraiment cette opération qui consiste à unifier en finitudisant. Je n'aime pas beaucoup ce néologisme un peu ontologisant, mais la finitudisation est vraiment la grande caractéristique du transcendantalisme. Maintenant que nous sommes au bout de ce parcours, qui est le parcours du premier homme, soit de l'homme terrien, maintenant que nous nullement mythomanes nommons mythes, dans un sens plutôt positif et non-religieux, les récits religieux, maintenant que nous nous dirigeons vers l'espace, seul moyen de sauver l'espèce, en premier lieu du mondialisme, en vérité de l'immanentisme, maintenant il est temps de proposer la suite religieuse du transcendantalisme.
Rappelez-vous que l'homme sans religion est comme le monde sans soleil : un rien grillé et amorphe, perdu dans un désert de perdition. Condamné à la disparition. Con et damné. C'est l'état débilitant du nihilisme. Laisser l'homme en proie au nihilisme, c'est lâcher un homme avec une gourde d'eau en plein désert. La mort assurée. Assumée? Assumez. L'homme a de la ressource. Il a les pouvoirs de revivifier les mythes, de redonner de la portée et de la vie au religieux.
Le religieux vous semble ringard, dépassé - de mode. Passez de monde. C'est que vous êtes nihiliste, à tout le moins que vous sacrifiez (c'est le cas de le dire) à la mode nihiliste. Il est évident que les nihilistes sont des sectateurs qui s'ignorent - et qui s'adorent. La mode imprègne de manière diffuse ceux qui ne s'en rendent pas compte, d'autant que la mode immanentiste consiste à s'incruster en premier lieu chez les rebelles.
Au moins le nihilisme a-t-il un avantage : nous mettre face au néant. L'Etre n'était plus adapté à l'être. Le néant nihiliste pas davantage. Quel néant pour le religieux? Comment échapper au dualisme nihiliste véritable, qui se présente sous les atours du monisme impudent et qui condamne sous la plume de Spinoza l'anthropomorphisme? Rosset s'empresse d'emboîter le pas, au nom de l'admiration qu'il voue à ses trois maîtres patentés, Lucrèce, Spinoza et Nieztsche.
Et la question pour restaurer le religieux est de trouver une succession au transcendantalisme. Pas au monothéisme. Transcendantalisme. L'Etre est dépassé, et derrière la question de l'Etre, c'est la question du transcendantalisme. Dépassez : peut-on continuer à penser le reél en termes anthropomorphiques de prolongement et de limite? Peut-on continuer à limiter l'infini en termes de prolongement? Questions qui importent : il convient d'affronter.

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