vendredi 30 juillet 2010

La loi du désir

Si l'on cherche une définition du désir comme résultante d'un processus, on tombe sur cette proposition :
désir = destruction.
On pourrait tout aussi bien ajouter, suite à la définition du réel comme le partiel, que le désir est la coupure ou encore la fragmentation (opérée dans le réel entre le monde de l'homme et ce qui lui est extérieur, bientôt étranger, voire étrange).
Derrière cette définition, on part d'une remarque sombre, quoique irréfutable : pourquoi le désir humain détruit-il si spécifiquement? Les immanentistes depuis Spinoza répondront que le moyen de parer à cette constante sera de muter le désir, en passant de sa définition classique d'incomplétude à la complétude épanouie (irrationnelle). Malheureusement, cette proposition se heurte à l'échec, tout comme la tentative nietzschéenne de mutation ontologique (du désir au délire, il n'y a qu'un pas).
D'où le retour de la question - lancinante - et son constat : si la loi du désir est la loi du partiel, c'est que cette loi se révèle plus fragile que la raison. Historiquement, la loi de la raison est la loi de l'universel en tant qu'elle cherche l'universel. La raison est une démarche incomplète qui décrète que la connaissance imparfaite est toujours possible. Au contraire, la loi du désir détruit ce qui sort de son territoire, d'où une destruction rapide des projets qui, lorsqu'ils sont formulés autour du désir, se révèlent de stratégie à court terme.
La loi du désir est encore plus destructrice chez l'homme que chez l'animal du fait de la raison, spécificité humaine : quand l'animal se révèle plus destructible (fragile) du fait de sa stabilité, l'homme se montre capable d'évoluer. Cette évolution comporte deux corolaires :
1) La faculté d'évolution de l'homme passe par l'agrandissement obligé et constant de son territoire géographique.
2) Si l'homme refuse son agrandissement constant (selon une loi irréfutable qui réfute l'entropie au niveau ontologique), il est condamné à dépérir et à disparaître, contrairement à l'actuelle vulgate de la décroissance qui, maîtrisée ou pas, légitime le déclin de l'homme derrière le déclin idéologique du libéralisme.

jeudi 29 juillet 2010

L'été de tous les dangers

http://www.francesoir.fr/culture-justice-people/bhl-c-est-parce-que-polanski-est-polanski-que-l-s-est-acharne-comme-ca-sur-lui

Dans cette nouvelle, le sympathique intellectuel engagé BHL défend le merveilleux réalisateur Polanski qu'il a sorti quasiment seul des griffes immondes du cachot suisse d'obédience floridienne. S'il n'est pas de bon ton de pointer du doigt le communautarisme exacerbé (un juif sioniste défend un juif sioniste?), BHL verse dans le droit oligarchique : dans un remarquable effort de projection, notre propagandiste atlantiste (de tendance sioniste) ne se rend même plus compte que la justice à deux vitesses qu'il fustige est précisément celle qu'il défend.
Dénoncer la justice à deux vitesses qui dessert les opprimés est un réflexe sain (quoiqu'il puisse être le cas échéant faux aussi); se réclamer de cette ligne de défense (de défonce?) pour soutenir un riche et célèbre réalisateur est d'un cocasse exacerbé. BHL a tellement propagé des mythes mythomanes qu'à présent il dérape violemment - de plus en plus. En guise d'intellectuel voltairien avocat des causes les plus justes et les plus injustement engagées, il en vient à défendre les causes les plus oligarchiques qui soient. Donc les plus injustes et injustifiables. Il se montre juste dans la reconnaissance (perverse) du droit oligarchique : tout ce qui n'appartient pas aux cohortes oligarchiques (dont il fait partie) est exclu de sa verve (boudinée) de sophiste propagandiste (au service de la cause atlantiste).
Polanski qui appartient aux fameuses cohortes mondialistes et apatrides (un Français polonais d'origine religieuse juive, possédant un luxueux chalet dans une fameuse station de ski suisse et frappé d'interdiction de territoire américain...) se trouve traité comme un familier, un intime, un égal alors que les deux hommes se connaissent sans doute de très loin, peut-être pas du tout : dans un de ces élans de générosité si spécieuse dont il a le secret, du moins en France, BHL estime que tous les hommes sont frères à condition que ces hommes soient des oligarques. Cette confusion mentale qui est fort embarrassante pour son auteur (fort peu garant et fort égarant) lui fait confondre la défense de causes injustement condamnées avec celles de causes justement condamnées. Polanski a injustement échappé à la justice américaine pendant trente ans après avoir injustement drogué une adolescente pour mieux la violer.
Cet égarement mental (plus que moral) de BHL n'indique nullement qu'il soit favorable à la cause du viol hollywoodien de tendance sataniste. S'il défend le célèbre cinéaste Polanski, c'est que ce dernier, justement, est célèbre. BHL défend le principe de l'inégalitarisme contenu dans l'oligarchie. Remettons quelques vérités en place : si la perversion est le fait de retourner le sens, alors notre BHL est profondément pervers. Son succès indique la perversion des mentalités françaises qui le lisent (de moins en moins) et qui le louent (de moins en moins aussi). Cette perversion est de facture ontologique plus encore que logique. Encore un de ces sophistes contemporains, entre intellectuels, experts et historiens de la philosophie? Encore un apôtre du droit du plus fort - en l'occurrence celui de Polanski? Vivement que l'ordre change, puisque cet ordre se révèle si gangrené et pour que (spécifiquement) ce genre d'énergumènes disparaisse des médias (tant il est certain que sa postérité intellectuelle est d'ores et déjà caduque).
Dans le même moment, l'inoubliable Élisabeth Levy, que l'ironie historique rend homonyme de ce grandiose et grandiloquent propagandiste français, intervient de plus en plus dans les médias français pour délivrer une parole de plus en plus dure.



Ne nous y trompons pas : si en France BHL se présente comme intellectuel de gauche, alors qu'il est un ultra-libéral de gauche, tendance DSK ou FMI, Élisabeth quant à elle est le porte-parole implicite des intérêts du CRIF (l'idéologie sioniste en France) depuis l'avènement de son ami Prasquier à sa tête - et en Israël depuis l'élection de Netanyahu.
Avant, on pouvait encore se demander si la reine Élisabeth était de gauche ou de droite (les localisations politiques ayant perdu de leur netteté et de leur précision depuis que Mitterrand s'est déclaré socialiste). Mais cette intervention suffit à souligner le fait symptomatique que la ligne sioniste dans le monde suit de plus en plus la gradation de la violence. Tout se passe comme si le sionisme était la sous-idéologie (fort pragmatique et fort désaxée) qui suivait la courbe de l'idéologie dominante libérale, de plus en plus ultra et de moins en moins axée par rapport à la liberté (de ce fait elle aussi désaxée).
Le libéralisme s'effondre, devenant de plus en plus extrémiste et violent? Le sionisme fait de même. Le sionisme est un merveilleux indicateur de l'état du libéralisme. Comme le libéralisme constitue à l'heure actuelle (pour peu de temps encore) l'idéologie dominante de la politique mondiale (réduite aux échanges commerciaux), le sionisme est un précieux et fidèle indicateur de l'état du monde. Et notre Élisabeth Lévy est en France, de manière métonymique, un baromètre infaillible du sionisme, du libéralisme et du monde.
Le moins qu'on puisse constater si l'on s'en tient à ce qu'elle dit, c'est que tous ces éléments ne doivent pas aller fort en ce moment. Élisabeth se montre va-t-en-guerre acharné, faucon inconditionnel, comme si l'escalade de la violence était en mesure d'enrayer l'escalade de la violence. Alors que ce sont les méthodes du libéralisme qui s'effondrent et font monter la violence (par la baisse du niveau de vie et ce qu'on nomme la crise économique pour l'altérer et cacher qu'il s'agit d'une crise systémique fatale). Élisabeth est sans doute aveuglée par le mythe totalitaire (quoique dénié) de la complétude du libéralisme.
Elle juge à l'intérieur du libéralisme en prenant le libéralisme pour la totalité indépassable (vivent Fukuyama et consorts!). Son engagement lui laisse entendre que sa cause serait pertinente. Il suffit de l'entendre crier comme elle s'exprime pour saisir qu'elle défend le droit du plus fort à castagner le plus faible. C'est ce que font de manière suicidaire et irresponsable les Israéliens en ce moment. Netanyahu incarne une action politique encore plus extrémiste que celle (déjà passablement extrémiste) des néoconservateurs. Netanyahu est de par sa filiation idéologique et familiale un fasciste qui n'a guère changé d'orientation politique depuis sa jeunesse.
Élisabeth se trouve le porte-parole d'intérêts qui aussi scandaleuse puisse paraître cette affirmation lorgnent en direction du fascisme historique, qui lui aussi se révélait va-t-en guerre, virulent, simpliste et triomphateur. Le verbe virulent et peu nuancé que déploie Élisabeth est celui de la fuite en avant. Mouchée il y a peu sur un plateau de télévision par l'ancien ministre Dumas qui lui reprochait de ne rien comprendre et de vouloir supprimer tous ses opposants en guise de solution à ses problèmes croissants, Élisabeth accorde à ces diagnostics une confirmation aussi drôle que funeste quelques semaines plus tard. La voilà qui réclame à corps et à cris l'envoie de forces armées dans les banlieues pour rétablir l'ordre.
C'est une réaction moins stupide que suicidaire : toujours l'emploi de la gradation pour justifier la gradation. La violence contre la violence. Cette conduite irresponsable rappelle la souris qui ayant absorbé des drogues tonifiantes se débat dans tous les sens dans sa cage au point de perdre affolée tout sens de l'orientation et de substituer à la lucidité l'agitation. Il faudra murmurer à l'oreille délicate d'Élisabeth que ce n'est pas parce qu'elle s'exprime à toute vitesse qu'elle a raison. Il est même possible que cette manie verbale désigne l'imbécilité d'un genre particulier : de ceux qui révèlent leur médiocrité fondamentale à l'intérieur d'une excellence formelle - l'excellence académique définissant la médiocrité créatrice.
Mais il se pourrait bien qu'Élisabeth écoute ses contradicteurs. Elle aurait écouté Roland Dumas bien qu'il ait laissé entendre qu'elle disposait de facultés limitées. Après avoir menacé sans vergogne de lui balancer un verre d'eau à la figure, elle a évolué dans sa conception de la guerre : avant, elle voyait la guerre omniprésente et inévitable entre Israël et ses voisins; désormais, depuis que Dumas lui a signalé que la guerre allait arriver aussi en Occident, elle voit la guerre partout, y compris dans les banlieues françaises.
Le slogan de notre souriante souris est pratique : il est nivélateur autant que révélateur. Il pourrait fort bien y avoir la guerre d'Israël contre l'Iran ou n'importe quel massacre, l'argumentaire d'Élisabeth est préparé. Vive la guerre! Castagnons, les terroriste,s les extrémistes, les voyous, les caïds! Détruisons sans discernement pour mieux résoudre les problèmes! Sinaï Saint-Denis! Comme Élisabeth est loin d'exprimer son point de vue propre, sans quoi l'on pourrait s'inquiéter d'un certain dérèglement de tous ses sens, elle représente le point de vue sioniste qui représente le point de vue libéral qui domine dans le monde et qui en s'effondrant s'affole, puis choisit l'escalade inconsidérée de la violence.
A ce point? Dans cette hiérarchie, le point de vue emblématique de notre Élisabeth tient à la pasionaria. Pasionaria sioniste? Pasionaria occidentaliste. Nous nous trouvons dans une phase dangereuse de l'histoire au sens où l'Occident est en train de sombrer. Les rumeurs de guerre se font entendre. Ils ont leur avocat sinistre. Cas d'Élisabeth. Les sionistes ont leur part de responsabilité dans cette affaire, vu qu'ils sont partie intégrante de l'impérialisme occidentaliste. Mais ce serait tout à fait réducteur de réduire la responsabilité occidentale à la responsabilité sioniste. Sur le mode : ce sont les sionistes qui gouvernent le monde (donc l'Occident).
Cette déclaration est terriblement réductrice, déformée et amalgamante. Une opération encore plus déformée consiste carrément à amalgamer sionistes et juifs. Du coup, si sionistes = maîtres, comme sionistes = juifs, alors juifs = maîtres. L'on tombe dans le n'importe quoi. Ce n'est pas faux. C'est pire. C'est un moyen commode de trouver un bouc émissaire à peu de frais pour l'Occident. Les crimes de l'impérialisme occidental. Le sionisme est l'arbre qui cache la forêt impérialiste occidentale (de facture britannique). Au lieu de pointer du doigt la terrible responsabilité occidentale, on inverse le problème (cause/conséquence) et l'on rend responsable l'effet au surplus secondaire.
Voilà un exemple de caricature qui flirte avec la judéophobie, souvent improprement appelée antisémitisme (alors que les Sémites loin d'être des juifs sont dans leur immense majorité des Arabes) pour mieux brouiller les pistes (mieux que des Sémites, les juifs sont les Sémites, un peuple avec une terre). Si l'on veut vraiment rétablir la hiérarchie de l'impérialisme actuel, qui émane de l'Empire britannique et dont les relais se trouvèrent parmi les impérialismes européens, s'en prendre aux juifs relève de la supercherie plus que de la haine (encore).
Un exemple patent sur le site Internet d'un think tank proche du FN, Égalité et Réconciliation, qui met un article en ligne pour incriminer le mondialisme bancaire exacerbé d'Attali. Jusqu'à cette remarque, rien à redire (pour tout esprit honnête du moins), tant il est certain que le sieur Jacques participe à des mouvances financières proches de la mentalité synarchique et à des institutions dont le centre identitaire (différant) se situe à la City de Londres. Que l'on rapproche les origines juives et l'engagement sioniste d'Attali de son combat passerait encore pour de la documentation factuelle, jusqu'au moment où l'on explique les positions mondialistes d'Attali par son judaïsme (qui plus est amalgamé à son sionisme) :
http://www.egaliteetreconciliation.fr/JACQUES-ATTALI-prophete-du-Nouvel-Ordre-Mondial-3777.html
Après la lecture faussement documentée, on ne comprend plus rien au problème. Comme Élisabeth, mais dans un sens sensiblement inverse. On suit une fausse piste et, pire encore, par ces temps de crise systémique, on trouve une mauvaise cause qui sert de fausse explication et de parfait (idéal) bouc émissaire. Si l'on veut rétablir la vérité, le sionisme est emblématique de l'impérialisme britannique pour la raison (historique) qu'il a été promu dès ses limbes par les financiers de la City de Londres (dont les emblématiques quoique parcellaires banquiers Rothschild). Le sionisme peut constituer un excellent baromètre de l'état du système, notamment financier, à condition que l'on rétablisse le lien exact de causalité : les sionistes en antique sous-idéologie sont les conséquences de l'idéologie dominante et impérialiste de facture libérale.
Selon cette grille de lecture, il est ahurissant de considérer que le problème actuel (la crise systémique et l'effondrement économique, politique et culturel) proviendrait des sionistes (dont l'idéologie sous-libérale actuelle se trouve qui plus est amalgamée de manière grossière à la religion juive). Sans doute les sionistes ont-ils dépassé les bornes depuis l'assassinat de Rabin, sans doute l'argumentaire dévoyé de ses représentants le rend encore plus insupportable, mais c'est justement dans l'injustice qu'il convient de faire montre du maximum de justice.
Tant qu'on ne comprend pas que le problème n'est pas le sionisme, mais l'impérialisme britannique dont le sionisme n'est qu'une devanture satrapique (avec son incarnation territoriale Israël), on passe à côté du problème. Tant qu'on ne résoudra pas le problème de l'impérialisme britannique, on ne pourra résoudre aucun des problèmes afférents et inférieurs, à commencer par la gradation de l'extrémisme (la fuite en avant) du parti sioniste. Il est de bon ton de se gausser des rodomontades des Lévy pré-cités ou des billevesées incontrôlées de leur cousin (idéologique) Finkielkraut, mais le problème n'est pas là.
Ces représentants personnifient jusqu'à la nausée la gradation du problème, mais ils ne sont pas le problème. Le problème tient dans l'impérialisme britannique, dont le libéralisme est l'idéologie de façade censée légitimer l'aspect rationnement indéfendable (le droit du plus fort d'un point de vue commercial). Les représentants sionistes sont au plus d'excellents indicateurs de l'affolement de la boussole centrale - je veux dire : de l'impérialisme britannique. Il est conséquent que les satrapies s'affolent quand la capitale de l'Empire s'effondre. Cet affolement prend la forme (sioniste notamment) d'un extrémisme croissant et inéluctable, qui légitime la guerre de tous contre tous, dans un schéma hérité de Hobbes.
Hobbes : vous savez? Le vieil idéologue de l'Empire britannique classique, de facture politique, qui théorise de manière franche la domination que son pendant Locke travestira derrière le masque d'un certain vernis progressiste et modéré. De ce point de vue, dans la sous-division du sionisme français, Élisabeth serait plus proche de Hobbes, quand Bernard-Henri approcherait de Locke (sans vilain jeu de mots). Oublions les fausses pistes, les impasses, les chausses-trappes, les pièges à rats. Nous nous situons au moment où l'Empire britannique est en passe de délocaliser son fonctionnement.
Comme il l'a déjà fait en déménageant de Venise vers les Provinces-Unies (la Hollande), puis la City de Londres (l'Empire britannique), cet Empire qui historiquement et géographiquement n'est pas spécifiquement britannique (il était méditerranéen, il est mondial) envisage dès à présent de se (re)centrer dans une localité plus prospère à partir de laquelle il pourra dévorer et piller (tel le pirate de la Couronne sir Francis Drake) la partie du monde globalisé qu'il n'a pas encore dévastée : la zone transpacifique - vu que la zone transatlantique a été ravagée par ses bons soins.
Stratégiquement, c'est de cette réalité fondamentale qu'il convient de s'inquiéter. Les jérémiades (c'est le cas de le dire) de porte-paroles sionistes aveuglés n'ont guère d'autre intérêt que de nous offrir le son de cloche d'une satrapie qui se montre des plus inquiètes pour son avenir, sentant la fin de l'Empire qui la soutient advenir. Il est certain qu'Israël étant un terrain de lutte des plus instables (d'où sa création) ne sera pas la nouvelle capitale de l'impérialisme mondialiste. Du coup, les sionistes craignent d'être lâchés après avoir été promus par les mêmes moyens arbitraires. L'arbitraire : vous savez, la loi du désir. La loi de l'Empire. La loi (physique et méta) que prétendait suivre Newton.

dimanche 25 juillet 2010

Le mythe de la complétude

Plus l'impérialisme gagne en domination, plus sa domination s'approche de la fin : l'impérialisme a pour but de s'installer à l'intérieur d'un principe et de le décréter entier (complet). Mais cette complétude est d'autant plus explicitée qu'elle est moribonde. L'impérialisme gagne en toute-puissance et en arrogance (sentiment de la croissance de sa puissance) à mesure qu'il s'effondre. Cette erreur d'optique découle de son erreur ontologique : ce qu'il prend pour le réel est la partie. De ce point de vue, l'ontologie nihiliste s'explicite au fur et à mesure de son effondrement.
Ce qu'elle considère comme son amélioration ou sa progression est en réalité l'expression de son erreur : plus l'impérialisme gagne en force, plus c'est le signe (inattendu) qu'il s'effondre. Car la force croissante de l'impérialisme revient à maîtriser (dominer) de plus en plus adéquatement un certain ordre, qu'il tient fallacieusement pour l'ensemble (du réel), alors que cette maîtrise ne fait qu'accélérer son effondrement. Déjà que la fixité est intenable dans la démarche humaine, alors l'ontologie nihiliste (et son application impérialiste) ne fait qu'accroître cette fixité par l'adjonction du facteur domination.
Dans l'évolution du processus nihiliste qui suit l'emprise croissante sur un certain ordre, les débuts de l'expression nihiliste se font de manière timide. Géographiquement, l'empire balbutiant occupe une place régionale ou locale (l'Empire perse sous Aristote), même si les empereurs (ou titres équivalents) se décrètent maîtres du monde. Ontologiquement, il s'agit de promouvoir l'idée de finitude : la connaissance nihiliste étant encore naissante, elle peut concilier la finitude et la connaissance. Plus la connaissance croît, plus la naïveté de cette définition apparaît.
Du coup, la modération s'atténue. Un Aristote propose le réel fini dans la mesure où il intervient juste après son maître Platon et qu'il ne peut pas explicitement contredire les options (ontologiques et politiques) de Platon. Du coup, il a tendance à proposer un compromis (impossible) entre l'erreur et la lucidité (l'élan vers la vérité) : entre le nihilisme et le transcendantalisme. Le compromis est impératif car, surtout en temps de crise, le nihilisme pur apparaît comme l'expression de l'erreur : confronté à l'option nihiliste, l'individu plongé dans la crise reconnaît l'étendue de l'erreur. L'avènement d'un Aristote manifeste la régénérescence du nihilisme à l'intérieur d'un nouvel ordre, qui prend la suite de l'ancien ordre - obsolète.
C'est l'ordre monothéiste qui succède à l'ordre polythéiste. Si Platon sanctionne la nouvelle ontologie, l'aristotélisme lance la domination à l'intérieur de l'ordre monothéiste (historiquement, cette innovation semble la permanence des formes précédentes et l'est d'une certaine manière). Quelle est la spécificité de l'impérialisme de la phase monothéiste? Si le monothéisme sanctionne l'unification de l'homme, l'impérialisme domine une région politique plus vaste. Cet impérialisme est inclus entre l'impérialisme régional (l'Empire perse par exemple) et l'impérialisme mondialisé (l'Empire britannique et son hypothétique successeur, que l'on pourrait localiser en Asie).
Le nihilisme ontologique qui sous-tend cet impérialisme reprend un cycle qui s'est manifesté depuis l'origine (inconnue) de la culture. Le nihilisme survient avant sa réponse religieuse classique au sens où le religieux serait ce qui construit l'homme et lui assure une viabilité. Le propre du religieux de type antinihiliste (spécifiquement sous sa forme transcendantaliste) est de proposer une progression de l'homme, ce qui indique que l'espèce humaine présente la spécificité de changer. Depuis le polythéisme jusqu'au monothéisme, le projet religieux consiste à unifier l'homme depuis un point de vue religieux (ontologique sous sa forme philosophique) jusqu'à une application politique (de type géographique).
Mais le propre du nihilisme comme son nom l'indique est absolument fixe, de type tout à fait antiprogressiste. La principale raison pour laquelle le transcendantalisme est historiquement une réaction au nihilisme initial tient à un motif théorique. Si l'on examine la démarche nihiliste, le processus voué à la fin est annoncé de manière programmatique dès sa définition : le néant en tant que conception positive, soit la destruction. Si le néant n'existe pas, n'en déplaise à Gorgias et selon une définition profonde et simple de Leibniz, c'est que ce que l'on nomme néant est autre chose que du néant.
La fixité du nihilisme revient sous toutes ses formes historiques. Alors que la caractéristique d'un principe est d'agrandir l'ordre, la caractéristique du nihilisme est de figer l'ordre d'un principe pour en faire l'expression déformée et grotesque du réel. Dans cette configuration, le nihilisme manifeste le même processus que celui qui court d'Aristote à nos jours (en passant par Spinoza). Ce que j'ai appelé immanentisme en référence au système ontologique mis sur pied par Spinoza le saint (un cartésien radical) n'est que le processus de gradation du nihilisme dont les revendications axiomatiques croissent à mesure qu'il perd en puissance.
Quand on se demande quelle est la différence entre finitude et complétude, la seule distinction définitoire tient à la gradation : la finitude comprend en son sens la complétude, mais l'explicitation de la complétude indique le processus de gradation du nihilisme à l'intérieur de son processus (la dégradation si l'on en sort, de manière externe). La définition finaliste (selon le vocabulaire aristotélicien) de la complétude implique que ce qui compte le plus est moins la finitude que l'intégralité. Il s'agit moins de connaître le tout que de décréter que l'on détient enfin l'ensemble sans souci de cohérence.
La ruse qu'utilise le nihilisme s'exprime moins par la finitude que par le sens profond de complétude : ce qui achevé, terminé. En ce sens partial, qui fait du partiel le total, il suffit de figer l'incomplet pour le décréter complet. C'est ce qui se produit avec le désir chez Spinoza (et ses suiveurs, dont ce fameux autant que fumeux Nietzsche) : il est certain que le désir exprime le partiel, mais en décrétant que le désir est achevé, on ruse et l'on permet, dans un sophisme remarquable, de décréter que le désir est complet.
Au passage, cette manière de décréter l'arbitraire n'enlève nullement les qualités de l'existence. Les immanentistes entendent que le désir corresponde au réel. Ce faisant, ils définissent le réel comme ce qui est complet, révélant qu'ils ne comprennent rien au réel. Raison pour laquelle l'emblématique Rosset de la période actuelle de l'immanentisme terminal est incapable de définir le réel. Non seulement le réel est ce qui est incomplet, ce qui en dit long sur l'erreur immanentiste, mais le réel est ce qui présente un sens.
Cette définition suffit à discréditer la tentative de Rosset d'expliquer que l'indéfinissable est le fondement de toute philosophie : la supercherie est éventée quand on s'avise que ce n'est pas la même chose de ne pas définir l'ensemble dont on est la part et l'ensemble dont on est le tout (système immanentiste par exemple). Dans le processus nihiliste, la gradation se manifeste par le surgissement de l'épisode immanentiste qui fixe la dégradation du processus dans l'explicitation de son incohérence.
Quand on se meut dans un réel suffisamment flou (inconnu) pour en proposer une définition fausse, on peut agir comme Aristote et se targuer d'apporter un peu de certitude face à l'incertitude de Platon et consorts (du courant transcendantaliste). Mais avec la connaissance quantitativement graduelle du réel, la tentative d'Aristote (et de toute nihiliste originel dans un principe nouveau) finit par s'effondrer. C'est après la révolution de la méthode scientifique expérimentale (moderne) que Spinoza surgit pour fixer l'immanentisme.
La radicalisation du nihilisme est radicalisation du cartésianisme en tant que tentative de reproduire l'aristotélisme dans la modernité (révoquer en doute le savoir pour mieux fixer le savoir neuf et sûr). Face à cette augmentation quantitative de la connaissance (soit à l'intérieur du principe monothéiste), l'effondrement du nihilisme est signé, voire précipité : cette augmentation signifie que le principe monothéiste s'épuise et que le nihilisme est condamné.
Du coup, son sentiment de puissance (pour pasticher la définition hallucinatoire que Spinoza donne de la liberté) se décuple. Il est certain de triompher avec cet accroissement de la connaissance. Spinoza croit sans doute que son ontologie fixe (dans tous les sens du terme) l'accroissement de la connaissance - et non l'effondrement du nihilisme. L'immanentisme cherche à insérer le nihilisme dans la reconnaissance obligé de l'infini.
Le sophisme (terme emblématique) que choisit Spinoza pour ruser de la sorte est l'incréé : du coup, l'infini est d'autant plus reconnu qu'il n'est pas défini. Pour rendre compatible le fixe et l'infini, le fini ne suffit plus. Car le fini dans l'infini est la théorie concurrente du transcendantalisme - et le fini seul ne suffit plus. Dans tous les cas, le fini est incomplet. L'immanentisme choisit de rendre le nihilisme compatible avec l'infini en explicitant la complétude en lieu et place de la finitude.
Du coup, peu importe que l'infini soit : l'important est le complet. Que le fini soit le complet. Entendre : le figé, le fixe, l'achevé. Si le désir (fini) est le fini, l'infini est le superflu. Dans cette logique, le caractère vague et indéfinissable de la définition de l'infini (l'incréé, dont le caractère négatif est emblématique du nihilisme) est tout à fait compatible avec la complétude du fini, soit l'exacerbation du nihilisme. Derrière l'idée que l'immanentisme précise et vient clore le processus nihiliste, on trouve l'idée connexe et nettement plus dérangeante que l'immanentisme vient clore le nihilisme - au sens inavouable où il l'enterre et traduit sa mutation vers le déclin inexorable et fatal.
Dans cette optique où la progression trouve un sens pervers (sens dessus dessous), l'incohérence explique que ce qui semble progresser en réalité s'anéantit. Le néant désigne bien la destruction. La progression - l'anéantissement. La complétude et l'immanence - l'égarement. Quant au principe, le nihilisme a raison : il est fini. Mais le nihilisme a bien plus tort encore : le principe n'est fini que dans la mesure où il est provisoire. Le principe est en constant changement au sens où il peut s'agrandir par étapes. Le processus de changement du principe ne s'exprime pas de manière continue, mais pas saut qualitatif.
En ce que le principe est la fixation de l'infini sur un ordre (fini), la caractéristique première du principe est d'être vouée à la néguentropie. Voilà qui ne fera plaisir ni aux partisans ontologiques de l'entropie, ni aux théoriciens explicites du chaos, mais l'existence des sauts qualitatifs de principes ruine le nihilisme autant qu'elle en explique la vanité. Prendre la partie pour le tout est fort naïf; reste à comprendre que le tout n'existe pas.

jeudi 22 juillet 2010

Pool fiction

Prenez ces deux informations :
http://www.topfoot.com/11301,1/cm-2010-paris-pactole-hors-du-commun-pour-la-francaise-des-jeux-.html
http://www.footballplazza.com/foot-2233-cdm-paul-ce-n-etait-au-final-que-de-la-poulpe-fiction-.html
Dans la première, on apprend que l'organisation d'événements sportifs mondiaux comme la Coupe du monde de football permet de générer des pactoles pour les spéculateurs de la finance. (Cette information est bien mieux documentée dans une brève de l'organisation politique Solidarité et Progrès
http://www.solidariteetprogres.org/article6849.html)
La montée en puissance de ces sociétés de pari dans le milieu sportif traduit l'aggravation directe du principal vice du sport-business-spectacle : le trucage. Il est d'autant plus impératif de truquer le jeu que l'on peut y faire des bénéfices assurés et importants (exorbitants). Le vice indirect qui découle de cette augmentation exponentielle des paris sportifs est le dopage. Le spectacle sportif n'est possible au vu de ses cadences effrénées que par le recours au dopage génétique.
Évidemment, la course au dopage indique l'avenir du sport : la destruction et la casse. On surchauffe le moteur. C'est le problème majeur quand on privilégie la quantité au détriment de la qualité. Dans la seconde, on apprend qu'un engouement incroyable pour un poulpe s'est développé à l'occasion de la Coupe du monde en Afrique du sud. Raison de cet engouement : notre poulpe aurait déterminé avec justesse les victoires importantes de cette Coupe. Un poulpe prophète! Le voyeurisme des spectateurs pour le voyant est sidérant, d'autant que l'on apprend en prime que son âge reposerait sur la supercherie grossière (entre autres supercheries rocambolesques).
Coincée au milieu de ces deux informations, la théorie des jeux se veut une branche mathématique essayant de calculer le mode des probabilités dans le réel. Elle fut développée par von Neumann, un pervers considéré comme un génie des maths, et par un autre désaxé engagé dans les maths, Wiener (plus une tripotée de prix Nobel académistes et brillants). Une citation de Wiener est particulièrement d'actualité. Elle est aussi particulièrement inquiétante : "Tout travailleur qui est en concurrence avec le travail d'esclave doit accepter les conditions économiques du travail esclave".
Cette citation éclaire l'actualité de nos sociétés. Nos sociétés s'élevant avaient aboli l'esclavage. S'effondrant, elles tentent de la légitimer (Wiener en disciple inavouable d'Aristote). Elle concerne au premier chef nos passionnés de paris, esclaves de la société mondialisée de consommation et divertis comme à l'époque romaine par les jeux de cirque (sous une forme plus sophistiquée grâce à la mondialisation et à la technique). La théorie des jeux se fonde sur les théories liées à l'information (notamment Shannon) et l'intelligence artificielle : en gros, l'homme est conçu à partir de modèles plus complexes mais similaires à l'ordinateur. Ce postulat implique que le réel soit d'ordre mécaniste, fixe et fini. Rapportée aux jeux, cette pensée immanentiste instaure le modèle complémentaire (au sens d'un Bohr) entre le joueur et l'organisateur (des jeux) : on se joue des joueurs selon le critère de la loi du plus fort.
Le postulat qui est à l'œuvre derrière la présentation du poulpe-devin est bien connu des zélateurs de ce genre de modèles dans l'Antiquité (le plus fameux restant sans doute la Pythie bourrée de drogues hallucinatoires) : la connaissance rationnelle est impossible. La connaissance irrationnelle équivaut à l'expression de la stupidité : c'est prendre les spectateurs pour des crétins que de leur vendre le coup du poulpe-devin. Et pourquoi pas le pot-de-vin? On mesure la valeur de ces théories réductionnistes du réel : de la bêtise ontologique à l'état pur.
Le cynisme est de mise : les organisateurs de ces jeux profitent de la crédulité des foules et l'exploite de façon éhontée. Le coup du poulpe est énorme (trop gros pour être vrai). La théorie présente derrière cette situation croquignolesque définit ce qu'est la loi du plus fort ou l'irrationnel : la connaissance certaine s'obtient par l'expression du désir. La règle du désir exprime le plus fort au sens où le plus fort est le plus volontaire, le plus désirant. Le plus désirant est le plus désirable. Le plus délirant?
Ce qui est au-delà se trouve qualifié d'absurde et d'inexistant (par un Schopenhauer notamment). Qu'est-ce que cette inexistence? C'est le déni du néant nihiliste, mais si l'on valide l'idée qu'il ne peut y avoir que quelque chose et pas rien, le déni repose sur le caprice. La loi du caprice est la loi du désir selon laquelle on prend ses désirs pour des réalités : on institue de manière fausse (arbitraire) que la partie est le tout (que le désir est le tout).
Ce modèle faux s'exprimait dans l'Antiquité avec plus de modération (dans l'égarement) que depuis l'époque moderne : selon un Aristote, le réel est le fini, alors que si l'on suit les finesses ontologiques de l'immanentiste Spinoza, un cartésien radical, la question n'est pas de savoir si le réel est fini (Spinoza noie le poisson derrière l'écran de fumée de l'incréé, un terme typiquement irrationaliste), mais si le réel est le désir.
Exprimée de cette manière, l'idée peut sembler folle - elle l'est, mais elle n'en est pas moins effective : la complétude du désir revient à reformuler cette réalité en faisant mine de lui accorder quelques nuances et surtout quelques complications la rendant peu accessible et peu compréhensible. La loi du désir est le caprice. Le critère du réel est le plus désirant, ce qui revient, pour parodier Castoriadis, à encourager le plus délirant. Qu'est-ce que le désir? Le désir de néant pose la question : qu'est-ce que le néant?
Qu'est-ce que le chaos? Question qui avait mis Heidegger (éminent ontologue de la fin de l'immanentisme) KO bien avant son adhésion momentanée, quoique jamais réfutée, au nazisme. Le néant ne pouvant être ce qui n'est pas, ce qui n'est pas désigne ce qui est détruit, ce qui est anéanti. Le désir menant au néant, le désir est l'action humaine qui comme fin mène au néant (n'en déplaise aux cirénaïques et même aux épicuriens). Le désir est l'expression partielle. Le problème du désir n'est pas d'être partiel en tant que tel; le problème surgit quand le partiel entend être le complet par un décret non suivi d'effet.
L'action du désir est le partiel. Quand cette action est reconnue lucidement, elle donne lieu à une hypothèse (dans le cadre du transcendantalisme, l'hypothèse donne lieu à la projection). Quand cette action n'est pas reconnue lucidement, elle donne lieu à une erreur (le mythe de la complétude). Dans ce cas, l'erreur initiale se manifeste par la réduction du réel au partiel. Le partiel devient le tout par une opération de magie qui ne change rien et qui relève de l'arbitraire. L'arbitraire est le singulier qui se présente comme l'unicité. C'est le caprice : je décide que je suis l'unité (quand bien même je suis la multiplicité incarnée).
C'est la séduction : je fais croire que je suis la perfection (le tout) alors que je suis imparfait (partiel). Cette manière d'agir rappelle la grenouille qui se prend pour le bœuf. Nous sommes en plein dans la démesure que les Anciens dénonçait tant. Le désir étant ce qui mène à la destruction, il correspond à l'aveuglement. Le désir est ignorant. Raison pour laquelle il désigne le hasard ou s'oppose à la raison. La raison voit dans le sens où la raison (au sens du sens) utilise le sens visuel pour proposer un sens supérieur, qui vient du rationnel et nullement des sens. Les sens sensuels se trouvent inférieurs au sens rationnel.
La loi du plus fort est la loi du désir au sens où le désir est aveugle. L'aveugle ne veut pas dire que le sens visuel seul ne verrait pas, mais que se couper de l'adjonction qualitativement supérieure de la raison est l'aveuglement par excellence (chez l'homme). Le refus de la connaissance rationnelle chez les nihilistes s'explique :
1) parce qu'ils estiment que la connaissance est donnée une fois pour toutes (presque à la manière d'un Aristote);
2) parce qu'ils estiment que la démarche de connaissance rationnelle est inutile ou dégradée par rapport à la connaissance découlant du désir.
Face au spectacle irrationnel de notre poulpe pulpeux, les factions qui vendent les fictions essayent d'éviter au maximum les frictions. Dans le cas du désir partiel, un fonctionnement lucide amène à dépasser le cadre de la connaissance par le désir et à découvrir que la connaissance rationnelle (spécificité humaine jusqu'à plus ample informé) est possible - à condition d'agrandir. Le désir réduit, la raison agrandit. Le désir est la voie de la facilité, la raison est la voix de l'effort. Au moment où le jeu est en train d'envahir les mentalités occidentales, remplaçant le goût de la critique par celui de la servitude, au moment où la Coupe du monde de football nous impose sa fiction du poulpe, il est temps d'ouvrir les yeux (briser l'aveuglement).
Le jeu est l'alibi pour que la grenouille accepte de cuire en douceur. Le jeu est la voix du désir, ce qui en dit long sur l'opinion que ces factions ont des populations : vivre dans le désir, l'immédiat, l'erreur. Estimer que la connaissance rationnelle est impossible, vivre et penser comme des porcs. C'est le titre d'un essai donné par un mathématicien deleuzien qui s'est suicidé fort jeune. On pourrait tout aussi bien parodier : vivre et penser comme des poulpes.

lundi 19 juillet 2010

Outland Empire

La loi du plus fort se révèle d'une grande faiblesse.

La future destination de l'Empire : après Londres, la Chine? Babylone, Delphes, Venise, Londres... Pékin? La future destination est peut-être aussi celle de sa destitution - la dernière? Le propre de l'impérialisme est à la fois de figer un monde imaginaire, tenu fixe, et de détruire le monde qu'il domine. C'est un schéma assez prévisible, qui implique que l'impérialisme refuse le changement et le favorise - à la fois.
- L'impérialisme refuse le changement : le nihilisme (le schéma ontologique qui sous-tend l'impérialisme politique) incline vers la certitude. Cette certitude implique le refus du changement.
- L'impérialisme favorise le changement : paradoxalement. Le nihilisme étant fondé sur la contradiction, il encourage le changement en détruisant. La catégorie essentielle du nihilisme est l'impossible (résumée par l'immanentiste terminal Jankélévitch dans sa définition de la tragédie, alliance du nécessaire et de l'impossible). L'action centrale est la destruction, qui découle en directe ligne de la contradiction.
Dans la configuration occidentale, l'impérialisme a commencé autour de formes donnant lieu à l'Empire perse (Babylone). Puis son action destructrice l'a amené à étendre son territoire et à passer progressivement de l'est de la Méditerranée au centre du bassin méditerranéen (avec notamment les cités-grecques antiques) et surtout par la suite l'Empire romain. On entend souvent que les Romains ont repris le panthéon grec, l'ont transposé à leur culture en intégrant d'autres divinités d'autres peuples conquis. Les Romains n'ont pas que récupéré l'héritage culturel et religieux grec. Aussi bien peut-on considérer que l'impérialisme romain manifeste l'âge d'or de l'impérialisme méditerranéen. Cet impérialisme domine l'ensemble des pays autour de la Méditerranée et commence même à former un début d'Europe impérialiste.
Mais l'action impérialiste détruit : on ne domine qu'en détruisant un champ fini. Peu à peu l'impérialisme s'effondre. L'impérialisme est promis à la disparition. On assiste à un retour des thèses impérialistes et oligarchiques grâce à la tradition aristotélicienne - surtout vers la fin du premier millénaire chrétien. L'éclipse impérialiste relative indique les alternatives pour mettre fin à la menace impérialiste cote le développement humain : en grande partie, et sans l'idéaliser, le christianisme indique cette tentative religieuse du monothéisme de proposer des principes antinihilistes.
L'Islam est le pendant du christianisme et montre que le monothéisme est la riposte que le religieux transcendantaliste trouve pour parer à l'action prédatrice de l'impérialisme qui a connu un âge d'or avec l'Empire romain et qui a profondément menacé la pérennité de la civilisation occidentale. Quoi qu'il en soit, la résurgence politique impérialiste s'incarne autour de Venise. Autant dire qu'elle perpétue l'action romaine, puisqu'elle tente d'étendre l'impérialisme romain à l'Europe du Nord (en gros) en lui donnant une inflexion plus monétariste que géographique. L'impérialisme vénitien est un impérialisme commercial qui indique que les échanges sont en passe de se mondialiser et de dépasser le stade de la Méditerranée.
Surtout l'impérialisme romain a tant détruit les structures politiques strictement méditerranéennes que pour survivre cet impérialisme s'est tourné vers l'Occident et vers le monde (ouverture timide mais effective). Il ne dure d'ailleurs pas très longtemps en tant que structure vénitienne et ne tarde pas à effectuer sa mutation avec la création de l'Empire britannique (sous Jacques premier). Cet Empire devient alors mondialisé avec l'intégration d'autres structures impérialistes européennes comme l'Empire hollandais et à dimension mondiale avec la Compagnie des Indes britanniques qui reprend quasiment l'insigne majorité des Compagnies impérialistes européennes.
Par la suite, si la création des États-Unis d'Amérique par des colons européens revient à créer une république sur le modèle de Solon et de Leibniz, cette exportation du meilleur de la culture européenne n'a pas été sans l'accompagnement funeste du pire : les colons néo-américains fuyaient l'esprit d'oligarchie notamment incarné par la symbolique autant que diabolique dynastie des Habsbourg, mais le principe oligarchique de l'impérialisme britannique les a accompagnés. En témoigne l'affrontement sur fond de guerre civile entre les Sudistes attachés à la tradition britannique et les Nordistes partisans de la tradition républicaine (au sens premier) opposée.
L'actuel triomphe de l'Empire britannique se fait principalement sous le masque de l'impérialisme américain. L'impérialisme d'un État-nation identifiable camoufle l'impérialisme de factions non identifiées. L'impérialisme britannique de type monétariste est ainsi travesti en impérialisme politique fantasmatique. C'est une ruse efficace qui indique que les pirates financiers ont besoin d'une identité politique défaillante comme les coucous ont besoin d'un nid : ce qui à court terme constitue leur force (être non identifiables) devient à plus long terme leur faiblesse (ne pas avoir d'identité autre que différante).
L'impérialisme actuel est de forme mondialisée au point que l'on rende le processus de mondialisation responsable de la crise actuelle gravissime sans s'aviser que le véritable problème n'est pas le processus de mondialisation mais la récupération du processus de mondialisation par l'impérialisme britannique qui le bloque au stade arbitraire et injustifiable du mondialisme. Au cours de ce processus, l'impérialisme qui a commencé sur une partie de la Méditerranée s'est peu à peu étendu au point de gangrener l'ensemble de la Méditerranée, puis l'Occident (par le biais d'une partie des États-Unis notamment), puis le monde.
Cette extension du principe impérialiste n'indique nullement que l'impérialisme soit une forme de gouvernement politique viable, mais que la destruction politique (économique) et physique qu'occasionne l'impérialisme ne laisse le choix qu'à deux possibilités : soit disparaître; soit s'étendre. Bien entendu, l'impérialisme choisit la seconde forme (l'échappatoire) à ceci près que son mode opératoire le condamne à disparaître quand il a trop détruit, comme c'est le cas lors de l'effondrement de l'Empire romain, terrassé par des formes religieuses (et politiques) qui quantitativement étaient au départ largement inférieures, et qui n'ont triomphé que grâce à la supériorité qualitative de leurs principes.
Actuellement, la question à poser sachant que la forme impérialiste britannique s'effondre et est condamnée, du fait de son propre processus de destruction, à disparaître, c'est : et après? Il serait naïf de croire que la forme impérialiste mondialisée actuelle va se poursuivre ad vitam aeternam. L'Empire britannique a déjà fortement muté en passant d'un Empire politique mondial à une forme strictement monétariste mondiale - fort fragile. Cette évolution indique l'affaiblissement de cet impérialisme quoiqu'on puisse estimer que cette crise relève du coup de génie avant-gardiste. Il n'en est rien. L'Empire britannique est condamné à disparaître comme ses devanciers, au premier rang desquels le tout-puissant Empire romain. Par ces temps de crise, la question mérite d'être posée : quelle forme impérialiste succédera à l'impérialisme britannique?
Une hypothèse qui mérite d'être envisagée serait que les factions financières impérialistes qui siègent à la City de Londres déménagent pour rallier l'Asie en développement. A court terme, dans la décennie qui vient, c'est vers l'Asie que le développement se dirige. Après avoir ravagé l'Occident, les factions impérialistes vont peut-être passer de la forme britannique désormais caduque, bientôt désuète, à une forme asiatique qui serait centrée autour du développement chinois. Pourquoi pas le choix de Hong-Kong comme capitale de ce nouvel impérialisme qui indiquerait la transition avec l'Empire britannique (l'ancien comptoir de la Compagnie des Indes britannique rétrocédé en 1999 à son pays d'origine la Chine)?
Et quelle serait la forme de cet impérialisme? Nul doute que les stratèges actuels des factions impérialistes (comme les cabinets d'affaires ou de stratégie) qui ne peuvent pas ne pas avoir envisagé de solution de repli face à la condamnation inéluctable qui frappe la forme britannique ont la tentation à court terme de souscrire au postulat délirant selon lequel le processus de mondialisation a touché à sa fin avec la globalisation mondialiste. Le déménagement de l'impérialisme mondialiste prendrait acte de la fin d'un cycle (le cycle londonien) et instaurerait le départ de nouvelles structures tirant parti des possibilités de développement énormes de la zone transpacifique.
Le pillage de cette zone interviendrait après le pillage de la zone transatlantique d'une radicalité telle qu'elle exige son déplacement. Mais cette mentalité bloque (bugge en langage informatique) contre l'idée d'une fin de la mondialisation arrêtée au mondialisme. La fin du mondialisme est encore plus prévisible que le mondialisme comme fin. La fin de l'impérialisme mondialiste est inéluctable. C'est dire que l'impérialisme à terme se développera soit dans l'espace, soit disparaîtra - sur Terre. On peut fort bien envisager des formes d'impérialisme interplanétaires, lors que le planétarisme concevra des États planétaires à l'échelle des planètes conquises. Cet impérialisme ne ferait que suivre le principe du spatialisme.
Mais c'est une autre affaire et, si l'impérialisme désigne une mentalité qui se développe à l'intérieur des principes, en les mésinterprétant (leur forme interne est déformée en forme absolue immuable et fixe), il convient de se demander ce qu'ont introduit les changements paradigmatiques (tournés vers l'extériorité) pour produire de nouveaux principes, étant entendu que le processus de destruction de l'impérialisme interdit toute possibilité de création.
La création définit le moyen pour l'homme de pérenniser son empreinte. Cette faculté implique que l'homme soit capable d'une adaptation aux conditions environnementales qui dépasse de très loin les autres formes de vivants, en particulier les formes animées. Le moyen qu'a trouvé l'homme est unique dans sa connaissance des formes de vie : c'est d'ajouter du réel au réel. L'homme recèle de pouvoirs (tout à fait rationnels quoiqu'inconnus) qui lui permettent d'avoir accès à l'infini : du coup, son réel est toujours en changement, jamais fixe. L'erreur de l'impérialisme conduit vers l'épuisement : un réel fini est un réel condamné.
C'est la principale et irréfutable critique que l'on peut adresser aux malthusiens, en particulier aux adeptes de la décroissance soi disant morale, anti-impérialiste et critique. Le changement est inscrit dans le mode de fonctionnement de l'homme. Ce changement, spécificité (pour l'instant?) de l'homme, le conduit vers l'espace. Et c'est cette faculté à produire du nouveau, de l'orignal, à intégrer de l'infini dans son ordre (fini) qui définit un principe. La production de nouveaux principes sanctionne un changement d'importance, qui se traduit physiquement par une extension territoriale ou géographique (topographique diront certains structuralistes), théoriquement par la production d'un nouveau principe.
C'est ici qu'il convient d'examiner l'avènement (par exemple) du christianisme au sein de l'Empire romain. Et pourtant l'Empire semblait éternel, indépassable. Et pourtant, le christianisme était le rejeton bancal d'une curieuse religion prônant le monothéisme et le tribalisme. Pourquoi David a-t-il vaincu Goliath? Parce que le christianisme, aussi faible soit-il, a amené sur la scène de l'histoire un nouveau principe. Ce principe était en l'occurrence le monothéisme à tendance universelle (intégration des Gentils à la prophétie juive).
Si l'impérialisme semble être la loi dominante (parfois plurielle et antagoniste) à l'intérieur d'un certain ordre, l'impérialisme est de toute façon condamné par le fait qu'il se trouve incapable, de par sa structure, de produire du changement (un nouveau principe). Il ne peut s'installer qu'à l'intérieur d'un nouvel ordre, avec un processus immuable et tragique : dominer en détruisant. Comme il n'est pas capable de changement, il détruit et ne peut pour se poursuivre que passer d'un endroit à un autre à l'intérieur de cet ordre qu'il détruit.
Il est drolatique de constater que l'impérialisme encourage le changement. Contrairement à l'idée selon laquelle l'impérialisme en s'accrochant à son pouvoir empêche le changement salutaire, l'impérialisme qui suscite la destruction provoque le même effet que la destruction : la destruction engendre la construction, suivant la nature néguentropique du réel. L'idée d'entropie du réel, non pas à un niveau physique limité, mais à un niveau ontologique, n'existe pas : ce qui existe n'est pas entropique.
Le changement est néguentropique : le nouveau engendre l'accroissement de l'ordre vers des états supérieurs. Que la réalité ontologique qui produit ce changement soit non pas le prolongement de l'Être, mais l'enversion néanthéiste, ne change pas le processus qui a été remarqué depuis les débuts (vagues et inconnus) de l'homme : le changement signifie l'accroissement. La décroissance signifie la destruction. Belle morale que cette décroissance! Quant à l'impérialisme, il peut toujours déménager en Asie, entre Pékin, Taïwan - ou je ne sais quelle satrapie de l'Asie du sud-est : sa fuite est vouée à l'échec au sens où dans un monde fini, borné, on se fait toujours rattraper.
Après avoir détruit l'Occident, l'impérialisme envisage une fuite en avant vers l'Asie? L'Empire britannique devenu l'Empire chinois, les financiers s'en moquent : ce qui leur importe est de continuer leurs basses œuvres, pas de défendre une quelconque identité géographique. Mais quoi qu'ils fassent, nos financiers sont voués à la disparition car la fin de leur chemin est inéluctable. A force d'épuiser le monde fini, ils vont disparaître. Leur politique de la terre brûlée se finit avec la fin de la terre. Le seul moyen pour l'homme de trouver une issue est d'agrandir son territoire, soit de se rendre dans l'espace.
Soit l'homme disparaîtrait; soit l'homme se rend dans l'espace. Cette possibilité n'est une gageure que pour les esprits moutonniers (voire réactionnaires) qui estiment que la fin du développement humain coïncide avec les possibilités présentes. Ils oublient que l'homme n'a cessé de changer, d'agrandir son territoire, de croître. Il le fera de nouveau et le changement connote cette faculté de puiser dans l'infini pour en retirer l'énergie nouvelle nécessaire à l'agrandissement. Cette démarche ne se produit pas de manière continue, mais par sauts qualitatifs discontinus.
Les impérialistes sont les adjuvants au changement qu'ils détestent tant. Raison pour laquelle les changements d'importance se produisent toujours (de manière graduelle) lors de crises. Plus la crise est importante, plus le changement promet d'être proportionnel à l'acuité de la crise. La crise traduit l'épuisement d'un système donné engoncé dans sa finitude aveuglée (exacerbée). L'homme retrouve lors des crises la méthode du changement (et l'explication implicite que cette méthode porte) : il suffit pour changer de puiser dans l'infini.
L'infini se trouve à portée de main. Simplement, on oublie cette vérité simple et profonde chaque fois que l'ordre se constitue et qu'il se développe. Raison du développement florissant et récurrent des formes impérialistes à l'intérieur d'un ordre. Dès que cet ordre tend à dépérir, on remet en question l'existence unilatérale de cet ordre fini (considéré comme exclusif par des Aristote ou plus tard, des Spinoza) et l'on retrouve les vertus liées à l'existence de l'infini.
L'on change : quoi qu'il arrive, le processus de tout ordre étant de dépérir, il est de manière connexe de générer le changement. Du coup, le processus de tout impérialisme étant de dépérir, il est de susciter le changement. Il faudrait rencontrer des hauts responsables de l'Empire britannique actuellement en pleine déconfiture, des Lords distingués et des banquiers richissimes, pour leur expliquer qu'ils sont les plus efficaces, quoique paradoxaux, adjuvants au changement. L'impérialisme est anti-impérialiste.
L'autre des caractéristiques est que si l'impérialisme se manifeste chez les plus forts, partisans comme tels de la loi du plus fort (sauf chez ceux qui comprennent que cette loi à court terme est caduque à terme), les changements se produisent chez les plus faibles. On peine souvent à accepter le scandale de l'origine de Jésus, crucifié par les plus forts (les Romains) et apparu chez un obscur peuple méprisé. C'est une leçon - le changement est survenu chez les plus faibles, selon une profonde parole de l'Évangile : les premiers seront les derniers. Si l'on inverse cette juste parole, les premiers seront les derniers.
Les deniers seront les derniers. Aussi bien : les plus faibles sont les plus fiables. C'est ce qu'on constate en ce moment où l'on voit la folie s'emparer des plus forts. Les plus forts sont les plus fats. Que le changement survienne auprès des plus faibles, comme ce fut le cas avec les juifs qui ont universalisé le monothéisme et qui ont par ce principe supérieur renversé l'Empire romain, lequel au moment de la crucifixion de Jésus pouvait apparaître comme aussi indéboulonnable que maléfique (à l'image de notre situation actuelle, où certains esprits pessimismes estiment que l'ordre actuel est aussi pervers qu'indestructible), indique d'ores et déjà :
1) que le changement néguentropique se produit à partir de la diminution ontologique du type de l'enversion;
2) que le changement actuel sera proportionnel à la crise, soit systémique;
3) que le changement se produira auprès des plus faibles parmi l'humanité réunie et mondialisée.
Selon ces constatations, c'est l'Afrique qui portera le renouveau de l'homme par la production et l'incarnation d'un nouveau principe, de facture spatialiste. Il est aussi scandaleux (et savoureux) d'estimer que ce sont les Africains qui vont porter l'homme vers l'espace que de constater que ce sont d'obscurs juifs qui ont amené le renouveau monothéiste. A l'époque on aurait parié sur les Romains; aujourd'hui on miserait sur les Occidentaux zélateurs de l'impérialisme britannique.
Ce ne sont pas les Africains sous leur forme actuelle qui mèneront l'homme du futur dans l'espace. Les Africains d'aujourd'hui sont dans leur ensemble si dégénérés qu'ils ne sont que l'ombre des grands empires et des luxuriantes cultures qu'ils ont portés par le passé. Ce sont des Africains universalisés qui régénéreront non seulement l'Afrique détruite et déstructurée, mais l'humanité dans son ensemble. L'exemple des diasporas africaines en Occident pourrait incarner un excellent point de départ à cette situation. A condition de comprendre qu'il en sera des Africains comme des juifs : ils n'ont incarné le changement qu'en universalisant leur particularisme.
L'universalisme des Africains seul les mènera vers l'espace. D'ici là, le déménagement de l'Empire britannique vers la Chine est bien dérisoire : ils peuvent toujours déménager, au sens propre comme figuré, nos brillants impérialistes ne comprennent pas le réel. Ils ne comprennent du réel que son aspect le plus étriqué et réducteur. La loi du plus fort se révèle d'une grande faiblesse : ceux qui l'adoptent sont des imbéciles promis à l'échec. Si les impérialistes britanniques croient sauver leurs têtes en déménageant en Asie, il faudra leur offrir les œuvres de Confucius pour leur rappeler ce qui attend les irrationalistes. Si l'on est cruel, on leur offrira des écrits de taoïstes, qu'ils s'illusionnent (un peu plus) sur leur sort.

jeudi 15 juillet 2010

Ferry boat

Dans ce cas, la Terre ne tourne pas rond!



Je retranscris de manière aussi fidèle que possible cette discussion télévisée entre Ferry (secondée à peu près par le politologue de la gauche libérale Gauchet) et Todd. Todd n'exprime pas le point de vue du protectionnisme éclairé, contrairement aux allégations éclairées de Ferry Luc, mais d'un protectionnisme éthéré, qui en n'abordant ni l'opposition impérialisme/protectionnisme, ni la question du statut du protectionnisme de nature mondialisée ne peut qu'hypothéquer le protectionnisme sur l'autel d'un libéralisme mondialiste dévoreur de ses enfants (les peuples).

Ferry : si l'on avait dit à Hugo les progrès que l'Occident a faits, Hugo serait tombé de sa chaise : nous vivons dans une époque qui jamais dans l'histoire et la géographie n'a été aussi soucieuse de justice sociale et de droits de l'homme.
Les hommes politiques européens sont mous, c'est la réalité qui est dure.
Dans les dix ans qui viennent, le problème c'est le développement et la concurrence des Chinois et des Indiens (2.5 milliards) par rapport à l'Occident.
Comment faire entrer nos vieux États providences dans la mondialisation sans faire de casse?
Cette question n'est ni de droite ni de gauche. Les dirigeants européens ne sont pas des salauds, mais ont cette question en tête. C'est le cas de Cameron en GB, qui cherche à éviter la catastrophe absolue.
On va perdre 20 à 25 % de nos revenus dans les quinze années qui viennent.
Cette question tient à la dureté de la mondialisation, pas à la droite ou la gauche européennes.
Il faudrait être fou pour croire cette seconde option!
Très pessimiste sur les dix ans qui viennent.

Todd rappelle que les conditions de la globalisation actuelle (la concurrence mondiale) ont été décidées par les élites politiques et économiques occidentales depuis les années 60. La baisse du niveau de vie des populations occidentales a été organisée par ces dirigeants.
Pourquoi le protectionnisme est-il impensable? Question philosophique plus qu'économique.

Ferry : Comment reprendre la main sur le cours du monde?
L'Europe, le G 20, qui est le cockpit du monde?
Ferry n'accepte pas le système mais n'a aucun pouvoir sur les Indiens et les Chinois.

Todd : la région de plus grande puissance économique, c'est l'Europe, pas la Chine et l'Inde.

Ferry : le protectionnisme est difficile, la décroissance introduit la morale dans un système intenable.
Pierre Nora a raison : l'ingouvernabilité des démocraties. Dans un univers globalisé, nous n'avons aucun pouvoir sur le développement de la Chine et de l'Inde.
Les leviers de la politique nationale sont impuissants face aux marchés mondialisés.
Donc le protectionnisme national est impuissant.
Colère de Ferry quand on l'accuse de défaitisme (bordel!).
Ne pas lui prêter des raisonnements stupides.

Selon Gauchet, erreur grossière de calcul : les Européens coûtent trop cher et ne rapportent pas assez par rapport aux Chinois et aux Indiens.

Todd : le problème des dirigeants européens, c'est la folie (par rapport à la rigueur ou aux retraites).

Je ne voudrais pas taper sur Luc Ferry le faux intellectuel, un produit de l'histoire de la philosophie. Produit scolaire, produit académique, produit brillant - produit cassé. Ferry illustre ce que veut dire la médiocrité de l'excellence, la répétition mimétique et diabolique de l'élitisme. Ferry ne comprend rien. Je l'ai déjà noté, je le répète. Il est un oxymore ambulant et un péripatéticien pédant. Avant de me focaliser sur son erreur centrale, j'aimerais relever les principales énormités de son discours.
Quand il ouvre la bouche, tout est faux. Il est le symbole de l'effondrement du niveau intellectuel autant que du système. Il appartient à la cohorte de ces porte-voix d'un modèle idéologique qui se trouve dépassé et déphasé par l'effondrement de ce système. Sans être allé jusqu'aux énormités d'un idéologue comme Fukuyama, qui estimait que la fin de l'histoire était arrivée avec le règne unique du libéralisme, Ferry est un conservateur de la démocratie libérale et laïque qui ne supporte pas l'effondrement du libéralisme.
Du coup, il bascule dans le - pessimisme. Il le dit lui-même : nous nous trouvons condamnés dans la décennie prochaine à un effondrement inéluctable de nos revenus d'Occidentaux. Seule lui importe la question de l'Occident en tant qu'impérialisme. Il disjoncte quand il essaye de trouver une parade à son impasse mentale : l'insulte et l'agressivité. Son juron : "bordel" exprime rien moins que l'état de chaos qui l'anime. Quand il réclame que Todd cesse de lui prêter des raisonnements stupides, Ferry ne s'énerve pas pour rien. Il s'énerve parce qu'il s'aperçoit de l'impensable, de l'inacceptable (selon lui) : qu'il est effectivement stupide. Lui que sa femme et la cohorte germanopratine des intellectuels stipendiés par le système trouvait si intelligent!
Le raisonnement de Ferry est figé, fixe, répétitif, moutonnier, stéréotypé, tel celui d'un bon élève qui connaît par cœur sa leçon consciencieusement apprise (sur le bout des ongles ses auteurs fixes de l'agrégation de philosophie), qui est capables d'idées fixes, pas d'idées neuves. C'est pourtant le moment d'innover : c'est dans un moment de crise que l'on jauge de la valeur des âmes. Les positions qui ont effectivement de la valeur sont celles qui proposent quelque chose de viable (et de neuf) pour faire face à la tempête.
Dans ce cadre, la position de Ferry est remarquable en ce qu'elle est dénuée de propositions : à l'en croire, on ne peut que subir la domination. Domination du réel, domination des hommes. Lui-même s'avoue pessimiste. En réalité, son pessimisme émane d'un impérialisme réaliste. Réaliste en ce qu'il a intégré que le cycle de l'impérialisme menait tôt ou tard (vite) vers l'effondrement et la décrépitude - et qu'il n'y a rien à faire dans le cadre strict de l'impérialisme pour changer la situation. On peut soit accepter les choses, soit changer de cadre. Comme Ferry est farouche partisan du cadre impérialiste, il choisit sans sourciller la position de l'impérialisme conservateur - voire réactionnaire. Il nous explique avec emphase qu'il faut être dur.
Le réel est dur. Les Européens ne sont pas assez durs. Traduction : pas assez impérialistes. Les Europénes sont envisages du simple point de vue des dirigeants : toujours le tropisme oligarchique. Comment appelle-ton l'individu tourné (névrotiquement?) vers le passé? La question que pose Ferry est emblématique de sa manière de ne rien comprendre au cours des choses (d'où l'imposture de sa présence sur un plateau de télévision où il serait venu pour livrer sa réflexion intellectuelle alors qu'il est un excellent médiocre délivrant le message oligarchique occidental en France) : comment selon lui et pour l'Occident reprendre la main sur le cours du monde? Encore de l'impérialisme. Impérialisme à prisme unilatéral : occidental. Les solutions que notre Ferry livre sont centrées sur la problématique européenne, avec comme outil de domination le prévisible G 20, qui est selon ses vues impérialistes le cockpit du monde.
Resterait à trouver le pilote : appel du pied à l'impérialisme de facture occidentaliste. Ferry est démasqué : c'est le point de vue d'un Keynes et de ses épigones (les économistes monétaristes) qu'il reprend, en bon copieur zélé, soit l'impérialisme britannique qui a toujours exigé que le monde soit dirigé, dominé d'une férule de fer - par ses bons soins. Le souci de Ferry porte exclusivement sur l'avenir de l'Europe, ce qui en dit long sur son obsession larvée. Son bouc émissaire tout aussi obsessionnel est la Chine, qu'il allie prudemment à l'Inde pour désigner un ennemi régional asiatique plus large. Ses préoccupation stratégiques rejoignent celles du géopoliticien américain Brzezinski, qui est le conseiller d'Obama et un proche de Kissinger aux États-Unis.
Le progressisme qu'il propose n'est rien d'autre qu'une ruse pour prolonger la domination (l'impérialisme) européenne. La vraie crainte de Ferry concerne moins l'effondrement de cette forme d'impérialisme que son déménagement (inéluctable) vers des contrées plus accueillantes - comme certaines provinces d'Asie du sud est ou la Chine. Luc Ferry exprime le point de vue d'un intellectuel occidental moyen, brillant et mondain, qui se montre fasciné par l'impérialisme à condition que cet impérialisme soit le sien : impérialisme occidental qui est pour le moment britannique et qui pourrait être d'une autre teneur pourvu qu'il demeure occidental. L'obsession de Ferry est de ne pas perdre la main.
Son pessimisme tient moins à l'effondrement de l'impérialisme britannique qu'au fait qu'il puisse quitter l'Occident. Comme tous les intellectuels fascinés par l'impérialisme, Ferry exprime le point de vue (repris par une bonne part des élites) que l'impérialisme est inévitable : soit on domine, soit on est dominé. Mais il convient de subsumer comme dirait Kant, le philosophe que Luc Ferry révère tant, l'erreur centrale que représente Ferry. Cette erreur est couramment répandue chez les intellectuels couronnés des brillants diplômes, mais dénués d'idées, le signe que tous attendent de la haute pensée. Moyennant quoi ces diplômes sanctionnant un champ de savoir délimité, ils indiquent la mauvaise direction de cette pensée finie : la pensée qui cautionne l'impérialisme et qui se manifeste comme soif de domination alliée au nihilisme latent travesti en érudition.
C'est contre cette pédanterie qu'il faut s'élever car ces diplômes considérés comme des bréviaires de création (ce qu'ils ne sauraient être) détruisent la pensée et la création quand ils sont mal considérés (pris pour ce qu'ils ne sont pas dans la hiérarchie des valeurs, eux qui sont assujettis au travail de création). Du coup, les représentants officiels des idées détruisent les idées en les traitant comme de pures répétitions passées. L'historien de la philosophie croit que la philosophie consiste à répéter les idées du passé. Il nie la création alors que le propre de l'idée tient dans la création. L'historien de la philosophie est un commentateur passéiste et dépassé qui croit que le monde est figé; le créateur comprend que le réel étant infini, il ne peut que suivre le changement.
Sans doute peut-on expliquer l'adhésion de Ferry au monde figé par sa formation sclérosante d'historien de la philosophie. C'est rageant d'être un brillant médiocre : car il est d'autant plus dur d'admettre sa médiocrité (la répétition pure) que l'on se trouve paré des plus brillants titres universitaires et de la reconnaissance sociale pour ses facultés intellectuelles. La propre femme de Luc Ferry ne s'extasie-t-elle pas devant son génie de mari? Luc n'a-t-il pas tous les jours la preuve de son excellence en contemplant le luxe dans lequel il vit et la haute tenue sociale de ses intimes (tous nimbés du prestige mondain comme lui)?
A y bien regarder, cette position qui est excellente socialement est à proscrire formellement d'un point de vue idéel qualitatif : n'en déplaise à sa réputation impressionnante et impeccable, Ferry est un piètre philosophe, qui est utilisé du fait de son prestige social par les courants de l'oligarchie pour tenir le discours impérialiste qui convient par temps de crise. C'est triste d'être le porte-parole d'intérêts financiers et de jouer le jeu du perroquet soi-disant objectif et détaché des intérêts et des engagements. On est au mieux un pantin, plus lucidement une marionnette. Ferry accepte son statut parce qu'il n'est pas attiré par les idées, mais par le prestige social des idées.
C'est un arriviste, ce qu'indique sa carrière de politicien dont les cercles de soutien sont impérialistes et oligarchiques. Mais la carrière publique se fonde sur la conception théorique que l'on a du réel. La conception politique de l'impérialisme n'est possible que par une théorie du réel qui soit fixe et figée. Finie. Dans le cas d'un commentateur de philosophie qui répète un savoir gelé, c'est une théorie sclérosée. Ferry s'appuie en tant que commentateur diplômé brillant de philosophie sur l'idée que le monde est fixe.
Le savoir est fixe car le monde est fixe. Dans ce cas, la Terre ne tourne pas rond! On démasque l'imposture travestie en postulat indépassable dans l'idée centrale que développe sans cesse Ferry : non seulement l'impérialisme est indépassable en politique, mais l'expression de la mondialisation est indépassable. Ferry prend le concept de mondialisation dans un sens fixe et figé. La mondialisation (ou la globalisation) est juste à condition de considérer qu'elle constitue la fin ultime du développement de l'humanité. L'homme s'est bloqué une fois pour toutes aux portes closes et indépassables du monde! L'homme est le maître du monde. Le reste du réel est inhumain et inhabitable. Le caractère indépassable de la mondialisation va de pair avec le caractère indépassable de la pensée : on répète depuis Aristote (que Ferry admire fort).
Si l'on entend la mondialisation comme un processus, l'idée de globalisation est présente dès le début de l'histoire (humaine) : la période actuelle n'est qu'une étape transitoire vers l'espace. La conception considérant que cette étape est la fin fige le développement humain à ce stade de mondialisme. On comprend que des impérialistes britanniques propagent cette idée fausse : leur intérêt est de profiter de ce stade qu'ils dominent (plus des pieds que de la tête). En théorie, c'est une idée absurde qui reviendrait à affirmer haut et fort que le présent est devenu l'éternité inchangée et inchangeable.
Luc Ferry propage des idées absurdes. Peut-être y croit-il et sans doute a-t-il intérêt (au sens sensible sinon matériel) à y croire. Il n'empêche qu'en défendant une théorie fausse, il dessert l'Occident qu'il prétend servir et il dessert l'homme (pour un humaniste devenu pessimiste de choc chic ce n'est pas brillant). Il sert quelques factions financières; plus leurs laquais les politiciens et leurs porte-paroles (dont il fait partie). C'est ainsi qu'il dédouane de toutes responsabilités les hommes politiques avec une impudence qui n'est banalisée que par les dérivés d'une époque devenue folle : comme s'il n'existait qu'un type de politique auquel les politiciens devaient se conformer! C'est la négation de la politique et la définition du fatum ou de la nécessité selon les règles de l'asservissement et de l'esclavage incontournables.
Voilà à quoi aboutissent les positions politiques quand elles sont fondées sur des idées fausses. Le préjugé de Ferry concernant la fixité du réel (cette fameuse autant que fumeuse mondialisation figée dans son libéralisme incontrôlable et irrationnel) rejaillit (avec usure) dans son conservatisme exacerbé. Au final, le jugement du protectionniste Todd est juste : effectivement, les dirigeants sont en train de sombrer dans la folie plus encore que la malhonnêteté. Luc Ferry suit ce mouvement. Il le répète. Il suffit de l'écouter pour s'en rendre compte. Est-il possible de tomber si bas, à un niveau intellectuel, mais aussi dans la vulgarité? Tels sont les nihilistes terminaux : des gens exsangues rabâchant des idées épuisées.
(Dans un prochain billet, je traiterai de la questions de Todd Jr. : Pourquoi le protectionnisme est-il impensable? Todd remarque justement qu'il s'agit d'une question plus philosophique qu'économique).

mardi 13 juillet 2010

La Coupe est pleine



Enfin débarrassés de la Coupe du monde de football! Quand on a compris que le football-spectacle-business professionnel était une mouture plus proche du catch que de l'éthique sportive, pourquoi s'enthousiasmer pour des exploits truqués et dopés? Pour apprendre quelques mois plus tard que certains matchs ont été achetés? Pour faire semblant? Dans ce cas, on se situe assez près de l'attitude déglinguée des passagers du Titanic faisant semblant de faire la fête alors qu'ils savent que le navire coule. L'esthétique du spectateur sportif ruisselle une éthique des plus immorales et perverses!
Lors de la finale Espagne/Pays-Bas, je n'ai pu m'empêcher de m'ennuyer en m'astreignant à suivre ce match presque en entier : c'était tendu, certains joueurs surtout néerlandais (pas seulement) se montraient violents, finalement l'Espagne l'aura emporté et certains analystes crient à la victoire du beau jeu et de la morale. Tu te moques de qui? La présence en terre d'Afrique du sud de l'Espagne et des Pays-Bas n'a pu m'empêcher de me désennuyer. L'Afrique du sud est une colonie de l'Empire britannique qui après la décolonisation politique (remplacée par un néo-colonialisme économique et financier des plus virulents) a viré dans un état d'apartheid. Bien des colons blancs, de ces Boers à la prononciation française douteuse par ces temps de crise boursière, venaient des Pays-Bas.
Mais l'Espagne? Dans le domino financier qui s'est instauré depuis la fin des accords de Bretton Woods et le découplage du dollar et de l'or, en gros au début des années 1970, l'Espagne est devenue une terre d'asile pour les financiers postvénitiens de l'Empire britannique (la filiation entre Sarpi et Bacon le philosophe est terrifiante). Au moment où l'Empire britannique s'effondre, l'Afrique du sud, qui est censée incarner l'exemple de la fin du colonialisme, accueille en finale deux fleurons de l'Empire britannique. L'un fondateur, l'autre continuateur. Une cause, une conséquence.
Personne ne dit l'essentiel : les milliards dépensés affaibliront un peu plus ce pays qui vit dans un état de précarité et de violence des plus instables. Laboratoire. C'est la condition humaine que nous réservent nos oligarques impérialistes d'obédience britannique : ramener les peuples des démocraties libérales occidentales d'un revenu moyen républicain et assez égalitaire vers ce genre d'inégalitarisme chaotique. L'Afrique du sud serait-elle le miroir du destin que nous promettent nos élites financières en pleine déconfiture?
Les Africains ne payent-ils pas plein pot pour le pillage de leurs richesses par l'Occident allié à la plupart de leurs dirigeants corrompus? Si le football est le miroir de nos sociétés qui tendent vers le rapport de forces oligarchiques et vers la destruction du pacte républicain, il est ahurissant de constater qu'en pleine explosion du système mondialiste économique, alors que les niveaux de vie sont gravement menacés, que le chômage explose, que la guerre s'emballe, que les droits sociaux sont menacés, que la santé passe à la trappe, l'on se divertit dans tous les sens du terme avec le football.
L'opium du peuple n'est plus la religion si chère (antipathique) à Marx : c'est le sport-spectacle dont le football est le fleuron assuré. Que voyait-on dans les tribunes lors de la finale de la Coupe du monde? Dans le gratin des tribunes il va sans dire. Des têtes royales, des princes et des princesses, des courtisans et des aristocrates. Le football médiatique est un conte de fées dans lequel pour une fois le compte est bon. Vaste programme oligarchique : les peuples y sont représentés par des rois et des reines au sein d'un régime démocratique libéral. Les Pays-Bas sont une monarchie voisine du modèle britannique : officiellement, la démocratie libérale néerlandaise est irréprochable, quasiment avant-gardiste, sauf que sa forme de monarchie parlementaire démocratique libérale la rend dirigée de fait par une oligarchie financière dont la reine Béatrice des Pays-Bas est l'incarnation richissime.
Les élites oligarchiques bataves sont historiquement des membres à part entière de l'Empire britannique, dont elles ont assuré et continuent de consolider (selon leur convenance désaxée) les fondements branlants. C'est ainsi que la reine Béatrice est de surcroît citoyenne britannique en fonction d'une loi désuète, membre d'une association humaniste affiliée au club de Rome et du groupe Bilderberg, qui fut en partie créé par son mari, un aristocrate allemand convaincu de nazisme effréné, ce qui n'est bien entendu pas le cas de sa femme (ni des élites aristo-oligarchiques britanniques). Les liens entre la monarchie britannique et la monarchie néerlandaise sont irréfutables. De l'autre côté, la monarchie espagnole qui encore une fois représente le pays tout en encourageant l'essor de la démocratie libérale. Le célèbre roi Juan Carlos est devenu le symbole royal de cet esprit démocratique si remarquable qu'il a su chasser du pouvoir les démons fascistes et franquistes.
Sauf qu'en ce moment, l'Espagne n'est ni saine, ni sauve. Suave peut-être? L'Espagne est en faillite financière comme la Grèce, l'économie du pays va se délabrer après s'être développée de manière miraculeuse avec l'argent de la spectaculaire spéculation financière, de la tentaculaire spéculation immobilière et de la patibulaire spéculation de la drogue. Tel est le message subliminal qui parcourt les travées du stade ayant l'honneur d'accueillir la finale : dans un pays néo-colonial, les peuples sont représentés par des élites oligarchiques qui les exploitent. Les peuples ne peuvent que se taire et se distraire. Se traire.
Ils sont autorisés vivement à applaudir aux exploits drogués de leurs champions pendant que dans l'ombre les oligarchies agissantes, dont les têtes couronnées ne sont que les ombres furtives, grappillent, exploitent et détruisent. La morale du football commence à surgir tel un fantôme inavouable quand on loue l'ordre inégalitariste du football où les stars sont rétribuées par des millions injustifiables quand la plupart de leurs supporters crèvent de misère (surtout en Afrique). Mais le football représente la morale oligarchique : la plupart sont exploités et vivent dans la misère; une petite élite croule sous l'opulence et les richesses matérielles (seul le matériel existe dans cette mentalité de l'immédiateté).
Les têtes couronnées sont les représentants des ces mentalités oligarchiques dévoyées qui commencent à s'afficher alors que point la crise. Ce n'est pas une crise économique en tant que telle : c'est une crise oligarchique, soit une transition vers le règne globalisé (mondialiste) de l'oligarchie financière dont les centres d'intérêts naviguent entre les paradis fiscaux, la City et ses dérivés géographiques, dont les princes ne sont que des représentants archétypiques. Les sportifs sont au mieux des esclaves riches et célébrés, comme les gladiateurs vedettes de l'époque romaine. Rien de plus : ce sont des galériens. Quel statut oxymorique que celui de galérien fameux!
Quand on a cerné la mentalité oligarchique et impérialiste qui meut le monde du football médiatique, celui de la Coupe du monde, on ne peut plus suivre avec franchise (commerciale) un match, fût-on footballeur amateur soi-même. On est écœuré parce que le spectacle de la Coupe du monde de football représente la trahison du football - en premier lieu. D'ailleurs, qui sont les dirigeants de la FIFA, cet organisme de représentation mafieuse et oligarchique - sinon des affairistes et des bureaucrates qui ne savent le plus souvent même pas taper dans un ballon?
L'analyse de la structure de la FIFA indique quelle mentalité régit le football professionnel : on utilise un sport qui génère beaucoup d'argent et beaucoup de passion pour divertir les peuples de leurs intérêts évidents (politiques, religieux, culturels, économiques) et les abrutir avec des passions égarantes et stupides. A ce sujet, il suffit d'entendre la disproportion entre un officiel de la FIFA s'exprimant sur un sport dont il n'a que faire directement et un footballeur bégayant sa bêtise crasse pour comprendre que les intérêts ultra-libéraux se servent du football comme d'un avatar de jeux du cirque. Arrête ton char.
Le système de propagande est bien huilé. Pourtant, surtout en cette période de crise, il arrive qu'il craquèle fréquemment. Son visage apparaît. Prenez dans un tout autre domaine le propagandiste ultra-libéral et mondialiste français BHL. Après ses exploits mythomanes, notre censeur se vautre de plus en plus dans un humour involontaire jonché d'erreurs grotesques et d'approximations impayables. Après l'exploit de l'affaire Botul, où BHL indique que sa perversion ontologique tient à sa confusion entre son désir et le réel, BHL s'emberlificote les stylos en accusant un présentateur de télévision faussement subversif d'inviter des antisémites comme Dieudonné (en en filigrane les écrivains mineurs Soral et Nabe).
On ne peut comprendre qui est BHL qu'en le décryptant comme un faux philosophe qui se travestit derrière ses diplôme d'historien de la philosophie pour perpétrer sa vraie activité, qui n'est pas de penser, mais de propager les messages de l'ultra-libéralisme. Passerait encore que BHL soit un propagandiste déclaré, qu'il défende l'ultra-libéralisme, le sionisme, la mondialisation, la finance d'obédience britannique : les choses seraient au moins claires et son erreur le rendrait plus mineur que minable.
Mais BHL se masque derrière l'histoire de la philosophie elle-même travestie en philosophie. Telle est sa vraie perversion et son vrai statut : comme les propagandistes du football, les dirigeants (souvent hilares), les journalistes sportifs (souvent ignares), les spectateurs (souvent hagards) et les sportifs (souvent blafards), notre BHL national, qui n'est que le propagandiste le plus fameux de notre pays, et qui est promis à l'oubli immédiat dès sa mort consommée, dupe son monde.
Après avoir voulu clouer au pilori de son argumentaire dévoyé le journaliste Taddeï accusé d'antisémitisme retors, une idée fixe, BHL qui ne se rend même plus compte qu'il divague, qu'il se commet en appel à la censure et en approximations logiques, la raison troublée par la somme des fredaines qu'il amasse, peut-être déstabilisée par la crise qui le ramène à ses mensonges et ses erreurs vertigineuses, BHL donc soudain montre qu'il ne comprendra jamais rien à rien et que plus le temps passe, plus sa mauvaise foi de départ s'est commuée en une drôle de folie qu'il n'est pas possible d'appeler autrement qu'une folie du désir plus encore que du sens.
Dans son autofiction savoureuse et détestable, Justine Lévy, la fille de BHL et d'un mannequin, produit une très mauvaise œuvre littéraire, encensée par la critique, qui divulgue son visage tout aussi hagiographique qu'oligarchique, autofiction dans laquelle elle narre par le menu, outre ses déboires sentimentaux (son mari est parti avec la maîtresse de son beau-père, qui n'est autre qu'un proche ami de son père!), le fait que son père consomme des amphétamines (ou des dérivés) pour écrire.
Peut-être qu'à force d'abuser de ce régime néo-sartrien notre BHL se trouve victime de confusions et de séquelles? Il a confondu cette fois le journaliste français Taddeï avec un footballeur italien éponyme! C'est le journaliste qui l'explique dans un droit de réponse savoureux : plus n'est besoin de réfuter les énormes erreurs de BHL; désormais il se réfute lui-même par ses confusions.
http://toutsurlachine.blogspot.com/2010/07/frederic-taddei-repond-bhl.html
S'il continue, il sera pathétique. Les historiens du futur en découvrant que cette immense célébrité propagandiste oubliée défendait les plus forts de son temps (ceux qui auront heureusement disparu depuis lors) se rendront compte qu'il abondait en fantasmagories qui à force de s'éloigner de la vérité finissaient par sentir le cocasse.
Plus que la casse. Voire la crasse. Cette erreur de BHL (confondre un journaliste avec un sportif) n'est pas anodine. On a remarqué le retentissement disproportionné et pénible que provoque cette Coupe du monde de football sud-africaine : en gros, le spectacle sportif secondaire est censé prendre la place des préoccupations politiques majeures. Pendant qu'on se passionne pour le foot, on oublie les problèmes politiques des plus graves (la crise financière et ses dérives). BHL reprend par son lapsus improbable cette constante en expliquant inconsciemment que le footballeur inconnu italien est le véritable Taddeï et que le journaliste célèbre, qui plus est dissident à ses yeux de conservateur viscéral maquillé en progressiste grotesque, est un clone faux - à oublier.
Il est déjà invraisemblable de constater la dérive de BHL depuis le maoïsme jusqu'au néo-conservatisme et à la censure crypto-fasciste. Se souvient-on que BHL voyait des fascistes partout au début de sa renommé phagocytée et instrumentalisée? Eh bien, depuis, son châtiment est tel qu'il est en phase d'incarner dans un bel effort de projection ces fachos qu'il discernait partout de manière paranoïaque au début de sa carrière.
La propagande : l'instrument par lequel le désir prétend s'imposer sur le réel. La loi du plus fort en matière de discours. Dans l'Antiquité, les propagandistes étaient de deux ordres principaux :
1) les orateurs rhéteurs;
2) les gladiateurs des jeux du cirque.
Les choses ont-elles beaucoup changé depuis? Nous nous situons dans une phase d'oligarchisation avec cette spécificité que l'oligarchie est désormais mondialisée et qu'elle utilise le cheval de Troie de la démocratie libérale pour parvenir à ses fins. Les orateurs sont devenus médiatiques avec ce nouveau moyen de communication (la rhétorique) qu'est la télévision. Les gladiateurs sont devenus des footballeurs (et autres variétés de champions sportifs). On cherche toujours à intoxiquer les peuples par le recours à la diversion. Pardon, dear BHL : qu'on se foute du foot et qu'on s'en foute plein la panse, votre race de rhéteurs propagandistes est utilisée pour empêcher de penser. Nous sommes là pour rappeler que penser est plus enrichissant que de dépenser.

lundi 12 juillet 2010

Le principe de crudité

Quatrième digression.

Un bon moyen de comprendre l'état d'esprit de l'immanentisme terminal consiste à lire Rosset. Comme tous les immanentistes, fidèles à la devise de maître Spinoza, Rosset ne dévoile pas explicitement le nihilisme qui le ronge, mais le représente en réalisme séducteur ou en scepticisme modéré. Le propre de l'immanentisme est de se réfugier dans le déni : depuis Gorgias notamment, on ne sait que trop que l'explicitation des thèses nihilistes débouche sur le rejet et l'oubli. Ce n'est pas une réaction qui serait l'apanage de l'influent Platon; c'est l'ensemble des hommes qui rejettent des prises de position menant vers la destruction.
La prudence des nihilistes s'explique par le fait que le nihilisme repose sur l'erreur et la destruction. Le déni nihiliste s'explique pour les mêmes raisons : on dénie quand on cache - l'erreur. L'erreur centrale du nihilisme consiste à réduire le réel au fini. Cette erreur se réduplique et se renforce dans l'immanentisme, qui explicite le thème mensonger de la complétude du désir - le désir étant l'incarnation du réel. Ce qui est complet est fini : c'est davantage l'esprit de l'immanentisme que sa présentation selon laquelle ce qui est complet est réel.
Dans cette mentalité de déni et de défi, de démesure aussi, il convient d'entériner la réussite du projet ontologique de nature nihiliste : par la mutation. Si le réel est enfin défini, si le désir est complet, ce beau changement de programme implique que la manière de concevoir le réel de manière classique soit fausse. Il faut une nouvelle manière de définir le réel qui soit compatible avec la définition enfin réussie du réel. C'est ici que l'imposture apparaît : cette définition est d'autant plus validée, encensée qu'elle se révèle inexistante.
Le seul moyen de camoufler l'échec retentissant en réussite prodigieuse (l'imposture du plomb transmuté en or) consiste à se réfugier derrière la négativité. Le négatif ne dit pas ce qui est; il dit ce qui n'est pas. Du coup, s'il ne dit rien, il apparaît encore comme l'instance qui dit. Peu importe qu'il ne dise rien - il dit quand même. La négativité exprime le nihilisme. Le négatif est l'incomplétude présentée en complétude. Passe encore de ne dire que ce qui n'est pas; l'imposture consiste à expliquer que ce qui est n'est pas.
Le nihilisme prétend définir le réel dans le moment où il le déforme et le réduit. Le néant naît de l'erreur au sens où l'erreur consiste à libérer l'espace du néant sous prétexte de réduire le réel au fini (sensible). Qu'est-ce que le néant si le néant n'existe pas? Quel est le statut de ce qui n'existe pas? C'est la destruction. Ce qui n'existe pas existe mais sous une forme destructrice - étrangère à l'homme. Cette négativité expression de la destruction passe pour une mutation positive, un changement véritable, une découverte capitale.
Spinoza fait le coup pour fonder l'immanentisme avec son entourloupe de l'incréé : concept (idée au sens fini) tout à fait négatif, au sens où l'incréée est censé (plus que sensé) définir l'infini. Dès les limbes de l'immanentisme, la tentation de néantiser l'infini se manifeste avec l'incréation négativiste. Puis Nietzsche montre à quel point l'immanentisme est du nihilisme modernisé : après son entreprise de critique négative des valeurs transcendantalistes, Nietzsche, que l'humilité n'étouffe guère, prétend apporter enfin la solution à l'immanentisme - force est de constater que ses prédécesseurs, Spinoza, en tête, n'ont rien proposé de tangible.
Nietzsche sombre dans le mutisme délirant avant d'avoir pu proposer quoi que ce soit, mais ses dernières forces sont de plus en plus tournées vers un projet de transmutation de toutes les valeurs, d'inversion des valeurs, de guerre contre le platonisme et le christianisme. Nietzsche propose des alternatives comme le surhomme, l'éternel retour ou la volonté de puissance (ce dernier concept étant d'autant plus à prendre avec des pincettes qu'il est peu expliqué par Nietzsche et qu'il fut déformé par des héritiers traîtres). Des concepts négatifs pour une alternative inexistante.
L'immanentisme croît en faillite à mesure qu'il progresse dans l'histoire. Autant dire qu'il se découvre ou qu'il se démasque. N'en déplaise à Nietzsche, l'immanentisme tardif et dégénéré dont il est le prophète démasque plus ses projets que l'immanentisme originel d'un Spinoza. Avec l'immanentisme terminal, les représentants sont certes des légions éclatées, disséminées. Pour parodier l'ennemi intime de Rosset, ce Derrida spécialiste en concepts foireux, légions différantes. Mais Rosset et ses acolytes de la même mentalité en sont venus à expliciter de plus en plus ouvertement les fondements de l'immanentisme pour montrer que la cohérence tient moins aux idées qu'à la manière de les servir.
C'est l'idée d'un sophiste : je peux tout démontrer, et surtout, je peux démontrer tout et son contraire. C'est bien entendu le gag philosophique défendu par le sophiste Protagoras contre son élève Evathle. L'idée que l'on peut tout démontrer va de pair avec l'idée que l'on peut dominer le réel : dans une configuration finie, le réel est ce que j'en fais. J'en ai fait le tour donc j'en fais ce que j'en veux. Rosset agit de même quand il apporte son interprétation de la pensée ontologique de Parménide : contre l'interprétation classique, contre l'interprétation de Nietzsche, il n'hésite pas à faire de Parménide non un ontologue précurseur du platonisme et de la tradition transcendantaliste, mais un nihiliste affirmant que ce qui n'est pas n'est pas - sous quelque condition que ce soit.
A quelles conditions peut-on tout dire et son contraire? Dans le vocabulaire de Rosset, le réel étant indéfinissable, est réel ce qui est décidé par celui qui a les moyens d'en décider. L'indécidable libère la décision du plus fort. Cette qualité de réel ne découle pas de l'inconnu en tant que tel, mais de la catégorie du figé ou du fixe. Soit de ce qui se présente comme le connu révolutionnaire, alors qu'il est l'inconnu indéfinissable. On ne peut tout dire et son contraire qu'à la condition de se mouvoir dans un espace qui est délimité et dont on maîtrise les limites.
Du coup, le réel n'est pas tant le connaissable ou l'inconnaissable que le dynamique, soit ce qui n'est jamais fini, ce qui change toujours, ce qui possède un sens. Faire sens n'est possible que dans un univers dynamique et infini, quand le sens disparaît dans un univers fixe et faussement connu. Le connu débouche sur l'inconnu, car le seul connu qui soit est le fixe, soit l'erreur. L'infini n'est pas l'inconnu, mais le connu provisoire, soit ce qui fait sens au sens premier : tant il est vrai que l'on peut faire sens sans début ni fin, dans un effort qui est promis à l'amélioration.
L'amélioration indique que le sens est possible et que la connaissance peut progresser. C'est ce que signifie le principe de non contradiction : l'indice non pas tant que le réel est connu (sans contradiction) que l'inconnu présente un moyen de connaissance qui garantit en même temps une certaine méthode. Faire sens, c'est ne pas se contredire. C'est ne pas se contredire tout en sachant que le changement est possible : la cohérence va de pair avec le changement. Le changement peut tout à fait révéler que l'ancien sens est réducteur et que le principe de non contradiction de ce sens se contredit par rapport aux nouveaux critère du sens.
L'idée que le sens ne se contredise pas indique que les principes qui existent ne découlent pas du désir, mais possèdent une extériorité et une indépendance propres. Le principe de non contradiction implique que l'existence du réel ne puisse laisser coexister plusieurs réels indépendants, comme le voudrait la théorie mathématique des multivers. Dire indique que l'on dit une seule chose et pas plusieurs contradictoires, différentes et parallèles (coexistantes).
Cette logique infère l'infinité, pas la finitude. Aristote est connu pour avoir promu le principe de non contradiction. Les sophistes comme Protagoras expliquaient au contraire que tout peut être démontré, une chose et son contraire : ils battaient en brèche le principe de contradiction. Aristote cherche à établir un compromis entre les platoniciens et les sophistes. Le principe de non contradiction est conservé, mais il est inséré dans un réel fini. Le statut du principe de non contradiction fini diffère dans l'infini : d'un côté il signifie l'unicité définitive du réel non défini; de l'autre il explique pourquoi le changement (dynamique) peut être conçu à l'intérieur d'une unicité qui n'est jamais que finie.
L'erreur nihiliste apparaît dans le sens que l'infini fixe au fini : l'ordre fixe existe, l'unicité existe, mais pas en tant que réelle : en tant que partie finie du réel. Le réel lui est infini. Quant à la différence entre Aristote et les sophistes, elle est une querelle d'école à l'intérieur du nihilisme entre ceux qui estiment que le nihilisme peut profiter de la crise monothéiste pour s'expliciter et les tenants de la prudence (du compromis). Ce sont les deux grands courants du nihilisme qui s'affrontent, entre ceux qui estiment que le nihilisme seul est viable et ceux qui pensent que le seul nihilisme viable est issu du compromis passé avec certains pans du transcendantalisme.
Cependant, le principe de non contradiction d'un Aristote fige le réel et n'accepte du sens qu'une version une. Cette conception serait juste si Aristote et ses suivants immédiats avaient découvert l'ensemble du savoir. Leur erreur indique (en particulier) que le réel est infini. La position de l'immanentiste terminal Rosset est proche de celle des sophistes, en particulier de Protagoras et de Gorgias, l'auteur d'un traité périssable sur le non-être, que Rosset n'a jamais cessé de prolonger et de commenter au fond.
Si l'on veut comprendre pourquoi le processus de l'immanentisme suit un mouvement inverse au processus du nihilisme antique, il convient de commencer par le postulat de l'immanentisme : comment faire triompher le nihilisme alors que le nihilisme antique a échoué. Aristote a montré la voie : la prudence, au lieu de l'impudence caractérisée d'un Gorgias (et des autres sophistes) que Platon met en scène. Cette prudence en tant que vertu morale (éthique au sens où la morale nihiliste est finie) est reprise par l'immanentisme qui estime que le nihilisme antique a péché en mettant l'accent sur la finitude du réel, question ontologique, alors qu'il convient de séduire en prêchant la complétude du désir, question morale.
Tant qu'on y est, les immanentistes joignent à leur morale complète un nouvel élan pragmatique, avec l'éloge de la dissimulation plus encore que la prudence. Le masque marque. Leur raisonnement est simple : le plus persuasif moyen de prouver que l'immanentisme fonctionne (au contraire du nihilisme) consiste à présenter une preuve matérielle : la fameuse preuve morale, étant entendu que la morale est pompeusement envisagée d'un point de vue figé (fini). L'opération de diversion consiste à expliquer en gros que le soubassement théorique est valable si l'application pratique (secondaire) est juste.
Afin de faire oublier que l'immanentisme n'a rien résolu au problème ontologique fondamental (le réel est-il ou non fini?), l'immanentisme s'attache à déplacer le problème autour de la question pratique (éthique au sens d'un Spinoza) de la complétude du désir. Si l'on examine la production ontologique la plus achevée de l'immanentisme, celle de l'Éthique, elle ne repose que sur de l'erreur travestie en diversion : l'incréé n'est pas définissable. C'est une pirouette indéfinie.
Dans ce jeu de dupes, l'immanentisme commence par accroître le point de vue du sophiste modéré et prudent Aristote : il s'agit de faire disparaître toute trace de la discorde et de résoudre le problème en le déplaçant - par la complétude du désir. Cette supercherie galvaudée n'ayant rien résolu, le réel finit par revenir s'imposer avec usure, ainsi que l'immanentiste terminal Rosset le proclame lui-même (sans craindre la contradiction). Le processus de l'immanentisme évolue vers la crise structurelle (pour s'exprimer comme les analystes financiers) qui rétablit les réflexes les plus réactionnaires et durs, ceux qui caractérisent les stades du nihilisme explicite.
Suite à l'échec patent de la mutation ontologique défendue par Nietzsche, les disciples de Nietzsche, les immanentistes terminaux dont Rosset est un fidèle indicateur, finissent par cautionner la loi du plus fort et par en revenir aux positions les plus radicales du nihilisme : en gros, ils prônent l'abandon du compromis historique théorisé en Occident durant l'Antiquité par Aristote - et par reprendre les conceptions radicalement fausses des sophistes. Il est frappant de relier Rosset aux programmes (connus quoique grandement perdus) de Gorgias et de Protagoras.
Comme eux, Rosset est un érudit brillant, qui utilise la technique du collage (en langage informatique : du copié-collé) pour mieux légitimer le fait qu'il ne puisse rien réinventer qui n'existe déjà. Un sophiste de l'immanentisme terminal peut au mieux réactualiser ce qui a déjà existé - subsumer ce qui a déjà été pensé, agencé, façonné. Maintenant que l'on a édicté le processus de l'immanentisme qui finit par correspondre au processus du nihilisme antique tel qu'on le connaît en Occident, il convient de citer le passage qui explique de manière centrale la manière dont l'immanentisme terminal prétend abandonner le principe de non contradiction au profit du principe de contradiction.
A l'intérieur du nihilisme, l'école de l'immanentisme terminal entend réaliser la réussite de l'application nihiliste en même temps que l'incarnation de la mutation ontologique chère à Nietzsche. Dans le cadre de la fixité entérinée du réel, la question est de savoir s'il convient de prôner un système de non contradiction ou de contradiction surmontée. Le système de non contradiction fonctionne tant que le cadre fixe est encore valide, soit tant qu'il en est à ses débuts. A partir du moment où le cadre commence à vieillir et à donner des signes de fatigue, la bonne logique telle que celle avancée par maître Aristote commence par vaciller, puis par s'user. Il est alors temps de présenter un durcissement des mesures jugée trop molles en proposant des alternatives radicalement nihilistes : par exemple cette fameuse autant que fumeuse mutation logique du principe de non contradiction.
Citons Rosset dans Le Principe de cruauté (p. 25) comme lui-même se plaît à citer Leopardi :
"On ne peut mieux exposer l'horrible mystère des choses et de l'existence universelle (...) qu'en déclarant insuffisants et même faux, non seulement l'extension, la portée et les forces, mais les principes fondamentaux eux-mêmes de notre raison. Ce principe, par exemple - sans lequel s'effondrent toute proposition, tout discours, tout raisonnement, et l'efficacité même de pouvoir en établir et en concevoir de véridiques -, ce principe, dis-je, selon lequel une chose ne peut pas à la fois être et ne pas être, semble absolument faux lorsqu'on considère les contradictions palpables qui sont dans la nature. Être effectivement et ne pouvoir en aucune manière être heureux, et ce par impuissance innée, inséparable de l'existence, ou plutôt : être et ne pas pouvoir ne pas être malheureux, sont deux vérités aussi démontrées et certaines quant à l'homme et à tout vivant que peut l'être aucune vérité selon nos principes et notre expérience. Or l'être uni au malheur, et uni à lui de façon nécessaire et par essence, est une chose directement contraire à soi-même, à la perfection et à sa fin propre qui est le seul bonheur, une chose qui se ravage elle-même, qui est sa propre ennemie. Donc l'être des vivants est dans une contradiction naturelle essentielle et nécessaire avec soi-même."
Pour prendre la température de cette psychologie, notons que Leopardi est un aristocrate italien solitaire et malade qui trouve du sens à son existence dans le pessimisme. Il a manifesté certaines sympathies nationalistes, deux attitudes qui le rapprochent d'un autre prince de la misanthropie et de l'absurde, son contemporain Schopenhauer. Même époque, mêmes effets? Leopardi a expliqué sans broncher : « Je suis mûr pour la mort, et il me paraît trop absurde, alors que je suis mort spirituellement, et que la fable de l’existence est achevée pour moi, de devoir durer encore quarante ou cinquante ans, comme m’en menace la nature. »
C'est ce même Leopardi qui dévoile crûment (au sens que Rosset donne à ce mot de crudité) le lien entre pessimisme et nihilisme : "Dans le néant moi-même" ("nel nulla io stesso"). Certes, Leopardi ne prétend nullement à un quelconque effort de mutation. Pour lui, la vie est intenable, point barre. Traduisez : destructrice. Mais Rosset n'est pas pessimiste; il se présente lui-même comme antipessimiste et tragique. Pour lui, la contradiction de la vie peut être surmontée. Quel est son secret, vu que Nietzsche n'est pas parvenu à instaurer sa mutation ontologique, terrassé par la folie et par des propositions pour le moins bancales? Écoutons Rosset se démarquer de Leopardi : "Le remède [de la vérité] est ici pire que le mal : excédant les forces du malade, il ne peut que soigner un cadavre ayant déjà succombé à l'épreuve d'un réel qui était tau-dessus de ses forces, - ou occasionnellement conforter un bien portant, qui n'en avait pas vraiment besoin."
Telle est la solution à la mutation ontologique impossible de Nietzsche : pour Rosset, le changement dans le réel chez Nietzsche comporte précisément l'erreur de vouloir changer quelque chose (fidèle au principe que rien ne saurait changer rien) : de remplacer la race de l'homme par celle du surhomme, avec toutes ces ratiocinations ubuesques selon lesquelles le surhomme n'est pas une autre race que l'homme, mais qu'il représente la sélection de ce que l'homme produit de meilleur, non pas en un sens physique mais en un sens créateur et artiste (au sens nietzschéen, soit dans un sens figé et immanentiste). Il convient de se montrer plus prosaïque : pourquoi changer - quoi que ce soit?
Les surhommes seront la crème de la crème, fort rare, représentant l'élite : non pas une élite à venir, suivant un processus de mutation, mais une élite qui existe déjà, l'élite de ceux qui parviennent à se montrer heureux dans l'existence, soit à se satisfaire du principe de contradiction qui gouverne le monde. La solution de Leopardi consiste dans l'éloge du suicide, de la mort, de la destruction. Quant à Rosset, il se veut plus lucide que Nietzsche au sens où jamais une élite de surhommes ne remplacera l'homme actuel (suivant une mutation des plus tortueuses qui ne supprime pas l'homme, mais le transforme de manière positive paradoxale). Rosset se rend compte que le projet de Nietzcshe est si embrouillé qu'il est infaisable : au lieu d'un quelconque changement, plus de changement - du tout.
Le surhomme désigne les meilleurs des hommes qui existent déjà, ceux qui si rares sont capables d'aimer la vie dans sa cruauté - malgré son principe de contradiction intenable. Du coup, Rosset ne se montre pas seulement ultra-élitiste et ultra-sélectif, livrant une mentalité dans le droit fil de son maître Schopenhauer - un conservateur exacerbé, encore plus sur le plan ontologique que sur le plan politique (dont le désintérêt signifie qu'il recoupe le terrain fantasmatique de l'ontologie).
La fixité à laquelle tend tout nihiliste se retrouve dans l'immanentisme avec l'évocation de sa fin : la complétude du désir. Pour Spinoza, le changement est possible de manière accessible à n'importe quel humain (encore que cette concpetion implique une élection certaine principe de grâce que l'on retrouve dans les hérésies protestantes dont Spinoza en tant que marrane batave est le contemporain). Pour Nietzsche, qui prend acte de la décrépitude de l'immanentisme, le changement devient un ambitieux et inaccessible plan de mutation qui est impérieux.
Pour Rosset, qui intervient alors que l'échec est consommé, le changement et aussi inutile qu'incertain. Changer implique encore la possibilité - du changement. Le changement est impossible pour un immanentiste terminal qui est épuisé dans le temps où sa mentalité est exsangue. Ne lui reste plus qu'à accepter les choses telles qu'elles sont et telles qu'elles ne peuvent pas ne pas être. La première supercherie consiste à réfuter le principe de non contradiction comme s'il émanait d'Aristote. Aristote fait du bonheur la vertu cardinale de l'homme.
Leopardi de même (sur le mode réceptif et frustré, de l'impuissant famélique et vengeur). Aristote tient cette vertu comme accessible, d'où son adhésion au principe de non contradiction - quand Leopardi la considère comme inaccessible, d'où son pessimisme ravageur (et ravagé). Et Rosset? Sa supercherie consiste à estimer que les élus (dans un sens fort religieux, quoique nihiliste) sont ceux qui dépassent le principe de contradiction par la joie. Joie irrationnelle, joie folle. Mais cette joie indéfinissable est un tour de passe-passe conceptuel qui indéfinissable ne saurait être défini. Si ce qui n'est pas définissable n'existe pas, alors le réel et la joie de Rosset n'existent pas.
Autant dire que cet état qui surmonte le principe de contradiction n'existe pas. Rosset a produit du vent positif - une négativité inavouable qui consiste en fait à réhabiliter le droit du plus fort tel qu'il se trouve déjà défini (cette fois) par Platon dans son Gorgias. Rosset n'a rien inventé. Comme pour sa technique d'écriture, qui consiste à copier-coller, il reprend d'autres citations, en leur donnant un contexte qui est souvent la réactualisation des textes disparus des sophistes. Si j'avais un compliment à adresser à Rosset : au lieu de chercher d'éventuelles découvertes archéologiques, si vous entendez lire des sophistes, vous en avez un contemporain - Clément Rosset. Pas besoin de chercher du côté de chez Protagoras ou surtout de chez Gorgias.
Au fond, cette forme de pensée est toujours la même. C'est l'apologie inconditionnelle du droit du plus fort. Quand cette mentalité se porte bien, elle emprunte les atours de la modération chère à Aristote; quand elle se porte plus mal, aux portes de l'effondrement, elle se présente de manière décomplexée (comme diraient certains néoconservateurs contemporains) et elle loue vertement le plus fort. Droit irrationnel, droit variable, droit qui n'est plus droit, sauf celui de la toute-puissance. Droit d'un Protagoras. Droit travesti derrière le principe surmonté de contradiction.
Ce qui arrive en réalité, c'est la destruction sous couvert d'illusion : destruction de l'homme sous couvert de surmonter le principe de contradiction. Cette destruction se présente à visage quasiment découvert avec le système de l'immanentisme terminal en tant qu'avatar à peine réactualisé des sophistes antiques; le principe de non contradiction contient lui aussi la destruction - évidente dans le cas du principe de contradiction revendiqué. Sous sa formulation aristotélicienne, il contient cette négativité même qui est l'apanage du scepticisme tel que Descartes l'a théorisé à l'aube de la modernité et que son disciple chrétien Marion reprend sans se rendre compte qu'il trahit l'esprit du christianisme de Jésus, de saint Paul et de saint Augustin.