dimanche 12 septembre 2010

Contre-culte

Est-on pour quand on est contre?

La contre-culture indique la spécificité de sa démarche : être contre. Être contre implique à la fois d'être opposé (adversaire) et d'être tout contre (proche, voire parent). Il ne suffit pas d'être contre pour énoncer un point de vue positivement adverse. Le subterfuge du point de vue contre consiste à faire croire qu'on est pour dans la mesure où l'on est contre. Les disciples de la contre-culture ont pour particularité d'exister selon des chapelles innombrables - et exponentielles.
L'on se demande moins si la culture existe dans un système de contre-culture. On trouvera un élément de réponse avec l'argument (impayable) de ceux qui endossent des positions réactionnaires (ou fort conservatrices) et vous expliquent (non sans raison) que dans un monde où tout le monde se déclare progressiste et avant-gardiste, la véritable minorité ou la véritable avant-garde consiste paradoxalement à être du côté de la prétendue culture majoritaire.
Dans notre culture, cette société se nomme bourgeoise. On a l'impression que la société bourgeoise représente la culture et que les contre-cultures s'opposeraient à cette culture bourgeoise. Malheureusement, un peu d'histoire nous renseigne sur ce qu'est la bourgeoisie : elle-même une contre-culture - contre la monarchie par exemple. Si bien que nous vivons dans une gigantesque structure de contre-culture (au sens d'une multitude de formes) où il n'existe pas de culture à proprement parler, mais des chapelles de différentes contre-cultures, qui s'opposent à un modèle assez vague et vaste de soi-disant culture, dont la caractéristique est de se rapporter au passé.
Si l'on voulait définir ce qu'est la culture bourgeoise, l'on arriverait à l'idée que ce que l'on appelle souvent en opposition la culture bourgeoise est le plus souvent déjà une immense contre-culture. L'on pourrait estimer que les deux courants qui s'opposent sont d'un côté la culture et de l'autre la contre-culture. Selon cette conception, la culture est ce qui produit la pérennité de l'être humain au moyen de la création, soit comme son étymologie l'indique le fait d'aller chercher du nouveau (réel) dans le néant (qui est quelque chose). La contre-culture se rapporte quant à elle au refus de la culture et au fait d'opposer le réel immédiat (sensible) au néant nihiliste (la croyance dans l'existence impossible du néant).
Selon cette conception, la culture possède différents courants (d'où sa pluralité), mais elle est unique au sens où elle désigne une processus identifiable et singulier au travers de l'histoire humaine; quant à la contre-culture, elle n'existe jamais à l'état d'unicité du fait de son immédiateté. Les communautés de contre-cultures trouvent leur définition commune dans un fait assez cocasse : leur seul point commun est d'être contre. A première vue, dans l'immédiat, il suffit d'être contre pour créer une identité (une communauté).
Mais dès qu'on pose le problème de la positivité, les choses se gâtent - l'imposture apparaît. Certes, l'argutie de la contre-culture (du moins d'une des contre-cultures) consistera à objecter que la positivité n'existant jamais, mieux vaut une positivité immédiate contre de la négativité infinie - que pas de positivité du tout. C'est l'argument du diable tel qu'il le détaille à Faust : je te donnerai tous les biens sensibles pour peu que tu me vendes ton âme (ce qui est infini en toi).
Cet argument fonctionne parce que la promesse de l'éternité est incertaine, autrement dit : la positivité est à jamais provisoire - pour la partie. Une fois admis que la positivité sera à jamais partielle, il reste à valider que toute positivité immédiate relève de l'escroquerie, ce qui logiquement est irréfutable, mais qui pratiquement engendre bien des contorsions et des dénis. Le propre de ce qui est contre est d'être mû par la communauté de la négativité.
Toujours le travail du négatif, soit : l'œuvre du nihilisme. L'unicité implique la culture; la contre-culture ramène à l'antagonisme dénié de type réel/néant. L'unicité signifie : l'Un, soit que les composantes du réel, aussi différentes soient-elles, sont in fine en lien les unes avec les autres. Pour un peu de positivité, non seulement la contre-culture convoque l'infinité du négatif, mais encore elle empêche l'unicité, soit l'idée que le réel est un. Pour ceux qui objecteront ici que Spinoza énonce que la conscience peut appréhender le réel, cette reconnaissance de connaissance passe par l'idée subversive que le réel tourne autour de la complétude du désir, soit que l'infini se rapporte (en se limitant) à l'incréé, concept vague et indéfinissable s'il en est.
Quand on parle de culture bourgeoise, on parle de contre-culture. Car le propre de la culture est de ne pas commencer avec telle période historico-sociale, mais d'être ce courant qui traverse les époque, les âges et les courants sociaux. Il ne s'agit pas de postuler, de manière réactionnaire, voire nauséabonde, que la culture existait - mais située dans le passé. Il s'agit de comprendre que toute isolation de la culture lors d'une époque fixe et figée nie le processus dynamique et vivifiant.
C'est précisément la démarche isolationniste qui définit et caractérise la contre-culture. De ce fait, parler de culture bourgeoise relève de l'isolationnisme. Les éléments qui relèvent du processus culturel au sein de la période bourgeoise ne sont pas à proprement parler bourgeois, mais sont à intégrer dans le giron de la culture. Le propre de la contre-culture est ainsi de scinder, d'exploser, de diffracter, dans une infinité de chapelles, d'écoles, de doctrines plus ou moins incohérentes, plus ou moins contradictoires, qui présentent cependant un point commun : ne proposer de "positif" que du contre. Que du négatif.
Du coup, dans une époque de contre-culture majoritaire, la culture en tant que telle n'existe plus sauf à l'état passé, et, plus surprenant, les différentes écoles de contre-culture s'étripent toutes entre elles pour revendiquer chacune contre les autres, proches du schéma de Hobbes de la guerre de tous contre tous, le label exclusif de la culture. Pour définir une contre-culture avec quasi certitude, il suffit de mesurer son degré en immédiateté.
Immédiateté ontologique : ce qui importe est l'instant suivant, jamais le processus. Toute forme qui s'inscrit dans la dynamique d'un processus est culturelle, même mineure. Toute forme d'expression qui privilégie l'immédiat est, n'en déplaise à ses dénégations farouches, contre-culturelle. Elle est d'essence nihiliste contre le courant culturel, qui remonte au religieux. C'est l'autre aspect, nécessaire mais pas forcément suffisant : toute culture découle du phénomène religieux et le nourrit. Si une culture prétend agir sans religieux, c'est de la contre-culture.
Bien entendu, il est possible que des formes religieuses participent plus de la contre-culture que de la culture : dans ce cas, le religieux est immédiat, c'est-à-dire que le religieux ne propose rien de nouveau, que de la pure répétition. Un moyen de découvrir cette imposture tient dans les facultés qu'utilise le religieux. Le religieux engendrant la culture utilise la raison et les idées pour s'adresser à la faculté la plus haute de l'homme : la raison. Dieu parle à l'homme par le langage. Le religieux découlant de la contre-culture s'adresse à l'homme via les sens contre le sens, c'est-à-dire : via les sens physiques, sensibles, immédiats, pluriels - contre le sens unique et métaphysique.
On comprend pourquoi le fait d'être contre évoque aussi la proximité voire la parenté entre ce qui est contre et ce qui est pour. Au fond, les deux se réclament du même objectif : définir le réel. On comprend également pourquoi en période de contre-culture majoritaire, la caractéristique consternante et intrigante des formes se présentant comme culturelles est d'être l'apanage de tous alors que tous se vivent en proie aux persécutions de la majorité. Tout le monde est contre, plus personne n'est pour.
D'où l'extraordinaire regain de l'élan réactionnaire, qui consiste à chercher (paresseusement) dans le passé un sens défunt qui n'existe plus dans le présent. Soit : chercher de la culture au travers des formes religieuses. Les réactionnaires de notre moment loueront le culturel seulement au travers du prisme chrétien et des formes culturelles attenantes. Il est important de souligner le seulement : car ce n'est pas la même chose de louer le passé pour féconder le futur et de décréter que le futur se borne, de manière monolithique et monotone, à purement et simplement répéter le passé.
Il convient de se méfier de ceux qui accusent de réaction les contestataires de la contre-culture, non au nom du passé seul, mais au nom du processus englobant le passé existant et le futur qui ne peut se construire qu'à partir de ce passé. Les uns sont de possibles créateurs, les autres de stéréotypés mimes. Nous sommes dans une époque de domination écrasante de la contre-culture, qui se manifeste par une profusions de chapelles contre-culturelles, où chacun estime à bon droit appartenir à l'opposition culturelle minoritaire valable contre la culture majoritaire fallacieuse - et les cohortes d'opposition tout aussi fallacieuses. En ce moment, cette forme se manifeste par l'opposition des cohortes de contre-cultures à la culture bourgeoise, sans se rendre compte que toutes ces formes sont des contre-cultures travesties en cultures riches et chatoyantes.
Le secret qui permet aux contre-cultures de prospérer réside dans le travestissement du contre en pour. Du coup, on croit qu'on est pour quand on est contre et l'on prend les contre pour des pour : l'on ne se rend plus du tout compte que l'on a ôté du débat ce qui pourrait éventuellement rappeler le pour et que l'on a soigneusement présenté les contre pour des pour. Il ne reste plus que des contre qui se présentent tous pour des pour. La technique consiste à éliminer ce qui pourrait être pour (la culture) pour ne conserver que des contre (-cultures) qui en outre se font passer pour des pour.
On comprend pourquoi il est si dur de départager le vrai du faux, le bon grain de l'ivraie : ce qui est contre est vraiment tout contre. Ce qui signifie que la contre-culture et la culture s'intéressent au même objet et lui apporte la même réponse. Mais cette réponse identique varie de facto en fonction de l'objet défini. L'objet est le réel - et la question est : qu'est-ce qui est réel? La culture répond, suite au processus religieux : ce qui est réel est ce qui est dynamique. Soit : le culturel est le réel. Et la contre-culture répond : ce qui est réel est ce qui est statique. Soit : le culturel est le réel. L'absence de définition de ce qu'est la positivité (et la certitude) empêche de départager les deux attitudes schématiquement opposées.
Du coup, les deux se prévalent du même discours. Soit : définir au mieux (au plus près) le réel pour rendre l'homme heureux de se mouvoir adéquatement dans ce réel. Mais deux points rendent optimistes (permettant de croire dans l'avenir) :
1) ce qui est culturel n'est jamais perdu car il contacte ce qui est infini et ne se limite à aucun moment fini;
2) même au sein du contre-culturel, le culturel finit par se produire aussi, ce qui indique que l'élan contre-culturel est voué à l'échec et que la dynamique culturelle triomphe au sein de ce qui la nie.

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