dimanche 31 octobre 2010

Les vrais faux fauves

Qu'est-ce qu'un nihiliste à visage découvert? Tout d'abord, une précision : il n'existe pas de nihilistes qui se présentent comme tels, sauf lors des périodes de crise, comme lorsque Gorgias et les sophistes parurent sur la scène athénienne à l'occasion du passage entre le polythéisme et le monothéisme. Depuis lors, l'immanentisme est passé par là et les nihilistes déclarés portent masques et inclination pour la dissimulation. Dont acte. La crise actuelle, pour importante qu'elle soit, intervient de manière non linéaire : autant dire qu'on ne les y reprendra plus. Plus de nihilistes découverts, en effet. Un nihiliste qui se découvre n'obéit pas à la loi du déni selon laquelle un nihiliste conséquent (donc inconséquent) fonctionne au déni.
C'est un hédoniste qui fait profession de nihilisme. D'où la supercherie grandiloquente et bouffonne de ces nihilistes que Rosset, en vrai immanentiste terminal, taxe de pessimistes chics pour les différencier de lui (malgré leur proximité superficielle). L'hédonisme qui se présente et se travestit comme nihilisme désigne l'hédonisme le plus radical et le plus virulent. Pourquoi ce souci et cette effort d'ostentation, ce besoin d'élégance affichée que l'on trouve théorisée (et mise en pratique) chez l'un d'entre eux en France, un certain Schiffter, très bon symptôme local de ce courant de supercherie superfétatoire? Il s'agit bien entendu d'accorder l'attention exclusive à l'apparence. Pas seulement.
Il s'agit aussi de combler le manque par la débauche compensatoire d'efforts inutiles et désaxés. Le problème est d'ordre ontologique : comme nos nihilistes déclarés, pessimistes chics et hédonistes véritables, ne savent que trop que leur conception n'est pas cohérente, ils compensent leur défaut avarié par l'ostentation, notamment vestimentaire ou langagière.
Leur véritable référence est Aristippe de Cyrène, un hédoniste grec du quatrième siècle avant Jésus Christ, qui fut un disciple à sa manière de Socrate. On le tenait pour un sophiste et il expliquait que le plus important tenait dans les plaisirs immédiats du corps. Nous avons affaire à un dur dans le mouvement sophistique, qui dévoile la crise du sens que traverse le transcendantalisme, dont l'épicentre traduit la passation de pouvoir entre le polythéisme et le monothéisme.
Ces types, au sens idiosyncrasique, ne savent que trop que leur savoir n'set pas cohérent. Les hédonistes d'inspiration cyrénaïque considèrent que le plaisir est la fin de l'existence - du moment qu'ils éprouvent du plaisir. C'est une affirmation fort contestable parce qu'elle débouche sur l'apologie de la domination et de l'inégalitarisme, pourvu que l'auteur de la domination soit cet apologue quasi exclusif. Nos héros (proches du zéro) font montre d'un enthousiasme débridé à condition (notable) que l'inégalitarisme leur profite.
C'est à ce genre de signes que l'on mesure la mauvaise foi : quand on dresse l'apologie de l'inconséquence à condition exclusive qu'elle vous profite. L'apologie du plaisir viscéral et de la domination connexe est tout à fait incohérente en ce qu'elle ne peut profiter qu'à un petit nombre au détriment de la majorité. Toujours avec Schifffter le cyrénaïque contemporain, nous avons l'apologie du général romain débauché Vérus.
Schiffter est déjà un cas d'hédoniste se prévalant du nihilisme, alors que c'est un nihilisme frelaté - pour la galerie. Mais son ami Jaccard, un éditeur qui s'est lancé avec complaisance dans la mode de l'autofiction et qui a pondu quelques ouvrages théoriques autour de la psychanalyse, est encore plus conséquent dans l'inconséquence de la domination. Ce disciple et complice de Matzneff va moins loin que les confidences fantasmagoriques, pour partie vraies (exagérées), de Matzneff, mais notre Jaccard se complaît dans la posture de l'infâme séducteur impénitent qui bien que vicieux et âgé continue à tomber les jeunes femmes jolies et japonaises.
Jaccard fantasme sur une toute-puissance plus sociale que littéraire qui lui permettrait de dominer tout en avouant qu'il est aussi infâme qu'irrésistible. Sous-entendu : le dominateur est la crapule assez forte pour avoir les moyens d'une domination qui est sexuelle, sociale et qui réfute l'existence d'une réalité au-delà de l'immédiateté sociale. Le mal est peut-être connoté mal pour les moutons du troupeau (en langage nietzschéen), mais aussi mal soit-il, il n'en est pas moins attirant et dominateur.
Outre que souvent ces sires versent dans la déformation des faits, qu'ils avouent sur le mode de la confession vantarde et aveugle, leur modèle, non seulement est inapplicable pour une société quelle qu'elle soit, mais en plus se révèle destructeur en premier lieu pour ceux qui prétendent en tirer jouissance. De sinistre cynique on finit généralement dépressif, alcoolique et élitiste en diable. Cette issue tragico-prévisible indique la véritable signification de ce qui est présenté comme quelque chose de scandaleux, mais de viable.
Malheureusement, il se pourrait que ce qui est mal soit mauvais pour tous, ceux qui sont dominés comme ceux qui dominent. Pourquoi cette restauration de la morale classique qui n'est pas dans l'air du temps? Parce que toute réfutation de la morale au nom du moralisme conduit soit à ce genre d'apologie de l'hédonisme dominateur et injuste (souvent de manière lointaine et peu clairvoyante), soit à la destruction du modèle parce que l'apologie de la domination est fausse.
Ce n'est pas parce qu'on décrète que la fin de l'existence tient au plaisir bref, immédiat et corporel que c'est le cas. Pas parce que l'on décrète que le réel se résume à l'apparence que c'est le cas aussi. Je veux dire : la partie ne peut façonner le tout à sa guise. Si les hédonistes fanatiques avaient le loisir de façonner un réel qui se résume à l'apparence et à la domination, alors ils pourraient vendre leur camelote du mal qui réussit quand même et du bien qui échoue. Mais leur baratin est faux et s'appuie sur une réussite éphémère qui non seulement n'est possible que dans la domination sociale (il faut être grand bourgeois mondain pour s'autoriser ce genre d'existence hédoniste), mais qui en plus détruit ses auteurs égarés et aveuglés.
Par-delà bien et mal, prônait Nietzsche (jamais en retard d'une déclaration amphigourique pourvu qu'elle soit scandaleuse pour les convenances sociales classiques) : cette déclaration d'intention nous laisse entendre, non pas qu'au-delà de la morale c'est le chaos, la destruction et la supercherie, sans quoi personne de sensé n'adhérerait à cette farce, mais que c'est une réalité supérieure, qui résoudrait enfin toutes les carences de la connaissance. Malheureusement, cette réalité sensationnelle et foudroyante est un échec qui porte les noms accablants d'élitisme, de cynisme (dans un sens courant) et de dépression (dans un sens psychiatrique).
L'hédonisme a pour masque l'explicitation du cynisme, un peu comme ces petites frappes qui jouent volontiers aux grand voyous sans se rendre compte qu'ils singent des stéréotypes éculés alors que l'effectif grand voyou se cache sans affectation pour accomplir son forfait (sauf dans les films de mafieux). Mais le plus trompeur n'est pas la parade de séduction (c'est le cas de le dire) que nos hédonistes affichent avec triomphalisme et comme une preuve de la véracité de leurs théories scabreuses.
Le plus trompeur, c'est qu'ils sont des théoriciens intelligents et diplômés. Leur style brillant est leur technique de vente attitrée. C'est une intelligence aussi spéciale que spécieuse dont ils bénéficient. S'ils sont intelligents au sens où ils maîtrisent des savoirs impressionnants et qu'ils manifestent un sens de la nuance fort subtil, cette intelligence-là est fixiste au sens où elle admire le savoir au détriment de la connaissance.
D'où ce snobisme de l'excellence académique et des titres universitaires : il s'agit de s'appuyer sur ce qui existe contre ce qui est illusoire. La qualité n'existe pas sans le titre, en somme. Cette intelligence-là est seulement finie, alors que l'intelligence véritable est ce qui lie l'infini au fini. Excellence paradoxale puisqu'elle s'applique à une forme d'intelligence tronquée, purement finie, purement académique. La raison pour laquelle la posture de l'hédonisme comporte une certaine attirance tient à son caractère d'excellence tronquée. Si l'on ne retient que l'excellence, on peut se montrer fasciné; si l'on aperçoit le truc tronqué, on se trouve en revanche rebuté.

jeudi 28 octobre 2010

L'alpha et l'oméga

Je lis en ce moment l'enquête que nous livre un certain Michael Gama concernant des groupes comme le Bilderberg (ou la Trilatérale). Cette enquête tient à se fonder sur des témoignages et souscrit à une démarche d'ordre sociologique (ou anthropologique) afin d'éviter les cafouillages méthodologiques. C'est en partie réussi, sauf qu'il ne suffit pas de réfuter les interprétations complotistes tout en demeurant axé autour du Bilderberg. Si l'on réfute vraiment le complotisme, on n'accorde pas une valeur fixe et fondamentale au Bilderberg - ou à la Trilatérale - ou à n'importe quelle réunion occulte, fût-elle la réunion de dirigeants importants de multinationales et banques.
Ce secret peut s'appuyer sur la théorie : il est impossible d'expliquer les événements par les seuls complots, car l'homme, n'en déplaise à l'importance qu'il accorde à son désir, n'est pas en mesure de régenter le cours des événements. L'explication peut aussi bien être factuelle : il existe des dizaines de think tanks, clubs et autres organisations informelles qui possèdent des importances sociales et politiques aussi importantes (ou équivalentes) au Bilderberg. Pourquoi se focaliser sur le Bilderberg, alors qu'on sait très bien que les vraies décisions se déroulent de manière informelle, d'un point de vue protocolaire, c'est-à-dire entre gens importants, occupant de hautes positions dans la finance ou l'industrie, mais qui ne souhaitent pas donner, pour des raisons évidentes d'ordre juridique et médiatique, de publicité à leurs actions?
Que notre Gama ne nous précise-t-il pas que les décisions se déroulent en particulier dans les salles de réunion des conseils d'administration, à l'ombre de ces conseils, pendant une pause opportune, ou après un déjeuner select? Pourquoi continuer à duper son monde avec le mythe Bilderberg, après moult démystifications anticomplotistes, laissant entendre que cette réunion parmi tant d'autres du même tonneau jouerait un rôle considérable, même si ce n'est pas un gouvernement occulte, même si Gama ne verse pas dans l'interprétation grandiloquente de type complotiste?
Au mieux, on rappelle que des réunions comme le Bilderberg ne sont pas très démocratiques et honnêtes, puis qu'elles mettent en danger la démocratie du fait de leur caractère oligarchique et occulte. L'occulte tend à encourager l'occultisme et le complotisme. Il est plus facile de délirer face à des événements délirants. Il est plus facile de parler de complotisme face à des événements qui indiquent l'existence de complots.
Se focalisers sur le Bilderberg, même pour en donner un aperçu non complotiste, est une perte de temps. Ce qui est négatif n'indique pas ce qui est positif. Qu'est-ce que le Bilderberg? Une fois qu'on se rend compte qu'il ne s'agit que d'une réunion contestable comme il y en a tant d'autres parmi les cercles oligarchiques et élitistes, une fois qu'on se rend compte qu'elle découle d'initiatives atantistes et impérialistes, on ne peut qu'arriver à la conclusion que, loin d'être un gouvernement mondial secret ou quelque chose de cet acabit, ce genre de réunions soi-disant informelles ne peut que drainer des personnages importants de seconde zone ou jouant à accorder à cette seconde zone une importance plus considérable que ce qu'elle n'a véritablement (c'est le privilège du snobisme que d'accorder plus d'importance aux autres pour s'accorder plus d'importance à soi).
Si ce n'est pas lors d'assemblées médiatisées avec un parfum de secret comme le Bilderberg que se déroulent les décisions importantes, mais que des assemblées de cet acabit sont des caisses de résonance pour des décisions qui sont prises de manière informelle et qui ne sont jamais annoncée clairement, on se rend compte :
1) que le pouvoir politique dans l'oligarchie perd sa prééminence légitime pour être au service du financier et d'un conglomérat de différents pouvoirs, notamment le médiatique et l'expert;
2) que des groupes oligarchiques médiatisés ne peuvent par définition être des centres de décision ultime puisque la médiatisation exclut la décision et le pouvoir de nature occulte ou secret;
3) que les personnages médiatisés et récurrents du Bilderberg sont des pantins et des porte-paroles de cercles oligarchiques financiers. J'en veux pour preuve les deux mythes sulfureux Kissinger ou Rockefeller, qui ont pour particularité d'être proches des intérêts Morgan et Rothschild de manière explicite et qui gravitent dans les cercles oligarchiques et médiatiques depuis un demi siècle. Mais est-ce sérieux d'accorder à ces types une importance qu'ils n'ont pas et qu'ils ont jamais eue?
Au faîte de sa puissance, Kissinger le secrétaire d'Etat américain cumulait cette prestigieuse casquette avec celle de président du Conseil national de sécurité. Directement coopté par les cercles oligarchiques issus de l'Empire britannique, notamment par l'émanation stratégique du RIIA, Kissinger agissait sur le sol américain en qualité de marionnette sardonique et désaxée des intérêts financiers d'ordre anglo-saxons (quand on dit anglo-saxon, on désigne, parfois sans le savoir, les intérêts centrés autour de la City de Londres).
Aujourd'hui que Kissinger approche des quatre-vingt-dix ans, ce n'est pas se montrer insolent pour son âge que de constater qu'il n'a plus les moyens de ce pouvoir (somme toute assez dérivé et secondaire). Idem pour David Rockefeller, qui vient certes d'une famille richissime, mais qui n'a jamais agi pour son compte particulier - pour le compte des intérêts financiers de l'Empire britannique; au demeurant, David Rockefeller l'ancien président de la Chase Manhattan Bank travaillait déjà à l'époque pour les intérêts de Wall Street, qui sont oligarchiques, jamais regroupés sous la férule d'un individu, mais sous la coupe de multiples courants divisés et antagonistes, mus chacun par le droit du plus fort.
Rockefeller atteindra peut-être les cent ans d'ici moins de dix ans, et certains doivent rire sous cape (pour peu qu'ils aiment rire et ne considèrent pas ce rictus comme la preuve de l'impolitesse ou la déchéance) en lisant que le vassal Kissinger ou le vieillard Rockefeller sont les maîtres immuables du monde. Du moins, immuables jusqu'à leur décès? Car l'immuabilité du pouvoir occulte n'existe tout simplement pas dans l'ordre oligarchique, encore moins quand l'oligarchie se meut dans l'ordre secret (dans une caractérisation implicite et presque nécessaire). Le pouvoir occulte signale toujours un affaiblissement et une dégénérescence du pouvoir effectif qui ne peut se dérouler qu'en plein jour. Pas de pouvoir sans visibilité.
Quant au pouvoir oligarchique, il fonctionne de manière dégénérée et affaiblie, puisqu'il suppose un partage qui est parfois très complexe - entre des intérêts qui ne s'entendent que pour prospérer et qui deviennent antagonistes, souvent violemment, quand il s'agit de partager le butin ou quand les intérêts respectifs viennent à être confrontés, c'est-à-dire à se trouver dissidents.
C'est folie que de croire en un pouvoir tout-puissant et fixe de nature secrète et oligarchique. L'identité consiste à instaurer une forme de permanence (de durée) contre le changement incessant et mouvant. Dans cet ordre d'idées, l'identité crée du pouvoir au sens où son rôle est de créer des valeurs comme la volonté générale ou le groupe qui permettront de défier le changement incessant par l'édification de structures supra-individuelles et dépassant le désir (qui est d'essence individuelle, voire individualiste).
Toute l'entreprise de l'identité est d'instaurer une permanence, qui n'est pas possible dans les bornes de l'individu et/ou du désir. C'est dire que l'individuel se meut dans l'immédiat et ne recouvre qu'une partie trop congrue du réel pour accéder à une certaine permanence (permanence fort relative puisqu'elle finit elle aussi par changer, parfois violemment, comme nous l'enseignent les révolutions).
Il convient de dépasser l'individuel qui est trop faible dans le réel pour parvenir à une certaine permanence, aussi relative soit-elle. Mais cette quête de la permanence ne s'obtient qu'au grand jour, dans la visibilité, sans aller jusqu'à cette hypocrite transparence, d'autant plus hypocrite, voire perverse, qu'elle est utilisée par ces mêmes milieux libéraux qui se manifestent par leur allégeance au plus fort. La création de la volonté générale et/ou du groupe se fait ainsi au grand jour, en requérant l'ensemble des forces auxquelles l'homme peut prétendre d'un point de vue collectif, démarche qui implique que le plus visible soit utilisé. Au contraire, le refus du visible implique une démarche affaiblie qui est contrainte d'éviter le grand jour, soit de retrancher des forces collectives pour oeuvrer.
Toute manoeuvre secrète obéit à une intention néfaste (d'où le complot), sans quoi elle s'étalerait au grand jour, ce qui explicite ce qu'est le visible : la partie du réel qui est tenue pour la plus réelle est la partie du réel qui est la plus ordonnée. Sans l'acceptation de cet ordre visible, le réel n'est pas le réel et l'identité est amoindrie, biaisée. Du coup, elle tend vers de plus en plus d'obscurité. Au contraire, plus l'identité tend vers la lumière et la visibilité, plus elle est entière.
La permanence de l'identité est incompatible avec le secret, le caché et l'occulte. Non seulement cette constatation condamne des assemblées plus ou moins secrètes comme le Bilderberg à perdre en pouvoir ce qu'elle gagnent en fascination (cette fameuse fascination pour l'occulte qui est signe d'ignorance renaissante); mais c'est le pouvoir oligarchique qui se montre d'autant plus séduisant et séducteur qu'il repose en réalité sur la supercherie, le déni et le mensonge. Car le pouvoir oligarchique n'est pas l'alternative fonctionnelle et égale du pouvoir républicain (pour opposer les antonymes d'un Platon).
Le pouvoir oligarchique peut déployer tous ses trésors de rhétorique pour laisser entendre qu'il serait cette alternative, voire plus; en réalité, il est une dégénérescence antérieure du pouvoir républicain qui se manifeste par une longévité moindre (parfois éphémère) et par une fragilité tout à fait versatile. C'est précisément pour éviter de tels écueils que les hommes ont cherché à fonder des formes de pouvoir républicaines et n'ont trouvé que l'imparfaite volonté générale pour forger une constitution qui soit plus solide et pérenne que la forme oligarchique.
Dans cette idée, les hommes comme Kissinger sont des paravents. D'une manière générale, les hommes sont des incarnations de principes (d'idées) qui suivent une évolution et une inflexion bien plus longue dans le temps. Les idées politiques durent depuis plus longtemps que les hommes qui les ont incarnées. C'est ainsi que l'opposition entre le républicanisme et l'oligarchie peut être déroulée depuis l'aube des cultures.
Les hommes qui ont incarné ces postures il y a dix mille ans sont presque toujours devenus inconnus - c'est le destin qui attend Kissinger - ou n'importe quel avatar d'oligarchie. Si les idées englobent les hommes, et si les destins ne sont que des signes, utiliser des paravents comme des soleils pour démystifier le complotisme est une supercherie assez retorse. Le complotisme n'est que la maladie interprétative qui saisit ceux qui accordent encore de la valeur à des processus oligarchiques tardifs et avariés (en phase terminale). Le complotisme est une interprétation qui sous prétexte de restaurer l'existence de complots (existence avérée et factuelle, quoique déniée par les soutiens du système) en vient à délirer par la réduction des événements à des complots, de préférence unis entre eux.
Mais il n'existe pas de stabilité dans l'espace du mouvant. Pas de stabilité sous régime oligarchique. Il n'est pas possible que des Kissinger incarnent le pouvoir stable et occulte lors d'assemblées secrètes comme le Bilderberg. Il n'est pas plausible que des Rockefeller soient les premiers ministres du gouvernement mondial occulte. C'est un fantasme prégnant que l'on retrouve (en plus ténu et moins marqué) dans les films mafieux de Scorsese et Co. : les mafieux vivent en parallèle à l'ordre établi, dans un ordre lui aussi établi et avec un boss immuable. Dans Les Affranchis, un classique du genre, le boss, c'est Paulie - du début à la fin du film. A la fin, il est condamné à finir ses jours en prison, toujours aussi fixe et immuable en boss déchu. En plus, Scorsese s'est fondé sur la figure d'un parrain réel, un certain Paul Vario, pour créer son personnage tout en rondeurs et en placidité.
Idem avec Kissinger, qui pourrait avoir pris la place du regretté Harriman ou des frères Dulles dans la tradition oligarchique anglophile américaine. Un représentant immuable de l'oligarchie, quoi. Eh bien, pas de chance. L'ordre oligarchique est le désordre qui détruit en parasitant la volonté générale et qui restaure l'immuable derrière un paravent de permanence relative. A noter que l'oligarchie ne peut s'imposer comme alternative durable au républicanisme sous quelque forme que ce soit. L'oligarchie ne peut que parasiter l'ordre qu'elle subvertit et a besoin d'infiltrer l'ordre républicain pour s'épanouir un tant soit peu.
L'oligarchie qui se présente comme un progrès (voir la propagande pour promouvoir le libéralisme sous sa forme ultra et avant son effondrement) est en fait une régression vers un point de vue original et néfaste : le mouvant précède la quête de stabilité. La quête de stabilité est d'ailleurs la quête du transcendantalisme, à ceci près que le transcendantalisme n'a jamais réussi à proposer une fixité intangible, seulement des repères relatifs et provisoires. Face à cette carence, le nihilisme prospère par temps de crise.
Il promeut le mouvant sous le masque du changement, mais un changement qui serait constant et insaisissable. Cette remarque peut sembler contradictoire avec l'antienne accordée au nihilisme, qui tient dans la quête primordiale de cette stabilité, et elle l'est d'une certaine manière, puisque le nihilisme est irrationnel et inconséquent. Mais alors que l'Etre est la figure de la permanence, le néant est la figure du changement. Quel changement? D'où l'opposition avec le monothéisme : le monothéisme identifie l'Etre comme l'autre, mais cet autre permane, alors que le néant est déconnecté (antagoniste) du fini.
Au fond, le néant est le même dans l'autre, ces catégories ne le concernent pas, il s'en moque. Le réel est toujours changeant. Le nihiliste a besoin d'infiltrer ce qui dure un peu, même provisoirement, même relativement, afin de trouver la stabilité qui lui manquera toujours. En même temps, le nihiliste prétend avoir trouvé la stabilité, sous son mythe moderne de la complétude : comme Deleuze l'affirmait, à la limite, seule la différence se répète.
Le nihilisme joue sur les limites du transcendantalisme, qui ne parvient à expliquer tout à fait les termes même et autre. Au fond, le nihilisme prétend tout réconcilier dans la destruction et le néant. Mais le nihilisme, ambivalent, tend aussi vers le néant en tant que permanence, puisque le néant qui s'oppose à l'être est la figure de ce qui n'est pas en restant tel alors que le réel est destiné à constamment et éternellement osciller.
C'est vers cette définition qu'il faut tirer le nihilisme tout en rappelant son ambivalence ontologique irrationnelle et contradictoire et le fait que les définition qui s'appliquent au transcendantalisme (à l'Etre monothéiste développé par Platon en particulier) ne concordent pas tout à fait avec le remplacement de l'Etre par le néant. Raison pour laquelle la fascination envers le nihilisme est inexpugnable : que ce soit la figure complotiste de Kissinger ou la figure mafieuses du parrain, les deux masques sont frappés du sceau du contradictoire.
Derrière les masques il n'y a personne au sens nihiliste : aucun lieu, aucune identité, aucune définition. Rien que du vent. Du même et de l'autre entachés de néant et de contradiction. Les figures du nihilisme fascinent parce qu'elles sont vides et qu'elles échappent à l'effort d'identification et de définition. Même dans un travail de science social qui échappe à l'ontologie, comme l'anthropologie ou la sociologie, il convient de garder présente à l'esprit que des réunions oligarchiques vantent le mouvant comme régression par rapport à ce qui demeure un peu, et qu'en conséquence aucune réunion de type oligarchique ne peut échapper à sa dure réalité d'évanescence.
C'est le privilège frelaté du complotisme que d'induire une certaine durée, une certaine permanence dans ce qui est vide. Contradictoire de l'état d'esprit nihiliste, ce qui dure est le vide. Le même est le vide. L'autre est ce qui change tout le temps, sous l'effet du néant, mais aussi parce que le permanent est une idée étrange en régime nihiliste (comment comprendre l'idée de même et d'autre pour qui souscrit au néant nihiliste?). Le jeu de mots brillant de Deleuze, qui a fini ne l'oublions jamais défenestré (le sort de tout nihiliste gît dans la destruction), exprime plutôt qu'un aphorisme lacanien l'esprit de la contradiction nihiliste : on résout les problèmes insolubles de type transcendantaliste par la destruction, qui consiste à tout résoudre sans rien résoudre - résoudre dans l'esprit de contradiction.

Le procès du processus

Ce n'est pas parce qu'on domine le processus qu'on le contrôle, la preuve en ce moment. C'est une remarque à adresser à ceux qui font profession de réfuter le complotisme de l'heure, non pas parce qu'ils s'en prennent de manière honnête et réaliste à ceux qui voient des complots partout et qui expliquent les événements par des complots, mais parce qu'ils utilisent de manière rhétorique le complotisme comme une fin de non recevoir paresseuse - pour ne pas penser.
Celui qui prend un ton docte et sentencieux pour mettre en garde contre les complots ou le complotisme dit en substance : "Je refuse de penser". "Ne dépensez pas votre temps en pure perte avec moi". "Je suis contre les complots = je refuse de penser". Mais ce refus de penser, qui après tout renvoie au réflexe moutonnier mis en lumière par la célèbre histoire de Panurge, s'appuie sur le refus de penser ce système. Ce système? L'ordre marchand dominant, l'idéologie ad hoc du libéralisme, le règne de la bourgeoisie d'affaires et d'affairisme (de moins en moins rampant).
Quelle est la particularité religieuse de ce système? Prêcher l'irreligion, sous le masque rassérénant de la laïcité, plus rarement de l'athéisme (qui est une affirmation assez gratuite, voire triviale). Le système du refus du religieux est une religion paradoxale et particulière qui a pour nom le nihilisme. Ce nihilisme moderne prend la forme de l'immanentisme, qui est spécifiquement propagé par le fondateur ès immanentisme Spinoza et ses sectateurs, disciples et admirateurs.
La particularité de ce système, comme l'expliquait doctement Castoriadis, un postmarxiste fort instruit (plus savant que penseur créatif), c'est que l'on passe d'un fondement extérieur à l'homme, imputé au divin, à un fondement autotélique, où l'homme assume de créer ses propres valeurs et ses propres lois. C'est ce que Castoriadis appelle (dans un sabir assez sympathique, quoique lourd) le projet d'autonomie de la société, projet qui est inhabituel dans l'histoire et qui se produirait pour la première fois dans l'histoire occidentale de manière pérenne si l'homme parvient à transformer en réussite l'essai balbutié avec la théorie héritée de Marx (mise en application imparfaite dans les régimes dits communistes).
Cette manière de rendre l'homme auteur (au sens étymologique de garant) de ses propres valeurs pourrait sembler séduisante et trouver l'assentiment de penseurs sophistiqués et érudits comme Castoriadis. La génération postmoderne, à laquelle appartenaient un Castoriadis, quelles que soient ses particularités instructives ou intéressantes, a échoué à trouver une issue à l'impasse immanentiste qui se profilait. Elle était d'autant plus immanentiste (comme le déclarait explicitement Deleuze le spinozo-nietschéen passant pour créatif) qu'elle se trouva précisément incapable de devenir autonome.
C'est dans ce passage de l'hétéronomie à l'autonomie que se trouve le refus enragé de reconnaître l'existence des complots, tant dans la sphère privée que dans la sphère publique. Car si les complots existent, le projet d'autonomie s'effondre. L'homme ne peut mener à bien son projet de fonder par lui-même ses propres valeurs, dans une forme d'autotélisme original et inexplicable, et par ailleurs de supporter l'existence destructrice et affaiblissante des complots.
L'existence du complot dans une société autonome est incompatible avec le projet d'autonomie. Dans une société hétéronome, le complot se trouve toujours, finalement, assujetti à la volonté divine, comme le rappelle adéquatement un verset du Coran (où Dieu est présenté comme le meilleur des comploteurs). D'ailleurs, je me demande si dans l'imaginaire collectif de notre Occident décadent, la phrase "Les complots n'existent pas" ne trouve pas sa source quasiment identique dans la fameuse déclaration : "Dieu n'existe pas".
En tout cas, la reconnaissance, pourtant patente d'un point de vue historique, des complots, tant dans la vie ordinaire que dans la vie publique, ce qui dénote la reconnaissance chez l'homme de l'existence du mal (et du néant), n'est pas compatible avec l'autonomie de la société entendue dans ce sens précis. Soit les complots existent et aucune société autonome ne peut prospérer (ce qui expliquerait peut-être leur inexistence écrasante); soit les complots n'existent pas et une société autonome peut enfin voir le jour, prospérer et imposer sa supériorité.
La phrase : "Les complots n'existent pas" est assénée avec la force d'un dogme (je n'ai pas dit d'un doge!) parce qu'elle exprime le fond de la pensée immanentiste (qui veut que la spécificité de l'immanentisme ne puisse être menacée par des actions humaines tortueuses et mesquines). Tout ennemi présent du complotisme est un immanentiste qui souscrit, plus souvent de loin que de près, aux velléités de Nietzsche le prophète de l'immanentisme tardif et dégénéré : fonder une mutation ontologique qui ne change pas de dimension ontologique, mais qui s'opère dans ce monde-ci, pour réfuter l'idéal romantique et pour muter dans le souci de l'immanentisme (en constante opposition avec le platonisme).
Le refus du complot est un symptôme de la phase terminale, car les complots surgissent toujours en période de décadence, dans l'affaiblissement du pouvoir visible. Pour remédier à cet affaiblissement, les comploteurs intentent des coups tordus ayant pour prétention désespérée et suicidaire d'enrayer le processus d'effondrement et de reprendre la main coûte que coûte, y compris par la violence (c'est ainsi que le pouvoir financier mondialiste et libéral a essayé de faire du 911 l'événement catalyseur justifiant sa reprise en main de l'effondrement systémique actuel).
Comme le complot est voué à l'échec dans son intention et ne fait qu'accélérer le processus qu'il prétend endiguer, le refus du complot n'est qu'un symptôme qui, comme l'action paresseuse (fai-néante), n'ajoute pas un iota au changement en période de crise. Le refus du complot est le cri désespéré, voire la plainte douloureuse, pour ne pas dire plus, de celui qui amerait tant que le fonctionnement du système soit inattaquable, ou que mutation ontologique soit possible hic et nunc.
Admettre le complot dans cette optique (pour l'anticomplotiste partisan du système immanentiste) reviendrait à admettre l'inadmissible. Autant dire à signer son accord de suicide séance tenante. Raison pour laquelle l'anticomplotiste évacue d'autant plus le sujet saugrenu du complot qu'il se montre d'autant plus intéressé (cette fois d'autant plus vivement) par des questions progressistes comme l'amélioration de l'égalité sociale ou l'idée de progrès. Mais cette curiosité légitime se montre du même tonneau (de mauvaise foi) que le déni de complot : il n'est pas possible de transformer un phénomène symptomatique sans la reconnaissance lucide de ses causses.
Toute fausse cause engendre un faux effet. Tel est le néfaste effet du déni : en refusant de reconnaître la réalité, il provoque la destruction. Merci sans doute aux complotistes de précipiter par leur déni carabiné l'effondrement d'un système aussi putride que celui de l'ultralibéralisme mondialisante actuel. Car la phrase "les complots n'existent pas" signifie in fine et au fond : "Les complots sont trop insupportables pour être reconnus". Non seulement leur reconnaissance impliquerait que le système n'est pas viable (première reconnaissance cruelle et insupportable), mais encore que l'homme n'est pas autonome - et dépend du réel (d'où : du divin).

P.S. : la deuxième dette est encore plus lourde à régler que la première reconnaissance (de dette).

mercredi 27 octobre 2010

Renabot

Un Daudet au Renaudot? - Comment être contre le système qui vous le rend bien.

Si nous remettons les choses en place concernant un événement insignifiant fort significatif (ce qui donne sens sur le moment est souvent insignifiant, ce qui dure souvent insignifiant sur le moment), restaurons une lucide vision : à propos de la nomination en seconde liste au Renaudot d'un Marc-Edouard Nabe, pseudonyme pour un certain fils de, un jazzman qui s'est rendu célèbre (et aisé) par un tube fameux quoique médiocre. Si tant est que nous ayons un peu de goût et un peu de distance, nous pouvons nous rendre compte que notre turbulent écrivain contemporain vaut mieux qu'un Beigbeder, moins que la cheville d'un Céline, qui est l'un de ses auteurs de révérence. Un mineur - de l'écriture.
Mais assez perdu de temps à jauger d'un style sans fond et plein de fard qui ne passera pas la rampe de la décennie. Nabe aurait-il gâché sa gouache? Pas sûr - quand on contemple ses tableaux. Depuis peu, après une saison en enfer, c'est-à-dire dans l'ostracisme mondain et médiatique (relatif), Nabe a trouvé son annabase. Nabe a cru rebondir en passant la postérité puisqu'il ne passerait pas à la postérité - la fausse invention du concept d'anti-édition. Un peu de lucidité, bonnes gens, Nabe n'a rien inventé du tout.
Une fois de plus, il a fait montre de sa mentalité people outrancière et désuète en tirant Internet vers Gutenberg et en parodiant l'autoédition qui a eu ses grandes modèles entre le dix-neuvième et le vingtièmes siècles. A part insulter copieusement les critiques, ce qui en dit long sur son talent de haine et l'importance qu'il leur accorde, notre soi-disant Grand Ecrivain pour rebelles fascinés par la contre-culture médiatique, celle qui croit qu'on est pour quand on est contre, montre de plus en plus ouvertement qu'il ne vaut guère mieux que ceux qu'il assaille de ses sarcasmes.
A force d'être contre, Nabe est tout contre. Nabe se trouve nominé en seconde liste pour le Renaudot, un de ces innombrables prix parisiens, totalement sous la coupe des milieux de l'édition que notre Nabe prétend combattre et quitter. Comment expliquer ce miracle? Des malhonnêtes médiocres qui soudain deviendraient des saints? Une explication : Nabe fait partie de ce milieu et a rendu service à ce milieu en prétendant le desservir. Il joue à l'ostracisé, mais c'est en tant que people (marginal) qu'il incarne la figure de l'écrivain maudit. Notre Nabe veut bien être anarchiste, maudit, décrié, banni, à condition qu'il soit people.
Autrement dit, Nabe est un élitiste fervent qui joue à fond sur la montée en puissance de la mentalité oligarchique dans notre époque. Il n'est pas anarchiste, mais individualiste, égocentrique et arrogant. Ses journaux intimes narrent en détail cette croissance impudente de la mondanité comme reflet de l'oligarchie, mentalité détestable à laquelle Nabe adhère sous le masque de l'anarchie. Comment être soutenu par ceux qu'on attaque en apparence? Se moquer de l'intérieur, sans esprit d'extérieur. Nabe est un terrible aveu de ce qu'est un petit écrivain mondain (un salonnard à la Léon Daudet) qui croit que c'est en invectivant de haine le milieu auquel il appartient qu'il accédera à la postérité. Malheureusement, Proust le montre, on ne peut sortir de son milieu qu'en se montrant capable de porter un regard critique.
Avant d'y parvenir, Proust écrit Jean Santeuil, un roman encore sous la coupe de Saint-Germain. Proust a réussi à sortir La Recherche, Nabe ne passera pas la barre - à thym. Anti-Proust, sous-Céline, Nabe reste à l'intérieur en confondant l'extérieur et la méchanceté. Nabe accepte de détruire l'objet auquel il appartient à condition que cet objet demeure son cocon protecteur. C'est en apparence irrévérencieux, mais c'est tout à fait contradictoire. Pour critiquer son milieu social, il faut inventer un nouvel endroit où se tenir. Proust inventera un lieu supérieur à la mondanité, qui sera l'adhésion à une métaphysique d'inspiration platonicienne, quoique de réalisation contestable, entre Bergson et Schelling.
Nabe n'a rien inventé du tout puisque les valeurs qu'il promeut, outre qu'elles sont contradictoires, superficielles et à courte vue, comme son anarchie mondaine dans la droite ligne du professeur Choron, ne mènent que vers le soutien objectif des valeurs dominantes qu'on prétend combattre. Nabe serait un rebelle qui soutiendrait les valeurs musulmanes contre le libéralisme occidental? Comment ne pas voir qu'il s'agit d'une parade où l'Islam (avec sa variante géographique l'Orient) se trouve largement fantasmé, quand aucune alternative politique n'est proposée pour remplacer le libéralisme?
L'événement capital qui fonde notre époque est le 911. Ceux qui comprennent que la VO est fausse n'ont certes pas toutes les chances d'avoir compris, car ils peuvent se tromper du tout au tout concernant la véritable version des faits (ainsi de ceux qui s'arrêtent à l'accusation contre les sionistes, alors que la participation des sionistes ne peut qu'être subordonnée à la commande supérieure des financiers de l'Empire britannique); mais ceux qui soutiennent la VO du 911, qui sont-ils? Ils ont toutes les chances de n'avoir rien compris.
Leur masque tombe, car quelle que soit la position dont ils se réclament, ils soutiennent le système au moment où il tombe. Ils ne se plantent pas, ils récoltent leur ivraie. On a vu le masque tomber chez ces hideux gauchistes des Etats-Unis qui défendaient d'autant plus la VO du 911 qu'ils s'en prenaient à l'impérialisme américain (comme si l'impérialisme actuel émanait d'un Etat-nation, alors qu'il prend en orage les Etats-nations et qu'il est le fait de factions oligarchiques, mondialistes et apatrides). L'identité de Nabe est encore plus tragique : c'est en anarchiste qu'il défend la VO au moment où elle est sur le point de s'effondrer.
Est-ce parce qu'on ne peut accéder à la vérité quant au fonctionnement du système mondialiste quand on est un people parisianiste et salonnard, un mondain qui trompe son monde et qui se trompe de monde? Non seulement Nabe s'égare du tout au tout, mais il ne peut pas ne pas se rendre compte qu'il se plante - à moins de manifester une gaucherie moins gauchiste que veule. La deuxième option est malheureusement crédible. En tout cas, son livre anti-édité n'est possible que parce que Nabe le people mondain a les relations et les moyens pour réaliser ce genre de prouesses financières et alors que la qualité littéraire Gutenberg est tout à fait médiocre.
La nomination indirecte au Renaudot, pour très peu valorisante qu'elle soit (même relativement), indique ce qui se passe dans les cercles oligarchiques du milieu littéraire : la crise de valeurs est tellement grave (et tellement plus qu'économique) qu'on encense celui qui défend le fonctionnement oligarchique, quelles que soient les conditions qu'il y met. Défendre la VO du 911, c'est être pire qu'aveugle. C'est être le pire des collaborateurs - pour celui qui osa dénoncer les collabeurs. Quant à produire des romans d'autofriction sur un monde d'anti qui défendent la VO et attaque les élites parisianistes, cette mascarade situe l'usage que Nabe fait de la littérature.
Comme ceux qu'il dénonce, lui aussi est un imposteur, mais un imposteur contre le système qui le lui rend bien. Etre anti, c'est apparemment pour ce genre de milieu être entier. Las! C'est Gutenberg qui se frotte les mains. La preuve que l'antiédition est l'allié objectif, voire l'idiot utile de Gutenberg (des maisons d'édition honnies), c'est que Gutenberg fait cas du faux rival rivé sur ses apparitions télévisées. Nabe peut bien se moquer des cercles oligarchiques avec un mauvais goût impayable - et croire de surcroît dans un élan d'individualisme grotesque et narcissique qu'il est trop fort, la vérité est que les premiers à le défendre sont les plus attaqués.
On mesure à ce genre de pitrerie la valeur effective des attaques. Nabe aurait attaqué des figures sacrées comme FOG, le méphistophélique patron du Point, qui représente une certaine tradition oligarchique française, celle des intérêts Pinault et de l'ultralibéralisme Sarko? Eh bien, d'après les confidences du Monde, un organe de l'ultralibéralisme de gauche, Giesbert en personne parrainerait la promotion de Nabe. Giesbert le cynique, qui n'en est pas à un calcul, se moque bien que Nabe se moque de lui! Entre people, on se comprend.
Ce qui intéresse notre Raminagrobis médiatique, c'est que Nabe, en défendant la VO du 911, soutient le milieu littéraire qu'il vomit. Beurk! L'anti-édition menace tant l'édition classique que Nabe lui-même avoue : en toute humilité, il faut être un écrivain de sa stature pour recourir à un système d'édition aussi coûteux. Au fait, qui soutient financièrement Nabe pour qu'il imprime son antiroman? Encore des mécènes aveuglés par son génie artistique si criard? Toujours cette clique qui accepte qu'on dénonce le système pourvu qu'on ne se presse surtout pas de changer le système si détesté? Qu'un Giesbert ait pu selon Le Monde soutenir Nabe en dit long sur l'engagement politique de Nabe, qui est une tartufferie vicieuse, et qui est connecté avec sa littérature.
Quand Nabe se trompe sur le 911, il se trompe par ricochet et plus fondamentalement sur son art. Il se trompe sur tout. Il trompe ses lecteurs enthousiastes qui croient défendre un véritable artiste résistant contre le système, alors qu'ils promeuvent une voix hystérique qui soutient le système oligarchique sous prétexte de la dénoncer - et promouvoir des valeurs individualistes exacerbées, comme l'anarchisme... L'affaire du Renaudot serait un gag tout à fait anodin (tellement dérisoire pour le prix Renaudot lui-même) s'il ne dévoilait le fonctionnement du système : tant qu'on collabore avec lui, il passe tout, y compris les pires insultes.
La fausse opposition est une posture. Le problème pour situer la valeur littéraire (et morale) de Nabe, c'est que notre romancier romancé se met à défendre le système au moment où il s'effondre. La nomination secondaire au Renaudot, prix de troisième catégorie, n'est pas seulement une insulte à l'effort de collaboration active de Nabe. C'est aussi la preuve que dans les milieux autorisés, la crise est passée par là et tout le monde se porte mal. Ceux qui soutiennent ouvertement comme ceux qui font mine de s'opposer en apparence.

lundi 25 octobre 2010

La Fronde

Le pouvoir oligarchique ne supporte pas qu'on le dévoile, mais supporte qu'on le voile.


Qu'est-ce que l'oligarchie? Ce n'est pas un pouvoir occulte unifié qui serait calqué sur le même modèle que le pouvoir visible. C'est un pouvoir affaibli, diffracté, éclaté. Il n'existe pas de pouvoir unifié, pyramidal et fort dans le régime de l'occulte et dans le registre du secret. Raison pour laquelle les complots, s'ils existent bel et bien, signalent un affaiblissement des structures de pouvoir, pas du tout la manifestation de la toute-puissance maléfique et/ou diabolique. Le délire complotiste, au sens strict du terme, et pas dans une acception de mauvaise foi (pour ceux qui veulent éviter les problèmes pourtant effectifs), signale l'affaiblissement, pas la force dans l'occulte.
Le délire de toute-puissance du mal n'existe pas. Le mal est tout-faible au sens où il se présente comme tout-puissant. C'est une toute-puissance de l'instant qui sur la durée est toute-faiblesse. C'est un instant qui se voudrait éternité. Le subterfuge de cette supercherie consiste à faire comme si l'instant était l'éternel. Déni aussi impossible qu'improbable. Prenez le cas Montbrial. Notre économiste brillant, ultradiplômé, est un cas d'oligarchie. Il appartient à ces conseillers économiques français qui opèrent au plus haut niveau de la stratégie économique française, en lien avec les institutions internationales les plus éminentes.
Montbrial est accessoirement membre du fantasmé Bilderberg, mais surtout provient du cénacle de ces stratèges économiques qui oeuvrent au Conseil d'Analyse et de prévision et qui ont fondé des relais privés de ces partenariats publics (comme les think tanks IFRI ou CEPII). En France, Montbrial est une des ces têtes (dé)pensantes qui ont garanti le passage du régime républicain gaulliste au régime oligarchique de facture ultralibérale avec le passage de l'indépendance française (dont le républicanisme intérieur était additionné de néo-colonialisme à l'extérieur) à l'indexation aux normes de l'Empire britannique (l'Empire français existait avant qu'il ne soit avalé par l'Empire britannique).
On s'émeut aujourd'hui du spectacle sinistre d'un président français néoconservateur et ultralibéral, mais le parcours d'un Montbrial rappelle que cette évolution n'est pas récente, mais provient de ces quarante dernières années. Montbrial a commencé à investir au plus haut niveau économique de l'Etat français sous VGE. Un Montbrial n'est pas davantage le maître tout-puissant et occulte de l'oligarchie française que David Rockefeller (que l'on présente parfois comme le premier ministre occulte du capitalisme mondialisé!) ou même un Jacob Rothschild, pourtant assez influent dans ces arcanes nauséabondes de la finance justement baptisée de folle.
Montbrial prouve seulement que le pouvoir oligarchique est multiple, éclaté et affaibli. C'est une mentalité qui ne procède pas de décisions concertées et pyramidales. Un Montbrial illustre le fait que le pouvoir s'est affaibli au sens où la prise de décision s'est élargie et s'est diminuée. Alors que le pouvoir des Trente glorieuses concentrait les décisions entre quelques mains, le pouvoir ultralibéral est oligarchique au sens où il dissémine les décisions entre les mains d'une infinité croissante de cerveaux.
Paradoxe oligarchique au sens où le peu accouche d'un nombre croissant de membres. Un Montbrial illustre ce glissement vers le pouvoir oligarchique au sens où il enseigne la science économique ultralibérale et monétariste dans des institutions prestigieuse comme l'Ecole Polytechnique, qui est le reflet actuel de la mentalité oligarchique et immanentiste (trahison complète de sa fondation te de l'histoire d'un Carnot).
Montbrial est un symptôme et un indicateur de ces élites oligarchiques qui révèrent le paraître financier, mais qui ne cessent de croître comme les métastases d'un cancer. L'image du cancer est l'indicateur de l'oligarchie, comme l'avait bien senti le candidat présidentiel Cheminade en 1995 (largement calomnié et ruiné par ce même pouvoir oligarchique qui ne supporte pas qu'on le dévoile, mais qui supporte qu'on le voile). Le cancer est cette maladie qui prospère tant qu'elle gangrène un corps. Mais paradoxalement le triomphe suprême du cancer signe aussi sa défaite inéluctable : car le triomphe du cancer implique la défaite du corps contre lequel il lutte et qu'il habite contradictoirement.
Du coup, si le corps parasité meurt, le cancer victorieux précipite aussi sa disparition définitive. Ainsi de l'oligarchie qui gagne en pouvoir tant qu'elle métastase les institutions républicaines mais qui a besoin de ces institutions pour prospérer. L'oligarchie n'est pas un système alternatif et pérenne du système républicain. C'est un système vicieux qui tel le coucou parasite le système majoritaire et qui besoin de l'existence de ce corps qu'elle prétend combattre. Encore un signe qui manifeste l'infériorité et le caractère autodestructeur plus encore destructeur de ce système vicié.
Le fonctionnement de l'oligarchie n'est pas pérenne et ne respecte pas le principe de non contradiction. D'ailleurs, les immanentistes terminaux comme Rosset s'en vantent : ils soutiennent l'irrationalisme, ainsi que le réclamait un Leopardi, qui demande rien moins que l'accession supérieure au principe de contradiction. Ben voyons. Bien entendu, les théoriciens lucides du nihilisme ne sont pas légions, car le propre du nihilisme est d'avancer masqué ou plutôt dénié.
Des théoriciens comme Montbrial n'ont aucun regard lucide sur le mécanisme ontologico-religieux qui les meut. Au contraire, ils suivent des principes économiques comme l'ultralibéralisme qu'ils mâtinent parfois de considérations keynésiennes (qu'ils tiennent pour progressistes). Mais des Montbrial sont des stratèges qui se meuvent à l'intérieur de l'immanentisme, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas conscience de son extériorité et qu'ils le prennent pour un substrat dogmatique indéboulonnable.
Les théoriciens qui sont mis en avant actuellement et qui défendent les principes du libéralisme (que ce soit progressiste ou conservateur) n'ont pas la faculté d'analyser le champ du réel par rapport à l'homme. Ils réduisent, ils réduisent. Ils pensent à l'intérieur de la société humaine, mais ils vont bien plus loin que la réduction d'obédience positiviste intentée par les sciences humaines. A l'intérieur de la société humaine, ils pensent en termes d'économie et plus encore de financier (monétariste).
Ces types (au sens balzacien) sont des hyperréducteurs, qui ont de tels prismes déformants qu'ils sont incapables de remettre en question les postulats infranchissables et irréfutables qu'ils estiment réels alors qu'ils ont été instaurés seulement par la mentalité humaine et étriquée d'où il viennent. Quand on comprend Montbrial comme un type du monétarisme assez conservateur, on mesure l'aspect aussi emblématique que roboratif de son analyse. Il prétend apporter, en qualité de président de l'IFRI et créateur d'un énième think tank consacré à la mondialisation libérale (en phase ultra), son analyse qui est assez surfaite.
En gros, Montbrial est en faveur du droit des plus forts, qu'il remet à la sauce mondialiste du jour. Rien de bien original. Les théoriciens de son acabit sont souvent formatés, peu originaux et ne font que renvoyer à la mentalité de ceux qui ne versent pas dans l'analyse, mais dans l'action purement économique. Montbrial se montre fasciné par la culture libérale anglo-saxonne et par le côté international du mondialisme (la mondialisation à la sauce libérale). Quels sont les adjectifs qu'il emploie pour qualifier la mondialisation qu'il entrevoit en stratège ventriloque des élites acquises au libéralisme? "Multipolaire, hétérogène et global". Ce triptyque très professoral lui permet de se glisser dans la peau d'un théoricien travaillant à partir du kéynésisme, en tout cas à partir de l'idée selon laquelle la mondialisation suppose une gouvernance. Désormais que l'unipolarité est un concept faisandé et périmé, faisant trop impérialiste, il convient de l'habiller du doux nom de multipolarité - et de s'attacher aux deux autres adjectifs que Montbrial emploie pour comprendre cette mentalité.
Tout d'abord, global (pour ne pas suivre l'ordre qu'il privilégie). On aura un aperçu de cette globalité en reprenant le modèle actuel de l'Union européenne. Alors que les fondateurs de l'Europe l'avait axée sur un projet politique (l'Europe des nations), nous sommes passés à un modèle qui pour trouver un point fédérateur rapide a abandonné toute prétention politique, qu'il a remplacée par de l'économique le plus dévalué - du financier.
Le fonctionnement de l'Union européenne est ultralibérale suivant de petites inflexions qui entérinent les fondamentaux les plus radicaux et impérialistes. Or c'est ce modèle postimpérialiste (selon les termes des gourous de cette Union européenne) que Montbrial reprend pour qualifier la future globalité. L'humanité mondialiste sera gouvernée par des critères purement financiers et avec l'apologie inconditionnée du droit du plus fort. Marche ou crève - malheur aux vaincus. Le pire est que Montbrial, saisi par une démesure qui rappelle celle des concepteurs de la tour de Babel, n'imagine que son alternative ou le chaos.
L'excuse est toute trouvée pour ces sbires cyniques et sinistres : c'est soit le droit du plus fort, soit rien. Et après, comment voulez-vous ne pas qualifier cette mentalité de nihiliste (même déniée et inconsciente)? Mais alors quelle est cette hétérogénéité que Montbrial entrevoit comme inévitable?
- Elle cache un cynisme invraisemblable, car Montbrial use d'une litote pour ne pas dire que ce monde multipolaire mais globalisé qu'il entrevoit implique des inégalités assez flagrantes. Sans le vernis jargonnant qu'emploie Montbrial pour se parer du prestige professoral, c'est un modèle classique d'oligarchie, dans lequel très peu de gens concentrent la majorité des richesses, quand la plupart vivent plus ou moins dans la misère.
- Cette hétérogénéité est un terme technique dérivé de la multiplicité chère aux atomistes et aux écoles d'obédience nihiliste de l'Antiquité. Un monde qui serait unipolaire serait au fond incompatible avec le principe oligarchique dérivé de l'ontologie nihiliste. Montbrial évoque l'erreur de l'unipolarité avec une certaine satisfaction, car elle lui permet de passer pour un progressiste; mais aussi de ne pas sombrer dans une vision simpliste qu'il estime pour sa part fausse. Montbrial est un conservateur mâtiné de progressisme, qui se montre favorable à la liberté d'expression pourvu qu'elle ne remette pas en question son cadre de penser.
Dans la conception antique, le monde ne peut qu'être multipolaire si l'infini est déni ou est plus explicitement défini comme le synonyme du néant. Cas d'un Aristote pour le déni; cas d'un Démocrite pour l'atomisme. Dans tous les cas, la multiplicité ontologique est prolongée par l'hétérogénéité politique. Certes, cette hétérogénéité est source de multiples scandales pratiques, mais elle devient nettement plus acceptable quand on la domine et qu'elle est tenue pour nécessaire.

dimanche 24 octobre 2010

Contre-néant

Quel est le lien entre fini et infini? Quand on pose un monde fini, tel Aristote qui n'invente pas cette assertion, mais la tient d'une longue tradition nihiliste, issue en particulier des religions perses et babyloniennes, on sous-entend ipso facto l'existence du néant. Comme la validité du nihilisme repose sur le déni, le plus important est de mesurer le néant derrière l'infini le plus vague et le moins défini. C'est ainsi que dans l'immanentisme, Spinoza ensevelit la question épineuse de l'infini sous le masque de l'incréé.
Puis, satisfait de son tour de chauffe, il finit par expliquer que l'important n'est pas l'infini, mais l'incomplétude. L'infini n'étant pas défini, on évacue le problème (caractéristique du déni) en se concentrant (focalisant) sur le désir. Au lieu de s'embarrasser de l'infiniment grand, qui est l'Arlésienne de l'inexplicable, autant se satisfaire (ce qui est le cas de le dire avec le désir) avec ce qu'on a. Pas l'infiniment petit, mais le réel à taille humaine.
C'est l'antienne du nihilisme que de définir le réel comme ce qui est humain (accessible à l'homme) : "le réel est le fini" signifie que le fini est le sensible - pour l'homme. Il est plus facile de définir ce qu'on connaît que de se coltiner la définition de ce qu'on ne connaît pas. C'est ce que note Rosset au début du Principe de cruauté quand il remarque que la tâche de la philosophie consiste à définir l'infini qui est aussi l'inconnu. Rosset a résolu ce problème en immanentiste disciple de Spinoza (et de Nietzsche) - en optant résolument pour la satisfaction myope (ou réductionniste) du désir.
Mais les immanentistes n'ont pas progressé d'un iota depuis leurs devanciers du nihilisme atavique. Malgré la soif d'exactitude géométrique d'un Spinoza, les nihilistes en sont toujours à mentir sur l'infini, dont il se débarrasse comme d'un cadavre putride qui empestera le placard et dont il convient séance tenant d'oublier l'existence controversée et (bientôt) scandaleuse. Quel est le lien entre fini et infini?
Bien que Nietzsche, dans son égarement aussi logique que mental, ait cru bon de préciser que les dualistes étaient les platoniciens, soit les transcendantalistes monothéistes recourant au raisonnement philosophique, il a oublié d'ajouter que le véritable dualisme est nihiliste. Le véritable dualisme est antagoniste. Il oppose le fini à l'infini, le réel au néant. L'orde se trouve certes défini avec précision, encore qu'il n'échappe pas à l'indéfinition de ce qui est infini, mais le néant se trouve indéfini comme l'indéfinissable et l'inconnaissable.
Du coup, c'est le réel qui se trouve pris dans les rets du déni nihiliste, qui obscurcit le problème en prétendant le résoudre (au moins l'alléger). Du coup, on ne peut expliquer le réel par le néant puisque le néant est inexplicable. L'inexplicable n'explique pas le réel, a fortiori si l'on ajoute que l'inexplicable est tenu pour l'antagoniste. Peut-être le synonyme du diable? Si le diable est l'ennemi, il l'est au sens de l'antagoniste.
Le réel se retrouve morcelé sans autre explication que l'observation immédiate et irréfutable. Alors que l'effort de réflexion des transcendantalistes tend à expliquer la multiplicité, les nihilistes s'en accommodent. Tout l'effort d'un Platon par exemple est d'expliquer le multiple par l'Un, étant entendu que l'explication multiple réduit toujours la tentative d 'explication avant l'unicité : l'unicité est le fondement de toute explication, surtout dans une mentalité monothéiste.
Alors que dans le nihilisme, l'unicité est niée comme une illusion redoutable. L'école d'Abdère dont est issu l'ennemi de Platon, le savant Démocrite, héritier grec du savoir babylonien, promeut ainsi la théorie des atomes qui est tout à fait fausse, puisqu'elle finit par réfuter l'infini par les atomes matériels (dont Leibniz s'est peut-être inspiré pour forger une théorie postplatonicienne aux antipodes). Mais cet éloge irrationnel et contradictoire de la multiplicité (l'infinité des atomes indivisibles et infiniment petits, dont par combinaison sont issues toutes les choses) ne résout pas le problème de l'Un.
L'explication ontologique implique que le néant soit entendu comme l'attend Hésiode : il est certes indéfinissable, mais on peut le décrire comme repoussoir de l'ordre, comme le chaos et le béant (le néant est béant?). Dans cet ordre d'idées, le chaos qui est le principe supérieur du réel est multiple. Il provoque des explosions et de l'instabilité. Il déstabilise, pour parler à la manière de certains géopoliticiens férus de violence.
Selon cette mentalité dangereuse, destructrice et suicidaire, la multiplicité de l'être est inévitable puisqu'il n'existe aucun principe d'unité et que, pis, le principe supérieur est multiple lui-mêmee. Pour preuve, le fait que l'ordre qui naît du chaos se régénère en provoquant une explosion tumultueuse. Le multiple se trouve non seulement expliqué, mais loué. Sans doute est-il cruel ou tragique, pour reprendre le vocabulaire d'un Nietzschéen et à sa suite d'un Rosset, mais ce qui compte après tout, ce n'est plus l'unité, c'est la complétude; et cette complétude se localise au niveau du désir individuel, c'est-à-dire qu'elle favorise la multiplicité - alors que l'unité n'est envisageable qu'avec le postulat de ce qu'on nomme divin et qui est l'explication au réel.
L'unicité du réel n'est concevable que dans un principe qui n'est pas antagoniste au réel. C'est à chaque fois la définition de l'infini qui se trouve en jeu. Si l'on définit l'infini comme l'antagoniste, il n'est plus d'Un et le multiple se trouve restauré. On perd les principes d'explication causale et de connaissance, qui passent forcément par le principe de l'unité (tous les transcendantalismes, y compris les polythéismes, se fondent in fine sur le principe d'un dieu supérieur, soit le principe explicatif d'unité).
Dans la définition de la contre-culture comme programme récent d'oligarchisation de la société mondialisée, on constate une explosion florissante des différentes chapelles culturelles, au point que le piège tient à l'opposition de styles entre les différentes et exponentielles chapelles. Ainsi que l'ont constaté des anthropologues et des sociologues observateurs de la société occidentale, de ses fonctionnements aussi bien que dysfonctionnements, le plus incroyable est tout le monde y soit rebelle à l'ordre établi. L'ordre établi est d'autant plus facteur d'opposition qu'il est indéfinissable et bientôt irrationnel.
Tout le monde est contre, mais contre - rien. Tel est le principe de la contre-culture et son mythe pérenne, au sens où si les innombrables contre-cultures détruisent l'édifice comme l'on scie la branche sur laquelle on est assis, c'est aussi qu'elles ont le sentiment d'une unité fédératrice et inexpugnable. Le fédérateur tient ici au contre. Tout le monde est contre, sans que personne ne sache définir au juste ce contre entièrement négatif - nihiliste. Bien entendu cette unité d'apparence est promise au délitement rapide, qui se constate déjà quand on observe la longévité éphémère de chacune des chapelles de contre-culture.
L'existence contemporaine de la floraison contre-culturelle, dont le processus est de plus en plus rapide, éphémère et nul, aussi drôle qu'accablant, indiquant un phénomène de délitement manifeste, n'est pas un exemple parmi tant d'autres de la multiplicité, mais le résultat de l'opposition entre culture et contre-culture, qui est sous-tendue par l'opposition religieuse entre transcendantalisme et nihilisme. La culture est le produit du transcendantalisme religieux.
La contre-culture est le produit du nihilisme, dont l'incarnation politique est l'oligarchie. Quand on est nihiliste, on est en faveur de la contre-culture, à condition bien entendu de préciser qu'on est pour que le peuple soit en faveur de la contre-culture. Le véritable nihiliste, qui fonctionne sur le déni, déteste les productions médiocres et innombrables de contre-culture. Il le dit explicitement, car le véritable nihiliste est l'oligarque qui domine la société et qui considère les productions populaires de sa mentalité comme l'incarnation de la dégénérescence dominée (la fameuse morale des esclaves chère à Nietzsche, même si on nous bassine avec le fait que l'esclave pour Nietzsche n'est plus l'esclave sociologique, mais le mouton qui suit les valeurs de la masse).
Mais il n'est pas possible que la contre-culture soit une, car elle est adossée sur l'ontologie nihiliste qui nie l'Un et ne reconnaît que le multiple. Dans cette mentalité, les adeptes de la contre-culture multiple et massive sont les idiots utiles des oligarques qui, se satisfaisant d'un système faux et simpliste, ne méprisent rien tant que ce qu'ils sentent dominer. Tant il est vrai que dans le système nihiliste, le mépris est le signe de la puissance. De l'élection. De la supériorité.

jeudi 21 octobre 2010

Mythe et rang

« J’ai commis au moins une faute dans ma vie, celle-là. »
François Mitterrand, à propos de son recours massif à la peine de mort pendant la guerre d'Algérie contre les résistants algériens.

Alors que nous vivons une époque dramatique où le gouvernement de Sarkozy donne des signaux de détresse en versant dans le pré-fascisme, alors que les coupes sombres s'annoncent en Grande-Bretagne pour lutter contre le déficit public du pays, la position de Mitterrand pendant la guerre d'Algérie vient rappeler qui fut notre Premier président socialiste : non un socialiste, mais un synarchiste.
Autrement dit, l'avènement au pouvoir de Mitterrand en tant que socialiste indiquait que le socialisme avait été subverti par la synarchie et que le fascisme de gauche arrivait au pouvoir. Mitterrand était-il de mauvaise foi quand il abolit la peine de mort en 1981? Sans doute est-ce oublier qu'un des premiers principes des fascistes de gauche remonte au nietzschéisme de gauche défendu par les postmodernes (on se souvient que Deleuze ou Foucault était très liés avec le régime de l'Elysée) : la vérité n'existe pas.
Mitterrand ne croyait pas à la vérité. Il croyait à la loi du plus fort. Sa loi personnelle, tissée d'individualisme et de narcissisme. Aussi est-ce de manière cohérente qu'il s'engagea jeune dans des mouvements proches de l'extrême-droite bourgeoise (toujours cette haine du peuple chez le fasciste de gauche); puis qu'il évolua petit à petit vers la gauche subvertie, où il y avait une place à prendre : c'était l'époque où on créait une nouvelle gauche, une gauche qui rompait avec le collectivisme.
Des documents irréfutables indiquent les collusions entre l'atlantisme et cette deuxième gauche, mais on oppose souvent à cette gauche libérale une gauche authentique et modérée, dont un Mitterrand serait en France l'incarnation couronnée de succès (il gouverna pendant quatorze ans). En fait, la véritable opposition dans ce rapport de forces politique se situerait plutôt entre ceux qui poursuivaient l'entreprise de gauche (collectiviste) et ceux qui rompaient avec le socialisme pour adouber le libéralisme.
Mitterrand fut incontestablement un de ceux-là, ce qui fait que son opposition viscérale et vicieuse à Rocard fut avant tout une opposition interne (les haines les plus tenaces sont les plus proches). Rocard est un social-démocrate, quand Mitterrand était davantage un conservateur travesti, grand amateur de la mentalité vénitienne, ne l'oublions jamais.
Un conservateur de gauche, c'est quelqu'un qui accepte certains progrès d'apparence tant que le fond demeure. Mitterrand était un impérialiste et un colonialiste convaincu, tandis qu'il sut évoluer de manière démagogique et habile à propos de sujets sociétaux comme la peine de mort. Les positions d'un Mitterrand concernant la peine de mort sous la Quatrième République ne choquent que celui qui n'a pas pris en compte les révélations historiques sur le passé vichyste de Mitterrand et sa proximité avec les milieux synarchistes jusqu'à la fin de sa vie.
En pleine affaire Bettencourt, ne jamais oublier (entre autres faits accablants) que Mitterrand était un intime d'André, le mari défunt de Liliane, et que nombre de ses conseillers et/ou ministres étaient des héritiers directs du synarchisme. Après la Seconde guerre mondiale, Mitterrand est un homme d'extrême-droite
bourgeoise
(déjà travesti en résistant) qui évolue vers la droite bourgeoise. De Gaulle, qui est un patriote français et un conservateur classique, de type catholique, hait Mitterrand, qu'il a identifié, non comme un ennemi politique au fond inoffensif, mais comme l'incarnation de la mentalité fasciste évoluant peu à peu vers la gauche pour des motifs d'intérêt personnel.
Puis, de la mort de de Gaulle jusqu'à son accession à la présidence française, Mitterrand s'engage dans l'entreprise de subversion de la gauche modérée dite socialiste, qui passe des idées de Jaurès, Blum ou à la création du libéralisme de gauche. Il fallait des hommes pour cette entreprise. Il y en eut de sincères, quoique paumés, comme Rocard ou Jospin; et de purement intéressés, comme Mitterrand. On vante souvent l'intelligence supérieure et sardonique de Mitterrand.
Sans doute au soir de sa vie, peut-être sur son lit d'agonie, a-t-il médité, non sur les ortolans, mais sur cette pensée de Saint Anselme : que les créatures qui vivent coupées de leur Créateur sont des êtres vidés de leur sens (et de leur sang), seulement habités par le néant. Seul Dieu confère à ses créatures un peu d'Etre. Mais si l'on laisse le pauvre Mitterrand à son vide personnel, la subversion menant à l'imposture, on comprend que dans le processus historique, l'acmé du fascisme européen de l'entre-deux guerres retomba comme un soufflé avec la Seconde guerre mondiale. Les Trente Glorieuses furent à ce titre comme une période d'accalmie entre deux orages qui indiquent l'imminence d'une crise grave et terminale.
Après les Trente glorieuses, de nombreux indices indiquent que le système impérialiste occidental achève de se déliter après de multiples contractions. Contrairement à ce que croient les immanentisme, l'ordre ne naît pas du chaos. Le chaos engendre le chaos. De ce point de vue, après Pompidou le libéral et Giscard l'impérialiste français, Mitterrand, loin de renier cette descente aux enfers de la France, vers le libéralisme britannique, ne fit qu'accélérer ce processus en détruisant la gauche historique pour lui substituer le règne de l'arrivisme.
Mitterrand estimait qu'il serait le seul président français socialiste, ce qui est une manière fort narcissique d'expliquer que la faillite du socialisme exprime la faillite du système libéral. Durant son second septennat, Mitterrand mena une politique qui était plus proche de l'ultralibéralisme de Thatcher et de Reagan que du socialiste de Blum (pour rester dans les rangs des socialistes qui ont occupé le pouvoir).
Mitterrand fut le seul président socialiste français au sens où il n'était pas socialiste, mais un masque. Un masque vénitien? Quelque chose comme un ultralibéral de gauche. Dans ce processus, Chirac qui suit Mitterrand passe pour être plus de gauche que Mitterrand. Ce n'est pas très compliqué, quand on mesure la politique qu'accomplirent les cercles politiques autour de Mitterrand durant son second septennat (très théorique). Chirac illustre une volonté presque réactionnaire de conserver l'impérialisme français tout en s'opposant à l'impérialisme britannique matérialisé politiquement et médiatiquement par l'hyperpuissance américaine.
L'action de Chirac est si surannée qu'il quitte le pouvoir en tant que dernier représentant français de cette période et que le conservateur qui le suit n'est plus au service de la France (plus exactement des oligarchies françaises), mais des intérêts financiers centrés autour de la City de Londres. Sarko est un satrape moderne qui travaille pour l'Empire britannique et qui collabore avec la satrapie d'Israël, émanation de l'Empire britannique. Sarkozy qui prétend réformer la France arrive en fin de cycle, c'est-à-dire qu'il ajuste le modèle français au libéralisme en phase terminale.
N'oublions jamais que Sarkozy admire beaucoup Mitterrand, non pour son socialisme étriqué, lui le néoconservateur mâtiné d'ultralibéralisme, mais parce que tous deux servent les intérêts de l'Empire britannique. Mitterrand collaborait avec Thatcher et Bush Sr., notamment pour l'édification de l'Union européenne postimpérialiste? Sarko l'avocat du traité de Lisbonne enfonce le clou en renflouant les organismes financiers.
N'oublions pas non plus que Mitterrand était un admirateur fervent de la mentalité vénitienne (et de ses extensions, notamment florentines). Comprendre Mitterrand, c'est l'intégrer dans un processus dont il est un maillon de subversion transitoire et finale, avant le stade terminal dont Sarkozy est le garant (incapable de comprendre ce qu'il est) : un traître à l'histoire de France.
Si ce processus ne se limite pas à Mitterrand, ni à Sarkozy, qui sont liés parce qu'ils sont proches, il convient de se rendre compte que le fascisme historique n'est jamais que le paravent donné du libéralisme et qu'il intervient quand le libéralisme se trouve en période d'effondrement. La violence est le plus sûr moyen de prolonger ce pouvoir, quitte à ce que ce soit l'aveuglement qui préside aux destinées. Rien ne peut empêcher l'effondrement d'un système putride, que ce système soit cantonné à l'Europe ou qu'il soit la totalité du monde connu.
Quand le totalitarisme total remplace le totalitarisme dominant, il ne fait que rendre plus urgent l'agrandissement d'un modèle obsolète et en voie d'extinction. Je sais bien qu'à l'heure actuelle, la plupart des citoyens croient s'opposer à la déliquescence en recourant au passéisme et à l'obscurantisme, mais ce n'est qu'en allant dans l'espace qu'on résoudra le problème du libéralisme, de sa gradation ultra, dont un Mitterrand n'est qu'un symptôme local - au fond assez mesquin.
Au lieu d'opposer le libéralisme au fascisme, intégrons le fascisme comme la conséquence inévitable du libéralisme qui grade et croît à mesure qu'il s'effondre. Le fascisme est illusoire car le recours à la violence ne peut rien empêcher et ne fait qu'accélérer ce qu'il prétend interdire. La force est farce. Dans cette comédie grandiloquente et de mauvais goût, Mitterrand le vénitien est le symbole de la subversion de mauvais coût. Car avec Sarko, les Français savaient qu'ils soutenaient un ultralibéral menteur et inconsistant. Les Français sont des oies désespérées et perdues.
Tandis qu'ils ont vraiment cru au changement socialiste. Au lieu d'expliquer ce changement de manière récente par les mesures de désindustrialisation et de financiarisation qui ont accompagné la fin des Trente glorieuses en Occident, il convient de mesurer que la stratégie de la subversion (le coup du cheval de Troie d'autant plus efficace qu'il est inattendu, qu'on l'attend à droite alors qu'il vient de la gauche) est le stratagème vénitien par excellence.
Le coup du cheval de Troie illustre une tactique au fond humaine, qui fut retournée par les Hellènes antiques contre leurs rivaux mésopotamiens. C'est une stratégie impérialiste. Venise l'utilisait et son successeur l'Empire britannique la revendiqua d'autant plus qu'il s'engageait sur le chemin du néocolonialisme et de la financiarisation postpolitique. Que l'on s'enquière du symbole d'un des organes de pensée de l'Empire britannique contemporain, la Société fabienne :


L'emblème représente un loup en peau de mouton. Tel Mitterrand le synarchiste en peau de socialo, nos oligarques ont l'habitude de retourner leur veste. D'après la légende propagée par le poète hagiographe Sénèque, les Troyens partirent fonder pour partie l'Empire romain, qui est un point de référence pour la transition vénitienne et pour les thuriféraires de l'Empire britannique. A noter de nos jours qu'on se réclame beaucoup de l'Empire romain pour chercher un futur à l'Europe.
N'en déplaise aux partisans transis de l'impérialisme, le futur de l'Europe passe désormais par l'humanité unifiée; et ce futur est hypothéqué par des symptômes dépassés plus que passéistes comme Mitterrand, dont le soutien provisoire à la peine de mort indique quelle sentence il réserve à ses électeurs - et quelle vision de l'homme il conservait en son coeur de Florentin cruel et manipulateur. Mitterrand a commencé par utiliser la peine de mort pour lutter contre l'anticolonialisme.
Puis il s'est déguisé en progressiste ardent défenseur de l'abolition de la peine de mort. Mitterrand est un empoisonneur qui se travestit en embaumeur. Mais la mort qu'il promet à ses ennemis, il est le seul à l'avoir subie de manière éternelle - le châtiment qui attend les crapules. Sarkozy ferait bien de s'en souvenir. Car les impérialistes qui forment un processus délétère et mortifère contribuent à accélérer le processus dont ils font partie et dont ils n'aperçoivent pas la supériorité englobante : en l'occurrence, les impérialistes associés au dessein britannique auront permis au Terrien de lutter contre ses phobies et de se lancer dans la conquête spatiale.

mardi 19 octobre 2010

Saint Néant

La question du néant n'est pas une question neuve, mais une question déniée. Elle est posée avec une pertinence impressionnante par Saint Anselme, qui est célèbre pour sa preuve de Dieu et qui récidive une fois encore avec une méthode qui pourrait être nommée langagière : ce qui existe dans le langage n'existe-t-il pas - dans la réalité?
Saint Anselme affirme en gros : "Chaque signification est signification de ce qui est; et "néant" signifie quelque chose. Donc "néant" est signification de ce qui est, c'est-à-dire d'une chose existante." En distinguant entre la chose existante et ce qu'on en dit, Saint Anselme prétend résoudre le problème posé par Platon. Sa distinction ne sort guère d'une conception platonicienne ou néo-platonicienne matinée de théologie chrétienne.
Platon ne nie pas l'existence du néant, tant s'en faut, mais prétend au contraire faire violence à la lettre parménidienne en accordant une certaine existence au néant. Dans son ontologie, le néant tient la place de l'autre, puis seulement du faux (contrairement à ce que prétendra Aristote, jamais en manque de perfidie à l'encontre de son maître). En gros, Platon affirme que le néant existe et le subordonne à l'Etre (aux Idées). Il n'existe pas de vide ou de néant à proprement parler dans ce schéma, mais quelque chose qui est du néant et qui est sous la coupe hiérarchique de l'Etre.
A l'encontre de ce schéma, le schéma nihiliste le plus explicite est celui que laissent apparaître un Démocrite ou un Gorgias, malgré les différences qui existent entre eux. Ce schéma peut se résumer comme suit : il existe une opposition irréconciliable et inexplicable entre ce qui existe et ce qui n'existe pas. Ce qui fait que le nihiliste comprendra que ce qui n'existe pas n'existe vraiment pas - et tant pis pour la cohérence de cette assertion.
La différence entre le nihiliste et le transcendantalisme est extrême - l'opposition ontologique par excellence : d'un côté, le transcendantaliste estime que ce qui n'existe pas existe de quelque manière (à la suite de la tradition de Platon); de l'autre, le nihiliste tient que ce qui n'existe pas n'existe pas (comme l'affirma Démocrite avec l'école atomiste d'Abdère). Il importe de comprendre que le néant nihiliste est incompréhensible et indéfinissable. Irrationnel.
La seule chose que l'on peut en signifier, c'est qu'il est antagoniste à l'idée d'ordre et d'être que nous nous faisons. Raison pour laquelle un Hésiode dans l'Antiquité exprime par l'entremise de la poésie métaphorique ce qu'est le néant : désordre ou indétermination. Rosset a écrit un petit texte intitulé En ce bordel (à la suite du Régime des passions je crois) et qui porte sur la prééminence du désordre sur l'ordre.
Entendu ainsi, le désordre est une définition irrationnelle en ce qu'elle ne définit rien (mise en abîme de la définition par rapport au nihilisme). Car le désordre est un système purement négatif où le préfixe -dés s'ajoute au terme ordre pour signifier son contraire ou son inverse. En sorte que le désordre ne veut rien dire d'autre que le négatif de l'ordre. On définit le désordre à partir de l'ordre. On définit le néant à partir du réel.
C'est peut-être la raison pour laquelle les nihilistes se réclament tous du réel alors que leur programme effectif contribuerait à dissoudre leur réel dans le néant. Toujours est-il que le néant nihiliste est indéfinissable et irrationnel, tandis que le néant est défini rationnellement par les transcendantalistes, à l'image de Platon. Mais chacun avec leur différence, on pourrait citer Plotin le néo-platonicien ou Saint Augustin le théologien chrétien (et d'autres du même courant) qui proposent leur définition d'obédience transcendantaliste.
D'ailleurs, au fil du temps, on pourra retrouver comme ligne de démarcation permettant de révéler le nihilisme dénié le refus de définir le néant (corrélé à l'affirmation de la recherche du véritable réel). Un Aristote est passé maître dans cette argutie qui dénie le néant et qui propose comme masque de ce déni éclatant la revendication du réel, du pragmatisme, de l'efficacité. Aristote passerait presque pour le penseur honnête et préoccupé de concret, voire de clarté, quand Platon serait un doux rêveur; plus ou moins un dogmatique intolérant et fanatique.
Qu'un nihiliste puisse passer pour réaliste ne se comprend que parce qu'il expurge du réel réduit au sensible le néant par la définition qu'il produit de ce néant : l'antagonisme indéfinissable. Alors que le transcendantaliste s'oppose au nihilisme atavique (en tant que réaction seconde) par le fait qu'il essaye de définir le néant, soit de l'intégrer à l'Etre. Un Plotinira encore plus loin en subordonnant l'Etre à l'Un entendu comme néant (de type platonicien).
Pourtant, Plotin est tout sauf un nihiliste mais la récupération que les nihilistes font de Plotin (comme de Leibniz dans la modernité) en dit long sur l'effort du transcendantalisme pour s'affronter au néant. S'il n'y parvient, c'est moins par mauvaise volonté (ou mauvaise foi), comme on l'entend chez Platon, que par incapacité à intégrer le néant dans le système de l'Etre. Sans doute est-ce la raison profonde de la crise actuelle : alors que l'immanentisme ne peut que s'effondrer, comme toutes les constructions nihilistes, la limite du transcendantalisme a été atteinte.
L'Etre est caduc et ne parvient plus à faire sens. Si l'on en revient à Saint Anselme la limite transcendantaliste est atteinte chez ce vénérable Père d'Église. Saint Anselme croit résoudre le problème du néant en distinguant entre ce qui est et ce qui en est dit. Mais cette distinction entre le rien et le presque quelque chose fait aussitôt réapparaître le néant, de même que la solution platonicienne, de loin la plus profonde (l'être est l'autre), qui en intégrant le néant dans la hiérarchie de l'Etre dissout l'Etre par une absence de définition suspecte. De sorte que nous avons d'un côté une imperfection positive; et de l'autre, une imperfection négative qui se donne comme perception positive. Le néant nihiliste prétend être le véritable réel, le réel abordable et expérimentalement concret, alors qu'il est une réduction du réel qui fait réapparaître dans le déni le néant avec à l'horizon.
Malgré l'erreur nihiliste, reste que le nihilisme fait apparaître la question essentielle qui manque dans le système transcendantaliste et qui explique que le transcendantalisme bloque historiquement aux portes de la Terre : soit réfuter catégoriquement le néant, soit l'intégrer de manière ambiguë dans les médiations de l'Etre. Sans s'en apercevoir, par suite de sa trop grande virtuosité dialectique, Saint Anselme monter surtout que la question du néant n'est pas une question vide de sens, mais la grande question déformée par le transcendantalisme et posée de manière fausse par le nihilisme.

dimanche 17 octobre 2010

Les asservis


Je visionne un passage du film de genre mafia Les Affranchis. C'est un des poncifs du genre que de verser dans la grandiloquence sous couvert de pratiquer l'éloge ambigu du milieu mafieux. Pour que le film fonctionne, il convient que les profils des personnages mafieux soient enjolivés et attirent la fascination. On dira d'eux qu'ils sont violents, mais cette reconnaissance péjorative contribue à leur attribuer une domination dans l'immédiat, qui est quoi qu'on en dise positive. La fascination est positivité paradoxale, mais elle n'est pas condamnation.
On crée un espace positif hors de la loi (voire de la morale). On indique qu'il existe un espace non reconnu qui peut être positif tout en étant illégal. L'idée cardinale consiste à affirmer que cet espace est formé de ceux qui font les lois et qui se trouveraient du coup au-dessus d'elles (et des hommes du commun suivant la loi). Dans cette mentalité, ceux qui sont au-dessus des lois sont aussi dans l'illégalité, des sortes de supermafieux, qui reprenant la perversité de certains dieux antiques s'arrogent tous les droits du fait de leur pouvoir. Raisonnement typique du pervers : il existe finalement, tout bien considéré, une positivité dans la négativité.
Pourtant, avec une connaissance sommaire de ces milieux, personne n'osera que la réalité des mafias suscite la fascination ou l'engouement. Les criminels sont des individus destructeurs et effrayants, et ce n'est que par une réécriture rétrospective que l'on en vient à mythifier la figure du bandit en le parant de traits qui sont illusoires et qui permettent finalement, in extremis, de lui conférer une perception pour partie positive.
C'est l'idée selon laquelle l'honnêteté du bandit est supérieure à l'honnêteté classique. Manière d'insinuer qu'il existe une honnêteté supérieure et élitiste, incompréhensible au vulgaire, qui n'est pas accessible par la majorité et qui lui est supérieure. Cette première croyance (qui engendrera l'éloge de l'amoralisme de type nietzschéen) est d'autant plus fausse qu'elle révèle une texture nettement oligarchique. Mais manière aussi d'affirmer la supériorité du néant sur l'être dans l'imbrication du néant et de l'être dans l'expérience. La portée morale du mythe du bandit au grand coeur recoupe l'ontologie : il s'agit d'affirmer la supériorité de ce qui n'est pas moral sur ce qui l'est, et d'asseoir cette constatation sur le substrat ontologique (avec l'existence du néant qui vient appuyer et corroborer la remarque de portée pratique).
Comment expliquer cette mode vivace et continue pour le film de genre mafieux - cette fascination de l'illégalité dans un mode de légalité forcenée? Ne serait-ce pas qu'au-delà de la fascination pour tout ce qui est illégal, que l'on peut interpréter comme fascination pour ce qui n'est pas dans tous les sens du terme, le cinéma hollywoodien met en scène une évolution propre à l'Occident, en particulier aux Etats-Unis? Cette évolution sanctionne l'oligarchisation de la société, qui se traduit par l'adoption des codes mafieux sous une forme sublimée et mythifiée.
D'où cette omniprésence de la mafia ou d'une manière plus générale de la loi du plus fort méprisant la loi. D'ordinaire, une société qui fonctionne adéquatement expulse vers ses périphéries ou ses marges les formes d'illégalité et de parasitisme On peut comprendre le phénomène mafieux comme le fait de parasiter un organisme ou un nid, aux dépens duquel on subsiste tout en le détruisant à petits feux. C'est une définition qui correspond en fait beaucoup mieux à ce qu'est l'identité impérialiste ou oligarchique. On parle souvent de nos jours de délinquance en col blanc.
Ce symptôme identifie le plus inquiétant : quand les phénomènes mafieux quittent les marges d'une société pour gangréner peu à peu son coeur et ses fondements. Dans ce cas, ce ne sont plus quelques bandits à la tête d'organisations criminelles qui de temps en temps commettent des larcins spectaculaires; ce sont plutôt des institutionnels qui officialisent la mafia et qui la font passer de régions périphériques au coeur du système. C'est cette évolution catastrophique que signale l'engouement pour les films de mafieux, aussi intéressants soient-ils.
Le succès implique que l'on pointe du doigt une réalité déniée. Réalité : le fonctionnement mafieux s'installe au pouvoir dans les Etats d'Occident. Déni : on fait comme si les histoires de mafia dénotaient un phénomène marginal, et surtout pas un phénomène crucial du moment. Mais le phénomène mafieux n'est mis en valeur que parce qu'il est passé petit à petit des marges au coeur. La fracture historique dans l'histoire contemporaine est sans doute intervenue quand le pouvoir américain a cru bon d'utiliser les mafias américano-italiennes pour reconquérir certaines parties de l'Europe du sud.
C'est toujours de cette manière que se produisent les pactes - avec le diable. Dans le court terme, on trouve un accommodement; rapidement, l'arrangement se retourne contre celui qui l'a contracté. Car le diable ne rend jamais service sans compensation. Le mafia est d'essence diabolique. C'est ce secret que les films de mafia se gardent bien se sortir - et c'est pourquoi ils demeurent des films de portée mineure.