mardi 9 novembre 2010

Misentropie

http://www.marianne2.fr/Economie-US-un-avant-gout-de-ce-qui-attend-la-France_a199277.html
http://www.marianne2.fr/L-Amerique-risque-son-dollar-dans-une-relance-massive_a199489.html

«Vous savez, lorsque vous êtes en campagne, vous vous sentez libre de dire des choses sans vous être demandé : "comment vais-je les mettre en pratique?".»
Barack Obama, samedi 6 novembre 2011, lors de son discours hebdomadaire suivant le triomphe des républicains aux élections américaines.

L'intérêt de ce genre de papiers parus dans l'hebdomadaire Marianne, le média qui prône l'antisarkozysme officiel, la fausse contestation qui défend le système libéral sous prétexte de critiquer l'ultralibéralisme néoconservateur, c'est qu'il commence (timidement) à reconnaître les effets de la crise qui ravage le monde, en particulier les Etats-Unis, pays central puisque première puissance actuelle. Jusqu'à peu, il était impensable qu'un média français reconnaisse que la crise non seulement n'était pas finie, mais de surcroît frappait avec violence les Etats-Unis, le symbole de l'Occident.
On trouve la résurgence de ce déni face à la crise systémique dans le mouvement des Tea partys, dont les médias occidentaux essayent tant bien que mal de déconsidérer l'aspect justement dépolitisé, charriant une révolte qui a tant de mal à donner une signification politique à sa rage désordonnée. Les Américains des classes moyennes en particulier se rendent compte que leur niveau de vie s'effondre et que l'administration Obama les a trahis pour renflouer les financiers, mais ils sont incapables de lancer des alternatives positives.
D'où le danger de violence incontrôlée et furieuse qui demeure. Les médias soufflent sur les braises en laissant entendre que le Tea party serait mû par un mouvement d'extrémistes ultralibéraux et libertariens, emmenés notamment par le fils de Ron Paul, qui se prénomme Rand et qui propose face à la crise d'accroître les mesures individualistes en sabrant dans les dépenses étatiques. Face à l'ultralibéralisme, du libertarisme. Un malade et un extrémiste, donc, si l'on s'avise que c'est à cause de cette politique jusqu'au-boutiste que les Etats-Unis sont en voie de tiers-mondisation et que le retour à la croissance économique passe précisément par la promotion de l'intervention étatique. Le libertarisme serait l'ajout d'un excès de poison pour remédier au poison dénoncé.
Au lieu de présenter le ras-le-bol populaire, la situation prérévolutionnaire, comme extrémistes, les médias occidentaux feraient bien de cesser la grossière déformation des faits, qui entretient le déni de la crise effective, et du mécontentement populaire dépolitisé, sur le mode : certes, il y a crise, mais le seul moyen de la résoudre est de demeurer dans les normes et les bornes actuelles - soit aux Etats-Unis l'affrontement immuable entre démocrates et républicains qui virent de plus en plus au bonnet blanc/blanc bonnet. Pour les extrémistes comme les libertariens, le seul moyen de résoudre la crise consiste à accroître encore le mal - de l'ultralibéralisme. Si l'on part du principe qu'un mauvais effet provient d'une cause mauvaise, le raisonnement des libertariens a de quoi surprendre : selon eux, le mauvais effet serait dû à l'application trop timorée de la cause, pas au fait que la cause est mauvaise.
En conséquence, il convient d'accroître encore les effets de la cause pour améliorer les effets des effets. Raisonnement stupide, qui amène une question : commente se fait-il qu'une situation de crise, loin d'engendrer une remise en question de ce qui est, entraîne le plus souvent une gradation entêtée dans le pire? Prenons le cas de cette crise, qui se manifeste en premier lieu dans le pays emblématique de la mentalité occidentale dominante : comment se fait-il que la terrible crise économique, qui recouvre une crise plus profonde des valeurs, de la culture, loin d'engendrer des politiques d'encadrement, voir d'éradication, de la spéculation financière et de la mentalité monétariste manifestement désaxée, provoque l'entêtement de la réaction dans l'extrémisme de type individualiste, financier et monétariste?
Comment peut-on accroître les effets dévastateurs ou pervers en estimant que c'est le meilleur moyen de corriger les erreurs contenus dans les effets présents? Pour en demeurer au problème américain, comment peut-on choisir des libertaires ou des ultraconservateurs pour juguler les problèmes crées par des conservateurs ou des ultralibéraux progressistes? Ce choix présente une logique aberrante.
Un indice : ce qui pourrait passer pour refus du changement constitue en fait le signe du changement.
Mine de rien, cette situation a de quoi désorienter et rappelle l'avènement catastrophique de Hitler dans l'ambiance République de Weimar traumatisée par la défaite suite à la Première guerre mondiale et l'hyperinflation des années vingt. N'oublions jamais que Hitler fut élu et qu'il proposait un programme dément, sur le mode : pour sortir le valeureux peuple allemand de la crise, il convient de faire la guerre afin de relancer l'économie. Accessoirement : d'annexer les territoires limitrophes et de massacrer les races considérées comme inférieures.
Comment des Allemands, même traumatisés et colonisés, ont-il pu choisir le pire pour résoudre le mauvais, dans une gradation nihiliste et délirante? Question subsidiaire et bien moins grave : comment les Américains peuvnet-is élire des libertariens pour contrer l'effondrement économique causé par l'ultralibéralisme, le monétarisme et la désindustrialisation depuis quarante ans?
C'est ici qu'il faut cerner les limites de la transposition ontologique de la thèse physique selon laquelle l'entropie serait la loi qui meut le réel.
Autrement dit : le néant (le chaos) serait le moteur du réel. Et après vous insinuez que le nihilisme n'existerait que sous la forme découverte de quelques pessimistes hédonistes et blasés? Or la démarche des individus, qui face à une situation mauvaise, choisissent (trop) souvent le choix de l'extrémisme, comme si l'excès de violence pouvait endiguer la violence (le nazisme l'hyperinflation), indique au contraire que ce n'est pas l'entropie qui régit leur comportement.
Sinon, ils choisiraient non la gradation dans l'extrémisme, mais la décroissance.
Au passage, l'idéologie de la décroissance est une option clairement entropique, ce qui signale que la validation de l'entropie se situe en accord avec les thèses du malthusianisme. Alors que la décroissance pourrait sembler une amélioration, elle signale au contraire une dégradation (dans tous les sens du terme). Si l'homme ne peut que croître pour pérenniser son existence, le mouvement vers l'extrémisme signale un désir d'opérer en direction de cette gradation (soit de changer).
Ce qui peut passer pour du nihilisme est le signe que le nihilisme est souvent une ruse même que l'homme prend pour construire sa croissance. Hegel dirait peut-être : son histoire. Le véritable nihilisme - qui mène vers le néant, et dont l'entropie n'est que le masque physique et scientiste, ne saurait en aucun cas aboutir à la croissance effective, même non perçue comme telle.
Je me souviens des déclarations sinistres du secrétaire d'Etat américain Condoleeza Rice qui avait jugé (de mémoire) que les guerres qu'Israël menait au Liban et en Palestine étaient comparables à des contractions précédant l'accouchement. Peut-être que dans une mentalité de chrétienne sioniste notre Rice voulait-elle signifier que le grand Israël était en train d'advenir et que l'opération construction passait par la destruction. Sans doute retrouve-t-on cette conception répandue chez les disciples du chaos constructeur, au premier rang desquels dans la contemporanéité les néoconservateurs, leur maître à penser Leo Strauss (via Allan Blum) et plus anciennement toute mentalité impérialiste te nihiliste.
Sans doute faut-il en passer (au moins souvent) par l'extrémisme comme réaction turbulente et agitée face aux problèmes liés à la croissance du monde de l'homme. Les questions ontologiques autour de la croissance viennent du fait que l'homme n'est pas capable de croître de manière régulière et harmonieuse, mais qu'il passe par des phases de croissance accélérée et discontinue, imprévue et soudaine. La violence n'est pas le signe de l'existence d'u néant chaotique, mais plutôt du caractère discontinue de la croissance humaine. Si la théorie entropique appliquée et étendue à l'ontologie était vraie, alors l'histoire humaine serait fausse : l'homme ne cesse de grandir.
Les phases de destruction et d'annihilation ne sont que des phases de discontinuité précédant l'opération brusque et subite de la croissance. Il est catastrophique de constater le phénomène de violence particulière qui consiste à répondre de manière irrationnelle par un excès de violence face au constat de la violence et de l'instabilité. Au final, il convient de conserver à l'esprit l'attitude de Leibniz, considérant que c'est le meilleur des mondes que Dieu crée en tant que monde unique.
Non pour légitimer ce qui advient de destructeur et de mal dans le réel, mais pour constater que cette violence même, pour terrible qu'elle soit (que l'on repense aux exactions multiples perpétrées en Afrique dans une mentalité néocoloniale entretenue et assumée), se trouve au service de la construction.
Ce n'est pas une version allégée du chaos constructeur, mais, à l'inverse, l'idée que le chaos est au service de la construction. Qu'il en est une étape, pas obligée, mais fréquente, au sens où il faudrait que les hommes manifestent une sagesse qu'ils ne possèdent pas en leur pouvoir pour éviter ce passage pénible. A l'heure où fleurissent les complots déniés et le complotisme tout-explicatif - qui n'explique rien du tout (au sens où il réduit et caricature), nous savons par l'expérience que l'homme ne possède pas encore ce type d'harmonie.

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