lundi 24 janvier 2011

Identité régressive

http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2011/01/the-european-foreign-office.html

Un journaliste de la maison, spécialiste du problème de l'Europe, se lâche dans un blog officiel du quotidien Libération. A en croire ce papier dévastateur, la diplomatie britannique déciderait de la diplomatie de l'Union européenne, qui se trouve dirigée par la très intelligente et compétente baronne anglaise Ashton... Si personne ne discerne dans cette omniprésence diplomatique l'influence directe de l'Empire britannique, la mauvaise foi n'est pas loin. D'un côté l'Empire britannique domine les structures politiques par la City de Londres (domination financière); de l'autre, il travaille comme un cheval de Troie, en incrustant les Etats-nations et, mieux encore, les fédérations, qu'il escompte de nature administrative et non représentative : l'Union européenne, les Etats-Unis, quelques satrapies comme l'Arabie saoudite, Israël ou le Brésil.
Le but principal de l'impérialisme est de prendre le contrôle des Etats et des peuples, si tant est qu'on se souvienne que l'impérialisme est l'apanage exclusif de factions oligarchiques. Cette priorité s'est encore accrue depuis la constitution moderne des Etats-nations, précisément pour contrer le phénomène destructeur des guerres de religion, principalement mues par l'impérialisme européen (en particulier les exactions des Habsbourg). La domination actuelle des Etats-Unis par un principe impérialiste interne piloté depuis l'extérieur est historique : depuis la guerre de Sécession gagnée par les patriotes américains (ceux du Nord, contre les esclavagistes du Sud), cette lutte n'a jamais cessé. Elle est à l'oeuvre à l'heure actuelle de manière déterminante et espérons-le positive (pour les principes républicains assurant ledéveloppement de l'homme).
La fondation des Etats-Unis par des migrations européennes, si elle a détruit les peuples autochtones, était dictée par le rêve de fonder sur un territoire nouveau (sinon vierge) le projet républicain et antioligarchique : à l'époque, l'Europe se mourait sous la coupe des intérêts impérialistes et oligarchiques. Accéder au Nouveau Monde, c'était échapper à cet enfer et relancer le rêve d'une vie meilleure. Constater que de nos jours la diplomatie européenne se trouve sous la coupe de la diplomatie britannique, soit de l'Empire financier qui la dirige, c'est noter que les questions géopolitiques n'ont guère évolué depuis quelques siècles et que l'Empire britannique entend s'emparer du Nouveau Monde comme il contrôle l'Ancien.
Depuis la création des Etats-nations (1647), une lutte féroce a lieu entre le principe progressiste des Etats-nations et le principe fixiste et réactionnaire impérialiste. La création des Etats-nations a détruit l'ennemi direct, avec la dynastie Habsbourg, tout en développant le ferment impérialiste du côté de l'Empire britannique. L'Europe s'est constituée en une Union fédérale, sur une base politique dévoyée, sur la base économique, aux antipodes de l'Europe politique voulue par ses géniteurs (avec l'Europe des patries comme première mouture de l'Europe politique et non économique). Aujourd'hui, on peut se montrer opposé à l'Europe économique tout en se montrant favorable au projet de l'Europe politique. Ceux qui entendent faire croire qu'être contre l'Europe économique, c'est être contre le projet politique européen, sont des menteurs.
Le spectacle de cette fédération européenne antidémocratique et antipolitique tombée sous la coupe des intérêts impérialistes britanniques (via le Foreign Office) montre que nous nous trouvons confrontés à la menace d'une Europe impérialiste sous prétexte d'un projet de paix européenne. Ce qui se produit n'est pas l'américanisation du monde, mais l'oligarchisation de l'Amérique (et du monde). C'est en détruisant le premier Etat-nation que l'Empire britannique parviendra à asseoir son hégémonie sur le monde globalisé, soumis à son diktat de libre-échange de nature ultralibérale.
Ceux qui dénoncent sans cesse l'impérialisme américain et l'influence néfaste des Etats-Unis ne se rendent pas compte que leur schéma est simpliste : le schéma n'exprime pas un axe partant des Etats-Unis pour arriver en Europe (comme on l'entend dire souvent); mais un triangle entre l'Empire britannique, les Etats-Unis et seulement par la suite son retour en Europe. Le lecteur de cet article de Quatremer découvrira que l'hégémonie de la diplomatie britannique dans les affaires européennes ne peut être causée que par une influence supérieure (actuellement, de nature financière); mais encore, suivant la structure du coupable interne, que le vrai danger qui menace les intérêts vitaux de l'homme ne se situe pas de l'autre côté de l'Atlantique (pour s'exprimer en Français) -mais en Europe elle-même.
Le péril intérieur se trouve illustré par les écrits postimpérialistes du Britannique Cooper, un collaborateur de la baronne Ashton dans l'organigramme européen et un serviteur intellectuel de premier plan de l'oligarchie britannique. Quittons les rivages égarés et égarants de l'antiaméricanisme : le vrai danger réside dans les projets d'impérialisme européen, qui cachent la férule de l'Empire britannique. A ce titre, quand on dénonce (à juste titre) les projets néoconservateurs et atlantistes fomentés par des élites oligarchiques américaines comme le Projet pour un Nouveau Siècle Américain, on commet une redoutable inversion, puisque ces projets n'ont éclos aux Etats-Unis qu'à la suite de desseins de l'Empire britannique.
C'est la même erreur historique qu'à propos du CFR, organe de réflexion diplomatique américain de haute influence qui n'a pas engendré le RIIA britannique, mais qui découle des projets des élites (fabiennes notamment) de l'Empire britannique. Pourquoi les plus chevronnés observateurs ne se rendent-ils pas compte de cette existence destructrice et dramatique? Pourquoi personne ne révèle-t-il l'existence d'une entité impérialiste, qui du coup paraît assez fantomatique, voire fantasmatique? Pourquoi inrmine-t-on toujours, en guise d'identité, soit un Etat-nation dominateur comme les Etats-Unis, soit la réunion de cette Etat-nation avec une idéologie internationale comme le sionisme? On pourrait en guise de réponse poser une question : pourquoi n'a-t-on pas parlé de la Françafrique à l'époque où cette entité d'impérialisme financer existait - ou si peu? Pourquoi n'en a-t-on relaté l'existence que vers la fin de son action de prévarication?
Réponse : parce que l'identité des factions impérialistes n'existe pas - en termes d'identité moderne. L'existence implique la reconnaissance? D'une certaine manière - oui; mais : l'existence précède la reconnaissance. En l'occurrence, il convient de se diriger vers le piège que tend l'idéologie de la décroissance quand elle propose pour sortir de l'ornière économique actuelle de sortir de la croissance. C'est comme si on proposait le poison de la régression en guise de meilleure progression. L'existence ne signifierait plus : sortir de, mais : rentrer dans. Si l'on ne voit pas le nihilisme à l'oeuvre dans ce renversement de toutes les valeurs (pour parodier un immanentiste passablement dérangé, donc emblématique de son temps et plus encore du nôtre), c'est qu'on refuse l'existence qui se montre dérangeante.
Idem avec l'impérialisme par rapport aux Etats-nations : face au progrès politique représenté par la création de la forme Etat-nation (qui indique la fumisterie du concept physique d'entropie quand il est utilisé à des fins philosophiques), l'impérialisme impose une régression pour le coup entropique (au sens philosophique) où il cherche à figer le mode dans l'état où il est, voire à le ramener vers un état jugé plus viable (d'où les récriminations écologiques et criminelles d'organes d'influence de l'Empire britannique comme le WWF, qui réclament pour des motifs vertueux la réduction drastique de la population sous les 2 milliards d'individus).
L'identification est impossible car l'unité de mesure de la faction ramène à l'identité du féodalisme (promu par hasard par des théoriciens actuels de l'Empire comme Blond). Or le féodalisme est une construction qui est antérieure historiquement et régressive qualitativement par rapport à l'Etat-nation. Appeler à dépasser l'Etat-nation par des formes régressives est une aberration logique qui se retrouve dans le raisonnement décroissant, où l'on promeut en guise de progrès un progrès de formes régressives et inférieures (incapables de dépasser le modèle présent dénoncé pourtant comme condamné et caduc).
La mauvaise identification de la plupart des observateurs chevronnés s'explique parce que le modèle à incriminer est invisible. L'Empire est invisible, les factions sont invisibles. Pour rendre visible l'Empire invisible, il faut le démasquer en terme de processus historique et ontologique. La plupart des gens réfléchissant de manière tronçonnée et éparse, l'identification n'a aucune chance d'advenir. Même Quatremer semble sombrer dans l'éparpillement géopolitique, puisqu'il commence par constater l'hégémonie diplomatique britannique sur la diplomatie européenne et qu'il se contente, en guise d'explication d'un fait invraisemblable (comment l'Europe peut-elle accepter la loi du plus fort venant de plus faibles?), d'une explication causale inepte et insuffisante : le masochisme.
Explication pour le moins faible, des plus réductrices. Autant reviendrait expliquer un phénomène par une cause non pas étrangère, mais trop réduite pour être explicative. L'on n'explique pas un fait politique complexe (impliquant de nombreux ressorts institutionnels) par une cause psychologique ramenant le sens collectif vers l'archaïsme du désir (le masochisme et l'explication psychologique).
L'explication par la cause psychologique n'exprime pas seulement la déficience causale produisant une mauvaise explication et une mauvaise identification à cause d'une méthodologie trop frustre et trop factuelle (héritée du positivisme). La mauvaise explication ou mésinterprétation met en évidence la raison pour laquelle l'impérialisme peut continuer dans ce cadre complaisant à triompher : l'époque n'accorde d'identité qu'à la production de désir. L'explication psychologique n'expliquera jamais un problème politique (elle est trop courte et limitée), mais elle satisfait du moins le désir.
Par cette piètre explication (en l'occurrence le masochisme), si l'identification est défectueuse, du moins le désir se trouve-t-il contenté. L'échec de Quatremer l'observateur chevronné de l'Union européenne à expliquer l'hégémonie diplomatique britannique par l'appui supérieur de l'Empire britannique financier découle du soutien accordé par la mentalité immanentiste aux productions du désir. Ce n'est qu'à ce prix qu'on peut soutenir et refuser l'évidence : que l'impérialisme existe et qu'il passe par la promotion des valeurs féodales. L'identité suit les caprices des modes. La mode immanentiste empêche d'apercevoir l'éléphant dans le magasin de porcelaine - l'Empire britannique dans l'Europe postimpériale.

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