dimanche 27 février 2011

L'impératif contradictoire

Principe de contradiction : comment expliquer la présence de la contradiction ou la présence de ce qui est mal? Qu'es-ce que le bien? Le bien désigne ce qui perpétue le réel. Et le mal définit ce qui détruit le réel. Mais le mal n'est pas viable en ce que la destruction n'est jamais une possibilité réelle. Je veux dire : à force de détruire des parties du réel, on finit par détruire le réel dans son ensemble et son intégralité. La destruction est obligée de disparaître de perdre face à la construction et la pérennité du réel.
Dans ce cas, la prophétique victoire du bien sur le mal, rengaine religieuse notamment relayée dans la Bible, n'implique pas que le mal disparaisse (et que la contradiction n'existe plus). C'est un voeu de paranoïaque que de souhaiter l'unilatéralisme des choses. C'est aussi la vision qu'eurent les ultralibéraux au moment de l'effondrement des communismes, avant la crise libérale terminale actuelle - quand ces naïfs et cruels délirants estimaient que la fin de l'histoire avait sonné. Oyez, oyez...
La contradiction est l'opposition entre deux contraires. A terme, on peut parler de l'opposition entre deux principes contraires, soit le bien et le mal en termes religieux transcendantalistes. Quand on pose comme principe de réalité le principe de non-contradiction, tout dépend quelle vision on pose du réel. Dans un principe statique de non-contradiction, la non-contradiction implique l'élimination de nature entropique de tout ce qui est contraire. Le critère retenu pour décider de la contradiction est alors la classique loi du plus fort telle qu'elle fut dénoncée avec brio par Platon.
Tout autre est le principe de non-contradiction dans un réel changeant et dynamique. Car la non-contradiction implique la production de nouveau pour dépasser l'état antérieur de contradiction et cette innovation ontologique suppose que le mal soit aussi nécessaire que le bien pour permettre le continuel dépassement cher à Hegel (dans une intention dévoyée et nettement fixiste). Ceux qui entendent faire progresser le réel en faisant disparaître le mal au profit du bien ne se rendent pas compte que le fonctionnement du réel implique l'existence antagoniste et conjointe du bien et du mal.
Dans une conception anti-entropique, le mal est la donnée qui permet de susciter le changement par le dépassement (la croissance). Sans mal le bien serait perdu. L'hégémonisme unilatéraliste cher à la fin de l'histoire (et autres sornettes du même acabit) entend façonner un monde où seul le bien serait conservé, alors que le mal serait à jamais épuré. Cette sélection qui se fait au nom (mensonger et partial) de la nécessité mérite d'être démasquée par le principal mérite que s'attribue le nihilisme : exprimer la totalité du réel et non pas une partie.
Et pourtant, l'examen des différentes doctrines nihilistes indique à chaque fois que la totalité est partielle : que l'être énoncé comme enfin total côtoie de manière irrationnelle le non-être. Cas d'un Démocrite, qui ne craint pas d'opposer l'infini de l'être à l'infini du non-être. Le seul moyen d'expurger le réel du mal est d'adhérer au nihilisme, soit à l'idée fausse selon laquelle le réel peut se résumer à une seule voie. Encore que : cette unicité nécessaire (unicité et nécessité sont synonymes) n'est que l'unicité nécessaire de l'être qui évite le plus souvent et soigneusement de rappeler qu'il est unique dans la sphère exclusive de l'être, mais qu'il coexiste aussi avec le non-être.
Quant à ceux qui se placent de manière fanatique dans la sphère opposée au nihilisme, dans la continuité du transcendantalisme, ils ont tendance à estimer qu'il est souhaitable pour le réel que le mal disparaisse, avec cette constatation que l'homme progresse par des découvertes continuelles ou par son niveau de vie. Pour eux, le bien doit triompher du mal au point que leur combat et leur cause contribueront quoi qu'il arrive à la régression puis la disparition du mal.
Il est hautement souhaitable que le mal ne s'estompe pas, sans quoi le réel entrerait dans une configuration au départ timidement statique, puis rapidement destructrice et suicidaire. Ceux qui estiment qu'il entre dans l'intérêt dynamique du réel d'imposer la disparition du mal et le triomphe de leur bien sombrent dans l'unilatéralisme aveugle et illusoire sans se rendre compte que le fanatisme contredit les positions antinihilistes dont il se prévaut ordinairement. Mais un fanatique est toujours nihiliste, ce dont attestent tant les destins des fanatiques de bord nihiliste que ceux, plus inattendus et plus nombreux, de fanatiques de bord transcendantaliste.
L'existence du mal est tout à fait nécessaire pour la poursuite du cours du réel. Dans l'explication transcendantaliste (de nature hypothétique), le mal permet le changement en tant qu'il est l'imperfection contenue dans la perfection de la complétude. Mais l'on ne parvient pas à expliquer cette complétude qui renvoie au bien. Pourquoi le bien contient-il le mal - pourquoi l'incomplet est-il contenu dans le complet?
La dialectique ouvre sur l'incomplet ou se trouve tournée vers le statique et le figé. Soit le dialectique platonicienne, de type classique où le dialogue engendre le changement; soit la dialectique hégélienne qui prétend achever et parfaire la dialectique classique et qui engendre surtout la fin du changement et les prémisses du nihilisme. L'incomplétude se trouve inexpliquée et inexplicable dans l'hypothèse transcendantaliste - et c'est sans doute le principal contre-argumnet à opposer au transcendantalisme.
Dans un modèle de type néanthéiste, qui tient compte de la vague de changement actuelle, l'incomplétude se trouve restaurée. La contradiction est le moment qui engendre l'anti-entropie ou le changement par l'ouverture incomplète du modèle. La contradiction est restaurée par la bipolarité du reflet. Loin de réfuter la contradiction au profit d'un modèle d'exclusivité à partir du seul principe du bien, le néanthéisme défend l'idée que la pérennité du réel provient de la valorisation conjointe et connexe de la contradiction. Il est impératif, de manière catégorique, que la contradiction soit encouragée et que ce que l'on nomme mal soit conservé. Et ce pour au moins une raison : on ne sait jamais à l'avance si ce qui es considéré comme mal dans un certain système ne sera pas appelé avec le changement à être considéré par la suite comme bien (ou normatif).

vendredi 25 février 2011

Alibye


Qu'est-ce qui a bien pu se passer pour que la Libye, après un (petit) demi siècle de dictature militaro-ploutocratique, s'embrase soudainement et que ce bon colonel K. (encore un K. passablement inquiétant, comme Kissinger ou Kouchner) affiche à la farce du monde qu'il est un détraqué pas seulement sexuel? On ne parle jamais de la terrible crise alimentaire actuelle née de la spéculation sur les matières premières. C'est cette crise alimentaire qui constitue la cause première et vérifiable des émeutes partout dans le monde, colères qui ne sont pas circonscrites seulement aux pays arabo-musulmans.
Quand on s'avise que la Libye est fortement influencée dans son fonctionnement politique par le rôle des tribus ataviques, quand on y ajoute que l'AQMI, sorte de nébuleuse régionale inopinée et soudaine d'al Quaeda s'est fendue d'un communiqué de soutien aux rebelles libyens,
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/02/24/libye-al-qaida-au-maghreb-apporte-son-soutien-total-aux-manifestants_1484428_3212.html
on se rend compte que dans un contexte d'effondrement généralisé et mondialisé, certaines forces financières jouent la carte de la déstabilisation et du chaos pour maintenir coûte que coûte leur pouvoir. Soit ils dégagent; soit ils promeuvent le chaos.
Il est fort à parier que la voix ventriloque de l'AQMI indique que les financiers qui tiennent l'Empire britannique ont décidé de lancer le chaos dans leurs dominions et que les révoltes succèdent aux révoltes. Pas d'instantanés et de clichés; juste un processus. On déforme la dynamique du processus en la découpant en instants isolés et rendus fixes. Après l'information succulente selon laquelle le défunt potentat égyptien Moubarak avait placé des sommes colossales dans des établissements financiers à capitaux londoniens et suisses, voilà désormais que la piste Kadhafi mène à son tour aux piliers de l'Empire britannique.
http://www.rue89.com/2011/02/23/un-don-du-fils-kadhafi-gene-la-london-school-of-economics-192001
http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2011/02/22/97002-20110222FILWWW00522-la-lse-coupe-les-liens-avec-la-libye.php
On sait souvent que le Colonel se targue d'être l'ennemi de l'Occident, un peu moins depuis qu'il a renoué le fil diplomatique récemment avec les pires organes occidentaux, dont le FMI (en particulier depuis 2003). Proche d'intérêts pétroliers italiens, au point paraît-il d'inspirer les délires érotico-sexuels de l'ultramafieux Berlusconi, Kadhafi relève plus encore du coeur de l'Empire britannique. Son fils pressenti pour être son successeur, le sympathique Seif al-Islam, aurait offert en janvier 2010 un don à la London School of Economics, l'une des fabriques à experts socio-économiques les plus prestigieuses de l'Empire britannique. Don qui se trouve désormais refusé, depuis que l'odeur du Colonel est devenu pour le moins embarrassante avec sa décision de tirer par tous les moyens sur son peuple contestataire.
Quand remarquera-t-on enfin que l'Empire britannique a autant besoin de mercenaires soi-disant contestataires que d'affidés loyaux? On a autant besoin autour de la City de Londres d'experts pontifiants en ultralibéralisme tendance Friedmann que de barbus islamistes et autres tyrans de tous poils. Kadhafi entre dans cette dernière catégorie peu reluisante. Il est un vieux relais vitupérant entrant dans la catégorie typique des opposants sous la coupe de l'Empire britannique. Tous ceux qui prétendent s'opposer aux Etats-Unis en ne proposant rien d'alternatif (avec sérieux, hein) sont des serviteurs plus ou moins conscients et plus ou moins cinglés de l'Empire véritable d'ordre factionnel, avec pour particularité de s'en prendre aux Etats-nations.
Sans aller jusqu'à oser qu'un Ahmadinejad serait illuminé (encore que), il est patent qu'Oussama était moins instable que manipulable et que Kadhafi présente des troubles sévères du comportement (encore un paranoïaque et un psychopathe au pouvoir). Le lien entre le fils-héritier (putatif) du Colonel et la LSE a valeur d'aveu, comme dans le cas Moubarak avec les lieux des placements financiers : encore un serviteur de l'Empire qui s'effondre.
Surtout pas un opposant authentique. On ne peut être un rebelle constructif et tirer sur son peuple. Preuve que Kadhafi est un tyran sanguinaire et qu'il règne par la brutalité la plus violente. Comment fonctionne l'Empire? Il a besoin de soutiens autant que d'opposants. Que l'on constate la présence occidentale importante en Libye, notamment autour du pétrole (la Libye posséderait les plus grosses réserves prouvées de pétroles en Afrique). Une première preuve que le régime du Colonel pactise avec les intérêts impérialistes qu'il prétend combattre.
Le panarabisme de Kadhafi est une blague qui n'appelle guère d'autres commentaires que l'escroquerie de la fausse opposition dénuée d'alternative. L'autre signe évident, c'est qu'au moment où le système financier international se désintègre, le régime soi-disant révolutionnaire (et en fait tyrannique) de Kadhafi s'effondre en Libye. Signe qu'il était soutenu par divers éléments de l'Empire britannique financier et industriel et qu'il n'était qu'un opposant postiche, tout comme Oussama est un faux chef terroriste qui fait le jeu quasiment explicite des intérêts britanniques, via divers relais, dont les désormais démasqués Saoudiens (et leur wahhabisme dément et simpliste).
Une vraie question à poser, au lieu de prendre comme acquises et indiscutables les révoltes en Libye, serait d'interroger l'origine des aides militaires massives qui ne peuvent manquer d'être apportées aux insurgés. Pourquoi cette révolte armée a-t-elle les moyens de se développer? Comment se fait-il que ces révoltes aient commencé près de la région la plus riche en pétrole (autour de Benghazi)? Ne relie-t-on pas Kadhafi à sa politique récente de réajustement structurel et de dérégulation ultralibérale telle qu'elle est pratiquée depuis 2003? La rhétorique psychotique du Colonel contre les attaques terroristes orchestrées par Oussama et al Quaeda en dit long sur l'identité des déstabilisateurs du régime libyen.
On pourrait encore mentionner d'autres faits troublants, comme les liens entre certains groupes de révolte contre Kadhafi et des services secrets occidentaux (CIA par exemple) - ou le fait plus ancien que Kadhafi, qui ne cessa de fustiger Israël et le sionisme, fut protégé à maintes reprises par le Mossad et par les dirigeants israéliens, ce qui en dit long sur sa compromission, peut-être aveugle et désaxée, mais majeure, avec l'ennemi occidental qu'il prétend combattre. Oui, Kadhafi est un pion de l'impérialisme britannique et ses contrôleurs le lâchent comme tous leurs satrapes régionaux, pour mieux instaurer en lieu et place du potentat jusqu'au-boutiste la politique affreuse et abominable du chaos.
Outre qu'il est explicite que l'alternative panarabique de Kadhafi repose sur la farce sanglante (comme c'étai le cas avec Saddam), le ferment de révolte n'est pas circonscrit à l'Orient fantasmatique. Nous assistons en ce moment à des manifestations prononcées en Inde,
http://www.radio-canada.ca/nouvelles/International/2011/02/23/007-inde-manifestation-inflation_chomage.shtml
en Grèce,
http://www.lemonde.fr/europe/article/2011/02/23/violences-lors-de-la-premiere-greve-generale-de-l-annee-en-grece_1484348_3214.html
et même dans un Etat en faillite des Etats-Unis :
http://www.solidariteetprogres.org/article7449.html
Les populations ne s'insurgent pas subitement et sans explication contre des dictateurs au profil assez similaire, installés, protégés ou reconnus par l'Occident, corrompus et violents. Les émeutes suivent l'hyperinflation des matières premières qui frappent les plus pauvres de plein fouet et sans aucune mesure de contrôle.
J'avais récemment fait état de la faim qui menace les pauvres de plus en plus nombreux de Madagascar. Cette situation économique générale et catastrophique est à relier avec le chaos politique qui s'en suit (et qu'on présente avec un cynisme révoltant comme des révolutions populaires et structurées dans les médias d'Occident). Tant que le chaos frappe les marges de l'Empire, les dégâts demeurent secondaires, quoique terribles; à partir du moment où le coeur de l'Empire est frappé, l'effondrement s'accélère et la dynamique du processus de désintégration prend une tournure plus radicale, comme c'est le cas dans un incendie.
Nous nous trouvons dans une situation particulièrement sévère où le coeur de l'Empire commence à être touché explicitement. Si nous ne réagissons pas en profondeur, en démantelant les cartels financiers autour de la City de Londres et en se servant comme point de départ et référence d'analyse de l'outil de travail de la Commission américaine Angelides, nous pourrions basculer dans un gouffre dont nous ne ressortirions pas avant une bonne nuit de ténèbres. Bien entendu, une fois encore, si nous en restons à une interprétations déformée où nous amalgamons l'Empire financier britannique avec l'Empire américain fantasmatique et les intérêts financiers américains sous la coupe effective de l'Empire britannique, nous ne pouvons comprendre la situation ni prendre les mesures adéquates pour y remédier.
Nous ne pouvons relier la chute du régime Kadhafi avec celle de ses protecteurs du système financier. Nous continuons à passer à côté de l'essentiel : si les dirigeants occidentaux n'ont pas vu venir ces révoltes impressionnantes, qui n'en sont qu'à leurs prémisses, c'est parce qu'après avoir été les complaisants contrôleurs de ces régimes corrompus, ils sont incapables de prendre la mesure de l'effondrement actuel, qui traduit la disparition du système libéral qu'ils servent et qu'ils défendent - à l'image d'un Sarkozy en France. Quand comprendra-t-on que la crise économico-financière que nous endurons est irrémédiable et que le seul moyen d'en sortir est de quitter le libéralisme en mettant en faillite les intérêts privés qui le composent?

P.S. : je voudrais finir en constatant que les chutes de Moubarak et de Kadhafi sonnent comme le signe de l'inéluctable renversement d'Israël dans la région. De toute façon, Israël, qui est soutenu, après avoir été créé, par des piliers de l'Empire britannique, ne peut survivre à l'effondrement programmé de cet Empire. C'est une excellente nouvelle pour les Palestiniens martyrisés et pour tous ceux qui ne supportent pas dans l'expression du néo-colonialisme l'expression quasi abrupte de la loi du plus fort. Espérons seulement que la disparition de l'Israël sous sa forme actuelle ne se terminera pas par des massacres vengeurs, mais par la constitution d'un Etat-nation pacifique et laïque inspiré du modèle de la société libanaise passée.

mercredi 23 février 2011

L'infini chez Démocrite

De la méontologie (suite).

Je crois que la question de l'infini est au fond celle qui agite l'ensemble de la philosophie. Devrais-je préciser - celle qui départage les positions philosophiques en deux grands ensembles? Les finistes et les infinistes? Dès le départ de l'aventure humaine, donc de la culture et de la pensée, ce qui oppose les transcendantalistes aux nihilistes, c'est la question de l'infini. Si l'on se reporte à la relation si antagoniste entre Aristote et Platon, où Platon n'est pas l'ami d'Aristote, mais le maître auquel il s'oppose sur toute la ligne, la vraie ligne de démarcation concerne la question de l'infini.
Un bon moyen de démasquer l'absence de sens philosophique chez les commentateurs de philosophie et autres historiens de la philosophie se trouve dans l'analyse de la pensée d'Aristote le supersavant classique et académique. Aristote ne passe pas seulement pour un vénérable philosophe détenant l'intégralité des savoirs de son temps. Il passe aussi pour un philosophe antique majeur, comme Platon et les autres grands philosophes. Tant qu'on n'établit pas de distinction fondamentale entre l'ontologie préaristotélicienne et la métaphysique d'inspiration aristotélicienne, on perd son temps et on fait de la mauvaise histoire de la philosophie, parce que le projet d'Aristote consiste à proposer un antagonisme pérenne à l'ontologie platonicienne (et celle de ses ancêtres et maîtres).
Un peu de sens critique pour éclairer l'histoire de la philosophie : un peu de philosophie aussi. Aristote est bien ce philosophe qui accorde une importance majeure à la suite de Démocrite à la physique et aux sciences : Aristote propose dans sa Physique une définition singulière du réel : est réel ce qui est fini. Cette sentence n'est pas seulement une réfutation du platonisme et de l'enseignement dispensé par l'Académie. Aristote a cherché à rendre cohérent l'atomisme de Démocrite, soit la version du nihilisme atavique telle qu'elle est parvenue dans la Grèce antique depuis l'Inde antérieure encore (avec notamment certains courants des gymnosophistes).
Aristote introduit une innovation majeure dans le nihilisme jusqu'alors tant décrié : la multiplicité du non-être expliquera la multiplicité de l'être. Aristote recule d'un cran l'irrationalisme de Démocrite et espère par ce tour de passe-passe théorique permettre enfin au nihilisme d'atteindre la pérennité et verser dans le fixisme définitif. Autant le savoir transcendantalisme appelle l'effort de connaissance infinie, autant le nihilisme débouche sur l'idée d'un savoir définitif, fixe et codifié une bonne fois pour toutes.
Aristote espère résoudre la question de l'infini en expliquant que l'être fini et multiple s'explique par le non-être multiple, qui d'un point de vue nihiliste correspond à l'Etre de nature infinie (des ontologues). Aristote escompte avec sa stratégie de renvoi de l'irrationalité et de l'irrationalisme relégué dans la sphère (indécidable) du non-être empêcher le destin survenu à Démocrite et aux sophistes : l'oubli à valeur de condamnation pour leur théorie.
La catégorie du non-être ou du néant correspond à l'irrationnel. Et ce n'est qu'à ce prix qu'on peut comprendre comment des esprits aussi éminents que les nihilistes de l'Antiquité ont pu soutenir des thèses, qui, exprimées de manière rationnelle et explicite, passent encore plus pour des fadaises que pour des folies. Ainsi Aristote explique-t-il l'inexplicable (l'être) par le non-être, soit par l'irrationnel, suspendant la question de la cause et de l'origine.
Son Premier Moteur n'explique rien et a valeur de cause insuffisante - de principe de raison insuffisante. Démocrite agit encore plus franchement, puisqu'il propose de manière explicite ce qu'Aristote diffère de façon taiseuse et prudente : chez lui, le système contradictoire et antagoniste être/non-être se trouve déroulé au grand jour. Si l'on rappelle que Démocrite suit un principe irrationnel (si l'on peut dire), alors l'on comprend comment il peut à la fois proposer que le vide coexiste avec le plein, que l'être coexiste avec le non-être et surtout que l'infini des atomes coexiste avec l'infini du vide.
D'un point de vue logique et rationnel, ce principe est impossible. L'impossible est la catégorie nihiliste. Démocrite est un nihiliste distingué. Du coup, la cohérence théorique passe au second plan. Quand Aristote parvient à édicter la finitude de l'être à partir de l'infini du non-être, Démocrite ne craint pas de voir s'opposer de manière illogique l'infini de l'être à l'infini du non-être. Aristote se montre plus logique que Démocrite au sens où il évacue tout le caractère illogique de son système nihiliste vers le non-être, un peu comme l'on prétendrait qu'une maison est parfaitement rangée à partir du moment où le bordel a été évacué dans des pièces discrètes et inexplorées (le grenier ou la cave).
Aristote n'a pas résolu le problème de cohérence posé par le système nihiliste atavique; il l'a évacué. Quand il invoque le principe de non-contradiction, c'est pour ne l'appliquer qu'à la catégorie de l'être (exclusivité traîtresse et nihiliste). Quant à Démocrite, quelles que soient les évolutions qu'il donnera à sa pensée, pour essayer de sortir de l'impasse théorique dans laquelle il s'enferre et qu'il refuse d'avouer en tant qu'impasse, son système ne peut fonctionner sans l'appoint de l'irrationnel.
Autant dire de l'impossible et de l'intenable. L'irrationnel chez Démocrite est présent de manière plus pure et directe que chez Aristote, où a déjà été instaurée l'entreprise de dissimulation. Démocrite définit le non-être comme le vide. Le vide serait le correspondant de l'Un des ontologues comme Parménide (des héritiers du monothéisme de tradition égyptienne). La méontologie de Démocrite s'arrête à l'opposition antagoniste entre l'être des atomes et le vide impensable et indéfinissable. Si l'on voulait une trace de ce que fut le nihilisme avant l'avènement progressif du monothéisme, que l'on se reporte à la tradition telle qu'elle est véhiculée par Démocrite.
Les sophistes, au premier rang desquels ce Protagoras qui aurait été selon certaines traditions l'élève (ou le maître) de Démocrite et qui fut le premier à utiliser le terme de sophisme, ont déjà refondé le matériau brut du nihilisme pour se focaliser sur la branche de la rhétorique. Les sophistes évacuent les fondements théoriques pour se concentrer sur ce qui suit, en particulier le langage. Quant à la suite, elle se distingue surtout par le fiasco de tous ces courants nihilistes dits présocratiques et par la réponse censée pérenne que produira Aristote.
Le seul moyen de comprendre l'infini chez Démocrite est d'accepter la contradiction et l'antagonisme comme codes de déchiffrage ou d'interprétation (quand l'interprétation remplace la valeur de vérité, comme chez Derrida, on se retrouve dans une théorie nihiliste proche de Démocrite) : si les atomes se trouvent en nombre infini et illimité, ils ne peuvent côtoyer le vide qu'à la condition que le vide infini contredise le plein infini. Mais cette pensée selon laquelle deux infinis peuvent s'opposer (et coexister) est impossible et incohérente. Ce serait grandement surestimer l'influence de Platon que d'estimer que c'est principalement à cause de lui que les écrits de Démocrite furent brûlés et perdus.
En réalité, Platon appartient aux esprits les plus puissants d'un courant qui amène le monothéisme et qui traduit l'évolution du transcendantalisme polythéiste. C'est selon cette mentalité que Démocrite fut oublié et la raison la plus visible et invoquée en était qu'il charriait une pensée manifestement contradictoire et intenable. Démocrite a voulu s'opposer au transcendantalisme mais n'a pas réussi à produire une pensée supérieure à la contradiction, malgré son savoir suprême. Le mythe de Démocrite qui serait l'égal de Platon appartenant à un courant ayant historiquement perdu la bataille des idées est un leurre dangereux. Car Démocrite, aussi érudit soit-il, fondait son savoir sur la connaissance impossible et contradictoire.
Aristote aura retenu la leçon de cet oubli impressionnant de Démocrite, réputé pour son savoir impressionnant, mais adossé à une théorie du réel qui ne tient pas la route. Il essayera de résoudre cette contradiction nihiliste à l'intérieur de l'école de Platon (sous les ors de l'Académie). L'infini est ce qui démarque et distingue le nihiliste du transcendantaliste, comme celui qui adhère au vide ou au néant est opposé à celui qui ne croit qu'au plein. Chez Platon, le non-être correspond à l'autre; chez Démocrite, l'infini se trouve borné par l'inexplicable autant qu'inexpliqué du vide.
Qu'un irrationaliste de la stature de Démocrite puisse se montrer aussi attaché à la physique au point de l'identifier avec ce qu'il baptise la méontologie, dans un néologisme impressionnant, indique ce qu'est la physique comme emblème de la science quand elle est tenue et utilisée à des fins dernières ou ultimes (comme dirait Aristote) : c'est la caution en apparence irréfutable qui camoufle in fine le vide contradictoire. Le nihilisme débouche sur la soif de science dénuée de connaissance tout comme le vide est aussi bancal que le non-être.
Cette science à portée méontologique pourrait paraître paradoxale alors qu'elle est tout à fait conséquente : car dans un réel qui oppose de manière antagoniste et irrationnelle le vide indistinct à l'être atomiste, il est prévisible que la science soit le paravent et la caution du nihilisme. Ce n'est pas la démarche scientifique au sens platonicien qui est condamnée, mais le fait que la science se substitue à l'ontologie et au religieux.
Ce savoir au sens scientifique abrite en son sein le vide. Le scientisme trouve ainsi un lien fort, évident, quoique peu remarqué, avec le présocratique Démocrite. Tandis que le plus fameux Abdéritain (avec son contemporain Protagoras) passe pour un sage méconnu et rieur, voire perspicace, c'est un nihiliste qui propose déjà la posture scientiste comme résultante de sa théorie nihiliste fondamentale, elle-même héritée de sagesses hindoues et mésopotamiennes. Cette mésinterprétation, au sens de mésontologie (ou méontologie), oublie de rappeler que le scientisme, en tant que mouvement historique discrédité, possède un héritage tout aussi dénié que sa postérité. Démocrite propose par certains aspects un positivisme ravageur et évident, tandis que notre époque postmoderne reprend d'autant plus le scientisme sous une forme plutôt néo-positiviste qu'elle prétend s'en être affranchie radicalement en le condamnant.

lundi 21 février 2011

Daewoo's power

http://www.irinnews.org/fr/ReportFrench.aspx?ReportID=91939

Tiens? Il n'y a pas qu'en Egypte que les prix des matières alimentaires augmentent de manière vertigineuse? C'est surtout en Afrique que les augmentations se produisent de la manière la plus impressionnante pour le moment, car l'Afrique est le continent le plus pauvre. Scandale. Ce lien nous apprend que les Malgaches sont en train de mourir de faim - pour la plupart. Bien entendu, ces émeutes de la faim ne se produisent pas pour la première fois, mais connaissent une gradation depuis quelques mois, voire quelques années, à Madagascar comme en Egypte.

http://survie31.over-blog.com/article-25402693.html
http://www.peuples-solidaires.org/326-madagascar-daewoo-fait-main-basse-sur-la-terre/

L'effondrement financier est global. Il n'est pas circonscrit à une région ou à une poignée de pays. S'effondrent en premier les dominions de l'Empire britannique. Le cas de Madagascar est typique de cette mentalité où ce sont les plus riches qui spolient jusqu'à la mort les plus faibles - la majorité croissante, bientôt écrasante. Avec une spécificité dans cette histoire de l'oligarchie qui écrit une nouvelle et funeste page sous nos yeux. Cette fois, l'oligarchisation se déroule de manière mondiale. Elle est censée suivre l'effondrement financier et remplacer tout projet républicain.
Le NOM signifie en fait : Nouvelle Oligarchie Mondiale. L'ordre est l'oligarchie? Dans cette crise, on assiste à la production de slogans très significatifs, notamment à propos de la caducité et de l'obsolescence des Etats-nations et leur remplacement par d'improbables fédérations, qui expriment ce processus d'oligarchisation. Pour la première fois, l'oligarchisation se déroule de manière mondiale. Les concepteurs de cette stratégie destructrice connaissent leur histoire.
L'histoire de l'oligarchie est implacable : si le projet oligarchique se met en place pour succéder chaque fois à des crises sémantiques et ontologiques, il finit toujours par échouer. Le projet oligarchique n'est pas viable. En instituant une dimension mondiale à l'oligarchisation, les commanditaires espèrent réussir enfin là où ils ont toujours échoué. Malheureusement pour eux, heureusement pour les Malgaches, ils vont échouer parce que leur théorie est toujours aussi fausse, pour ne pas dire simpliste.
Le drame de la théorisation oligarchique est qu'elle enrobe un centre simpliste sous des atours (pourtours) savants, voire pédants. Le cas antique de Démocrite révèle déjà cette distorsion trompeuse. Les choses n'ont guère changé depuis, puisque les théories de Huntington ou de Fukuyama (pour prendre deux cas d'experts fameux de notre temps) reposent sur la caricature et la médiocrité enrobées dans le pédantisme doctoral et pontifiant.
Deux remarques encore :
- Daewoo dans l'affaire malgache est le symbole de cette oligarchie mondialisée et mondialiste qui spolie les peuples et instaure le règne des multinationales apatrides, comme nouvelles identités mondialistes.
- Pour ceux qui espèrent passer à côté des gouttes ou échapper au naufrage, l'économie étant désormais totale (et globale), il est impossible à l'Occident d'échapper à cet inéluctable monstrueux et effrayant - les catastrophes qui attaquent à l'heure présente Madagascar sont les mêmes nuées qui nous frapperont demain, quand la crise s'étant encore aggravée, le coeur du système ultralibéral ne sera plus épargné, mais au contraire attaqué avec usure par les spéculateurs.
Pour nous sortir de cette folie spéculative dans tous les sens du terme, nous détenons deux alternatives majeures : soit spéculer sur notre fortune, avec cette impression que nous nous en sortirons toujours et ferons partie des rares élus; soit mettre en faillite ces intérêts privés et restaurer le pouvoir des peuples. Vous choisissez quelle option?

samedi 19 février 2011

Servitude volontaire

Tant qu'un certain état, un certain donné, se trouve en mesure de dispenser une certaine libéralité, voire une certaine prodigalité, à ses membres, il ne s'en prive pas. Jamais un système donné ne s'amuse pour une raison futile ou gratuite à détruire. Tant que la domination permet le progrès, la conception oligarchique y est favorable (le progrès oligarchique étant limité). Ce n'est qu'avec l'effondrement prévisible du donné (de l'état) que la domination n'est plus en mesure d'assurer le progrès moyen de son environnement limité et qu'elle dérive de plus en plus violemment et ouvertement vers la tyrannie - la version la plus dure de l'oligarchie.
Nous avons vécu dans un système qui était encore capable d'assurer à son centre fini et névralgique (l'Occident) cette idée de progrès et de partage. Puis nous nous trouvons dans la période de transition où nous pouvons basculer dans des régimes oligarchiques durs, qui traduisent l'effondrement du système libéral (ayant dérivé dans l'ultralibéralisme). Effondrement prévisible : ce qui est fini finit par être détruit. Le changement nous laisse face à deux grandes options, l'option de la stagnation étant impossible : soit croître, soit décroître. Dans les deux cas, changer - progresser ou disparaître.
Ce n'est pas sciemment, de manière volontaire et nuisible, que des structures d'oligarchie dure (tyrannie) se mettent en place : c'est pour conjurer l'inéluctable effondrement de tout donné, de tout état qui s'inscrit dans le fini, le statique, selon la loi d'entropie. Ces périodes deviennent des moments historiques heurtés et violents, dans lesquels pullulent les complots, les manipulations et les folies collectives (en sus des démences individuelles). Sans doute est-ce la nécessité de réagir, soit de croître, qui pousse un certain donné à refuser son effondrement (décroissance) et à inventer un nouveau donné, un donné anti-entropique (pas une stimulation désintéressée).
Nous nous trouvons dans une telle période de changement, à ceci près que le changement en question est majeur. L'homme passe ni plus ni moins du transcendantalisme à autre chose, à une nouvelle ère - ce que j'ai appelé le néanthéisme. Politiquement, cette période de vacuité s'appuie sur la résurgence religieuse et ontologique du nihilisme moderne : l'immanentisme. On parle beaucoup de la caducité des Etats-nations et de leur remplacement par l'idéologie mondialiste d'inspiration libérale. C'est une manière masquée de légitimer le remplacement de la protection garantie par les Etats par la loi du plus fort, la fameuse lutte de tous contre tous, vantée dès les prémisses de l'Empire britannique par le philosophe politique et partisan indécrottable de l'oligarchie Hobbes.
Nous, citoyens de démocraties libérales condamnées et en péril imminent, pensons (mal) que nous pouvons trouver des solutions (lesquelles?) qui permettent de sauvegarder l'état actuel et de différer, à la Derrida, voire d'empêcher le changement de type platonicien (surtout pas hégélien). Erreur majeur : le changement est nécessaire. Soit nous changeons et nous fondons un nouvel état plus vaste (anti-entropique); soit nous sombrons dans le chaos et la destruction (la fin de l'entropie et de la décroissance). Nous sommes sans autre choix. C'est le mode de fonctionnement lié à la représentation du réel, selon des normes finies, qui se trouve remis en question : le concept de réel fini n'est pas seulement faux; il est rétrograde au sens où il empêche la pérennisation de l'homme.
La théorie entropique est une théorie physique. L'actuelle mode masquée du positivisme et du scientisme conjoints (sous des avatars divers et sophistiqués) permet de passer d'une théorisation physique de l'entropie à sa valorisation philosophique de tendance métaphysique (dans un sens aristotélicien). Que l'on puisse faire passer une imposture philosophique pour une innovation philosophique est caractéristique de l'aveuglement nihiliste dans lequel nous nous mouvons, surtout depuis l'ère immanentiste. Le réel n'est pas entropique. Pas plus que la Terre n'est plate ou que l'espace et le temps ne sont des éléments a priori.
L'interprétation philosophique de l'entropie aboutit à l'apologie du chaos et à l'adaptation sociale et économique de l'homme à la décroissance contradictoire et grotesque. Mais cette réduction du réel à l'économique, puis, telle une peau de chagrin, à l'écologique, indique que l'on installe des barrières entre l'homme et son développement effectif, à tel point que l'on en vient à légitimer de manière insidieuse la nécessité et l'unicité de mesures qui ne sont nécessaires et uniques que dans la perspective destructrice du nihilisme. 2011 : c'est dans cette déformation que l'homme se situe, mais cette méthode n'est pas volontaire.
L'oligarchie n'est jamais volontaire. Elle est, comme elle l'indique elle-même, nécessaire. Le programme oligarchique dégénère en destruction et tyrannie parce qu'il comporte dans le sein de son fonctionnement une erreur cardinale. Pas parce qu'il serait délibérément conscient de cette erreur et qu'il entendrait promouvoir la tyrannie. Parce que l'option tyrannique en tant qu'oligarchie explicite et virulente n'est que le prolongement nécessaire de l'erreur contenue dans les prémisses du réel fini. La théorie entropique est la caution philosophique qui encourage l'erreur nihiliste. Quand on en vient à tenir le physique pour le philosophique, on perpètre le crime nihiliste qui s'appuie sur la confusion théorique entre le physique et le philosophique.
Socrate selon Platon l'enseignait déjà : l'erreur n'est pas volontaire. Le choix de la nécessité oligarchique n'est par conséquent jamais un choix. C'est pourquoi l'expression de servitude volontaire, employée par La Boétie, est une expression qui a obtenu un succès historique et intellectuel d'autant plus important qu'elle repose sur l'erreur : aucune servitude ne peut être volontaire - pas davantage que programmée. Le succès vient du fait que l'expression repose sur une conception immanentiste dans laquelle toute action ne peut résulter que du désir (ou de son parent la volonté).
Il conviendrait sans doute mieux de parler de servitude nécessaire pour indiquer que la nécessité connote et désigne le rétrécissement du réel vers le fini. La volonté de servitude provient de l'erreur qui consiste à estimer que l'option de la tyrannie et de la servitude est unique. C'est non pas la volonté, mais le mimétisme qu'il faut désigner, étant entendu que la volonté en l'occurrence désigne une faculté humaine imparfaite et aveuglée qui ne saurait en aucun cas occuper la place ultime dans l'explication ontologique. Le désir comme fin de l'homme instaure la réduction de l'homme.
Quand on intègre que tout programme oligarchique repose sur le vice, que la théorie immanentiste est erronée, l'expression de servitude volontaire demeure un paradoxe superficiel et qui demeure précisément dans l'esprit de contradiction - dans l'oxymore. La servitude n'est possible que de manière involontaire. La volonté qui est réduite à la fin de l'existence n'est plus de la volonté. C'est une faculté hypertrophiée. La servitude est involontaire au sens où la volonté est subordonnée.
Subordonnée à la raison, qui elle-même se scinde en deux activités intellectuelles et pratique : la raison finie et la raison créatrice, qui crée à partir du moment où elle contacte l'infini. La servitude serait incompatible avec la création. La raison créatrice permet de sortir de la servitude. L'ordre oligarchique engendre immanquablement et nécessairement la servitude. Non pas qu'il fasse exprès, mais qu'il contienne un vice de forme. Pour faire exprès, il faudrait proposer une démarche cohérente. Quand on dispose d'une démarche incohérente, on ne s'en rend pas compte.
La violence détruit la lucidité. Plus de jugement sain dans une mentalité oligarchique et mimétique. Voilà qui nous indique la structure du réel : le réel est incomplet et ouvert au sens où toute tentative de détruire aboutit à la destruction des possibles et à l'instauration de force du mimétisme. Ce n'est jamais par liberté que l'on choisit la nécessité et la destruction. C'est par aveuglement.

jeudi 17 février 2011

La connaissance inutile

De la méontologie (suite).

Démocrite propose un système antagoniste de nihilisme pur, c'est-à-dire incohérent : sans doute est-ce auprès de Démocrite qu'il faudrait trouver les traces de la tradition nihiliste atavique issue notamment des traditions perse, mésopotamienne (babylonienne) et indienne. Le nihilisme se transmet sous la forme que Démocrite lui renouvelle, alors que ce qu'on nomme les sophistes proposent déjà une approche à partir du matériau nihiliste brut, antique.
Les sophistes se concentrent davantage sur la rhétorique et l'art du beau langage; quand Démocrite s'attache à répéter le substrat de la méontologie nihiliste : à savoir que l'être côtoie le néant. Pour Démocrite, l'expression privilégiée de la méontologie est la physique. La physique constitue le pendant nihiliste de l'ontologie transcendantaliste. Dans le nihilisme, l'ontologie perd son utilité, ce qui rapproche la démarche d'un Démocrite (et de la tradition qu'il représente) de l'exigence des logiciens contemporains qui décrètent que la métaphysique pose de mauvaises questions et de faux problèmes (redoublant d'erreur, car ce que ces logiciens néo-positivistes nomment métaphysique englobe de manière amalgamante la métaphysique de tradition aristotélicienne avec l'ontologie antagoniste, de tradition platonicienne).
Je reviendrai sur la question de l'infini (et de l'indéfini), mais le néant se trouve défini par Démocrite : c'est le vide. Le néant est l'infini avec cette inflexion sémantique et fondamentale qu'il correspond à l'un. Le vide est l'un. La physique est fondamentale en ce que l'expression privilégiée et nécessaire (au sens d'un Démocrite) d'un être multiple ne peut être que la physique, qui s'attache à déchiffrer précisément l'être dans ses dimensions plurielles et multiples.
L'ontologie devient inutile dans la perspective nihiliste d'un être qui est fondé sur les atomes. D'ailleurs, la création de la métaphysique par Aristote, et, de manière posthume, par le dernier de ses disciples à la tête du Lycée n'est possible dans une perspective nihiliste que parce que théoriquement Aristote propose une modification d'importance par rapport à Démocrite : selon Aristote, le néant est multiple et du coup, la métaphysique est la correspondance de l'ontologie en tant que l'être multiple possède un substrat théorique qui naît de cette correspondance entre l'être multiple et le non-être multiple.
Mais chez Démocrite, l'être multiple coexiste de manière antagoniste avec le non-être un. La principale objection à cette présentation qui est atavique et qui n'est pas originale à l'érudit Démocrite, c'est que ce système antagoniste n'explique rien. Il se trouve imposé de manière arbitraire, telle la loi du plus fort. Aristote se souviendra de ce point faible que n'ont pas résolu les sophistes mais qu'ils ont éludé, comme en témoigne leur apologie de la rhétorique faisant comme si le problème théorique fondamentale n'existait pas.
Aristote proposera de reculer d'un cran l'assertion indémontrable et indémontrée en la situant dans le sein du non-être - et non plus de l'être, comme c'est le cas chez Démocrite. Du coup, la mauvaise foi du nihilisme selon Aristote est plus indécidable et moins décelable que chez Démocrite, où la sanction de l'oubli indique que l'on comprend très vite qu'une donnée importante ne fonctionne pas. La deuxième objection, qui est liée à la première, de manière logique et plus encore rationaliste que rationnelle, c'est le statut des atomes.
Les atomes seraient des "corpuscules absolument indivisibles, en nombre illimité, de toutes sortes de formes, de grandeurs indéfiniment variables" (citation de Morel). Nous retombons dans un travers, l'indécidable irrationnel. Si les atomes sont des entités dont nous ignorons tout, on pourrait se demander comment les atomistes ont fait pour découvrir leur existence invisible. On explique de manière irrationnelle les phénomènes de l'être sensible, c'est-à-dire qu'on a recours en guise d'explication à une cause qui expliquant tout n'explique rien.
Si l'on remplaçait les atomes par l'hypothèse du divin, l'obscurantisme de cette démarche sauterait plus encore aux yeux. Pour qu'une cause soit donnée, il faut posséder des preuves rationnelles de son existence. L'hypothèse de Dieu (le divin au sens large) pose déjà le problème de la cause invisible quoique rationnellement défendable. D'aucuns ne se sont pas privés d'expliquer que ce qui est invisible n'existe pas. Ce pourrait d'ailleurs être le propos d'un matérialiste atomiste comme Démocrite, à ceci près que cette école use d'un subterfuge logique en substituant à la critique du divin au nom de l'irrationalisme une alternative tout aussi irrationaliste : les atomes.
Démocrite se trouve pris en flagrant délit de mauvaise foi, ce qui en pensée est rédhibitoire et constitue un crime. Si l'on désapprouvera la censure, on ne peut que comprendre la réaction de Platon : car Démocrite propage rien de moins en Grèce que l'option du coup de force pour vaincre les problèmes et les difficultés afférentes et inhérentes. Comment expliquer que les atomes en nombre illimité puissent coexister avec le vide? S'ils sont illimités, ils occupent l'intégralité de l'espace. Or Démocrite nous dit que l'espace de l'être coexiste avec le vide du non-être.
A moins d'adouber une manière de penser irrationaliste, c'est rationnellement incohérent et impossible. Démocrite s'en sort par l'incohérence. Raison pour laquelle ses écrits innombrables (comme les atomes selon les Abdéritains?) ont été perdus par la postérité : le savoir impressionnant de Démocrite s'appuie sur une connaissance dérisoire car nihiliste. Le nihilisme, c'est le refus de la connaissance et la tentative compensatoire de masquer la connaissance vide par l'abondance de savoir, comme si la quantité pouvait remplacer la qualité.

dimanche 13 février 2011

De la méontologie

Démocrite est réputé pour avoir été censuré depuis Platon - et par la longue tradition des monothéistes. Du coup, certains en profitent pour en faire une sorte d'emblème de la contre-philosophie actuellement en vogue depuis qu'on se targue en Occident d'avoir inventé une forme de culture qui soit supérieure au christianisme et qui se nomme laïcité libérale (libéralisme laïque). Malheureusement, pour les sophistes notamment, il faut dire la vérité. Et de même que les théories des sophistes sont monstrueuses, de même Démocrate professe un savoir aussi impressionnant que dangereux.
Raison pour laquelle Platon n'en parle pas explicitement, alors qu'il l'a connu et qu'il exigeait qu'on brûle ses livres. Raison aussi pour laquelle les Anciens ont perdu la trace de ses écrits. Le caractère légendaire de Démocrite d'Abdère est renforcé par l'identité mystérieuse de son maître Leucippe : sans doute veut-on indiquer par cette opacité identitaire que notre physicien émérite était le dépositaire d'une lignée qui n'est pas exclusive de ses travaux, ni de ceux de son maître supposé Leucippe. On parle d'un certain Mochos, phénicien de son état, mais il serait sans aucun doute abusif de faire remonter cette tradition de penseur dit atomiste à ce Mochos ou à ses successeurs de l'école d'Abdère.
Il est plus intéressant de mesurer que cette approche du monde de type atomiste est fort ancienne. Elle découle des colonies et de l'influence de l'Empire perse et remonte via les Empires babyloniens et mésopotamiens à des traditions hindoues, comme certaines écoles de gymnosophistes. Démocrite est réputé avoir été initié par les sages perses et mésopotamiens à l'astrologie et aux sciences.
Même s'il s'est rendu en Egypte, soit il s'est opposé à ses doctrines ancêtres de Pythagore et de Platon, soit il a suivi des enseignements antagonistes de ceux d'un Pythagore, car si la tradition atteste qu'il fut proche par certains aspects des pythagoriciens, force est de constater que sa théorie physique du réel est aux antipodes des principes ontologiques défendus par Pythagore - et dont il puisa directement son enseignement dans les traditions des prêtres égyptiens.
Abdère était à l'époque de Démocrite un haut lieu de la tradition perse en Grèce, notamment de la tradition intellectuelle, ce qui fait que Démocrite est l'incarnation d'une partie emblématique de cette tradition. Il vécut entre environ 460 et 370 av. J.-C. Il aurait été plus jeune que Socrate (470-399), de peu le précurseur de Platon (428-347), et plus jeune que le sophiste Gorgias (483-374) ou le sophiste lui aussi d'Abdère Protagoras (490-420). Concernant les liens entre Démocrite et le sophiste autoproclamé Protagoras, nous revendrons sur ce sujet. Démocrite est d'ailleurs comparé à une sorte d'anti-Platon. Contrairement à la créativité remarquable de Platon à partir de la tradition égyptienne, de Parménide ou de Pythagore, la doctrine de Démocrite semblerait plus une sorte de répétition sans guère d'innovation des théories dispensées par Leucippe, auquel il se trouve étroitement associé.
En étudiant Démocrite, les sophistes (dont Protagoras) et Aristote, on peut avoir une synthèses des différents courants du nihilisme antique, tel du moins qu'il nous est parvenu. Preuve que le nihilisme n'est pas une doctrine figée, mais qu'il ne cesse d'évoluer et de diverger suivant certains clivages, à la mesure des théories ontologiques proches du monothéisme. Démocrite figure sans doute l'état le plus pur qui nous soit parvenu du nihilisme, tel qu'il nous est transmis depuis les formes de polythéisme, avant qu'elles ne se trouvent ébranlées par l'avènement progressif du monothéisme.
Démocrite se situe à une époque d'immense transition, durant laquelle le polythéisme s'effondre et laisse la place progressive au monothéisme. A tel point qu'un philologue comme Nietzsche (brillant et fou) établit une correspondance entre Platon et le christianisme ultérieur. La tradition ontologique (transcendantaliste) parcourt l'Antiquité grecque de Platon à Parménide en passant par Pythagore. La figure marginale et sulfureuse de Démocrite se trouve aux antipodes de cette tradition, en compagnie des sophistes, avec notamment l'usage par Démocrite du néologisme de méontologie pour qualifier cette théorie.
Pierre-Marie Morel emploie le terme dans sa présentation et sa traduction (contenues dans l'anthologie du Néant, aux éditions PUF). Démocrite use lui-mêmee en grec ancien d'un néologisme pour qualifier l'être : le dev de meden : "Il en va comme si à partir du mot "néant, nous appelions l'être "ant", remarque Morel. A propos de cette question, Morel constate que l'horizon théorique des Abdéritains "est en réalité celui de la philosophie naturelle, l'étude des corps et l'explication de leurs mouvements. Leur thèse sur le non-être (mè on), la première "méontologie" positive, est donc, avant tout, une thèse physique."
Que l'ontologie nihiliste débouche sur une physique universelle par opposition à l'ontologie classique personnifiée par Platon est un fait d'autant plus intéressant que Démocrite passe pour un puits de science. La même réputation suit les sophistes, Gorgias ou Protagoras pour ne citer que les plus illustres (ceux dénoncés comme par hasard par Platon l'ontologue). Quant au propre élève de Platon, cet Aristote qui propose comme évolution plus pérenne du nihilisme des sophistes la métaphysique couplée à la physique, il constitue lui aussi l'incarnation de l'érudition de son temps (au point de prétendre clore le champ du savoir).
Aristote resta longtemps fameux pour sa physique et son inclination pour les sciences en général (notamment de la vie), à tel point qu'il sclérose la recherche scientifique médiévale pour produire la scolastique la plus fausse et pédante qui soit (à l'image de la plupart des historiens de la philosophie actuels, qui se réclament souvent d'Aristote, de Kant et de Hegel). Tous ces nihilistes présentent pour point commun d'en venir à un cadre théorique physique en rejetant l'ontologie. Tous prennent leur savoir nihiliste autour de la Mésopotamie et des traditions impérialistes afférentes. L'opposition ultime du cadre théorique physique et du cadre ontologique se cristallise dans le néologisme de méontologie (ou mésontologie) : car l'Etre est remplacé par le non-être, le néant ou le vide.
La réduction de l'ontologie à la méontologie, soit au physique ou au scientifique est des plus éloquentes. Démocrite explique les élans immanentistes ultérieurs et inquiétants comme le scientisme ou le positivisme (dont nous ne sommes pas sortis, quoique nous paradions avec emphase) : car quand on réduit le réel à l'opposition de l'être et du néant, on en vient à estimer que l'être est quelque chose de seulement (exclusivement) physique et que la dimension ontologique de type transcendantaliste de l'interrogation philosophique constitue une perte de temps (comme le clamaient les logiciens proches du cercle de Vienne).

(suite à propos de Démocrite au prochain épisode)

Total totalitarisme

A première vue, il existe une incompatibilité prononcée entre le choc des civilisations et la fin de l'histoire. La totalité immanentiste (l'immanence) est incompatible avec la reconnaissance de l'extériorité contenue dans le choc des civilisations. Le choc des civilisations reconnaît que la totalité n'est pas encore advenue, mais qu'elle adviendra suite à son action. Cette contradiction n'en est peut-être pas une au sens où le choc des civilisations jouerait comme un correctif reconnaissant l'erreur de la fin de l'histoire tout en essayant de la promouvoir sous une autre forme.
Si l'on prend la notion de choc des civilisations comme concept-clé de la stratégie de guerre contre le terrorisme et de NOM, elle n'est la reconnaissance d'une faille dans la fin de l'histoire que dans la mesure où elle prétend parfaire cette fin de l'histoire - et implicitement elle considère que la fin de l'histoire est un objectif non seulement possible mais souhaitable. Un correctif intervient pour corriger ce qu'il confirme et adoube. Le choc des civilisations adoube la fin de l'histoire.
Si le choc des civilisations apparaît chronologiquement avant la fin de l'histoire popularisée par Fukuyama, l'objectif de fin de l'histoire préexiste au choc des civilisations. De Hegel à Nietzsche en passant par Marx (dont le communisme constitue une fin de l'histoire), il s'agit d'instaurer une alternative ) l'échec du projet immanentiste au sein du réel tel qu'il est. L'idéalisme consiste à instaurer un changement dans le réel, qui chez Marx passe par un changement idéologique et qui culmine chez Nietzsche par le projet contradictoire te fumeux de mutation idéologique au sein du réel tel qu'il est.
Hegel propose aussi son idéalisme qui est un projet à la fois plus rationnel que l'idéal nieztcshéen postromantique et en même temps qui exprime déjà les prémisses de la récupération de l'idéalisme et de la dialectique platoniciennes par une conception hégélienne qui enferme l'infini dans l'irrationnel (à la manière de Descartes, mais en plus poussée). Si Hegel présente un projet moins délirant que Nieztcshe, il est à constater que l'échec de son projet politique (un totalitarisme à la mesure de son appréhension totale de la réalité) se trouve nominalement repris par la clique des experts postmodernes affiliés à l'Empire britannique (dont un Fukuyama incarne un exemple significatif).
Ces gens essayent de corriger la fin de l'histoire dans une mise en abîme sardonique et diabolique : la fin de l'histoire étant originellement une correction de l'histoire classique. Cette fin de l'histoire revue et corrigée propose comme nouvelle inflexion le libéralisme terminal (l'ultralibéralisme inspiré de la Société du Mont-Pèlerin) qui serait la véritable fin de l'histoire. La défaite de la fin de l'histoire est prévisible depuis Hegel : sa dialectique est irrationnelle; mais la correction de la fin de l'histoire est encore plus fausse. D'ailleurs, quand on lit Fukuyama, on ne peut qu'être choqué du simplisme du propos, comme si la fin manifeste de cette fin de l'histoire recoupait la fin d'un Huntington : non pas la profondeur, mais la propagande.
Le choc des civilisations entérine la mort de la civilisation et son remplacement par le monde du désir, qui consiste à susciter un ennemi fantasmatique pour perpétuer son idéal d'immanence. L'emploi du terme civilisation recèle un sens ambigu, puisqu'il contient une connotation colonisatrice (voire raciste) et une connotation assez neutre. Le connotation colonisatrice implique un inégalitarisme entre les civilisations, quand la connotation neutre est dénuée de jugement de valeurs.
Bien qu'il s'en défende, le choc des civilisations contient un impérialisme et un colonialisme obvies, quoique latents en son sein, puisqu'il implique que le modèle occidental de facture libérale (voire laïque) soit le modèle à suivre. Dans une connotation forte, le choc des civilisations implique qu'il faille éradiquer purement et simplement les civilisations autres que le modèle occidental libéral. Mais dans une acception plus modérée (perverse), le modèle implique que les autres civilisations puisse se convertir au modèle supérieur libéral, tout comme le modèle occidental est passé du christianisme au libéralisme.
La supériorité du libéralisme sur le modèle religieux signe plus que la supériorité de l'idéologie sur le religieux. Il faut déceler derrière cette déclaration qui reste confinée à l'idéologique l'empreinte de l'immanentisme : soit la supériorité de la complétude du désir sur le religieux transcendantaliste. Le libéralisme qui dompte d'une manière ou d'une autre l'Islam signifie que le monothéisme se trouve en position d'infériorité par rapport au désir.
La civilisation devient unie : c'est la civilisation mondialisée (globalisée), c'est aussi la civilisation du désir complet, qui est une par rapport à la multiplicité des civilisations religieuses. La seule unification de la civilisation, la seule acception selon laquelle il existe une seule civilisation, c'est la civilisations du désir, par opposition à la multiplicité des cultures d'ordre religieux et transcendantaliste.
Cependant, la production de la théorie du choc des civilisations indique un certain constat d'échec par rapport au constat d'hégémonie durable du modèle libéral triomphateur et unilatéral, avec notamment la théorie de la fin de l'histoire. Dans la fin de l'histoire propagée par Fukuyama, l'homme est parvenu à un stade de nouveauté où l'histoire est une catégorie dépassé et inférieure. Mais la théorie de la fin de l'histoire rendrait inutile la théorie conjointe du choc des civilisations (émanant de cercles anglo-saxons proches du libéralisme unilatéral).
La théorie du choc des civilisations reconnaît implicitement que quelque chose cloche dans la belle harmonie libérale. Le problème touche à la complétude : l'immanentisme fonctionne seulement si la complétude est assurée. Mais la complétude du désir présente un vice de forme : ce qui ne touche pas au domaine du désir existe quand même. Pis, non seulement cette existence étrangère affecte d'un coefficient négatif la complétude du désir, mais encore elle l'affecte de manière redoublée par la destruction qu'elle occasionne.
La complétude est niée par le fait qu'elle ne parvient pas se débarrasser d'un élément d'existence étrangère. Du coup, ce qui est étranger au désir concurrence le désir, voire vient le détruire. L'instauration du choc des civilisations intervient comme un rectificatif de la fin de l'histoire. Est reconnue que la fin de l'histoire n'est pas totalement la fin de l'histoire, soit que le désir n'est pas tout à fait complet. Il faut un ennemi extérieur et imaginaire au désir complet pour poursuivre son existence.
Qu'il faille une extériorité à la complétude agit comme une contradiction : signe que la complétude est un mythe et que la complétude du désir ne correspond pas à l'achèvement de la finitude du réel, mais à la production de la loi du plus fort. Cette loi du plus fort dérive inévitablement vers l'échec. Le désir est assuré de s'effondrer en tant que modèle de civilisation. L'échec du désir total est contenu dans son programme qui lie le mythe de la totalité avec le totalitarisme politique.

vendredi 11 février 2011

La couleuvre de l'argent

L'argent n'a pas d'odeur, mais il a une couleur.

http://www.guardian.co.uk/world/2011/feb/04/hosni-mubarak-family-fortune
http://www.mecanopolis.org/?p=21875

Selon cet article d'un grand journal anglais (et sa traduction française selon un site qui me paraît osciller entre complotisme et parfois alternationalisme), le clan Moubarak aurait engrangé une fortune de quelque 70 milliards de dollars pendant ses trente années de prédation, suite à l'assassinat du Président Nasser par des islamistes, dont aurait fait partie un certain Zawahiri (soi-disant bras droit d'Oussama) - et que contrôlaient les militaires, dont un certain Moubarak... Pour ceux qui doutent de la faculté de manipulation de fantoches comme Oussama et consorts par des cercles déterminés et autrement organisés, que l'on consulte cet autre lien récent, qui indique que selon de sérieux soupçons émanant de la justice égyptienne, l'attentat d'Alexandrie contre les coptes perpétré lors du dernier Nouvel An (24 morts), imputé à une branche locale d'al Quaeda (associée à l'armée islamique de Gaza!), aurait en réalité été commandité par le ministre de l'Intérieur de Moubarak, lequel, il va sans dire, n'était pas au courant de ce complot d'Etat (tout comme ses protecteurs anglo-saxons et/ou saoudiens)...
http://oumma.com/Un-membre-du-clan-Moubarak-est
Il serait temps de ne plus se focaliser sur la propagande des révolutions colorées qui est une manipulation ourdie depuis les cercles financiers autour de la City de Londres (avec comme tête d'affiche de cette escroquerie politico-idéologique un certain Soros). Pour dire les choses clairement, il convient autant de se méfier des coups tordus lancés par les protecteurs anglo-saxons (et leurs maîtres financiers) que des provocations irresponsables de certains dirigeants soi-disant islamistes (comme le Libanais Nasrallah). N'en déplaise à ces vagues de désinformation et de diversion qui donnent un vent d'espoir et font oublier l'acuité de la crise financière et culturelle, tant en Egypte qu'en Tunisie (dans l'Afrique en général), on assiste à la déferlante inquiétante du chaos - et non pas à l'espoir de la révolution démocratique annoncée.
La Tunisie risque fort de se retrouver avec un régime fantoche qui continuera à encourager un système oligarchique et inégalitaire laissant de côté le peuple; l'Egypte est un pays tenu par l'armée autochtone et sous la coupe de protecteurs occidentaux qui sèment la discorde pour faire face à l'effondrement de leur pouvoir (fondé sur le monétarisme). Ceux qui pratiquent le chantage affectif et accusent les critiques lucides de refuser la démocratie pour ces pays arabo-musulmans (en majorité) sont des optimistes simplistes : car ce n'est pas la même chose de se montrer favorable à la démocratie et de constater que la stratégie du chaos et l'effondrement financier mondial sont les causes fondamentales de ces soulèvements.
On ne peut parler de révolution que face à un projet politique alternatif au système dégénéré en place. En l'absence de toute projet politique révolutionnaire, parler de révolution est une imposture et une diversion permettant de gagner du temps et de donner des miettes d'espoir à des gens tourmentés par la misère et l'oppression. La nouvelle à propos de l'ampleur de la fortune du clan Moubarak corrobore cette analyse, avec une constante qui permet de subsumer les véritables rapports de forces stratégiques et géopolitiques derrière les annonces simplistes et caricaturales, comme la domination américano-sioniste ou les révolutions colorées auxquelles il faudrait adhérer par soutien noble pour la cause des peuples de ces contrées colonisées, puis néo-colonisées...
On dit que pour comprendre un crime il convient de suivre l'argent. Avec cet article duGuardian, on apprend que selon plusieurs sources, la fortune de Moubarak serait gérée par des établissements bancaires suisses et londoniens. Qui plus est, le cas scandaleux du potentat Moubarak serait la règle dans cette région où les dictateurs et leur clan sont les sous-fifres des financiers mondialistes dominants (pas des militaires occidentaux). Cette information délivre la vérité : Moubarak n'est pas le pantin ultime des généraux du Pentagone ou des voisins israéliens. Il est l'instrument local des financiers de la City de Londres (et des systèmes bancaires alliés et apatrides comme le cas suisse).
Les Américains tant cités ou les sionistes tant honnis se trouvent eux aussi sous la coupe de cet impérialisme financier qui ne dit pas son nom et qui est l'émanation contemporaine de l'Empire britannique. Moubarak se trouve totalement inféodé à ces intérêts financiers, d'autant plus que les familles régnantes et oligarchiques d'Arabie saoudite forment une part de cet Empire et qu'on a pu constater que Blair, émissaire de la Paix dans la région (prière de ne pas rire trop) était déjà mandaté par des intérêts bancaires anglo-saxons et suisses.
Le plus savoureux de cette fable où l'on vérifie que les véritables parrains du système mondialiste ne sont pas des Etats, mais des cercles financiers, pas des nations, mais des factions, est d'apprendre qu'un des fils de Moubarak habite dans une résidence à Londres. Comme un symbole de la fortune monstrueuse de ces satrapes contemporains qui ne savent que trop où se situe la caution de leur pouvoir - en même temps que la garantie de leur fortune... En tout cas, si vous voulez vraiment que ces révoltes chaotiques deviennent de véritables révolutions, que les peuples d'Egypte ou de Tunisie accèdent enfin à la démocratie et à la prospérité, il convient d'identifier le véritable ennemi, le véritable impérialisme.
Il convient d'oublier les faux sens et les contresens, avec la domination impérialiste américaine et/ou sioniste. Suivez l'argent, suivez les factions financières. Elles vous mèneront toutes de dédales en labyrinthes, vers la City de Londres. Quand les peuples auront identifié, voire démantelé les circuits financiers, et en particulier les paradis fiscaux, ils seront débarrassés de l'hydre moderne de l'Empire britannique. Ce n'est qu'à ce prix que les peuples martyrisés d'Orient (notamment) pourront accéder à la démocratie républicaine et quitter le néocolonialisme qui les humilie et les spolie.
Pas seulement les peuples d'Orient. L'Occident dominateur est en train de s'effondrer. Les peuples d'Occident sont en voie de ruine et de désagrégation. On répète chez les anti-impérialistes américains professionnels que l'impérialisme américain serait en train de dévorer ses alliés européens, dont les Français en Tunisie ou en Côte d'Ivoire. C'est éluder que le vrai pouvoir est financier - et que ce sont les places financières qui se retrouvent à dévorer les peuples d'Occident après avoir dévoré les autres peuples du monde depuis l'ère officielle et hypocrite de la décolonisation. Nous avons tous intérêt à comprendre qu'entre l'oligarchie et la république la pérennité de l'homme et son développement passent par le choix républicain.
Toux ceux qui veulent vraiment que les peuples d'Egypte ou de Tunisie accèdent à la démocratie et à la prospérité sociale doivent commencer par exiger le démantèlement de l'impérialisme financier autour de la City de Londres. Toux ceux qui participent à l'escroquerie anti-impérialiste américaine et/ou sioniste ne font qu'encourager la poursuite de l'impérialisme soi-disant combattu et surtout renforcent le pouvoir de ces satrapies écoeurantes dont l'Egypte est un modèle autant qu'une caricature. Au final, ce n'est pas le départ de Moubarak ou de Ben Ali qui constituera une victoire; c'est la fin de ces régimes tyranniques et stupides dans le monde, notamment dans toute l'Afrique. Et le seul moyen de mettre fin à ces dérives, c'est d'identifier correctement et adéquatement l'impérialisme existant : l'Empire britannique financier.

mercredi 9 février 2011

Angel in death

http://www.marianne2.fr/Incroyable-mais-vrai%C2%A0-25-des-salaries-gagnent-moins-de-750-_a202405.html
Avec cette nouvelle incroyable pour la plupart de ceux qui ne veulent pas voir les effets déjà présents de la crise économique et culturelle, vous avez la preuve de l'oligachisation rampante, quoique de plus en plus visible et remarquée, de la société libérale. Non seulement 25% des salariés gagnent moins de 750 euros par mois, mais le plus inquiétant est la précarisation croissante du travail en Occident (donc en France). Le niveau de vie des Français s'est incroyablement dégradé depuis dix ans. La désinvolture de la dépolitisation encourage cette oligarchisation antidémocratique et antirépublicaine.
Pour ne pas voir ce qui attend la France si elle continue sur cette voie, on prétend que la baisse du niveau de vie ne serait pas si évidente et qu'à y bien regarder, tout ne va pas si mal. La précarisation officielle du travail constitue la preuve que ces observateurs se trompent et qu'il est urgent de s'engager politiquement pour conjurer le péril oligarchique et pouvoir a posteriori se regarder dans une glace (ne pas répéter les attitudes fréquentes pendant la Seconde guerre mondiale de la Collaboration par peur, par lâcheté et par faiblesse).
L'oligarchisation qui engendre le chômage de masse couplé à la précarité professionnelle et sociale est fondée par le programme du Premier ministre britannique :
http://www.20minutes.fr/ledirect/660796/economie-david-cameron-vante-nouveau-deregulation-europe
Quand on se souvient que Cameron se situe à la droite de son prédécesseur Thatcher, on mesure ce que l'ultralibéralisme le plus radical promeut : l'inégalitarisme viscéral, tel qu'il se trouva théorisé par les cercles autour de Hayek - la Société du Mont-Pèlerin. Pas étonnant que le représentant politique actuel de l'Empire britannique sur le sol de l'Etat-nation britannique piraté et vampirisé tienne ce genre de discours qui sert de caution théorique au modèle de société qui engendre la situation de l'emploi en France et dans le monde. Cameron s'ajuste à la désintégration économique de son pays te du restant du monde, sauf qu'il la légitime et l'encourage plutôt.
Dans ce jeu de dupes, l'inégalitarisme viscéral profite aux spéculateurs éhontés qui ne savent visiblement plus quoi inventer pour trouver des bonus à leur perversité désinvolte et amorale :
http://www.liberation.fr/economie/0101564779-golden-hello-chez-dexia
Contrairement à ce qu'avancent les tenants de l'ultralibéralisme, il est faux, voire mensonger d'estimer qu'une seule politique est possible et nécessaire - celle de l'ultralibéralisme au pouvoir en Occident autour des régimes néoconservateurs et ultralibéraux. L'exemple de l'Islande montre qu'il est deux choix symbolisés d'un côté par l'exemple irlandais et de l'autre par l'Islande. Les Irlandais se sont pour l'instant soumis aux diktats monétaristes de la City de Londres autour du conglomérat interbancaire Inter-Alpha; quand l'Islande a nationalisé le secteur bancaire en faillite et a rendu au peuple islandais la responsabilité républicaine et démocratique de son crédit de monnaie :
http://www.metrofrance.com/info/l-islande-a-t-elle-fait-sa-revolution/mkaB!tWI2q1w6pfehA/
A ceux qui objecteraient que l'exemple encourageant de l'Islande, au contraire de la faillite de l'Irlande, n'est pas représentatif des autres peuples - que le cas islandais est trop isolé, voire exigu, il convient de noter que le récent rapport Angelides de la Commission américaine d’enquête sur la crise financière, présidée par un élu démocrate éponyme, après avoir pointé du doigt la complicité active d'Obama à l'égard de Wall Street et du secteur bancaire, dénonce l'abrogation du Glass-Steagall (sans proposer explicitement son rétablissement comme solution pour empêcher que la crise financière s'aggrave au niveau mondial, comme je l'avais annoncé un peu vite, mais la dénonciation de l'abrogation du Glass-Steagall revient de fait à exiger son rétablissement). Vous savez, cette loi promulguée par Roosevelt pour conjurer les effets dévastateurs de la Grande Crise et qui fut abolie sous Clinton par un pouvoir politique clairement aux ordres de Wall Street (avec notamment la participation efficace de l'inénarrable Summers).
Angelides ne condamne par seulement la finance folle et ses serviteurs politiciens zélés et détraqués (comme Obama le démocrate ultralibéral). Il rappelle que l'argument selon lequel il n'existe qu'une seule voie, celle du renflouement massif et suicidaire des banques, est un sophisme puant : «Si nous acceptons le refrain que "personne ne pouvait prévoir ce qui allait se passer" et que "rien n’aurait pu y faire"», alors, c’est obligé, « cela se produira » de nouveau. Pour preuve, le Glass-Steagll Act qui est le précédent historique défendu en premier lieu par LaRouche depuis la fin du système de Bretton Woods.
Le Glass-Steagall qui consiste à séparer drastiquement les banques de dépôt des banques d'affaires permettrait, appliqué au niveau mondial et plus seulement au format occidental, de mettre en faillite les banques sous perfusion des garanties d'Etat et de revenir au critère économique sain de la production physique garantissant la spéculation financière contrôlées et régulée. Pour ceux qui doutent de la viabilité du Glass-Steagall, effrayés par la réputation sulfureuse de LaRouche, l'exemple parent du seul Prix Nobel d'économie français Maurice Allais devrait leur indiquer que cette voie exprime la prospérité républicaine (au sens classique et premier).
Allais lui aussi se montre favorable à un système proche du Glass-Steagall et aura été le seul économiste français, et l'un des rares au niveau mondial, à avoir prévu la crise depuis deux décennies, au point qu'il fut marginalisé par les médias dominants français; accessoirement, Allais a soutenu publiquement les propositions économiques de LaRouche et de ses associés avant de mourir récemment (un signe que les larouchistes ne sont pas du tout des extrémistes sectaires, mais des incompris qui dérangent par leurs idées pertinentes). Ces deux exemples lucides (enfin des économistes qui ont prévu rationnellement l'actuelle crise dévastatrice et généralisée et y ont proposé des remèdes précis et concordants) sont repris tardivement et sans être nommés, au niveau cette fois supérieur (institutionnel américain) par le rapport Angelides qui a le mérite principal de rappeler que la politique oligarchique est d'autant plus évitable que la crise actuelle était prévisible. Si les Français veulent retrouver le plein emploi, ils doivent adopter d'urgence des mesures de type Glass-Steagall relié à un Bretton Woods au niveau mondial (un Glass-Steagall circonscrit au niveau français serait une mesure inadaptée et dérisoire, un peu comme les engagements soi-disant socialistes et fort naïfs pris par le gouvernement Mauroy sous l'ère Mitterrand ente 1981 et 1982).

mardi 8 février 2011

Le chèque des civilisations

http://www.lemonde.fr/europe/article/2011/02/05/david-cameron-l-europe-doit-se-reveiller-contre-l-extremisme-islamiste_1475497_3214.html

Selon cet article du Monde, la position de Cameron à propos du choc des civilisations serait des plus critiques et nuancées, puisqu'il dénoncerait le choc des civilisations et l'amalgame entre Islam et islamisme. Ouf ou fou? Il existe plusieurs variantes du choc des civilisations : en particulier dans la montée actuelle du nationalisme, la variante minoritaire judéophobe comme la variante majoritaire islamophobe. Il serait naïf de croire que les partisans du choc des civilisations le promeuvent explicitement.
Nos doux idéologues établissent dès le départ la distinction perfide et perverse entre Islam et islamisme pour donner l'illusion que leur propos est modéré. A quoi reconnaît-on un partisan du choc des civilisations dès lors qu'il avance masqué? Cameron déclare qu'il est contre le choc des civilisations en distinguant entre Islam et fanatisme islamiste terroriste? W. après les attentats du 911, en pleine rhétorique néo-conservatrice légitimée, exigeant la démocratie et la fin du terrorisme, avait déjà distillé les déclarations les plus tolérantes concernant l'Islam et les musulmans - à distinguer des affreux barbus terroristes portant couteaux et explosifs dans leurs chaussettes.
Non seulement il convient de se méfier de ce genre de discours balisé et nuancé, mais Cameron présente un pédigrée dont les réalisations politiques (et le programme) inspirent la plus haute méfiance. C'est comme avec W. le grand démocrate libéral et tolérant : on a vu le résultat en Irak ou en Afghanistan. Cameron n'appelle pas à une redéfinition du choc des civilisations vers une conception plus modérée, voire nuancée : l'habileté du discours typique d'un néoconservateur consiste à opposer le choc des civilisations version dure (explicite) au choc des civilisations version soft (et déniée). C'est la méthode douce chère à Brzezinski, le mentor de Carter et d'Obama - et c'est surtout la méthode de ce cher Bernard Lewis, un spécialiste de l'Islam qui officie pour le compte des intérêts diplomatiques de l'Empire britannique.
Il suffit de se renseigner sur la vision stratégique de Lewis concernant le choc des civilisations pour se rendre compte que Cameron n'a guère changé de visage ultraconservateur et qu'il applique une vision du choc des civilisations qui loin d'être modérée se révèle seulement mielleuse - compatible avec le féodalisme postmoderne de son conseiller Blond ou l'impérialisme européen postmoderne de ce cher Cooper, un proche de la baronne Ashton, actuelle chef de la diplomatie britannique, pardon, je voulais dire - européenne.
Lewis est le fondateur de l'expression du choc des civilisations (1957, puis 1990). Huntington n'a fait que reprendre cette expression et leui donner un contenu plus vindicatif. Lewis notait dans cet article de 1957 (The Roots of Muslim Rage) qu'«il est d’une importance cruciale pour [l’Occident] de ne pas se laisser aller à une réaction tout aussi historique mais tout aussi irrationnelle » contre l’Islam. Déjà des propos de tolérance pour enrober le contenu du choc des civilisations. Mais le plus significatif pourrait être cette considération particulièrement d'actualité concernant les populations arabes : «Les hommes de bonne volonté trouveront possible d’être proisraélien sans être antiarabe, et d’être proarabe sans approuver les pitres et les tyrans qui ont avili et déshonoré un grand et talentueux peuple» (Friends and Enemies : Reflections after a War).
Tout comme pour la position de Cameron par rapport à l'islamophobie et au choc des civilisations, Lewis se montre d'une tolérance qui n'aurait d'égale que sa haute culture islamophile. Mais tout comme pour le choc des civilisations, Lewis manifeste à l'égard des Arabes ou des Palestiniens une ouverture d'esprit qui n'a d'égale que l'impérialisme britannique sur le terrain. La dissimulation et la manipulation sont des rames rhétoriques qui sont celles des sophistes dénoncés par Platon et qui ne datent pas de Bernard Lewis l'islamologue ayant tenu des propos dissimulant sou la critique de l'islamisme terroriste la volonté de destruction de toute forme culturelle qui constitue une menace ou une gêne pour l'impérialisme libéral.
L'adepte du choc des civilisations (que ce soit Lewis ou un thuriféraire indirect) se reconnaît au fait qu'il entend promouvoir le libéralisme sous couvert d'encourager la liberté et la tolérance dans les autres cultures. Autrement dit, un Huntington, l'assistant américain (tendance british) de Lewis au Conseil National de Sécurité américain, propose une version dure et maladroite du choc des civilisations que son madré maître. Il suffit de lire Lewis pour se rendre compte que l'inventeur même de l'expression présente une position plus proche de celle prudent et retorse de Cameron : proposer la laïcisation et la libéralisation de l'Islam est la vraie démarche qui motive le choc des civilisations. Nous acceptons votre culture à condition que votre culture nous imite et nous ressemble.
Curieuse tolérance que cette tolérance abritant l'intolérance. Le positif est le négatif : définition du nihilisme et du principe de contradiction sous-jacent. Le choc des civilisations se détecte non pas tant à cause d'une haine des autres civilisations, mais à cause d'un ethnocentrisme remarquable, qui dans le propos des théoriciens du choc des civilisations consiste à promouvoir l'impérialisme britannique. Les théoriciens de ce choc chaotique réclament moins la guerre des civilisations que l'occidentalisation libérale du monde.
Exactement ce que propose Cameron selon Le Monde : sous couvert d'appeler à la distinction tolérante et libérale entre Islam et islamisme terroriste, il s'agit de proposer rien moins que la conversion de l'Islam (et des autres civilisations) au libéralisme et à la laïcité (de mouture ultralibérale et de format théorisé par un Lewis). Cette escroquerie rappelle le masque vénitien dont s'inspire Nietzsche ou le sigle de la Société fabienne : un loup déguisé en mouton. Loin d'appeler à la guerre des civilisations des uns contre les autres, le choc des civilisations dès sa théorisation appelle à la guerre contre le terrorisme islamiste et à la laïcisation de l'Islam en crise (un des grands thèmes de Lewis).
Le concept idéologique de guerre des civilisations est une tactique pour opérer l'hégémonie unilatérale de l'impérialisme britannique et surtout conférer au libéralisme un ennemi (de préférence l'Islam en tant que monothéisme non chrétien, universaliste et concurrent). Dans une conception nihiliste, on a besoin d'un ennemi en tant que négatif dénué de positif. L'ennemi reconnaît à la fois l'extériorité tout en postulant que cette extériorité a été remplacé par le règne de la complétude et de l'immanence. L'extériorité serait désuète. Le choc des civilisations ne peut se manifester que de manière feutrée et perfide, puisqu'il vient sanctionner l'échec programmatique du projet de totalité (totalitaire) libérale.
Contrairement ce qu'il affirme, le discours de Cameron est un discours emblématique du choc des civilisations. Il est le masque vénitien et la peau de mouton fabienne : l'autoritarisme impérialiste de Cameron se dévoile dans cette attaque contre l'Islam sous couvert de lutte contre le terrorisme islamiste. D'ailleurs, la couverture du Monde indique la manipulation factuelle à laquelle se livre ce journal qui aimerait tant continuer à passer pour un journal social-démocrate alors qu'il est un journal ultralibéral de gauche aux mains de banquiers dominants (les intérêts BNP).
L'article du Figaro qui est conscaré à cette épisode se montre nettement plus incisif que celui du Monde :
http://www.lefigaro.fr/international/2011/02/05/01003-20110205ARTFIG00536-cameron-denonce-l-echec-du-multiculturalisme.php
Où l'on voit que l'honnêteté journalistique se retrouve mieux dans des positions conservatrices que faussement progressistes. Cameron ne s'en prend pas seulement au terrorisme islamiste (assimilé au terrorisme islamique) et dénonce le modèle de la société dite multiculturelle au nom du libéralisme historique - d'origine britannique. Cameron, sous couvert de s'en prendre au choc des civilisations (dans sa version extrémiste et simpliste), réhabilite le libéralisme le plus ultra... Discours infâme de cynisme et de perversité (qui ne fait que reprendre d'autres propos connotés comme ceux de Merkel en Allemagne)! Car le modèle multiculturel ne désigne pas une politique visant à promouvoir d'autres modèles que le modèle libéral, mais à avoir accueilli sciemment les fanatismes et les extrémismes (notamment musulmans), au point que Londres l'hospitalière des criminels était baptisée par les services secrets français le Londonistan...
Cameron confond la loi du plus fort qui manipule les extrémistes des partis plus faibles (comme l'islamisme terrorisme face au libéralisme) et la liberté d'expression. Si la position n'est pas étonnante dans la bouche d'un conservateur encore plus radical qu'une Thatcher (c'est peu dire), le choc des civilisations se trouve défini par son apologie perverse et mensongère de la tolérance libérale et laïque et se démasque par l'apologie débridée de l'ultralibéralisme comme héritier du libéralisme historique et comme modèle de civilisation supérieur au modèle religieux antagoniste, dont l'Islam étranger est devenu le repoussoir caricatural et caricaturé.

dimanche 6 février 2011

Principe de non contraction

Le principe de non-contradiction tant étudié et suivi par Aristote semble indiquer qu'Aristote le métaphysicien situerait sa métaphysique dans les pas de l'ontologie. Plus pragmatique que Platon, moins idéaliste, mais tout aussi - philosophe. Philosophe ne signifie pas que l'on soit ontologue. Ceci pour une raison étymologique : si à la rigueur on pourrait parler d'ontologie nihiliste, dans un curieux oxymore, à la suite des travaux de Démocrite d'Abdère, il conviendrait plutôt de parler de mésontologie, à propos de ce qui est (paradoxalement) la science du non-être plus que de l'être...
Pourtant, à y bien regarder, ce principe de non-contradiction est étudié d'une manière logique; et la logique chez Aristote sert à étudier le langage là où les sophistes utilisaient la rhétorique. Procédé plus scientifique peut-être, mais assez parent, finalement... On pourrait noter un autre rapprochement fâcheux : les logiciens contemporains, ceux qui ont mis la logique au goût de la pensée, ont repris la démarche d'Aristote en lui conférant une portée plus radicale : prétendant le plus souvent remplacer l'illusion métaphysique au nom de la démarche logique. Les logiciens sont dans l'époque contemporaine des disciples encore plus radicaux d'Aristote, à tel point qu'ils en viennent à le considérer comme un philosophe classique. Curieuse manière d'ôter à l'ontologie sa démarche propre et à assimiler l'ontologie représentée par Platon et la métaphysique portée par le dissident Aristote...
Cette radicalité des logiciens contemporains peut être interprétée dans le cadre de l'histoire de l'immanentisme, qui constitue dès les origines (Spinoza) une radicalisation du nihilisme antique (on passe de la finitude au désir complet); dans ce processus de radicalisation, la logique servirait la réduction du désir complet à la logique excluant au nom de la raison le restant comme illusoire... Un des grands refrains des logiciens consiste à décréter avec prétention que la plupart des idées classiques reposent sur des préjugés, au nom de la critique soi-disant novatrice et objective du langage. Au final, cette critique détruit beaucoup et ne remplace par - rien.
Aristote revendique beaucoup le principe de non-contradiction justement pour montrer que sa pensée ne repose pas sur le nihilisme historique et rejeté des sophistes, mais qu'elle s'inscrit dans le champ de la philosophie, avec une différence majeure par rapport à l'héritage platonicien - mais dans le champ de la philosophie. Le but d'Aristote est d'inscrire le nihilisme dans la cohérence philosophique (le sérieux). Aristote prétend même réfuter les sophismes, qu'il nomme paralogismes notamment. Mais il reprochera à Platon d'user de paralogismes au nom du rétablissement du non-être. Cette simple référence (Platon rangé parfois dans la catégorie des sophistes) suffit à montrer qu'Aristote entend se situer dans un nihilisme qui réfute les options nihilistes passées (comme celles des sophistes) tout en s'opposant aux thèses ontologiques classiques personnifiées par le maître Platon.
L'outil du principe de non-contradiction sert à accréditer l'idée selon laquelle Aristote serait parvenu au plus haut degré de cohérence logique et physique - métaphysique. Le critère de la cohérence pour Aristote devient l'arme de la science dans le langage. Il prétend avoir perfectionné la rhétorique (notamment des sophistes) en en faisant la science de la logique. Il reproche des paralogismes et autres erreurs logiques chez Platon, qui s'ne tiendrait à l'arme du langage logique. Aristote entend montrer qu'il a amélioré (rationalisé) le verbe philosophique et surtout que le parti métaphysique qu'il incarne constitue une amélioration de la philosophie plus que du nihilisme.
Pour savoir si Aristote est parvenu à sa fin première, dépasser Platon, il suffit de constater qu'il fait montre d'une mauvaise foi consciente quand il réduit le sens du non-être chez Platon au faux, alors que Platon clairement définit le non-être comme l'autre. Aristote n'use pas de la sorte parce qu'il n'a pas compris la définition platonicienne, mais parce que la définition du faux lui permet de légitimer son nihilisme, alors qu'il est désarmé par la définition plus universelle et cohérente de l'autre - il peut contester la validité de l'Etre, mais sans définir en retour le non-être, alors que le faux introduit une faiblesse logique dans le système platonicien.
Le nihilisme d'Aristote le pousse à décréter que la logique est l'arme de la vérité à l'intérieur de l'être, alors que l'être est fini (il le mentionne dans ses recherches physiques, ce qui est un aveu terrible, puisque Aristote accorde une importance capitale à la science et que cette manière de considérer que l'être est fini et que la science est capitale au sein de l'être recoupe la démarche de Démocrite, en la dotant d'armes logiques et métaphysiques). Le principe de non-contradiction est utilisé comme une machine de guerre renforçant encore l'impression de cohérence du système aristotélicien, alors que cette cohérence n'affecte que partiellement le système aristotélicien et qu'elle se trouve radicalement détruite une fois que l'on sait que l'être est fini.
Le mode de pensée aristotélicien pourrait être taxé de dualisme antagoniste au sens où il exige une cohérence et une logique d'autant plus aiguisée, voire irréfutable que cette cohérence se trouve battue en brèche par l'opposition tacite du non-être. Le non-dit du non-être joue le rôle de l'incohérence face à la logique qui en dit toujours trop. Le principe de non-contradiction d'Aristote, loin de perfectionner l'ontologie par la logique (métaphysique), ne fait que repousser l'incohérence des bornes de l'être vers le non-être.
On prête à Aristote une logique qui l'opposerait à l'incohérence nihiliste incarnée par un Démocrite ou par les sophistes. C'est oublier que cette cohérence est finie; autrement dit, qu'elle se trouve au service de l'incohérence. Le principe de non contradiction d'Aristote n'abolit pas définitivement la contradiction pour promouvoir la cohérence; il abolit la contradiction dans la sphère du réel fini - pour repousser la contradiction un cran au-delà, au rayon du non-être. Le principe de non contradiction ne résout pas la contradiction, mais la repousse d'un cran. C'est une différance au sens derridien : on résout dans la mesure où l'on diffère (indéfiniment). C'est une stratégie nihiliste qui caractérise plus la démarche d'un Aristote que celle d'un déconstructeur et philosophe mineur comme Derrida.