dimanche 20 mars 2011

L'honorable correspondant

Tandis que l'actualité superficielle nous abreuvent en événements secondaires qui sont autant de diversions, petit extrait d'un article de l'honorable correspondant à la City de Londres, Marc Roche, qui est centré sur le coeur de l'impérialisme. Alors que bien des soi-disants experts de l'heure se perdent en brillantes hypothèses labyrinthiques à propos de l'impérialisme tapi à Wall Street et qui du coup serait de facture américaine (avec des inflexions sionistes), Marc Roche sait très bien, ne sait que trop, que les grosses firmes financières de Wall Street, de Chicago ou d'ailleurs sont des ombres sur le sol américain manipulées depuis la City de Londres (l'ultime commanditaire dans le fonctionnement impérialiste).
Prenons le cas le plus emblématique, celui de JP Morgan et de sa jumelle Morgan Stanley (divisée par le Glass-Steagall révolu) : c'est une opération typique de la City de Londres, avec notamment la branche londonienne Morgan, Grenfell&Co. Ce qui est frappant dans cette description qui se voudrait critique, c'est le refus de la critique générale au profit d'une critique inféodée à la loi du plus fort. Admirable définition des médias occidentaux! L'on est prêt à reconnaître que les banquiers sont amoraux à condition que l'on reconnaisse conjointement que la situation ne peut être changée. On comprend que Marc Roche soit le correspond pour le grand journal français Le Monde (tenu depuis peu par des intérêts proches de la BNP) de la City de Londres : il en reprend les tics et les dogmes.
Too big to fail : expression qui ne veut rien dire si on l'examine depuis une perspective un tant soit peu soustraite à la critique, un peu comme Marc Roche veut bien accepter toutes les critiques à propos de la mentalité des financiers à condition que l'on reconnaisse leur impunité et leur toute-puissance. Comment peut-on échapper à la critique? A condition d'être trop fort dans un critère où c'est la loi du plus fort qui l'emporte sur la vérité. Le seul moyen de se mouvoir dans un monde dirigé par la loi du plus fort est un monde statique, où le changement est sous contrôle des dominateurs de l'être.
Exactement le monde tel que le perçoivent les banquiers : monde qui peut accepter toutes les critiques, à condition que les banquiers le dominent. Marc Roche reprend cette argumentation avec une candeur qui ne peut être mue que par le cynisme fondamental : car ce monde est un monde qui n'est pas viable, mais monstrueux. C'est un monde qui ne peut que s'effondrer, en sus de sa monstruosité. C'est l'époque que nous vivons. Marc Roche déverse la propagande inconditionnelle en faveur des banquiers et contre toute idée de changement, puisque s'il convient de moraliser les échanges financiers ou de rationaliser l'irrationnel, ainsi qu'y appellent les théoriciens progressistes de l'ultralibéralisme, il est impossible de concevoir un monde non nihiliste (au sens ontologique) avec cette domination évidente et incontestable des banquiers.
Pourtant cette manière de représenter les choses, de les dépeindre avec fatalisme et même une certaine dose de critique secondaire et superficielle, soutient l'apologie de la nécessité ontologique, telle qu'elle est accréditée dans l'histoire de l'immanentisme par Spinoza ou Nietzsche (auparavant par un Démocrite d'Abdère notamment). Selon des voix autorisées comme celle de Marc Roche, il est nécessaire d'agir ainsi. Rengaine des gouvernements occidentaux au service des financiers : on ne pouvait que renflouer les intérêts en faillite. Rengaine pitoyable et pathétique des opprimés de la mondialisation : on ne peut faire autrement. C'est le slogan des esclaves.
Un Marc Roche reprend implicitement ce refrain sinistre et oligarchique en se plaçant du côté des dominateurs de la mondialisation ultralibérale : des financiers qui agissent de manière apatride, entre plusieurs places financières, mais toujours à partir de la City de Londres, le bastion de l'Empire financier britannique. Dans le conte où le roi est nu, les courtisans se rendent compte de la nudité du roi, mais ne la révéleront qu'à partir du moment où le roi aura perdu son pouvoir. Il en va de même avec l'Empire britannique : ceux qui sont ses observateurs connaissent son existence, mais préfèrent la taire. On en parlera sans doute plus tard, de manière historique, quand ces intérêts fondés sur la dissolution et le mensonge auront disparu et seront devenu inoffensifs. Un peu comme la Françafrique?

http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/03/08/la-crise-c-est-la-faute-des-autres_1490064_3232.html

"Lettre de la City du 8 mars.

Les banquiers responsables de la crise de retour aux manettes.

Trois noms pratiquement inconnus du grand public ont récemment occupé le devant de la scène financière. Trois noms qui, pour beaucoup, ne disent rien, mais qui symbolisent la philosophie d'une profession n'ayant rien appris et cependant tout compris : banquier un jour, banquier toujours. A la vie, à la mort ! Qu'on se le dise ! Commençons par le Français du lot. Jean-Pierre Mustier doit prendre le 21 mars ses nouvelles fonctions de directeur des activités de finance et d'investissement de l'établissement italien UniCredit, "pour pouvoir pousser certaines convictions". Ce personnage énigmatique était le patron, à la Société générale, du trader fou Jérôme Kerviel. Il en avait démissionné en 2009.
Le deuxième protagoniste est l'Américain Bill Winters, membre de la commission officielle britannique planchant sur la réforme bancaire. Cet ancien banquier d'affaires vient de s'associer avec deux locomotives de la vie des affaires, le raider Lord Rothschild et l'industriel du luxe Johann Rupert, pour créer un fonds d'investissement. Winters avait été l'un des animateurs de l'équipe de JP Morgan, qui en 1994-1997 avait inventé les
credit default swaps, ces produits financiers hautement toxiques qui ont contribué à l'explosion de la planète finance.
Enfin, il y a le cas d'Alan Schwartz, dernier patron de Bear Stearns, la banque d'affaires plombée de crédits immobiliers vérolés, dont la chute en 2007 avait été le signe prémonitoire de la tourmente à venir. Après sa sortie ignominieuse, le banquier new-yorkais avait pris la tête d'un hedge fund, Guggenheim Partners. Ce fonds a annoncé la semaine dernière la création d'un département de trading utilisant ses capitaux propres, une activité très risquée et hautement spéculative désormais interdite aux banques.
Les banquiers emportés par la crise de 2008-2009 sont donc de retour, comme si de rien n'était, et par la grande porte. Et la liste est longue, très longue, à lire quotidiennement les pages de la presse financière. Le cas le plus scandaleux demeure celui d'Antigone Loudiadis, la banquière de Goldman Sachs qui a aidé la Grèce à maquiller ses comptes pour lui permettre d'entrer dans l'euro. Ce forfait lui a valu d'être promue à la tête de la compagnie d'assurances maison de GS !
Convenons-en, de quelque côté que l'on regarde, la tête nous en tourne. Saisi d'un semblant de repentance, Jean-Pierre Mustier a ainsi potassé pendant son intermède londonien d'un an et demi les biographies d'Alan Greenspan, ancien patron de la Réserve fédérale américaine, et d'Henry Paulson, le secrétaire au Trésor entre 2006 et 2008.
Dans le genre flagellant, on fait mieux. Greenspan passe pour l'un des grands responsables de la débâcle par sa politique d'argent bon marché et par son refus d'une réglementation des produits dérivés. Quant à Paulson, qui fut président de Goldman Sachs entre 1999 et 2006, il n'a eu de cesse quand il était au pouvoir de promouvoir les intérêts de son ancien employeur.
La déroute financière a vu des millions de ménages perdre logement, emploi, retraite. A quelques exceptions près, on retrouve aujourd'hui les mêmes patrons à la tête des grandes institutions financières. Aucun dirigeant de banque n'a été sanctionné, même dans les cas de fraude avérée sur les crédits hypothécaires. Dans ce genre d'affaires complexes, les preuves sont difficiles à réunir, et l'incompétence n'est pas un crime : telle est l'antienne officielle pour justifier ce laxisme judiciaire.
Alors que le contribuable qui a sauvé le système bancaire doit se serrer la ceinture, l'heure est à nouveau à l'octroi en toute impunité de bonus mirobolants, à Wall Street comme à la City. A Bruxelles et à Washington, le lobby bancaire a émasculé les projets de régulation, poussant même des cris d'orfraie à l'idée d'un renforcement des normes prudentielles de capital. Au mépris du civisme le plus élémentaire, les zones offshore aident les multinationales comme les grosses fortunes à s'adonner à l'évasion fiscale légale. Pour échapper à l'impôt comme au régulateur britanniques, les hedge funds londoniens auraient trouvé leur nouvelle terre promise, Malte, pour spéculer en toute quiétude.
La profession bancaire ne voit pas en quoi elle aurait failli à l'honneur ou à la morale, nous explique le consultant londonien Amin Rajan, spécialiste du leadership d'entreprise. "Les milieux financiers ont réussi à faire passer le message que la crise est la faute du système, des régulateurs, des banques centrales, des actionnaires, voire des ménages, bref, des turpitudes des autres." Dans la lecture particulière qu'ont les banquiers de la déontologie, reconnaître ses torts serait un aveu de faiblesse ou de culpabilité. Toutefois, il faut en convenir, les banques, dont personne ne peut se passer, ne sont pas toutes à mettre dans le même sac, et certaines remplissent les fonctions normales de financement de l'économie.
Le cardinal archevêque de Westminster, Vincent Nichols, n'a pas dit autre chose en déclarant à l'adresse des banquiers : "Votre mission consiste en priorité à servir l'intérêt public." Ce prêche ne devrait-il pas être frappé au fronton du Guildhall, l'hôtel de ville de la City ?

roche@lemonde.fr
Marc Roche
Article paru dans l'édition du 09.03.11."

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