mercredi 20 avril 2011

Les marges du renouveau

http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2011/04/14/crise-financiere-le-senat-americain-rend-un-rapport-accablant-pour-goldman_1507715_3222.html

La preuve qu'un système s'effondre, c'est que des gens de l'intérieur commencent aux plus hauts niveaux à dénoncer les dysfonctionnements et les erreurs internes du système. Contrairement à ce que d'aucuns claironnent, si ce n'est pas le centre pur d'un système qui abrite l'étincelle du renouveau, ce ne sont pas non plus les pures marges - marginales. Ce sont des marges appartenant à ce centre. Je ne prendrai pour preuve importante que l'avènement du christianisme, qui a régénéré avant tout l'Empire romain décadent et moribond et a permis à l'Occident exsangue de repartir du bon pied, à partir d'un nouveau principe religieux capital (le monothéisme).
Contrairement à ce qu'on croit trop souvent, le centre du système mondial actuel ne se situe pas aux Etats-Unis, même dans le coeur de la finance new-yorkaise, à Wall Street - mais à la City de Londres. Le propre d'un empire étant secondairement de pirater un pays, il s'agit avant tout de pirater un lieu. Ce ne sont pas les peuples britanniques qui sont le coeur de l'Empirebritannique, pas davantage que le peuple américain n'aurait été le centre du faux impérialisme ou de l'impérialisme mal identifié - attribué à l'Empire américain.
Sans doute est-il faux d'estimer, de manière simpliste, que l'alternative à un mode de fonctionnement est unique. Au contraire, imitation qui se propage, la production de la nouveauté intervient suite à de multiples essais. Cas du monothéisme, qui ne surgit pas exabrupto de Judée avec Jésus de Nazareth, mais qui connaît de nombreuses moutures plus ou moins expérimentales et transitoires jusqu'au christianisme (historiquement, le judaïsme sera une religion universaliste plusieurs siècles après le calendrier chrétien, selon notamment l'historien israélien Sand).
L'inventions physique de la relativité par Einstein ne survient qu'in fine avec Einstein. Au départ, ils sont plusieurs, dont le mathématicien Poincaré, à tâtonner autour de la théorie physique révolutionnant le système physique ancien. Selon cet ordre d'idée, il est probable que les formes innovantes au libéralisme et à l'effondrement systémique en cours actuellement soient multiples, proches l'une de l'autre et qu'elles donneront lieu à des formes nouvelles et futures. C'est ce qu'estime l'énarque Verhaeghe, ancien du MEDEF, de l'AIPEC et auteur d'un livre au titre incendiaire et au contenu étonnamment argumenté : Jusqu'ici tout va bien. Un titre que feraient bien de méditer tous ceux qui font semblant de ne pas prendre en compte les avertissements actuels concernant la fin de notre beau système libéral. Le témoignage de Verhaeghe indique que de multiples forces aux marges de l'Empire commence à se réveiller, à protester et à indiquer que de nouvelles voies sont possibles face aux conservateurs égarés et apeurés qui soutiennent qu'il est impératif de réanimer le cadavre putride et moribond du défunt système libéral.
Plus le système se trouve au bord de l'implosion, plus des forces institutionnelles se manifestent pour monter au créneau. Prenons le cas des Etats-Unis, qui sont le premier Etat-nation du monde, mais pas le centre de l'Empire. Les Etats-Unis ont toutes les raisons de se montrer en colère contre la catastrophe économique qui les frappe. Plus de vingt millions de chômeurs supplémentaires en quelques années, c'est un chiffre qui n'est pas banal et qui a de quoi faire frémir (pour peu que les Européens aient la mauvaise idée de s'inspirer de ce contre-exemple). Pourtant, les médias occidentaux parlent peu de cette situation dramatique, preuve qu'ils sont une force de propagande en faveur du libéralisme et de la City de Londres. On s'appesantit sur le pantin Obama télégénique et menteur à merci ou sur d'autres nouvelles secondaires, sans évoquer en profondeur les résultats calamiteux de cette crise.
Quand relaye-t-on l'événement important de la Commission parlementaire Angelides, qui a rendu des résultats aussi institutionnels que fracassants? Outre la confirmation des chiffres catastrophiques et déniés propres aux Etats-Unis, cette Commission annonce tout bonnement que la crise était tout sauf inévitable et qu'elle aurait pu être évitée. Elle peut d'ailleurs toujours être corrigée et éradiquée, à condition que l'on prenne les bonnes décisions : mettre en faillite les intérêts spéculatifs et rétablir le principe du Glass-Steagall en l'étendant au niveau mondial et en le couplant avec un Bretton Woods mondial (un plan mondial de reconstruction de l'économie).
Outre cette Commission parlementaire américaine de première importance, on trouve aussi sur le sol américain le témoignage de Barofsky, qui occupait le poste de directeur du TARP, et qui dénonce le plan de renflouement des banques lancés aux Etats-Unis pour relancer l'économie, la consommation et empêcher la saisir immobilière massive. Barofsky est intervenu dans le New York Times du 29 mars avec une tribune intitulée : "Là où le renflouement a foiré". Aujourd'hui que nous en sommes au plan QE2, qui signe de fait l'effondrement du dollar et l'hyperinflation mondiale (le dollar étant encore la monnaie de référence du commerce mondial). Nous avons aussi le cas du directeur de la Banqued'Angleterre Mervyn King, qui réagit notamment dans un entretien accordé au Daily Telegraphle 5 mars. King se déclare en faveur de mesures proches du Glass-Steagall américain ("narrowbanking") et rappelle que la situation depuis l'éclosion de la crise ne 2007 s'est empirée.
King fait partie de cette clique de financiers et d'économistes qui incarnent l'évolution de laCity de Londres depuis un demi siècle, notamment depuis le Big Bang de 1986. Leur récente dénonciation de la dérégulation massive et leur soutien au retour du Glass-Steagall indique que la crise est très grave et qu'elle commence à diviser l'establishment financier anglo-saxon en deux grands courants : ceux qui considèrent que seule une réforme pourra sauver leur emprise sur le système bancaire; et ceux qui pensent que seule la stratégie du chaos peut seule encore permettre cet effet de domination et que toute tentative de réforme est condamnée d'ores et déjà.
L'avis courageux et controversé par ses propres pairs de King montre que le changement ne peut survenir du coeur d'un système, car les structures vives l'en empêche. Le coeur peut partiellement appuyer le changement, non le produire. Le changement ne peut survenir que depuis certaines périphéries à ce système; les soi-disant opposants qui prétendent le contraire sont des menteurs travaillant pour le maintien du système qu'ils condamnent et critiquent (je pense notamment aux hordes de nationalistes qui prétendent réformer le système en proposant les mesures les plus conservatrices et violentes qui soient).
Suite aux interventions institutionelles d'Angelides et de King, la socialiste italienne et rapporteuse du CRIS au Parlement européen se déclare impressionnée par la visite et le discours d'Angelides. Après une question soumettant l'hypothèse du retour du Glass-Steagall comme outil de régulation de la spéculation, Peres s'y déclare favorable et montre que certains dirigeants politiques européens ont conscience que le système bancaire mondial est en voie d'agonie furieuse et que c'est soit la réforme, soit le chaos. Soit le KO, soit la réforme? Cette intervention de Peres la socialiste européenne, en écho à celle d'Angelides l'Américaindémocrate, est instructive en ce qu'elle indique que les marges les plus proches de l'Empirefrémissent et que c'est de ces marges que proviendront les alternatives à la crise.
Toujours aux marges du coeur de l'Empire, l'exemple des Islandais et de leur courageux président, montre la voie : ce ne sont pas les intérêts financiers en faillite qu'il convient de renflouer - mais les peuples. L'avis de l'analyste français Pierre-Henri Leroy, depuis 2002, et plus encore aujourd'hui (dans son article de mai 2010 dans Réalités industrielles), a valeur de caution experte, lui qui appelle à un Glass-Steagall en 2003 (lors d'une audition à la Commission parlementaire des Finances). Un dernier exemple : le financier belge Eric deKeuleneer rejoint ces divers avis éclairés et appelle au rétablissement du Glass-Steagall depuis dix ans, avec une particularité : pour lui, c'est un "double" Glass-Steagall dont il y aurait besoin.
Ces divers avis faisant état du l'opposition ou du revirement de certains institutionnels en Occident se trouvent en particulier relayés par le site d'information politique Solidarité et progrès, ce qui explique leur ostracisme et leur persécution - des jugements aussi chevronnés et différents que celui de Verhaeghe ou de Keuleneer sont en accord désormais explicite avec les propositions émises par l'économiste autodidacte et antimonétariste américain LaRouche et son associé français Cheminade (un énarque qui a compris les limites corporatistes et oligarchiques de l'ENA). On comprend que les médias dominants d'Occident, qui jouent le rôle honteux de caisse de résonance à l'impérialisme financier d'Occident, se taisent ou regardent au loin. Ce déni ou cette censure ne sont pas trop graves dans la mesure où les pouvoirs en place en Occident, qu'ils soient politiques, juridiques ou même médiatiques, n'ont plus la force d'empêcher l'accélération considérable et exponentielle du changement.
Le rôle d'Internet dans cette évolution est significatif. Internet accompagne le changement au sens où désormais les informations précieuses et pertinentes se trouvent en majorité sur Internet, tandis que les médias dominants de format Gutenberg ne délivrent plus sous couvert de liberté libérale que les informations utiles aux régimes en place : le contenu se révèle sclérosé et réactionnaire. Il est trop tard pour le format Gutenberg. S'il jouera encore un rôled'accompagnateur, son influence est d'ores et déjà subordonnée à Internet. Un jour, il disparaîtra comme une momie ou un parchemin et les formats d'édition au sens large se trouveront tous subordonnés à l'outil Internet (qui aura lui aussi bien changé).
La créativité est sur Internet au sens où le changement est sur Internet. Le progrès est sur Internet. L'invention d'Internet illustre les modalités d'apparition et de développement de la nouveauté. Internet n'a pas été inventé dans des foyers étrangers au système occidental, mais par le Pentagone et par les Français. C'est à l'intérieur du système que le changement se produit, ce qui indique que c'est le système qui crée les conditions d'innovation aux fins de pallier à sa propre sclérose.
Si tout système par bien des aspects, surtout quand il est puissant, voire hégémonique, contient les ingrédients pour secréter le changement, on peut en trouver une explication analogique dans les travaux mathématiques (et philosophiques) de Gödel, un néo-platonicien fervent qui s'opposa aux logiciens de son temps et à l'aristotélisme, notamment dispensé par Wittgensteindans sa conception anti-idéaliste des mathématiques. Le théorème d'incomplétude de Gödelmontre que tout système mathématique est incomplet et ne peut jamais rendre compte de manière complète et suffisante du principe de réalité.
On pourrait en dire autant de tout type de système humain, qui aussi impressionnant soit-iln'est jamais le réel, mais environné par le réel. Le fini est toujours entouré d'infini. Le changement est nécessaire. Et de même qu'un système mathématique trouve les conditions de son changement dans sa complétude interne, et non dans de quelconques données extérieures; de même le changement se produit à l'intérieur du système, exactement dans les marges de son coeur. Pas de manière périphérique ou marginale; mais à la périphérie du centre.
En langage urbain, ce sont les faubourgs qui créent les centre-villes de l'avenir. Le changement est à l'image du christianisme par rapport à l'Empire romain : les marges de l'Empire (pas l'étranger extérieur) finissent par investir le centre (Rome) et devenir religion d'Etat. Quant aux conditions d'anti-entropie et d'incomplétude, elles impliquent que la production de nouveauté dans le coeur extérieur du système provoque un décentrement inévitable. Pour ce faire, la seule condition de centralité marginale n'est pas suffisante, quoique nécessaire. Il est aussi impératif que le changement intervienne de manière religieuse de telle sorte que ce soit un renouveau supérieur qui réponde au déclin politique.
L'Empire romain était fondamentalement un système politique qui se voulait supérieur aux innombrables systèmes religieux de type polythéiste. Il réussit dans son projet de syncrétisme intéressé et habile jusqu'au moment où il se trouva détrôné par le monothéisme qu'il n'avait pas vu venir. Quand un système vire fondamentalement au politique croissant, c'est signe de décrépitude. Cas actuellement où le système dominant libéral est idéologique, soit essentiellement politique, avec une réduction du politique au commercial (réduction particulièrement virulente, puisque l'économique se trouve réduit lui-même au commercial).
La sclérose d'un système humain se manifeste par la disparition du social, ce qui fait que toute prétention à supplanter le religieux par la production d'un système suprareligieux (comme avec la laïcité mal comprise) est voué à l'échec. Ce qui explique aussi que la sociologie, en tant que science humaine alternative à la philosophie dans sa branche disciplinaire morale et sociale, perd le plus souvent de vue le principe religieux et se condamne à des productions vite périssables.
Le changement se fait aux marges du coeur d'un système et de manière religieuse. Le changement implique la supériorité antientropique contenue dans le religieux, avec la déstabilisation du système contenue dans l'apparition du nouveau en marge de son centre. Le principe de déstabilisation est essentiel, car il est nécessaire à la création en général, au nouveau et au changement. Contrairement à la théorie du chaos constructeur ou créateur, qui relève d'une application mal comprise de la conception classique (ontologique) de la création, l'opposition ne donne pas lieu à une destruction qui implique l'existence (paradoxale) du rien, mais à un changement qui implique l'existence unilatérale du quelque chose.
Alors que l'on fête les cinquante ans de l'aventure spatiale autour de Gagarine, le changement se manifestera, corrélativement à l'avènement de nouvelles formes religieuses, dans la sphère physique humaine par l'aventure spatiale, seule innovation qui puisse sauver l'homme de la sclérose technologique tous azimuts qui l'attend sur Terre s'il persiste à vouloir décroître et à dominer dans l'immobilisme. Le but que l'homme doit avoir à long terme, c'est de conquérir l'espace, comme l'imagine le romancier Asimov dans son cycle Terre et fondation. A plus brève échéance, c'est de se rendre sur la symbolique Mars, planète qui, si elle n'a jamais été habitée par des extraterrestres non humains, est appelée à le devenir - par des humains extraterrestres.

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