jeudi 26 mai 2011

La force : Hobbes cure?

Retour du Dahomey contemporain - et situation internationale de plus en plus chaotique, entre l'assassinat revendiqué juste d'Oussama, la guerre civile en Libye ou la découverte surprenante que le Président français du FMI pourrait être un violeur... Nous sommes dans une fin de cycle, une fin impérialiste, dont le meilleur analyste n'est autre que le théoricien-fondateur de l'Empire britannique Hobbes.

La politique du chaos marque l'aboutissement de la prédiction lancée par l'un des pères fondateurs de l'Empire britannique : le sympathique et optimiste Hobbes - un chic type généreux en diable et qui aura tant contribué à l'élévation du genre humain. Nous entrons dans cette ère qui n'a rien de spécifique à l'Empire britannique, mais qui est la finalité de toute forme impérialiste : le chaos. Hobbes n'aura fait que moderniser la loi d'usage qui était bien connue de l'Antiquité et qui peut fort bien s'adapter à un Empire mondialiste - comme c'est le projet de l'Empire britannique avec le NOM.
La grande différence entre le projet impérialiste tel qu'il se trouve modernisé par Hobbes et la vision lucide de l'impérialisme, c'est que ce projet serait viable pour un impérialiste, alors que son examen indique qu'il est promis à la disparition - destin de tous les empires historiques. Hobbes estime que le chaos serait possible de manière théorique : c'est sa fameuse vision de la guerre de tous contre tous. Dans ce schéma de guerre, l'intérêt de maintenir l'ennemi terroriste Oussama en vie (médiatique) s'estompe quand il devient contre-productif, car la marionnette Oussama servait de caution pour la création d'un ennemi fantasmatique dans le cadre exclusif de la guerre contre le terrorisme.
La guerre contre le terrorisme instaure un monde bipolaire de même type que l'ancien monde opposant libéralisme et communisme, car les libéraux se sont vite rendu compte que leur monde unipolaire de type "libéral triomphal" ne fonctionnait pas et que seul le monde bipolaire leur semblait viable. Mais la preuve que le modèle de la guerre contre le terrorisme reste transitoire et n'a jamais été destiné à durer chez ses stratèges, c'est qu'il s'agit de la réinstauration d'un bipolarisme creux, avec la particularité notable qu'une des deux parties est artificielle, fausse et creuse. Si le monde libéral existe sous la forme du mondialisme, le repoussoir du terrorisme musulman est plus qu'exagéré : inexistant.
La supercherie se trouva vite démasquée par la vox populi et mundi, ce qui explique la dimension transitoire de la stratégie de la guerre contre le terrorisme. La guerre contre le terrorisme est sensée seulement si on la comprend comme une transition imaginée dans un agenda d'oligarchisation mondiale, où l'on va vers le terme de l'oligarchie : le chaos correspond à la guerre de tous contre tous. Cette guerre totale est conçue comme viable par les partisans de l'oligarchie, alors qu'elle incarne le terme et l'impasse du projet nihiliste, comme si les nihilistes ignoraient ou faisaient semblant d'ignorer que le nihilisme contient dans sa terminologie son programme de destruction totale et suicidaire.
La guerre de tous contre tous apparaît impossible à valider dès le commencement. Il est instructif d'en revenir à Hobbes, promoteur moderne de cette théorie - et l'un des pères-théoriciens de l'Empire britannique. Hobbes définit la guerre de tous contre tous en l'isolant de manière théorique dans l'état de nature, un état artificiel qu'il invente pour les besoins de son entreprise de théorisation politique. Pour Hobbes, la guerre de tous contre tous désigne l'état naturel hypothétique; l'homme pour surmonter cet état impossible propose l'état civil, où l'individu se soumet au Souverain (le Léviathan), le dépositaire de son Etat.
De ce fait, Hobbes, malgré certaines nuances et critiques, est un thuriféraire légitimiste de la monarchie absolue, soit d'une forme d'oligarchie stricte et sévère. Selon lui, l'alternative pour l'homme oscille entre la condition impossible de la guerre totale et la monarchie absolue, où les citoyens d'une société civile reconnaissent un Souverain. Ce Souverain, monarque absolu, remplace le Souverain Bien de Platon. Hobbes est un oligarque théoricien des limbes de l'Empire britannique, quand Platon est un républicain partisan des principes d'un Solon.
Le principe de la guerre de tous contre tous n'est jugé inapplicable que dans la mesure où il permet de valider la dictature sous une forme de chantage nécessaire : soit c'est le chaos impossible, soit c'est la dictature (pour contrer la guerre de tous contre, tous les citoyens se voient contraints de s'en remettre à la volonté d'un représentant qui est le Léviathan). Le chaos correspond à l'anti-Léviathan. Et le Léviathan correspond au NOM, soit à la mondialisation spécifique de l'Empire britannique, qui opère comme la première forme politique (plus encore qu'impérialiste) de nature historique aussi étendue, au point d'en être devenue globale.
Toute forme politique impérialiste moderne suit les recettes de Hobbes, qui pourra se vanter de faire gagner du temps et de la lucidité à ses lecteurs : au moins moi je vous montre l'impérialisme tel qu'il finit par être et tel que du coup il devrait toujours être. Ce que Hobbes se garde bien de préciser, c'est qu'il dit peut-être la vérité, mais pas l'entière et intégrale vérité - seulement la vérité parcellaire de l'impérialisme. Hobbes fait comme si l'impérialisme était la seule forme politique - comme si le réel était seulement constitué sur une structure de constitution nihiliste.
Du coup, l'homme ne dispose pas de choix (c'est sa tragédie) : soit il soutient le système oligarchique; soit il verse dans l'impossible chaos de la guerre de tous contre tous. L'alternative n'existe pas. Il n'y a pas de choix entre la guerre de tous contre tous et le Léviathan. C'est la même pièce qui se trouve dédoublée. Faire de l'un deux : principe du nihilisme. Si Hobbes donne l'impression qu'il s'agit d'une alternative forcée et baisée, c'set parce qu'il ne voudrait surtout pas que ses lecteurs découvrent à quel point il a travesti la réalité de l'alternative politique et ontologique. Non pas entre l'impossible et l'oligarchie, qui oblige à opter pour l'oligarchie; mais entre l'oligarchie et la république.
Hobbes se trouverait démasqué si l'on se rendait compte qu'il n'expose qu'un versant de l'alternative et qu'il occulte soigneusement les références républicaines et leur fondement ontologique (surtout pas métaphysique). Hobbes dans sa mentalité d'oligarque oeuvrant pour les limbes de l'Empire britannique ne s'adresse qu'au public cultivé déjà acquis à la cause de l'oligarchie et méprisant l'autre terme de l'alternative : perte de temps, échec assuré, haine de la vie (les critiques ne manquent pas, chez un Nietzsche par exemple). La mauvaise foi de Hobbes fait qu'il ne cherche jamais à convaincre des républicains, mais à synthétiser les travaux d'autorité favorables à l'oligarchie.
Hobbes produit une étude brillante prônant la forme la plus dure d'oligarchie pour contrer le chaos et assurer la pérennité du seul régime politique nécessaire (la dictature). Hobbes n'annonce pas seulement quel est le dernier visage de l'impérialisme. Il incarne la faillite de l'impérialisme : refuser de discuter et refuser la contradiction. Voilà qui est tout à fait digne des méthodes d'un oligarque patenté; et qui ne nous indique jamais, en creux et à rebours, que la lucidité inavouable apportée à la définition de l'oligarchie. Une correction : si l'oligarchie n'est pas viable, le système politique du Léviathan (dictature du Souverain) s'effondre et débouche sur le chaos.
La critique de la théorie de Hobbes est une critique radicale de l'impérialisme et de son vice de raisonnement. Au lieu de s'extasier sur la profondeur lucide de Hobbes, on ferait bien de s'aviser que son système est bancal et que le Léviathan accouche, au lieu de l'ordre viable et autoritariste, de la guerre de tous contre tous. Guerre qui n'a jamais existé dans l'état de nature théorique et inexistant, mais qui est la résultante de toute politique oligarchie. L'oligarchie n'est pas un régime politique viable.
Pour ne pas l'avoir médité, Hobbes est un penseur politique. Partisan de la politique du déni, il occulte soigneusement de penser par rapport au fondement philosophique, qui n'est pas politique, mais ontologique. Cela l'amènerait sous une forme ou sous une autre à la question du nihilisme et au destin du nihilisme. Toutes préoccupations qu'il veut éviter - et la question qui agite notre époque : le destin de l'impérialisme britannique est écrit dès son départ avec le programme philosophico-politique de Hobbes, dont la particularité castratrice et occultante est d'accepter de prôner l'oligarchie strictement politique à condition qu'on la désosse et la déconnecte de son fondement ontologique.

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