jeudi 7 juillet 2011

Nuance

Avec le cas Kadhafi et l'abominable massacre inégal et évitable commis par les Occidentaux en Libye, sous couvert d'apporter la démocratie (le fameux "droit d'ingérence" qui ne tient pas la route mais présente les impérialistes comme des humanistes), nous touchons un problème majeur dans l'art de la caricature servie par l'analyse médiatique : le manichéisme. Au-delà des propagandistes atlantistes qui nous présentent le combat du Bien (la coalition de l'OTAN) contre le Mal (le dictateur allumé Kadhafi soutenu par son clan archaïque et corrompu), nous ne pouvons accéder à la vérité du réel qu'en pratiquant l'art de la nuance. Le manichéisme oppose deux états antagonistes, soit se réclame de la structure théorique du nihilisme en matière de raisonnement. La nuance consiste à réfuter l'antagonisme et à lui opposer le raisonnement selon la croissance (l'anti-entropie) : il existe entre ces deux états antagonistes une multitude de variables d'ajustement qui instaurent le reflet infini et qui permettent à la croissance de surmonter la destruction prévisible de l'entropie (telle que l'antagonisme fondamental le laisse augurer).
On tient un cas de manichéisme patent dans le traitement de l'information et dans son analyse stratégique avec l'intervention (mineure, quoique significative) d'al Quaeda en Libye : on se souvient que le Colonel moqué par les médias atlantistes avait dénoncé la présence néfaste des terroristes d'al Quaeda et que dans une interview précédente (dans un contexte de réhabilitation) pour une chaîne d'information américaine, il avait rappelé qu'al Quaeda se trouvait à New York. Derrière cette boutade un rien allumée, al Quaeda constitue historiquement une opération fantoche (menée par les services secrets affiliés au MI-6) de mercenaires arabes, pilotée par les atlantistes contre leurs ennemis changeants du moment. Je continue à reprocher à Kadhafi un double jeu fort inquiétant, au sujet d'al Quaeda comme de son rapport à l'Occident (notamment à l'Empire britannique, dont il nie l'existence alors qu'il traitait avec certains de ses plus hauts membres), mais en même temps, on apprend que dans la guerre de déstabilisation libyenne, présentée par la propagande occidentale comme un soulèvement populaire, les mercenaires d'al Quaeda sont recyclés parmi d'autres forces hétéroclites (des extrémistes monarchistes, des intégristes islamistes autochtones, des anciens partisans de Kadhafi retournés par les services secrets occidentaux...) dans les opérationsatlantistes pour déstabiliser le régime autochtone de Kadhafi au profit du gouvernement illégitime, fantoche et impérialisé de Benghazi.
Il serait bon de rappeler le rôle-clé, dans ces coups tordus aux multiples inspirateurs, dans ces soulèvements terroristes instrumentalisés (nullement spontanés et dictés par la faim et la pauvreté, comme en Egypte ou en Tunisie), des financements saoudiens, en particulier émanant des cercles du prince Bandar, l'ancien ambassadeur saoudien sur le sol américain, un agent del'Empire britannique, qui dispose d'un trésor de guerre issu du contrat frauduleux al Yamamah, pour lancer des opérations de déstabilisation terroriste dans les pays pauvres d'Afrique (en Occident, les Etats-nations sont encore suffisamment puissants pour empêcher que des armadas de milices déferlent sur leur population, sèment la terreur et la division).
La nuance consiste à détruire le manichéisme de la propagande atlantiste et occidentaliste, relayée par les médias occidentaux complices et menteurs, tout en évitant soigneusement de verser et renverser dans le manichéisme - dans un contre-manichéisme tout aussi caricatural et simpliste, sur le mode : Kadhafi devient le Bien, les Occidentaux le Mal. Les graves dérives du régimes Kadhafi, la corruption tribaliste, l'absence d'Etat-nation, l'absence de liberté, la centralisation caricaturale autour d'un Etat sommaire et frustre resté proche du clanisme, sont toujours aussi valables, notamment celles consistant à jouer le double jeu (un jeu multiple), amadouant d'un côté les pouvoirs financiers et politiques occidentaux - et de l'autre pratiquant une politique de développement incontestable des infrastructures libyennes et de l'ensemble de l'Afrique (avec l'idée selon laquelle la Libye africaine ne peut que sortir grandie du panafricanisme).
L'art de la nuance est réaliste en ce qu'il instaure un juste milieu entre le manichéisme et lecontre-manichéisme, deux simplismes caricaturaux et statiques, et qu'il rappelle que les critiques justifiées contre Kadhafi ne signifient en rien la justification tordue à laquelle on assiste en Occident de l'impérialisme occidental et des guerres inégales qu'il livre au nom de l'ingérence démocratique et humaniste. Au passage, deux autres résultats que l'on peut apercevoir dans cette guerre libyenne impérialiste :

1° Ce que les Occidentaux nomment al Quaeda est une base de données regroupant des mercenaires islamistes arabes, qui a pour vocation la déstabilisation des régimes anti-atlantistes partout dans le monde (URSS/Afghanistan, Bosnie/Yougoslavie, maintenantLibye...). Ces mercenaires manipulés agissent sous le commandement indirect des forcesatlantistes, via leurs parrains saoudiens (le rôle des cercles autour du prince Bandar est déterminant). Nous en avions la preuve en Bosnie lors de la complexe guerre de Yougoslavie, déjà sous l'égide de l'OTAN, déjà menée avec le prétexte chevaleresque de sauver les peuples autochtones de leur dictateur criminel (Milosevic), déjà guerre civile sanguinaire ayant mené à la partition éclatée de la fédération yougoslave en une myriade de pays plus petits et malléables (le pire étant l'exemple du Kosovo).
Nous en trouvons une nouvelle preuve en Libye où des mercenaires islamistes d'al Quaeda, sortis parfois tout droit de Guantanamo, agissent sous les intérêts inavouables des atlantistesqu'ils prétendent combattre dans leurs discours enflammés. Ces mercenaires ont été maintes fois retournés. Après avoir servi les atlantistes contre les communistes sous le prétexte islamiste, puis être devenus les ennemis officiels des atlantistes lors du 911, voilà nos va-t-enguerres peu clairvoyants revenus dans le giron atlantiste contre les ennemis du moment : les régimes arabes opposés à l'Occident, via le véritable contrôleur atlantiste de la région, qui estl'Arabie saoudite - et non Israël, et qui agit pour le compte des intérêts de la City de Londres(l'Arabie saoudite des princes et rois du désert est partie intégrante de l'Empire britannique).
Les mercenaires d'al Quaeda collaborent avec d'autres mercenaires islamistes dépêchés par les monarchies pétrolières du Golfe (on le vérifie en Syrie). On se sert d'eux comme de marionnettes passant d'alliés chairs à canons à ennemis égorgeurs d'Occidentaux. L'expansion exponentielle d'al Quaeda à partir de 2001 rappelle la structure des multinationales, comme si les concepteurs de la saga al Quaeda, largement surmédiatisée depuis 2001, s'étaient inspirés d'une caricature de conglomérat, comme la firme du héros de BD Largo Winch, pour procéder au développement de leur firme terroriste, à ceci près que Largo est un héros manichéen, quand Oussama était un anti-héros tout aussi manichéen.

2° Les grossières manipulations du manichéisme sont soutenues par un arsenal propagandiste d'ordre politique (le G20), militaire (l'OTAN, juridique (le TPI), tous organismes prestigieux et imposants (incontestables?) à la solde des atlantistes impérialistes qui agissent au nom de la démocratie. Le manichéisme propagandiste qui empêche la nuance est soutenu par un arsenal d'arguties et de sophismes qui tournent autour du droit d'ingérence, une conception qui n'est pas récente, mais qui remonte (pour l'époque moderne) à la constitution des Empires européens, avec notamment l'influence juridico-philosophique de Grotius, l'un des avocats en chef de la Compagnie des Indes hollandaises. L'ingérence sert à légitimer l'impérialisme commercial, initialement le commerce maritime, mais les choses n'ont guère changé : l'ingérence sert toujours des pouvoirs impérialistes militaires et politiques comme l'OTAN, qui sont à la solde des pouvoirs financiers et commerciaux.
L'ingérence signerait une aberration mentale si son déploiement n'était aussi intéressé et tout à fait cohérent : l'ingérence au nom de la démocratie est contradictoire dans les termes. On ne peut prétendre apporter la démocratie de l'extérieur. Non seulement en pratique, les tentatives échouent toujours; mais en théorie, la démocratie ne peut venir que de l'intérieur, de luttes populaires et d'un niveau de conscience culturel en hausse.
Apporter la démocratie de l'extérieur signifierait la possibilité d'user avec succès de persuasion à l'égard d'un grand nombre de personnes et en disposant des moyens technologiques et médiatiques pour réaliser cette prouesse d'envergure. Outre que la mise en pratique du dispositif d'ingérence démocratique se révélerait très difficilement envisageable (pas tout à fait), la faculté de persuasion est tout à fait extravagante à si grande échelle, et surtout d'une manière extérieure. On ne peut persuader qu'un interlocuteur disposant déjà des pré-requispour accéder à la thèse que l'on défend.
L'ingérence démocratique serait une farce si elle n'avait été promue par des intellectuelsfavorables à l'impérialisme (autour des Compagnies des Indes européennes, singulièrement la Compagnie hollandaise qui sera assimilée dans la Compagnie des Indes britanniques, fer de lance de l'Empire britannique et promotrice de la fameuse doctrine déculpabilisatrice et persuasive de la main invisible, selon laquelle le rapport de force finit toujours par être juste).
Contredisant cette vision de plus fort et du plus juste, la nuance permet de sortir de la loi du plus fort en ce qu'elle indique qu'il existe dans le réel une multiplicité au service de l'unité -contrairement à la vision tronquée d'Aristote qui distingue une multiplicité fondamentale et seule. La multiplicité, que l'on retrouve dans le causalisme (plusieurs causes pour un effet), permet en effet la perpétuation du réel unique, au sens où toutes les multiples parties se trouvent connectées les unes aux autres.
A y bien regarder, la texture du réel sort renforcée et solidifiée par la multiplicité, alors que c'est la nécessité qui défend l'unicité et que cette unicité est fragile. Ce n'est pas la même chose de considérer que le réel suit une seule voie, qui bien que se poursuivant pour le moment risque de s'effilocher, voire de disparaître. La singularité laisse la place au non-être, tandis que la multiplicité indique que la réalisation sensible de ce qui est multiple découle de possibles pluriels et d'une autre texture que le réel réalisé (le sensible réalisé). La multiplicité se trouve au service de la pérennité du réel.
La multiplicité explique le changement anti-entropique par les différents niveaux de plate-formes, quand l'unicité rend impossible cette croissance. La croissance s'obtient en effet parl'affrontement des multiples possibles, alors que leur unicité conduit vers la staticité ou le fixisme. L'unité signifie que le réel n'est pas unique, mais que ses multiples parties sontinterconnectées entre elles, quand l'unicité signifie que ce qui est est singulier te que la singularité fait place au non-être. Le seul moyen de sauvegarder l'un tout en empêchant le non-être consiste à nier l'unicité et à lui substituer l'unité.
La nuance dans l'argumentation du discours rejoint la multiplicité au service de l'unité : la nuance accepte qu'il existe des différences d'arguments, entre les grossières arguties, les arguties plus perfides et les multiples manière tronquées d'exprimer la vérité (jusqu'à consentir à ce que l'intégralité de la vérité en puisse jamais être détenue par une partie). La nuance ne permet pas seulement de dégager un donné chamarré, mais fixe; mais au contraire de mesurer que le caractère complexe du réel est au service de l'antifixité, de l'anti-entropie, de la dynamique et du va-et-vient. La nuance renforce la pérennité du réel en encourageant le passage d'un niveau de donné à un autre niveau, supérieur.
La nuance dégage la multiplicité à l'intérieur d'un donné en encourageant le changement anti-entropique. C'est ainsi qu'en accédant à la nuance quant à la situation en Libye (être contre lenéo-colonialisme sans être pour le régime de Kadhafi, être capable de reconnaître les bienfaits de l'action de Kadhafi sans pour autant légitimer certaines de ses dérives autocratiques et népotiques), on accède à l'anti-entropie et à la dynamique, puisque la Libye représente un des principaux endroits de notre monde d'où émerge le panafricanisme et des solutions politiques qui contrecarrent l'impérialisme occidental en agonie.
Plus on trouve de nuance dans un endroit, plus c'est le signe que l'endroit constitue un ferment de dynamique anti-entropique et croissante. La Libye constitue un de ces terreaux riche en possibles de changement, et c'est avec raison que le Colonel Kadhafi, dans une de ces diatribes décousues et sincères, a eu l'habileté de rappeler que l'attaque impérialiste contre la Libye(pour tout esprit lucide) signait l'arrêt de mort des impérialistes occidentaux, qui dans leur folie se sont égarés dans le combat de trop. En somme l'unicité de l'impérialisme le pousse à la nécessité de sa disparition, quand la multiplicité triomphe par le passage à un autre niveau de réalité, supérieur et changeant.

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