lundi 31 octobre 2011

L'ingérance démocratique

Ou la nature ingérable de l'ingérance?



Un peu de Derrida pour nous donner la vraie nature de l'ingérence : l'ingérance non hégélienne - très tendance Zola. Un peu de Zola aussi pour nous rappeler qu'il est des principes plus hauts que son petit intérêt social ou son identité familiale. Après les succès éclatants d'Afghanistan et d'Irak suite au lumineux 911, la théorie monstrueuse de l'ingérence démocratique a le mérite de mettre en lumière qui sont les néoconservateurs (des néo-fascistes) et la raison véritable pour laquelle de pareils extrémistes purent guider la stratégie mondiale pilotée par l'atlantisme au début du XXIème siècle chrétien (passablement crétin aussi) : parce que le libéralisme est en faillite et promeut les pires théories extrémistes pour l'aider à survivre un peu plus (moins) et à sauver les meubles (peine perdue).
Dans la théorie du chaos promue par les intellos dégénérés de la politologie ultralibérale issue de la mouvance de la société du Mont Pèlerin, on retrouve l'idée stupide selon laquelle le chaos engendre l'ordre. Comment? Par la contradiction. Générer le raisonnement contradictoire permet de générer l'ordre nouveau. Ordo ab chao, CQFD. Bien entendu, si l'on juge de la valeur de ce raisonnement absolument génial, on ne peut qu'être frappé par sa nullité et par l'état de dégénérescence morbide dans lequel se tient le système qui le promeut, surtout quand ce système est dominant parmi l'humanité Réunie et Mondiale. Amène.
Verdict : les dominants sont si peu dominateurs qu'ils se révèlent à genoux et en agonie tant intellectuelle que morale. L'ingérence démocratique contient typiquement les germes du raisonnement contradictoire. Dès ses limbes : quand l'avocat Grotius forge ce concept pour le bénéfice commercial de la Compagnie des Indes hollandaise, il entend non pas faire montre de rationalisme, mais de sophisme au service de la cause commerciale de son parti. Quand ceux qui reprennent cette argutie se réveillent avec leurs démons libéraux à la fin du XXème siècle, les Jean-François Revel et BHL en France, ils montrent qui sont leurs contrôleurs : des bénéficiaires de l'impérialisme britannique qui opère de la même manière que l'impérialisme hollandais défunt (et depuis englouti). 
Revel travaillait pour sir Goldsmith et BHL incarne le sioniste au service de ses maîtres du capitalisme ultralibéral français, le condiottere Pinault ou l'orléaniste new wave et très smart Arnault. BHL a atteint les cimes du discrédit médiatique (pour le philosophique, cela fait long time que notre fanfaron enfariné est démasqué comme un imposteur richement diplômé) en Libye, en ânonnant qu'il fallait renverser le despote Kadhafi sous prétexte de démocratie. Ceux qui l'accusent d'avoir fomenté ce complot manifeste trompent lourdement leur auditoire en lui prêtant une importance disproportionnée avec son histrionisme famélique : cet avorton d'intellectuel narcissique et bouffon (décati) n'est jamais qu'une marionnette cathodique et médiatique au service d'intérêts très puissants auxquels il obéit servilement et qui le remercient en lui envoyant des cacahuètes de plus en plus brûlées et de moins en moins grillées.
Juste une goutte d'honnêteté : l'on voit mal comment une cause qui a produit des effets néfastes et pervers ravageurs pourrait subitement devenir cause de vertu et d'honnêtété. Je veux désigner l'OTAN qui après avoir détruit l'Afghanistan et surtout l'Irak est en passe de réaliser un nouvel exploit en Libye, avant de s'attaquer selon ses plan désaxés à la recolonisation militaire de l'Afrique (commencée avec le Soudan ou la Côté d'Ivoire selon des agendas atlantistes assez myopes et imprévisibles, merci tantie Susie Rice). Mais la limite de cet impérialisme désormais corroboré en Libye passe par la faillite des Etats d'Occident, qui n'auront plus très longtemps les moyens de leur politique impérialiste, du coup jusqu'au-boutiste et désespérée.
Les milliers de mercenaires déployés au sol en Libye depuis huit mois (chute...), la destruction du pays et l'invasion programmée par les mercenaires made in Qatar (le nouvel eldorado régional de l'ingérence démocratique?) ne suffiront pas à donner une consistance à un concept qui dès sa création avait fait montre de ses limites inquiétantes. L'ingérence démocratique est une contradiction dans les termes qui ne peut qu'engendrer les résultats monstrueux que l'on mesure toujours en Irak - à partir de maintenant en Libye. Que l'on retrouve dans l'exercice médiatique des propagandistes de plus en plus démasqués comme BHL n'est pas surprenant, le temps ne faisant rien à l'affaire; mais que les populations d'Europe ne se rendent pas compte qu'elles scient la branche sur laquelle elles sont assises est plus inquiétant pour la pérennité du bien-être en Occident (sans doute le font-elles par fascination pour le plus fort et avec l'idée qu'en soutenant le plus fort elles appartiennent aux plus forts).
L'effondrement libyen est sans doute la dernière marche (impériale) avant que le chaos ne s'en retourne sévir parmi les contrées qui l'ont lancé et accueilli : l'Europe, en particulier cette entente cordiale entre la France et le Royaume-Uni, ravivée par notre valeureux et incorruptible Président en dessous de tout et notamment de l'histoire.
http://www.lefigaro.fr/international/2010/11/02/01003-20101102ARTFIG00716-paris-et-londres-scellent-leur-entente-cordiale.php
Pourquoi ne peut-il pas y avoir d'ingérence démocratique, seulement une ingérence coloniale impérialiste qui entre en contradiction fâcheuse avec la démocratie? Selon les termes juridiques, il faudrait que ce soit des instances de justice internationale effective qui permettent l'ingérence de la démocratie. Cette position implique qu'existent des instances supérieures, de type politique et démocratique et de niveau mondial, et que ce soit une partie qui désobéisse au tout. Comme ce n'est pas le cas actuellement, à moins de mentir au sujet de la CPI (avec la CPI archimenteuse), on se rend compte que les instances internationales opèrent sans aucun cadre international au nom de la loi du plus fort et en se trouvant pilotées par les atlantistes : cas de l'ONU qui a autorisé pour des motifs mensongers l'intervention en Libye, dont on a vu le résultat brillant après huit mois de bombardements intensifs couplés à des interventions au sol très démocratiques; cas de l'OTAN plus explicite et qui avait déjà montré son vraie face de rat depuis de nombreuses décennies, y compris en Occident, où les actions des réseaux stay behind avaient pour but de contrer à tout prix la menace communiste instrumentalisée. 
On ne peut pas s'ingérer d'égal à égal depuis l'extérieur dans une partie; on ne peut qu'intervenir dans une partie dissidente à partir du tout qui l'englobe : ce constat montre que le mensonge de l'ingérence démocratique repose sur l'idée selon laquelle on peut changer une forme de l'extérieur, alors que le principe de développement du réel (le reflet) implique au contraire que le développement se fasse de l'intérieur vers l'extérieur, avec la croissance comme moteur de développement.
Un développement de l'extérieur vers l'intérieur est entropique : en termes plus généraux, destructeur. En termes politiques : impérialiste. Raison pour laquelle le projet noble et vertueux d'installer de l'extérieur la démocratie en Irak a accouché d'un monstre chaotique et tribaliste, pas d'un système régénéré et supérieur. Le principe démocratique lui-même implique le développement de l'intérieur vers l'extérieur et par la croissance, puisqu'il s'agit de développer la rationalité des citoyens internes et que l'on voit mal comment l'on pourrait développer cette rationalité en détruisant depuis l'extérieur la partie à démocratiser et en usant de violence inévitable pour réussir dans la mission.
Le principe démocratique entre en contradiction avec l'idée d'ingérence, alors que l'impérialisme et le colonialisme le définissent adéquatement (ce qui se trouve corroboré par les faits). Mais le fondement de l'explication repose sur l'idée selon laquelle la structure du réel obéit à un processus de développement seulement envisageable dans le sens de l'intérieur vers l'extérieur. Il s'agit pour le réel de se préserver en permettant la réunification de parties usant du même principe, mais d'empêcher la destruction, qui survient de l'extérieur contre une partie égale ou inférieure.
Le mouvement de l'extérieur vers l'intérieur est un mouvement entropique, qui ne peut que signifier la destruction. Si la démocratie signifie le développement d'un peuple, il s'agit d'un processus exactement antithétique. L'ingérence démocratique n'est pas possible : soit qu'elle renvoie à la destruction et qu'elle contient tous les ferments antidémocratiques; soit qu'elle porte une action interne, mais alors elle n'est plus de l'ingérence. L'imposture de l'ingérence démocratique survient au moment de la concurrence moderne entre les impérialismes européens; elle se trouve réactivée pour permettre le second souffle du néo-colonialisme piteux, en particulier en Afrique, où la noblesse humanitaire a accouché du monstre du chaos. 
Lumumba ne disait pas autre chose - et relire Lumumba pèsera toujours plus lourd que les fredaines des dégénérés idéalistes et criminels qui entendent développer l'Afrique en l'appauvrissant depuis quatre cents ans. C'est-à-dire : depuis l'extérieur. Encore une vérification de l'action de destruction quand elle est opérée depuis l'extérieur vers l'intérieur. L'extérieur signifie la forme étrangère à l'intérieur : l'intérieur peut se développer sur l'extérieur, mais pas l'inverse. Car l'intérieur est toujours limité et devint du coup un développement aussi impossible que l'ingérence.
D'ailleurs, l'ingérence survient au moment des ratiocinations décroissantes selon lesquelles le développement est forcément limité dans un monde nécessairement fini. Par contre, l'intériorité propose le soubassement donné et fini permettant le développement obligatoire et douloureux (d'où les crises) vers l'extérieur malléable et agrandissable. De l'extérieur vers l'intérieur, on trouve le principe de la destruction; mais de l'intérieur vers l'extérieur, celui de la construction par la croissance. L'ingérence est l'antithèse de la croissance. L'ingérence consiste à contraindre plus petit et plus faible que soi à obéir à son propre ordre, ce qui n'est pas seulement l'aveu de la lâcheté de l'ingérence démocratique (et de ceux qui la soutiennent au prix de leur honneur et de leur sens), mais qui montre que l'ingérence signe la destruction. Car la destruction du plus petit au nom de l'ingérence démocratique a pour particularité de détruire non seulement le plus faible mais aussi le plus fort - l'ingérant ingérable, pourtant si sûr de sa puissance de domination initiale.

vendredi 28 octobre 2011

Le martyr de la démocratie libérale

La mort de Kadhafi ne doit nullement nous laisser croire que cet exemple incarne l'alternative à l'impérialisme et au colonialisme. Kadhafi est un chef tribal qui est mort assassiné par la tribu qui avait accepté de coopérer avec l'OTAN sur ce coup (certains des Misrata). Mais telle la légende du Phénix, la mort symbolique de Kadhafi signifie que l'homme va renaître de ses cendres et que quel que soit le temps que cela prendra il ne va pas accepter le sort d'autodestruction que les désaxés de l'OTAN et leurs contrôleurs des mondes de la finance lui promettent. Kadhafi a été capturé à Syrte par les commandos de l'OTAN (ceux qui peuvent combattre effectivement), puis il fut livré en pâture à la vindicte des abrutis et autres dégénérés venus de Misrata qui hurlaient des "Allah Akbar!" antimusulmans tandis qu'ils le lynchaient - lui tirant une balle dans le ventre avant de l'achever d'une balle dans la tête.
http://oumma.com/Kadhafi-a-t-il-ete-livre-a-ses
Pauvres types. On mesure les effets de la doctrine impérialiste du double standard chère à un Cooper selon laquelle le standard démocratique vaut pour l'intérieur de l'Occident alors qu'à l'extérieur la loi du plus fort devient permise. On considère que les tribus libyennes sont des peuplades arriérées et dégénérées qui à l'exemple de ces hordes de combattants manipulés et hors d'eux (drogués?) sont juste capables de semer le chaos et la discorde, la sauvagerie et la barbarie. Il est normal que les civilisés de l'OTAN se soient servis d'eux pour punir le chef tribal Kadhafi qui avait refusé de leur obéir et de céder le pouvoir. Le racisme qui transparaît de cette morale peut se vérifier avec la réponse hallucinante de Hillary Clinton qui ose rire à propos de ce lynchage et parodier les paroles de César.
C'est au moins lucide : les dirigeants de l'Etat américain se comportent en impérialistes déboussolés, à cette précision près qu'ils n'agissent pas pour le compte politique des Etats-Unis, mais pour le compte des factions financières apatrides qui composent l'Empire britannique et qui désespérées par leur désintégration inexorable sont prêtes à toutes les monstruosités pour prolonger leur toute-puissance éperdue. On mesure à quel point le racisme du double standard énoncé par Cooper le théoricien de l'impérialisme postmoderne européen se vérifie avec l'assassinat atroce et médiatisée de Kadhafi, qui n'aurait pas été envisageable il y a une décennie encore. Les responsables politiques d'alors, surtout au nom de la démocratie, n'auraient jamais entériné une pareille scène de vengeance qui fait suite au pseudo-assassinat (fictif) sous prétexte de vengeance juste d'Oussama et aux assassinats ciblés un peu partout dans le monde de soi-disnat membres d'al Quaeda ou d'ennemis des Etats-Unis (y compris de citoyens américains), sans jugement et au nom de la démocratie. Avant le 911, la souveraineté des Etats avait encore un sens, alors que désormais au nom de l'ingérence démocratique on peut dévaster un pays et passer (seulement pour un temps, au début) pour démocrate.
Le visage d'Obama la catastrophe atlantiste et des dirigeants occidentaux affidés est en train d'apparaître clairement. Ce sont des pervers qui subvertissent le sens de la démocratie aux fins de l'impérialisme et de formes politiques que l'on peut nommer néo-fascistes : le lynchage de Kadhafi exprime la preuve médiatique de cette dégénérescence dans l'extrémisme et la violence et de l'irresponsabilité des dirigeants occidentaux qui l'ont commandité, approuvé, élaboré. Quant aux populations occidentales qui la plupart du temps se fichent de cette réalité (la montée du chaos et du néo-fascisme) pour le moins inquiétante, voire soutiennent la sauvagerie au nom de leurs petits intérêts égoïstes à courte vue, elles se comportent comme aux pires moments de l'histoire, comme des couards et des autruches, comme lors de la montée des fascismes européens dans les années trente (déjà en pleine crise financière), quand la plupart préféraient fermer les yeux et cautionner l'inacceptable plutôt que de faire preuve de courage et de lucidité.
Qui s'oppose au Nouvel Ordre Mondial dont on voit la hideur la plus évidente en Libye depuis février 2011, en Irak ou en Afghanistan (notamment)? Qui décrypte l'imposture de l'ingérence démocratique, elle qui en Libye a encore accru sa virulence mortifère? Quelques dizaines de milliers de morts en huit mois (bagatelle), un pays détruit (bagatelle bis), un nouveau gouvernement fantoche à la botte des colons d'Occident et, cerise sur le gâteau, le lynchage symbolique de l'ancien chef d'Etat, qui dénote par sa mort en martyr la terrible épreuve que traverse l'humanité - au-delà du cas libyen déjà emblématique. Mais pour les nombrilistes Occidentaux qui estiment plus ou moins que la Libye est encore trop loin de l'Occident pour mériter une attention soutenue et que l'on finira bien par s'en sortir et par sauvegarder le principe de l'immanentisme selon lequel seul compte l'intérêt du désir, qu'ils se rassurent : le feu qui dévaste tout au loin, la politique de la terre brûlée et du chaos, ont déjà commencé très vite par revenir ici, dans le coeur de l'Occident, là où l'on vous susurre avec des avis experts qu'il ne peut rien se produire parce qu'on vit en paix depuis plus d'un demi siècle.
A côté de la théorie du double standard, qui légitime la sauvagerie de psychopathe assumée hors de l'Occident démocratique et libéral, on trouve pour entériner la dégénérescence des régimes libéraux et la mort effective du libéralisme britannique une autre théorie divine, concoctée par le conseiller de l'ultraconservateur libéral britannique Cameron Philipp Blond : le retour au corporatisme néo-médiéval, qui consiste à démanteler les acquis de l'Etat-nation et à les remplacer par des structures locales privatisées et d'ordre féodal. Le féodal équivaut au tribal. Cette théorie survient à point nommé pour légitimer la crise financière terrible et justifier du remplacement de l'ordre né de la Paix de Westphalie par le désordre du chaos, si tant est que l'expression oxymorique d'ordre du chaos recèle une quelconque consistance.
Les théories d'un Cooper donnent une inflexion et une direction à la politique étrangère des démocraties libérales qui soutiennent l'Empire britannique; les théories d'un Blond orchestrent et encadrent de manière complémentaire le fonctionnement interne de l'Empire britannique à la dérive : on démantèle la notion de public et on la remplace par la privatisation, qui revient à accroître la loi du plus fort entre rapports strictement privés. La norme du public permettait de remplacer la loi du plus fort privée par le principe républicain du public. 
Le lynchage qui est arrivé à Kadhafi est bien entendu une projection de l'état dans lequel se trouve la Libye dévastée et plus encore l'Empire britannique en faillite, avec lequel Kadhafi a toujours collaboré dans l'espoir de parvenir à une entente tarabiscotée qui profiterait au peuple libyen, une fédération intertribale sur le modèle de la fédération impériale. Mais le tribalisme libyen n'est jamais que l'image de ce que souhaitent les Blond avec leur apologie du retour au corporatisme médiéval : Kadhafi avait réussi à imposer un modèle seulement supérieur de tribalisme qui demeurait confiné aux limites du tribalisme; les impérialistes ont détruit la Libye et attisé les luttes intertribales pour proposer un retour au corporatisme médiéval, pour le moment à l'extérieur de l'Occident.
Un Blond ne propose rien d'autre que le retour au modèle tribal travesti en apologie postmoderne du médiévalisme; et Cooper ne fait rien d'autre que légitimer le tribalisme sur la question des rapports avec l'étranger : le tribalisme favorise les relations fondées sur le rapport de force et l'absence de principe. C'est l'option rebattue que défendent depuis les conférences de Yalta et Pugwash les stratèges de l'Empire britannique, singulièrement quand ils opèrent sur le territoire américain, comme ce Kissinger qui prétendit s'inspirer du modèle de Metternich pour défendre ce modèle impérialiste des rapports fondamentalement de force entre Etats. Sans doute que les stratèges désaxés actuels derrière Hilary Clinton (notamment ceux du Pentagone autour du NSC et du nouveau JSOC) partagent cette conception quand ils poussent leur représentante à verser dans des déclarations stupides et suicidaires sur le modèle simpliste de César l'Empereur romain.
Le tribalisme défendu par les impérialistes britanniques prend acte de la régression de la domination qui n'est plus en mesure de permettre un certain ordre international fondé sur l'impérialisme financier. Du coup, on demeure dans l'impérialisme, mais en promouvant le fondement le plus inférieur et régressif : le féodalisme ou petite unité tribale. Kadhafi en Libye avait réussi à agréger les innombrables tribus régionales en une fédération intertribale. C'est vers ce fédéralisme bigarré et instable que tendent les préconisations de Blond, à ceci près que le postmodernisme tribaliste en déclin introduit la supériorité du féodalisme britannique (et des territoires de l'Occident qu'il contrôle) sur le restant du monde. La supériorité occidentale impérialiste repose sur la domination financière et militaire.
On le vérifie en Libye, où l'OTAN incomparablement supérieur en termes militaires a détruit le pays sans aucune pitié pour son développement honorable depuis quarante ans. Aucune compassion démocratique ou humaniste : mais le fonctionnement de la City est-il démocratique? L'oligarchie implique qu'une petite élite domine le monde. L'oligarchie britannique domine les États plus libéraux que démocratiques d'Occident, la fédération à l'extérieur de laquelle c'est le chaos qui règne. Ce schéma terrifiant, dont on mesure la monstruosité non viable en Libye (les résistants libyens auront le fin mot, sur le modèle vietnamien), implique une destruction croissante de l'espace intérieur suite à la destruction de l'espace extérieur.
Le double standard adossé sur le modèle du féodalisme postmoderne finirait en chaos total (démantèlement chaotique) : mais je suis trop optimiste au regard de l'histoire pour croire que l'homme ne réagira pas de manière constructive. En termes libyens actuels : le martyr abject de Kadhafi (sans idéaliser le personnage, en particulier certaines de ses actions passées) constitue le sacrifice final qui ne sauvera pas son peuple et son pays - mais de de manière plus générale qui amorce et annonce le salut l'humanité entière. Le martyr est le témoin de son temps. Le martyr Kadhafi en dit long sur ce que les démocrates libéraux sont (des zombies) et sur le péril majeur qui court si l'on ne fait rien pour prendre les bonnes mesures : sortir du libéralisme d'un point de vue politique; sortir de l'immanentisme d'un point de vue religieux (culture et religieux).

samedi 22 octobre 2011

La joie de dominer


Ou la joie minée.


Dans ce passage d'un commentaire de Blondel consacré à la joie chez Nietzsche, plus spécifiquement dans une de ses dernière oeuvres, Ecce homo,
http://www.philopsis.fr/IMG/pdf_nietzsche_blondel_ecce_homo.pdf
on mesure à quel point il est deux joies, comme nous le rappelle Leibniz, le contemporain de Spinoza et de la naissance de l'immanentisme (en tant qu'hérésie métaphysique et radicalisation du cartésianisme) : gaudia et laetitia.
La joie de Nietzsche s'intègre dans la laetitia, mais c'est une joie finie qui est radicalisée et qui se signale par sa soif de domination et de puissance. La joie chez Nietzsche constitue l'explicitation de la complétude chez Spinoza, qui lui aussi emploie les termes de joie et de désir. Nietzsche a-t-il si peu lu Spinoza qu'il le prétend et que ses commentateurs le prétendent? S'il est vrai que Nietzsche est un spécialiste de la lecture hâtive et des jugements à l'emporte-pièce, sous le prétexte contestable que tout son génie se trouverait dans ses narines, sa parenté avec Nietzsche est frappante, voire sidérante, ce qu'un philosophe nietzschéen comme Rosset s'empresse de souligner, à la suite de Deleuze sans doute, amis d'une manière plus lucide à mon goût (que Spinoza le libéral soit gauchiste est contestable, mais que Nietzsche soit traité comme gauchiste, aujourd'hui par l'inénarrable Onfray, est une fumisterie plus drolatique qu'égarée).
On remarque peu que Spinoza propose une définition de la liberté qui n'est pas si révolutionnaire que ses commentateurs transis ne le proclament : il s'agit plutôt à mon avis d'une vision oligarchique et nihiliste de la liberté et du monde, à ceci près que Spinoza intègre cette définition spécifique quoique emblématique de l'immanentisme entant que radicalisation du nihilisme antique (autour en gros de la complétude du désir). Nietzsche ne propose guère de véritablement novateur par rapport à Spinoza, et même l'on pourrait constater qu'il a moins développé ses propositions positives (ses concepts) que Spinoza, notamment dans son Éthique.
Nietzsche ne fait que radicaliser le projet spinoziste, à ceci près que Nietzsche n'a pas eu le temps de développer sa spécificité - mais je fais une hypothèse plus pessimiste sur la pensée de Nietzsche, qui serait devenu fou parce qu'il n'avait rien à proposer de positif véritable et nouveau et qui aurait été pris au piège de son adhésion au nihilisme contradictoire et facteur de folie. Nieztsche était-il fou avant d'opter pour le nihilisme fou - ou Nietzsche est-il devenu fou à cause de ce nihilisme? Il est certain que Nietzsche possède une hérédité chargée et qu'il a lui-même développé des symptômes médicaux au point qu'il était victime d'hallucinations et qu'il consultait régulièrement des neurologues.
Quoi qu'il en soit, Nietzsche était au départ de sa vie un fervent oligarque, comme sa citation de jeunesse concernant l'éducation le stipule, et il reste un nihiliste impénitent à la fin de sa vie consciente, comme cette explication de Blondel le remarque : 


"Le défi, c’est donc l’affrontement de deux conceptions de la civilisation. À savoir : d’une part la décadence, la maladie, la mort et d’autre part la belle humeur, l’affirmation, la vie. D’un côté on refuse de voir la réalité – ce qui obligerait à trouver une solution aux désordres, aux contradictions, aux souffrances – de l’autre on revendique un désir sans entraves.
On achoppe tout de suite à une grande difficulté car l’affirmation du désir conduit très précisément à la lutte des désirs les uns contre les autres. Nietzsche, en fait, cherche l’affirmation du désir en tant qu’il conduit d’une manière conflictuelle à la guerre. Cela renvoie à Eschyle et Sophocle pour qui l’homme est pris dans quelque chose qui l’écrase. Il est inadapté à la réalité.
Deux solutions se présentent alors. La solution morale consiste à nier ces désirs, à nier la volonté de désirer. La belle humeur est l’affirmation de ces désirs, dont elle admet toutefois le côté destructeur. La volonté de puissance est aussi une volonté de dominer et d’expliquer les désirs les uns par les autres."


Si nous reprenons certains termes, c'est pour nous rendre compte que la conception de Nietzsche de la joie n'est pas du tout la trouvaille d'une joie partagée par tous, d'une joie républicaine, d'une joie en expansion, amis au contraire une joie inégalitariste, élitiste, dominatrice, oligarchique, selon laquelle la joie d'un petit nombre s'obtient sur la domination du plus grand nombre. C'est dominer qui procure la joie, à tel point que la question n'est plus de savoir si la joie mauvaise ne serait pas selon ce schéma réhabilitée, mais si la joie mauvaise n'est pas la joie selon la conception nietzschéenne. Mais quand je dis nietzschéenne, il faudrait élargir car il est patent que cette conception de la joie première et si louée par les commentateurs de l'acabit de Blondel est l'héritage direct de la joie selon Spinoza. Le lien entre la joie et la liberté chez Spinoza est patent : on accroît sa puissance de liberté en accroissant sa joie.
Blondel résume fidèlement l'enjeu : "Le défi, c’est donc l’affrontement de deux conceptions de la civilisation". Le nihilisme contre l'ontologie en langage philosophique : Blondel n'exagère nullement l'importance du défi, puisqu'il s'agit de l'opposition historique fondamentale entre deux conceptions d'existence. Mais c'est juste après que le bât blesse : que Blondel reproduise fidèlement la pensée de Nietzsche est appréciable; mais Nietzsche travestit grossièrement la réalité, lui qui se prétend réaliste. Pourquoi? Il ose dans sa folie plus que naissante et sa maladie se targuer de la "belle humeur" et de la "vie" contre la "décadence, la maladie, la mort". Mais qui est le malade? Le fou?
Les réponses s'avèrent d'autant plus problématiques que Blondel offre une définition du désir nietzschéen transparent : le "désir sans entrave". Mais cette définition a pour défaut de réhabiliter l'oligarchie, la domination absolue et toutes ces valeurs qui ont montré leurs applications abjectes et infâmes. Le fond du problème est justement cerné par Blondel : si la position morale était justifiée, elle "obligerait à trouver une solution aux désordres, aux contradictions, aux souffrances". Encore faudrait-il préciser que cette position n'a de valeur que si elle est prmeière. Or elle est indémontrée tout autant qu'indémontrable. Rien n'indique par un examen rationnel que les désordres, les contradictions et les souffrances constituent le terreau du réel. Mais seule cette position permet d'échafauder des théories nihilistes de type immanentiste comme la position de Nietzsche.
La faiblesse de ces théories provient du fait qu'elles ne peuvent s'appuyer sur aucune raison. Ce constat affaiblit grandement l'entreprise de Nietzsche qui s'apparente à une vaste construction appuyée sur du sable fort mouvant. Où Blondel se discrédite, c'est quand il rapproche la conception de Nietzsche de la conception de Sophocle et Eschyle sur un point précis : que l'homme "est inadapté à la réalité". C'est déformer grandement la position de nos deux tragédiens antiques qui tous deux refusent précisément la position nihiliste de leur temps et se battent pour que le spectateur devienne le héros de leurs tragédies. Ces deux tragédiens défendirent des positions politiques proches de celles de Solon à Athènes et un réel qui n'est pas désordonné et chaotique.
Blondel ne peut ignorer le fait que la tragédie antique ne représente pas le réel comme chaotique et le désir comme volonté de puissance, mais confère à l'homme la possibilité tragique et malaisée d'organiser l'ordre par ses pouvoirs créateurs et rationnels. Non seulement il amalgame la tragédie antique avec la position de Nietzsche proche des sophistes, mais encore il ne se prononce pas sur un point précis qu'il explicite pourtant avec une clarté redoutable : "On achoppe tout de suite à une grande difficulté car l’affirmation du désir conduit très précisément à la lutte des désirs les uns contre les autres.
C'est d'ailleurs aussi le constat qui devrait être posé pour Spinoza : ce que Blondel ne précise pas, c'est que cette lutte des désirs désigne la loi du plus fort, selon laquelle le désir dominateur gagne. La métaphore de la guerre indique que la loi du désir aboutit à la destruction de la plupart des désirs et à l'élection du plus petit nombre, sur des critères qui resteraient à définir : "Nietzsche, en fait, cherche l’affirmation du désir en tant qu’il conduit d’une manière conflictuelle à la guerre." Par la suite, Blondel fait dans la litote : car Nietzsche ne cherche pas à "expliquer les désirs les uns par les autres", comme Blondel l'affirme chastement, mais à expliquer pourquoi le désir est destructeur - parce qu'il représenterait la loi du réel.
Ici on se souvient que cette loi est indémontrable et repose sur l'arbitraire. Il est intéressant que Blondel rappelle que la volonté de puissance servirait dans le dispositif conceptuel nietzcshéen à justifier du caractère destructeur du désir. Blondel la définit comme "volonté de dominer". Si l'on se souvient que la position de Nietzsche qu'il assimile hâtivement à la belle humeur et à la joie est indémontrable, alors le concept ténébreux de volonté de puissance présente la caractéristique d'être irrationnel et indémontrable, soit de fonctionner sur l'arbitraire et l'absence de signification précise.
On comprend pourquoi ce concept n'a jamais réussi à être défini précisément ni à renvoyer à un objet original bien clair : c'est que justement il est crée par Nietzsche pour réfuter la clarté et la remplacer par l'arbitraire. La volonté de dominer que propose Blondel serait une définition sans doute assez pertinente, mais elle se heurte à un problème très nietzschéen et très nihiliste : elle ne constitue en aucun cas une innovation mais une option rebattue et disqualifiée, notamment dans l'Antiquité et sous cette forme virulente. L'échec de Nietzsche est philosophique et conduit à la folie. Mais cet échec théorique indique que la joie dont il se prévaut non sans impudence est une joie subversive, qui consiste à dresser l'apologie de la joie dominatrice et destructrice. Blondel admet le "côté destructeur" de cette belle humeur. Derrière ces simagrées, il conviendrait de noter la faiblesse de la position de Nietzsche.
Il a besoin de l'entourer de beaux atours et de la mélanger avec les valeurs classiques les plus positives à ceci près qu'ils les nimbe de subversion. La joie de la destruction n'est pas la joie classique. C'est la joie mauvaise, la joie de l'oxymore. Que tant de commentateurs puissent continuer à louer en Nietzsche le philosophe de la vie, de la santé, de la joie ou de l'affirmation en dit long sur l'égarement de l'époque et sur son imprégnation en nihilisme. Tout montre que la mentalité contemporaine est imprégnée de ce poison. 
Il importe de comprendre que si l'on vit la crise systémique terrible que nous endurons (et pas seulement financière ou économique comme l'énonce dans son égarement réducteur le catastrophique Trichet de la BCE), c'est qu'il n'est pas possible d'opposer dans l'histoire religieuse deux grandes positions : la position du chaos nihiliste et la position morale (dans le vocabulaire nietzschéen) favorable à l'ordre. Cette conception est juste historiquement au sens où ce sont ces deux grandes positions qui sont au berceau de la création humaine de toutes ses théories du réel. Mais aussi bien toutes les théories du réel se forment dans leurs différences et leurs distinctions à partir de la réfutation du nihilisme en tant que position fondamentale et universelle.
Le nihilisme est tellement faux qu'il est condamné pour accoucher du transcendantalisme polythéiste, puis monothéiste. La folie du nihilisme ressortit chez Nietzsche. Quant aux théories métaphysique, elles présentent la trouvaille fine de rendre le nihilisme compatible avec l'ontologie, soit de diluer le nihilisme dans le fini. Le nihilisme est très efficace dans le fini et devient inopérant dans l'infini. Aristote se révèle très efficace dans le fini, que ce soit dans ses découvertes scientifiques (périmées) ou dans ses théories philosophiques limitées à des objets de réel. Mais dès qu'il aborde le thème du réel, il se montre simpliste (le réel est fini) ou incohérent (l'être fini est relié au non-être indéfini). La trouvaille du métaphysicien depuis Aristote consiste à évacuer toute prétention de la philosophie à l'universel, soit à la définition du réel en tant qu'universel.
L'infini est évacué en tant que l'infini est l'universel. C'est de cette manière que l'on peut interpréter le geste métaphysique antiscolastique de Descartes, consistant à se limiter à philosopher dans la dimension physique du réel et à décréter que le restant relève de l'influence exclusive de Dieu, mais d'un Dieu irrationaliste qui use de deus ex machina, soit du miracle. Descartes rompt avec la scolastique, mais restaure la métaphysique. Il n'organise une rupture secondaire que pour sauvegarder l'essentiel, contrairement à ce qu'on laisse entendre. Et cet essentiel, qu'il identifie comme la sauvegarde de la philosophie, c'est la métaphysique en tant qu'héritage d'Aristote : rafraîchir le contenu physique qui est par trop périmé (l'enseignement scolastique frise l'archaïsme) pour mieux réaffirmer le contenu théorique dans son substrat.
C'est l'irrationalisme qui est le coeur du nihilisme et qui se trouve protégé par le dispositif métaphysique. Descartes est prêt à évacuer la dimension finie du réel (revendication indémontrée autant qu'indémontrable) pour conserver l'irrationalisme (le deus ex machina). L'immanentisme survient juste après Descartes, avec Spinoza. C'est que la réforme métaphysique entreprise par Descartes n'est plus suffisante : elle laisse à nu l'irrationalisme théorique, en insistant sur le doute comme une méthode négative qui ne propose rien de vraiment positif et qui aboutit in fine à légitimer ce deux ex machina pour le moins irrationaliste. Il s'agit pour l'immanentisme de trouver un nouveau socle de réduction sur lequel s'appuyer afin de fonder la philosophie et de ce fait de pouvoir légitimer l'irrationalisme comme étant un domaine de réalité certes inconnaissable, mais qui aussi ne concerne en rien l'homme.
Aristote avait proposé comme structure le rationnel à condition que la raison soit finie. Spinoza te les immannetsites trouvent (non sans raison) que les cartésiens se montrent trop découverts en irrationalisme, bien que Descartes professât d'avancer masqué. Spinoza reprned peu ou prou ce slogan, mais il propose surtout un renouvellement du socle de réduction nqui est localisé dans le désir La raison est assujetti au désir, ce qui fait que l'intelligence est inféodé au désir. Le désir étant irrationaliste, les immanentistes croient avoir trouvé la résolution du problème qu'Aristote n'avait paas assez résolu en réduisant le champ d'intérêt humain à la raison -finie. Le désir est à la fois fini et permet d'expliquer l'irrationnel comme le fondement du réel, même si le réel qui est étranger à la sphère du désir n'est pas intéressant pour l'homme, e lu est pas connecté. Il suffit de s'en débarrasser comme de l'incréé, un terme vague qui ne définit rien et ne résout aucun des problèmes laissés vacants et posés par tout esprit curieux.
Le spinozisme loin de résoudre les problèmes philosophiques s'en débarrassent pour décréter qu'il se concentre sur le désir. Et c'est ici que surgit Nietzsche qui avec son emphase et sa grandiloquence postromantiques espèrent enfin résoudre le problème de l'immanentisme en essayant encore d'accroître la réduction du désir au désir les plus artistes et dominateurs, dont bien entendu le sien à son moment. Le problème de Spinoza est de n'avoir pas résolu le problème philosophique en général, ni aucun problème, comme le problème qu'il impute à Aristote. Mais le problème accru de Nietzsche, c'est qu'il ne peut bouger dans le système de Spinoza, tel une araignée prise dans les rets d'un système qui s'est accru en immobilisme théorique (il se moquait de Spinoza et de sa contemplation figée et perverse des combats d'araignées).
Nietzsche veut essayer d'accroître l'immanentisme mais il est contraint pour ce faire (en bon postromantique adepte du anywhere out of the world) de sortir du monde physique te de basculer dans le monde qu'il considère lui-même, de manière inconciliable et irréconciliable, comme parfaitement étranger à lui. Nietzsche se condamne à la contradiction, à l'oxymore, au grand écart à froid. On ne sait d'ailleurs pas bien quel changement réaliste Nieztsche escompte réaliser, lui qui réclame le changement ici et maintenant tout en demandant un changement qui implique que le coefficient de réalité se trouve modifié. C'est le changement sans le changement, car non seulement il convient d'opérer un tri entre le troupeau et l'élite des artistes créateurs (dont Nietzsche), mais encore ces artistes créateurs sont chargés de l'insigne tache d'amorcer le changement.
Certains commentateurs pourront toujours défendre qu'il s'agit d'un élitisme consistant à en demeurer dans les bornes du réel tel qu'il est ou que le changement est déjà présent dans le réel (à l'instar du philosophe Rosset), il n'en demeure pas moins que la démarche de Nietzsche consiste à proposer quelque chose de nouveau ne serait-ce que pour corriger l'erreur de l'immanentisme qui le précède (accessoirement parce que Nietzsche annonce un projet grandiose et inégalé : la transvaluation des valeurs). Mais Nietzsche ne propose rien et ne peut plus rien proposer, bloqué par sa stratégie d'améliorer le désir alors que le désir était déjà une valeur déterminée et non évoluable; Nietzsche a besoin du changement alors qu'il a aboli le changement dans son système.
On peut parler d'imposture de Nietzsche ou d'échec, car il annonce à grand fracas un projet qui dès le départ se trouve condamné par son impossibilité et sa dimension contradictoire. Nietzsche essaye de subvertir certaines idées pour se les approprier, mais cette subversion est pathétique, car elle se trouve frappée du sceau de son échec. La subversion d'Aristote change le sens pour le figer. La subversion immanentiste changeait la métaphysique pour la changer en la radicalisant. La subversion nietzschéenne se trouve confrontée à un manque de perspectives ou à son impossibilité en matière de nécessité. C'est son aspect tragique. Quant à la joie, la subversion de la joie comme joie mauvaise indique ce qu'est le sentiment de joie. On se trouve joyeux face au constat de sa croissance.

mercredi 19 octobre 2011

Le syndrome de Lorenzaccio

La fausse alternative.



Contrairement à ce que serine la propagande des grands médias occidentaux en Libye, le système clanique et népotique de KadhaFils ne constitue pas l'imposture tribale monstrueuse et sanguinaire qui légitimerait la campagne coloniale elle monstrueuse - l'opération militaire de l'OTAN relayée par son faux nez de plus en plus grotesque et discrédité du CNT. La révolution de la Jamahiryia a instauré une fédération intertribale non sans certains succès, qui a produit certaines réussites en matière de développement économique, éducatif, sanitaire ou politique (je pense à la mise en place d'une certaine démocratie participative, il est vrai limitée par des milices qui ne disent pas leur nom de censeurs totalitaires). Mais les limites de ce système doivent êtres rappelées, contre ceux qui confondent et amalgament la lutte légitime contre l'impérialisme (l'OTN en l'occurrence, dont on voit mal pourquoi il serait devenu démocratique) avec la défense, voire l'apologie du personnage Kadhafi, que ses admirateurs (souvent superficiels, confondant le cas Kadhafi avec la lute anti-impérialiste) identifient hâtivement, voire confusément, comme un dirigeant intègre et providentiel, alors qu'il a toujours mené (depuis plus de quarante ans) le grand double jeu, qu'il finança de nombreuses organisations terroristes aux ramifications néo-nazies travesties en panarabisme nationaliste et qu'il mena une politique de prospérité limitée (bornée?) pour son pays - dans la mesure où la redistribution de la manne énergétique (pas seulement pétrolière) n'implique pas le développement structurel (notamment industriel) du pays, mais une façon de vivre dispendieuse, miraculeuse et non pérenne.
Rappel historique : nous assistons à l'effondrement du système général d'impérialisme britannique. Il est normal que les alliés périphériques s'effondrent en premier, comme le paradis artificiel Dubaï; ou essayent d'endiguer l'effondrement par une politique de contre-révolution réactionnaire, comme l'Arabie saoudite (et les monarchies voisines, à l'image du pitoyable Qatar). Il est tout aussi normal que les potentats et satrapes de ce système soient éliminés en premier. Ce fut le cas pendard du pendu Saddam (un tyran qui ne méritai en rien sa mort infamante et cette parodie de jugement démocratique qui en dit long sur les méthodes de ceux qui se présentent en démocrates au nom de l'ingérence démocratique); c'est à présent le cas de Kadhafi, dont le sort a été réglé au début après 2001, et non pas en février 2011, comme l'expliquent pour des motifs vertueux et démocratiques les médias libéraux propagandistes. La méthode est inadmissible, parce que ce sont des peuples qui payent les pots cassés de la politique du chaos et qu'il s'agit d'impérialisme et de colonialisme (dont on voit mal en quoi ils deviendraient démocratiques parce qu'occidentaux). Mais condamner l'impérialisme et le colonialisme ne revient en aucun cas à légitimer la subversion de la lutte impérialiste par des satrapes en réalité impérialistes.
Kadhafi fait partie de cette classe de faux anti-impérialistes qui ont trahi leur idéal de jeunesse et qui se sont vautrés dans la fange du double jeu. Peut-être ont-ils cru jusqu'à un certain point qu'ils jouaient avant tout leur jeu trouble et rance dans l'intérêt de leur peuple et qu'ils étaient contraints pour protéger leur peuple de jouer ce double jeu. Kadhafi est-il un Lorenzaccio qui posséderaient deux côtés maléfiques complémentaires plus qu'antagonistes : l'un consistant à mener grand train pour sauver son peuple, l'autre à se corrompre pour mieux corrompre l'ennemi atlantiste? Kadhafi serait-il un gnostique descendant des Cyrénaïques et autres sectes philosophiques antiques de la région qui à son tour estimerait que c'est seulement et paradoxalement en faisant le mal que l'on parvient à accomplir le bien?
Si l'on veut dresser les qualités politiques de Kadhafi, ce n'est pas très compliqué : intelligent (bien plus que fou), combattant exceptionnel, résistant de première classe. Il l'a prouvé en renversant le roi corrompu Idriss en 1969 et il le prouve de manière impressionnante en ce moment en continuant à résister à l'envahisseur de l'OTAN, qui est plus puissant que lui mais qui sur le modèle du Vietnam finira par perdre face à l'indomptable peuple libyen. Par contre, Kadhafi correspond plus à la fiche du résistant qu'à celle du dirigeant. En tant que dirigeant, il a su fédéré les innommables tribus en une fédération intertribale et à mener une politique de développement économique effective; mais il est resté un dictateur politique de plus en plus archaïque et n'a pas su sortir la Libye d'un développement fondé sur la manne énergétique.
Surtout Kadhafi sous prétexte d'anti-impérialisme a mené un complexe et détestable double jeu (multiple jeu) en concert avec les services secrets français, israéliens et britanniques. Au final, cette tactique labyrinthique et tortueuse, loin de protéger les intérêts libyens, les aura plutôt perdus : Kadhafi et son clan familial ont précipité involontairement la Libye dans la guerre civile et se sont avérés incapables de prendre des mesures de bon sens pour prévenir et limiter les dégâts de la guerre. S'ils n'avaient pas autant trempé dans des intrigues contradictoires, ils n'auraient pas tant tardé à prendre des mesures pour sauver les dizaines de milliers de vie libyennes qui à cette heure et en quelques mois ont été fauchées par les bombardements démocratiques de l'OTAN.
Inutile de revenir sur les erreurs invraisemblables de Saif el Islam nommant dans le gouvernement libyen les dirigeants atlantistes qui l'ont trahi ou partant festoyer en Europe avec les huiles de l'Empire britannique sous couvert d'amorcer le changement démocratique-libéral en Libye. Kadhafi est peut-être un résistant remarquable (bien qu'à l'heure actuelle la valeureuse et héroïque résistance libyenne émane davantage de réactions de défense spontanées du peuple libyen que de l'impulsion seule de Kadhafi), mais c'est aussi un dirigeant dont le bilan politique en quasiment un demi siècle d'exercice du pouvoir est des plus critiquables. Dictateur, assassin de centaines de Libyens (indépendamment de la propagande féroce qui sévit contre lui en Occident depuis février 2011 et qui consiste surtout à raconter n'importe quoi), tribaliste népotique impénitent, il était temps que Kadhafi passe la main - et l'on ne peut que lui souhaiter, pour sa propre postérité, qu'il la passe dans les conditions actuelles, au moment où il fait montre de son héroïsme de résistant, pas de sa corruption de dirigeant passé accroché à son pouvoir dictatorial.
Kadhafi n'est pas fait pour l'exercice positif du pouvoir, en tout cas pas de manière prolongée. Mais qui le serait de toute manière si longtemps? S'il avait tenté de forger un Etat-nation au-dessus du tribalisme fédéral, il serait moins critiquable et surtout son pays aurait été plus à même de lutter contre l'invasion coloniale menée par l'OTAN. Ce qui est remarquable dans le cas Kadhafi, c'est la fascination subite qu'il suscite dans des milieux occidentaux qui, se rendant compte de la faillite du modèle occidental libéral, estiment que toute opposition à ce modèle est forcément vertueuse et positive. Il n'en est rien. Le modèle Kadhafi est de toute façon vicieux et négatif. Il y a pire : ce serait du dépit que de se rabattre sur le modèle Kadhafi comme une alternative au système libéral en décrépitude inexorable.
Le modèle Kadhafi est un modèle dont les possibilités se révèlent très inférieures aux possibilités de l'Etat-nation. Remplacer l'Etat-nation par l'Etat intertribal relève de la supercherie grotesque et de l'égarement. Les populations désabusées par les miasmes du libéralisme terminal se réfugient éperdues vers tout type de modèle qui se trouve martyrisé par l'impérialisme inexcusable et pas assez discerné. Le dépit se caractérise pat sa dangerosité. Que dirait-on d'une femme qui divorcerait de son mari alcoolique pour se remarier avec un homme violent? Que son nouveau choix se révèle pire que l'ancien?
C'est ce qui est en train de se produire à l'heure actuelle pour les contestataires de l'ordre libéral en chaos, qui sous prétexte de nouveau choix font un choix catastrophique et déboussolé (désaxé). Les déçus du libéralisme occidental (britannique) se rabattent sur un choix plus néfaste encore, sorte de totalitarisme baassiste et mixture entre le nationalisme néo-nacérien et l'Islam panarabe. Le choix de Kadhafi, qui se veut le choix anti-impérialiste et noble, contre l'injustice et contre la folie, est un choix par défaut, d'un modèle de faux anti-impérialisme et de fausse opposition. Ceux qui défendent Kadhafi reproduisent le coup de la correction plus pernicieuse que l'erreur initiale. Dans notre monde où les repères s'effondrent et où les boussoles vacillent, il est urgent de se défier des impostures et des fausses alternatives.
La déception aboutit à des choix pires que la trahison de la cause initiale. L'alternative d'un Kadhafi ne peut en rien remédier à la faillite du libéralisme. Kadhafi est un sous-traitant du système libéral mondialisé. Le fait qu'il s'oppose aux Etats-Unis et non aux factions financières autour de la City l'indique. La fausse alternative Kadhafi concourt à encourager et accroître le chaos en lieu et place de l'ordre libéral, soit à prolonger et appuyer involontairement la stratégie lancée par les dirigeants financiers du libéralisme en phase terminale. N'en déplaise aux récents et superficiels kadhafistes (surfant sur la mode publicitaire de l'engouement Che Guevara), qui ont oublié le passé de Kadhafi, notamment ses liens avec certains cercles terroristes subventionnés par les cercles néo-nazis autour du milliardaire suisse Genoud, le système de la Jamahiryia ne peut en rien remplacer l'ordre désormais caduc du libéralisme. En aucun cas, Kadhafi ne peut représenter une alternative viable et fiable. Il incarne la fausse opposition, le type qui s'en prend à l'impérialisme américain (mal identifié) tandis qu'il signe des contrats avec l'impérialisme britannique (dénié).
Loin de toute indépendance et de toute opposition constructive, le système Kadhafi représente une satrapie de l'Empire britannique, soit une fausse opposition et une sous-traitance caractérisées, sur le modèle de l'opposition creuse et virulente du système libéral, à tel point que le fils emblématique de Kadhafi, le fameux Seif-al-Islam, loin de représenter l'avenir pérenne du libéralisme occidental en Libye ou l'avant-garde du panafricanisme, avait pour spécificité de fricoter avec les milieux les plus archétypaux du libéralisme ultra, de se corrompre en artifice intellectuel (la LSE) et en fêtes somptueuses (sur des yachts au Monténégro). Le danger serait de confondre l'abjection de la boucherie libyenne avec l'idéalisation de la viabilité du modèle libyen, la Jamahiryia et la promesse d'une démocratie directe et idéalisée sous le patronage éclairé te parfait d'un Guide tutélaire, désincarné et désintéressé.
Le plus urgent pour tous les révoltés légitimes de l'impérialisme libéral et de la propagande abjecte et obvie des médias occidentaux ou affiliés (comme la chaîne de télévision quatarie al-Jazirah) n'est pas tant de critiquer légitimement le régime Kadhafi et de dénoncer son imposture plutôt que son originalité vertueuse; que de comprendre ce qu'implique le syndrome de Lorenzaccio : prendre pour une alternative viable et pérenne au libéralisme ce qui n'en est qu'un prolongement inférieur et nauséabond. On ne peut forger une poursuite supérieure au système libéral moribond et exsangue en légitimant le double jeu, le tribalisme, le totalitarisme, les assassinats idéologiques - la politique de la manipulation travestie en pseudo-stratégie géniale du panafricanisme. L'heure n'est pas au panafricanisme, qui plus est douteux et opportun; l'heure est au spatialisme supérieur et à la sortie du giron terrestre, fût-il réconfortant. Nous ne voulons pas de nouveaux Kadhafi, plutôt des avatars spatialistes de Luther King ou de Gandhi.

lundi 17 octobre 2011

L'identité provisoire


Qu'est-ce que l'identité? C'est l'identité provisoire, la constitution d'une identité aussi provisoire que progressive - alors que dans l'oligarchie, l'identité est détruite ou en voie de destruction. Fondamentalement, le politique est subordonné au religieux. D'où : l'identité politique est englobée par l'identité religieuse, parce que le religieux parle de la structure du réel, quand le politique reprend ce discours au niveau humain, dans l'organisation de la cité (possiblement en le déformant). L'identité renvoie à la structure hétérogène du réel, entre le donné (l'ordre) et le malléable (que le nihilisme appelle le non-être ou que par incompréhension on définit comme le désordre).
Que l'identité soit provisoire indique que la quête d'une identité définitive n'est pas possible et que cette attente est plus la résultante du schéma nihiliste que du schéma transcendantaliste. Certes, l'ontologie espère trouver une forme d'ensemble, mais cette forme est toujours conditionnée à l'infini; tandis que le but du nihilisme se trouve quant à lui conditionné au fini. La différence est de taille : le but dans l'infini n'est pas atteignable de manière finie; quand le but dans le fini n'est pas atteignable - mais d'ores et déjà atteint. L'identité provisoire implique une tension constante entre la reconnaissance de l'infini et la définition du fini. Cette tension implique que le fini soit toujours redéfini, soit que le fini ne soit pas le réel, mais le réel provisoire.
L'identité implique que l'identité parvienne à constituer un état, un donné, mais que ce donné ne soit jamais fermé sur lui-même, constitué, achevé, selon la terrible formule : "une fois pour toutes" (ceux qui comme Derrida goûtent cette formule sont des sectateurs du totalitarisme). L'identité provisoire est ouverte sur sa mutation de croissance. La tentation de toute identification est de chercher à prouver sa validité en prétendant avoir atteint (enfin) le seuil de l'identité définitive fixe et stable. Eh bien, c'est l'inverse qui est vrai : tout ce qui est assujetti au but de la stabilité est dans le réel inférieur, promis à la déréliction et à la dégénérescence. L'identité est valable quand elle est ouverte sur son changement, qui passe par son agrandissement.
On peut opposer deux approches de l'identité  : l'identité provisoire contre l'identité finaliste et figée. L'identité finaliste en voulant accomplir sa perfection en vient à dénaturer son extériorité sous prétexte de trouver sa perfection interne - d'où la contradiction dans les termes. Pourtant, l'identité si elle veut s'adapter au format et à la structure du réel ne peut chercher de finalité et de stabilité sans que cette chimère n'aboutisse à sa destruction. Raison pour laquelle l'identité marxienne n'a jamais abouti qu'à des catastrophes marxistes : parce qu'elle entend trouver la fin de l'identité. L'identité provisoire reconnaît l'infini. Le provisoire en question reconnaît aussi la constitution de l'état (du donné), mais toute création d'une forme, aussi réussi soit-elle, n'est jamais achevée.
Sans quoi l'achèvement trouve comme écho le sens sinistre que contient le verbe achever : tuer. Celui qui achève un travail de quelque nature qu'il soit ne peut qu'engendrer la souffrance. C'est d'ailleurs ce que prouve le libéral Fukuyama qui considérant le triomphe du libéralisme sur le communisme défunt en vint à forger sa fin de l'histoire libérale en écho à la fin de l'histoire hégélienne, qui ne dit rien de bon sur les conceptions de Hegel en matière d'histoire, de politique (et d'ontologie). La constitution de l'identité est intérieure, et repose quand elle est de valeur sur des créations remarquables. On parle de constitution pour désigner l'exercice d'identification politique.
Plus la constitution est remarquable, plus elle risque de tendre vers la velléité de perfection, soit d'immobilisme. C'est alors qu'elle sombre dans le totalitarisme, qui consiste en premier lieu à sauvegarder l'état d'une constitution si remarquable - surtout que l'immobilisme engendre nécessairement la dégradation de l'état en question. Nul donné qui ne demeure intact. Mais cette intériorité exclusive et chancelante explique sa friabilité et sa fragilité par son caractère tronqué. Le provisoire provient de la notion de processus, de passage, de dynamique.
L'intérieur se trouve en lien avec l'extérieur. Quand l'intérieur seul existe, l'avantage immédiat est qu'il se prétend totalité et peut se targuer de sa fin, mais l'inconvénient est qu'en brisant la chaîne du processus, il s'autodétruit. L'intériorité seule est une escroquerie d'identité parfaite, car il s'agit d'identité tronquée.  L'identité provisoire signifie l'identité viable, mais aussi insatisfaisante. Mais elle en dit long sur le réel : si la partie pour forger son identité a besoin d'un provisoire, de l'union entre l'intérieur et l'extérieur, le réel tronqué n'est pas le réel, c'est un réel qui s'étiole en se croyant autosuffisant. Pourquoi le réel définitif à l'inverse du réel provisoire s'autodétruit-il?
Ce n'est pas l'extérieur qui détruit intentionnellement ou frontalement la partie coupée. La partie isolée initie en se coupant une forme différente de la forme extérieure englobante. L'intérieur signifie que l'impulsion du réel se retourne en forces contraires et contradictoires. Le définitif est le contradictoire. La destruction vient du fait que l'ensemble de la forme partielle suscite la contradiction destructrice qui commence par détruire pour sauver le centre et puis qui revient en un processus fermé détruire le centre lui-même destructeur. Le provisoire est le garant de l'identité pérenne.

mercredi 12 octobre 2011

Eclosion

http://www.alterinfo.net/notes/Palestine-bilan-des-martyrs-depuis-le-debut-de-l-Intifada-palestinienne_b3328279.html
http://www.alterinfo.net/notes/Syrie-les-vetos-russe-et-chinois-sont-une-erreur-profonde-Foreign-Office_b3328711.html
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2011/10/05/97001-20111005FILWWW00607-la-palestine-travaillera-avec-blair.php



Ces trois liens indiquent la raison si peu explicitée pour laquelle les peuples de la région du Proche-Orient ne connaissent pas la paix depuis un siècle : pas à cause de l'existence d'Israël ne tant que nouvel Etat artificiel et soutenu par l'Occident, mais à cause des accords de Sykes-Picot (et de la mentalité rémanente qui en découle). La création d'Israël pour des motifs humanitaires et moraux (prendre la terre d'un peuple autochtone d'Orient pour sauver des persécutions des communautés religieuses disparates souvent d'Occident) rentre dans cette intention diplomatique de déstabiliser diablement la région, le fameux "diviser pour régner" qui commence par instiller des perturbations légères et qui aujourd'hui, par temps de désintégration systémique, finit en franche politique du chaos, notamment en Libye. 
Justement, pour revenir au martyr de la Libye, les Russe et les Chinois s'opposent pour des motifs stratégiques à la colonisation violente de la Syrie sur le modèle de la Libye. Les aventuriers qui ont encouragé l'invasion de la Libye sont tombés sur un os : les tribus libyennes résisteront de manière héroïque à tout colonialisme, surtout que cette invasion s'est produite selon un mode opératoire mensonger ((l'infecte ingérence démocratique) et que la manipulation grossière est aujourd'hui éventée (tellement éventée que même les tribus autour de Benghazi favorables au départ au CNT se montrent aujourd'hui opposées au même CNT, notamment les Obeidi, mécontents que leur représentant le général Younès ait été égorgé par les clans des islamistes proches ou membres d'al Quaeda). Les Russes et les Chinois ne se sont pas opposés à l'invasion de la Syrie pour des motifs humanitaires, mais parce que la démantèlement de ce pays embraserait cette région stratégique de manière inquiétante.
C'est ce qu'attendent les agglomérats qui constituent le disparate et en chute libre Empire britannique, mais les Russes et les Chinois nourrissent des projets de construction, pas de destruction. Au passage, on apprend que l'Intifada palestinienne aurait fait 7407 morts depuis 2001. Depuis six mois, depuis février 2011, combien l'OTAN et le CNT son représentant dégénéré et illégitime de Libye ont-ils tué de personnes en Libye? 30 000 selon leurs chiffres révisés et truqués? 50 000 comme ils l'avaient avoué fin août, juste après le massacre de Tripoli? Sans doute beaucoup plus si l'on se souvient du modèle irakien, des mensonges et de la propagande qui ont accompagné cette autre aventure coloniale, qui nous reviendra en vengeance d'ici quelques siècles.
En particulier, je suis bouleversé par le martyr de Syrte, qui subit dans l'indifférence générale de la soi-disant communauté internationale démocratique le même sort abject que Fallouja en Irak : ville rasée, ville là encore victime de propagande. Toujours est-il que le cas de Syrte, le cas libyen, le cas syrien, le cas palestinien relèvent de cette stratégie issue des accords de Sykes-Picot et que l'on peut résumer comme suit : diviser pour régner, slogan qui dans la gradation de son processus discontinu se termine en ce moment en politique du chaos brutal et massif. Allez savoir pourquoi, les Russes et les Chinois ne sont plus d'accord avec les visées de l'Empire britannique (et de son principal représentant dans les Etats-nations, les Etats-Unis).
La haine rance qui s'est agglutinée, souvent à juste titre contre Israël ces dix dernières années, est inextinguible. Quand le rapport de force s'inversera, je redoute de terribles règlements de comptes, et pas contre le peuple libyen, pas seulement de la part des martyrs de Syrte. Valeureux combattants, hérauts des temps futurs. L'Empire britannique se tapissait derrière les accords de Sykes-Picot, à l'époque où il existait de manière politique et officielle. Maintenant que son existence oscille entre suprématie commerciale, financière et diplomatie du Commonwealth, dans le secret et le caché, maintenant que son colonialisme politique s'est mué en néo-colonialisme économique, sur le modèle de la Françafrique tant décrié, mais à une échelle supérieure (au point que les intérêts français sont sous la coupe des intérêts britanniques, à l'exemple d'un Bolloré), l'Empire britannique intervient comme lors du véto onusien que la Russie et la Chine opposent de manière exceptionnelle aux tentatives de déstabilisation des membres de l'OTAN en Syrie, qui subvertissent l'intervention militaire coloniale et l'occupation précaire via la stratégie, significative de leur faiblesse éplorée d'impérialistes à bout de souffle, des mercenaires officiels (en Libye, les mercenaires islamistes servent de chair à canons, mais ce sont des mercenaires de l'OTAN au sol qui effectuent la vraie besogne terrestre, en concertation avec l'aviation atlantiste).
Le Foreign Office est la caisse de résonance des factions financières qui composent cet Empire déclinant quoique redoutable, non que l'Empire britannique représente le peuple britannique, mais qu'il se sert du ministère qui fut le porte-parole attitré de la diplomatie britannique et qui obéit aujourd'hui à deux casquettes : représentant officiel de l'Etat-nation de la Grande-Bretagne et représentant officieux  de l'Empire britannique qui n'existe plus politiquement et officiellement. C'est en qualité de représentant de l'Empire britannique dénié que le Foreign Office intervient quand il impulse la politique diplomatique mondialiste et internationale, c'est-à-dire quand il est repris par les principales diplomaties et chancelleries occidentales, en particulier par les Etats-Unis. L'Etat-nation des Etats-Unis se trouve aujourd'hui sous la férule de l'Empire britannique (surtout avec Obama le Président de Soros si l'on ose ce raccourci) et de ce fait, loin de figurer l'impérialisme américain issu du peuple américain et de l'Etat américain, la diplomatie américaine suit les ordres de la diplomatie britannique.
Encore une preuve avec cette intervention où l'on voit le chef de la diplomatie d'un Etat-nation européen en crise autant financière que politique dicter ses ordres au monde et s'offusquer de l'opposition de deux pays émergents. Pour ceux qui en doutent, la réalité de l'Empire britannique apparaît ici : dans cette opposition conjointe de la Chine et de la Russie à l'ingérence démocratique en Syrie, suite à la guerre colonialiste de Libye maquillée en guerre d'ingérence démocratique. Enfin, cet Empire britannique montre une nouvelle fois son empreinte cachée avec la question palestinienne. Non seulement l'Empire britannique se trouve derrière les troubles incessants avec la déclaration Balfour et les accords de Sykes-Picot, mais encore on comprend pourquoi la paix n'interviendra jamais dans cette région : parce que l'émissaire actuel du Quartette, un certain Tony Blair, intervient en qualité d'ambassadeur pour la paix, en continuation du travail d'un Balfour justement.
Pour le compte de qui? Blair travaillait avec le clan Kadhafi dans les années 2000 avant que l'Etat de Grande-Bretagne ne participe à l'intervention militaire tous azimuts au nom de la démocratie (pas seulement dans les airs comme indiqué selon la résolution de l'ONU). Cette volte-face duplice en dit long sur la mentalité tortueuse de notre émissaire pour la paix : il construit la paix en Palestine comme en Libye. Dans les deux cas, notre homme de paix s'applique à ce que les accords de Sykes-Picot demeurent efficients : il s'agit d'empêcher à jamais toute résolution diplomatique et politique d'un problème et de précipiter en lieu et place les conflits incessants et le chaos constructeur. Qui est mentionnée comme la chef de la diplomatie européenne? Qui travaille en lien avec Tony Blair l'émissaire occidental de bonne volonté pour la paix?
La baronne Ashton est une autre figure patentée de l'Empire britannique. autant dire qu'Ashton la Britannique travaille avec Blair le Britannique pour composer la paix entre Israël et la Palestine. Faut-il s'étonner qu'aucune paix n'intervienne et qu'au contraire la région s'embrase, surtout à cette période d'effondrement de l'Empire britannique, ce qui accroît encore le besoin de déstabilisation et de politique du chaos? Inutile de préciser que l'Empire britannique montre son emprise sur l'Union européenne, ni que le Quartette comprend l'Union européenne parmi ses membres. Blanc bonnet et bonnet blanc se rencontrent pour discuter de paix...
Et après on s'étonne que les Palestiniens reprochent à Blair de trop composer avec les Israéliens au point de reprendre leur vocabulaire? Que ne comprend-on que la domination et l'impunité d'Israël ne proviennent pas de la faculté de domination inexplicable de ce petit État, de ce petit peuple, quand bien même il compterait sur des ramifications idéologiques puissantes - avec l'idéologie internationale sioniste. Mais que c'est l'Empire britannique qui depuis les débuts du sionisme s'en sert comme d'un outil de déstabilisation, notamment dans la région. Le ventriloque Blair joue le jeu des Israéliens tant que ce parti tend à accroître le chaos dans la région. Et c'est ce qui se produit : le chaos s'accroît dans la région. Blair, loin de faillir à sa mission pour la paix, attise la guerre au Proche-Orient.
et ce sont les Israéliens qui se trouvent haïs et discrédités, ce qu'ils méritent sans nul doute, en particulier le parti de sionistes extrémistes qui sont au pouvoir en ce moment en Israël avec la figure de l'extrémiste Netayahou. A qui profite le crime? Aux Israéliens? Eux qui sont tant haïs et affaiblis? Le crime profite à leurs contrôleurs (y compris plutôt aux Saoudiens) les Britanniques, dont les intérêts stratégiques et financiers se trouvent confortés par la politique de chaos d'Israël et par la montée de ce chaos notamment en Libye et en Syrie. Pendant ce temps, l'allié stratégique de l'Empire britannique dans la région, l'Arabie saoudite, continue à recruter et à envoyer les mercenaires d'al Quaeda pour attiser les guerres civiles. Et toute la manipulation est supervisée par l'inénarrable Blair, menteur patenté dans l'affaire irakienne et qui joue dans le jeu israélo-palestinien le même refrain qu'avec Kadhafi : je mens, je souris, je tue.
Comment sortir de ce jeu sordide et dangereux, qui détruira les peuples, et pas seulement ceux de la région du Proche-Orient? Ne comptons pas sur l'Empire britannique pour changer la stratégie de tout Empire : diviser pour régner; à l'heure où son hégémonie s'effondre, il se radicalise, tel la bête blessée. Mais parmi le Quartette dont Blair est le représentant émérite, qui compte-t-on? Outre l'UE, l'ONU et les Etats-Unis, trois représentants de l'Empire britannique, les Russes. Je sais bien que pendant la perestroika ultralibérale présentée comme avènement de la démocratie et de la fin de l'histoire, en particulier sous l'ineffable Elstine, l'ancien Union soviétique a implosé et s'est libéralisée au point qu'elle est devenue une annexe privilégiée de l'Empire britannique. Résultat : l'éclosion d'une caste de très riches, les fameux oligarques, en lien avec la City, et de beaucoup de pauvres croissants, avec notamment l'effondrement de l'espérance de vie.
Depuis quelques années, avec l'avènement de Poutine notamment, le niveau de vie des Russes s'améliore. Sans idéaliser l'action politique de Poutine, le grand événement de ces dernières années, depuis l'officialisation de la Grande Crise, c'est le rapprochement entre la Russie et la Chine, avec, à l'intérieur du modèle russe, la réconciliation spectaculaire entre Medvedev, qui passait un temps pour pro-britannique, et Poutine, qui symbolise le retour d'un certain nationalisme russe. Dans le Quartette, l'action de la Russie sera à surveiller, car la Russie s'est associée par de nombreux projets avec la Chine. Je pense notamment au développement tous azimuts de la région pacifique, qui a besoin de deux locomotives comme la Chine et la Russie pour relancer le développement humain.
Dans cette histoire de main britannique et d'opposition pacifique à l'atlantisme impérialiste en dégringolade, la bonne annonce pour le Moyen-Orient ne se situe pas dans la résistance acharnée et chaotique des Libyens contre l'invasion colonialiste de l'OTAN (et derrière, de l'Empire britannique, symbolisé par exemple par sir Mark Allen ou lord Jacob Rothschild), mais dans la coopération stratégique et politique entre la Russie emmenée par Poutine et la Chine avide de quitter son statut d'esclave favorisé du libéralisme. C'est le seul moyen d'éradiquer le chaos instillé par l'Empire britannique : qu'une puissance alternative émerge et contrecarre la destruction impérialiste mettant en danger la pérennité humaine dans les siècles à venir. Non seulement le développement transpacifique est bénéfique pour ces peuples du Pacifique, mais encore c'est le meilleur moyen pour la zone transtlantique de s'en sortir. L'Occident en pleine déconfiture (de phase impérialiste terminale), mais aussi l'Afrique colonisée et martyrisée, singulièrement ces pays autour de l'emblématique Palestine - dont la Libye - dont Syrte.



mardi 11 octobre 2011

Négatif


De la méontologie (suite).

La méontologie est un terme négatif : il ne définit rien de positif, mais "ce qui n'est pas ontologique". Aristote essaye de conférer à la méontologie un contenu positif qui puisse proposer une alternative viable à l'ontologie. Ce sera la métaphysique, terme posthume, mais qui indique que l'ontologie négative aurait trouvé son contenu positif. Positivité étrange, car Aristote entend instaurer cette positivité novatrice en opérant un compromis entre ontologie et nihilisme antiques. La positivité de l'ontologie se trouve reprise à moitié, ce qui n'apporte rien de nouveau. Par rapport au nihilisme, Aristote reprend la négativité du non-être en reliant l'être multiple au non-être multiple. L'être multiple se trouverait expliqué par le non-être multiple. Cette explication repose sur l'irrationnel et l'inexplicable (l'indécidable) : mais alors, la positivité repose à la fois sur un compromis non novateur et sur de l'indécidable, qui exprime le négatif pur. Où est cette positivité qu'Aristote aurait apportée dans le débat philosophique et qui sera baptisée pour la postérité métaphysique par des disciples acquis à la cause de la fin de la philosophie incarnée par le Maître?
Le mérite d'Aristote est de proposer une définition claire du réel : le réel est fini. Voilà qui octroie comme avantage une explication scientifique de premier ordre - et comme inconvénient une réduction du réel à une certaine tranche, un certain donné, un certain découpage. Le propre du réel est de contrer le principe de contradiction inhérent au donné fini en créant le va-et-vient du reflet. Le principal inconvénient de l'attitude consistant à sélectionner de manière réductrice et drastique une tranche de réel, une découpe de réel, c'est qu'elle produit un réel d'autant plus défini qu'il est en proie à l'autodestruction. Le principe de destruction s'attache et s'attaque en premier lieu au fini, au sens où le fini est contradictoire. Pourquoi le fini est-il contradictoire?
Déjà, le fini présente la particularité d'instaurer un espace clos et homogène (le donné), qui ouvre sur l'extérieur : ce vice de forme, qui pourrait s'énoncer par l'incomplétude chère à Gödel, implique que les limites sont des contraires, soit que pour que le réel ne soit pas formé de contraires, il convient qu'il croisse tout le temps - qu'il ouvre ses limités données à une croissance incessante et infinie. Le contraire exprime l'idée selon laquelle toute limite finie est constituée sur le mode du contraire. La limite est destructrice au sens de contraire.
Ce constat implique que le réel en tant que tel n'ait jamais pu exister même selon une forme provisoire et éphémère sous la forme de la contradiction et du fini. La structure du réel ne peut être finie. Chaque fois que l'on tente de définir le réel par le fini ou par son corollaire immanentiste moderne le complet (ou par tout autre terme qui désigne l'enclos), l'on commet un acte de réduction fallacieux et l'on montre le caractère inférieur du nihilisme par rapport aux théories qui intègrent expérimentalement l'infini dans leur tentative de compréhension de l'intégralité du réel. Dans le schéma nihiliste, le non-être remplace l'infini. Le fait que le fini soit le contradictoire indique que le nihilisme mène à la néantisation; que le fini comporte en lui quelque chose qui déforme la structure du réel en annonçant la destruction.
Le nihilisme est le schéma inférieur initial qui entend prendre la place dominante (tenue par le transcendantalisme) à la faveur d'une imposture qui explique la réaction transcendantaliste et l'échec nihiliste : laisser croire qu'il propose la clarté (donc la fin de la philosophie), alors qu'il n'obtient la clarté et la fin qu'au prix de la déformation et de la simplification. Outre l'explication de l'extériorité qui provoque la rencontre et le choc des contraires (de la contradiction donnée et finie), une autre explication est possible pour décrire cette liaison surprenante entre le fini et le contradictoire. On dit que tout ce qui ne croît pas décroît. Croître est la forme du réel. Décroître est la forme du fini et du contradictoire. La décroissance se meut dans un espace clos et constituerait une pensée conséquente à l'intérieur de sa clôture : on ne peut que décroître dans un espace clos.
Comment obtient-on de la contradiction dans l'espace fini? La contradiction s'obtient quand du reflet on ne retient qu'une partie (qu'on baptise au surplus et par défi la totalité). L'idée de fini implique en lui-même son incomplétude, quoi qu'en pense l'immanentisme, qui postule avec rage et inconséquence que le complet existerait dans le fini - le désir. La contradiction exprime l'opposition entre ce qui est et ce qui est dénié sous la forme de ce qui n'est pas (et qu'on ne dit pas) : tout ce qui est fini ne peut qu'être contradictoire au sens où le fini crée l'opposition insurmontable et autodestructrice entre le donné et le restant, dont on se débarrasse comme d'une poubelle infecte et déniée.
Le contradictoire renvoie à l'insuffisant, au manque : la contradiction survient quand le domaine est insuffisant. Rosset définit le réel comme ce qui n'est pas définissable, et par cette pirouette conceptuelle irrationaliste espère justifier de sa non définition du réel, qui sonne d'autant plus comme un constat d'échec que le réel est le fondement de sa philosophie. Cet aveu d'échec révèle que la doctrine nihiliste (au sens où selon le nihilisme la philosophie est l'expression religieuse par excellence) repose sur l'insuffisance explicative. En ne pouvant définir le réel. Rosset condamne ce qu'il nomme par impuissance le réel à la contradiction - et à la destruction. La première revendication (au sens terroriste) du nihilisme consiste à se vanter de clarté dans l'effort de définition. Mais cette définition méritoire se révèle incomplète et insuffisante : elle oublie que la clarté s'obtient au prix de la pire des poix, du plus opaque des brouillards, en forgeant de manière paresseuse et désinvolte un no man's land idéel avec la forme chaotique (oxymorique) et antiexplicative du non-être.
Le réel fini est un réel insuffisant, constat qui en dit long sur l'entreprise philosophique d'Aristote, le philosophe qui entend rendre pérenne le réel fini dans l'Antiquité. Aristote propose une définition insuffisante de la philosophie, au sens d'inférieure : la métaphysique. Aristote essaye certes de concilier l'ontologie et le nihilisme dans sa métaphysique (appellation posthume), mais cette entreprise aboutit à un double échec : la Renaissance médiévale set contrainte pour faire avancer la science expérimentale moderne d'enterrer la scolastique, qui traduisait la sclérose néo-aristotélicienne et péripatéticienne figée depuis l'Antiquité (la mort d'Aristote); ces derniers temps (troublés), nous enterrons l'immanentisme en phase terminale, et si l'immanentisme n'est pas spécifiquement un prolongement de l'aristotélisme, plutôt son alternative et son substitut, la métaphysique s'est éteinte depuis Heidegger, qui en prétendant renouveler avec l'être rétablit en fait, moins l'entreprise réchauffée de nature hégélienne que l'entreprise aristotélicienne consistant à introduire l'être (fini) dans le néant. Tel est le Dasein comme resucée de l'être métaphysique.
La fin de la métaphysique indique que nous sommes dans un changement d'importance : Aristote avait consigné l'être fini, soit un certain donné, comme l'intégralité de l'être. Derrière cette tentative maladroite de figer la philosophie à un certain moment, Aristote reconnaissait au réel la forme qu'il avait en son temps et que nous pouvons caractériser comme le donné monothéiste. Cette forme du réel est désormais abolie et doit être agrandie. Ce que le nihilisme entend par le réel est le réel connu - l'espace que l'homme occupe dans le réel. Le nihilisme fait comme si un certain réel compris à un moment donné constituait à tout jamais l'ensemble du réel. Le nihilisme nie l'infini et c'est en ce sens qu'il nie le changement (il reconnaît le changement interne au donné, pas le changement au sens néo-platonicien d'infini).
Quand survient le changement, c'est durant cette ère que le nihilisme s'avère le plus néfaste : car c'est là qu'il est le plus réactionnaire au sens où ayant toujours prôné l'immobilisme, le déphasage apparaît au grand jour lors de l'opération de changement discontinu (illustrant le fonctionnement non linéaire du réel). Le nihilisme disparaît en tant que forme donnée et réapparaît en tant que nouvelle forme. C'est ainsi que la métaphysique est venu sanctionner la nouvelle forme planétaire du nihilisme - le passage du polythéisme au monothéisme. L'immanentisme intervient comme une adaptation du nihilisme aristotélicien à l'expression de la Renaissance, amis sans que cette innovation culturelle ne produise le changement du monothéisme.
Le changement en question, celui du monothéisme vers ce que j'appelle le néanthéisme, ne survient qu'en ce moment. Le nihilisme de la forme donnée actuelle est périmée. D'où la terrible crise que nous traversons. Aristote restera dans l'histoire philosophique pour ses contributions antiques aux sciences et pour avoir aidé à préciser la représentation du réel de son temps. C'est l'avantage majeur du nihilisme que de permettre cette caractérisation dense et pertinente du donné, à ceci près que l'avantage s'accompagne de l'inconvénient : figer le réel dans ce donné.
Le donné est l'outil le plus précis pour caractériser le réel, mais en même temps, c'est le pire moyen de déformer gravement le réel en créant la fausse complétude (fausse totalité) et en instaurant des limites qui sont des contradictions insurmontables et destructrices. Dans l'immédiat, toute démarche utilisant le nihilisme, comme la métaphysique, obtient des résultats impressionnants qui semblent valider par leur efficacité la méthode utilisée. Puis ces résultats immédiatement impressionnants se délitent sur le terme et rétablissent le principe de contradiction qu'ils semblaient au départ rejeter et dépasser.
Il est particulièrement cocasse et troublant que le grand héraut du principe de contradiction, cet Aristote qui fut l'élève de Platon et qui s'oppose à lui au point de fonder en rival le Lycée contre l'Académie, soit le grand énonciateur du principe de non contradiction et passe pour le logicien par excellence, au sens où il serait le grand philosophe réaliste de l'Antiquité. Effectivement, il est celui qui propose la définition du réel le plus dense, la proposition métaphysique, mais cet avantage immédiat se solde par une déroute sur le terme : la conception aristotélicienne au sortir du Moyen-Age est obsolète et représente un risque de censure, notamment de nombreux milieux chrétiens qui rêvent d'allier le système aristotélicien, si attirant en matière de réalisme, avec leur propre conception monothéiste, quant à elle si idéaliste mais souvent difficile à unir aux préoccupations du quotidien.
Il serait des plus instructifs de s'interroger sur la signification de la non contradiction chez Aristote quand on mesure à quel point Aristote passe pour le philosophe logique, rationnel et proche du réel le plus concret et pragmatique tout en opérant une subversion du principe de la science expérimentale (accepter le renouvellement et le progrès), lui qui estimait dès son temps dépassé qu'il avait atteint la fin de la science en général (la philosophie étant la science des sciences et lui dès lors le scientifique des scientifiques). Il serait bon également de s'interroger sur le statut de cette métaphysique (terme posthume) dont on voit mal pourquoi elle pourrait échapper au statut de science périmé quand bien même elle demeurerait invérifiable par l'expérience et qu'elle serait (de ce fait) la science des sciences.
La suite au prochain numéro, donc, consacré au principe de non contradiction; plus exactement à la subversion du principe de non contradiction par le métaphysicien Aristote.
Le principe de non contradiction à l'intérieur d'un schéma philosophique fixiste.

dimanche 9 octobre 2011

Comment manipuler

http://www.solidariteetprogres.org/Contre-Wall-Street-indignes-et-syndicats-se-battent-pour-Glass-Steagall_08144
http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2011/10/04/04016-20111004ARTFIG00573-george-soros-nouvel-allie-des-indignes-de-wall-street.php

Dans la première nouvelle, on apprend que la contestation populaire contre Wall Street revendique le rétablissement du Glass-Steagall contre la dérégulation actuelle. La revendication porte sur l'adoption du projet de loi HR 1489, soutenu par 45 députés américains et par de nombreux syndicats, dont l'AFL-CIO. Il s'agit d'une très bonne mesure si l'on s'avise qu'un autre capitalisme est possible dans l'immédiat, à condition de se débarrasser, non pas seulement de la dérégulation ultralibérale, dont on mesure maintenant la fausseté manifeste, mais de l'ensemble de la théorie libérale, notamment du keynésianisme et de ses dérivés, alors qu'on nous présente souvent le keynésianisme comme l'alternative progressiste aux dérives ultralibérales. Ce capitalisme antilibéral est symbolisé par le Glass-Steagall, soit la politique menée par son instigateur le Président américain F.D. Roosevelt, qui estime qu'on peut mener un capitalisme républicain en remplaçant le monétarisme libéral par une politique de crédit public où la création de monnaie virtuelle est (vertueusement) adossée à des projets d'infrastructures.
Mais la seconde nouvelle indique une tentative de manipulation de poids : le financier Soros, figure de la City de Londres, surnommé l'homme qui fit exploser la livre sterling, nous apprend qu'il soutient le mouvement des Indignés de New-York. A vrai dire, il faut toujours se méfier des initiatives caritatives te idéologiques de Soros. Notre philanthrope libéral se présente ainsi comme un partisan de la démocratie libéré des idéologies. C'est la rengaine bien connue de tous ceux qui défendent une idéologie tout en exigeant que leurs interlocuteurs ne la considèrent précisément pas comme une idéologie. Soros est un idéologue libéral dont le pragmatisme revendiqué implique la duplicité et le mensonge. C'est ce qu'il nomme absence d'idéologie pour dire qu'il est le plus fort et qu'il se permet tout.
Il ne s'agit pas de discréditer la contestation contre Wall Street du fait du soutien qu'elle reçoit de Soros - tout comme il serait réducteur de discréditer la démocratie parce qu'elle se trouve soutenue par Soros. Par contre, il s'agit de comprendre pourquoi Soros soutient les Indignés de New York, tout comme il soutient la démocratie; quand Soros soutient la démocratie, via ses riches instituts philanthropiques, il s'agit pour lui de soutenir l'ingérence démocratique, soit le principe de l'impérialisme libéral dont il est l'un des hérauts internationaux. On a vu en Afghanistan ou en Irak ce que produisait ce genre d'intervention; on mesure en Libye l'effroyable et criminel chaos que l'on apporte en guise de démocratie.
La subversion de la démocratie par la libéralisme mériterait d'être précisée : car nos démocraties sont imprégnées de libéralisme, mais d'un libéralisme politique qui n'est pas encore tout à fait le libéralisme économiques dont se réclame un Sors avec un pragmatisme qui n'en fait pas un idéologue, mais un manœuvrier pour qui tous les coups sont permis. Ce libéralisme que défend Soros, c'est la loi du plus fort du point de vue commercial. Le procès idéologique du libéralisme serait méprisé selon la démarche d'un Soros, qui se fiche éperdument de la théorie libérale du moment qu'il peut appliquer sa prédation de financier.
Son action de spéculateur parle pour lui, mais aussi son oeuvre de philanthrope, qui indique que la philanthropie libérale anglo-saxonne est une manière désintéressée de promouvoir la loi du plus fort. L'intervention courageuse de Soros auprès des Indignés de Wall Street doit s'apprécier à l'aune de son combat antiidéologique pour la démocratie : dans tous les cas, Soros cherche à promouvoir son option de libéral impérialiste forcené. Il subvertit la démocratie en impérialisme s'il le faut. Il subvertit de même le combat des Indignés en partant de leur critique du capitalisme de type proto-marxiste : du coup, le libéralisme ne se trouve pas attaqué spécifiquement et c'est déjà un premier point de gagné pour Soros.
Pourtant, la revendication de Glass-Steagall pourrait constituer un rempart solide contre le libéralisme, y compris de Keynes et de son option seulement progressiste à l'intérieur du libéralisme. Mais Soros fait clairement partie des intérêts financiers qui ont concouru à ce que les clans autour d'Obama promeuvent le faux Glass-Steagall contre le vrai. Je pense au rapport Volcker ou à la loi Dodd. Soros soutenait Obama contre W. alors qu'il avait été un proche du père Bush (Bébert pour les intimes?). Soros n'est pas un idéologue. C'est un redoutable homme d'affaires. Le soutien de Soros envers les Indignés de Wall Street cherche moins à soutenir la mesure du faux Glass-Steagall directement qu'à empêcher que ce mouvement ne s'attaque au libéralisme.
En tant que figure de la City de Londres, via notamment le Quantum Fund et d'autres fonds opaques comme sa personne, Soros ne défend pas de régime politique, seulement des intérêts financiers. Il accepte même de défendre n'importe quel personnage public progressiste pourvu qu'il ne soit pas opposé à la spéculation la plus viscérale et sauvage. C'est ainsi qu'il a soutenu Obama, dont on mesure désormais à quel point il est un homme-lige de Wall Street (et de la City). Soros veut bien que des anticapitalistes gauchistes à tendance marxiste réclament le rétablissement du Glass-Steagall pourvu que le libéralisme ne soit pas dans leur ligne de mire. Ce dont Soros veut, c'est moins d'un faux Glass-Steagall tendance Volcker (ou sa mouture britannique Vickers) qu'un projet anticapitaliste qui sans s'en rendre compte préserver le libéralisme, surtout si comme Soros certains intérêts libéraux parviennent à se présenter comme progressistes, ouverts au dialogue et à la critique. Peut-on discuter de la finance folle avec un financier fou (pour reprendre les expressions de politiques de tendance sociale-démocrate)?
L'esprit critique implique de ne pouvoir critiquer que ce qui accepte la critique, soit le changement. Le propre des positions destructrices est de refuser le changement. Les positions libérales actuelles dans le domaine financier sont destructrices. Le seul moyen d'instaurer efficacement l'esprit critique consiste à les éradiquer. Si Soros veut nous donner son avis critique, lui qui se rêve en philosophe-financier, comme d'autres en leur temps se complurent en bourgeois gentilshommes, il ferait bien de nous l'épargner, car en guise de critique il sert la destruction. Le désert du dessert. On l'a vérifié par exemple en Géorgie. Soros en a montré une nouvelle couche dans son soutien à Obama le faux progressiste et vrai discrédité. Maintenant, entre autres prouesses de son oligarchie progressiste (qui ne signifie pas la même chose que le progressisme authentique et antioligarchique),
Soros soutient les Indignés de Wall Street dans leur lutte contre le capitalisme. Ce qui intéresse Soros dans la réforme inévitable du capitalisme, c'est surtout qu'il ne vire pas à l'antilibéralisme. Tant qu'on confond capitalisme et libéralisme, Soros est aux anges. Son business prospère tranquillement à l'ombre des illusions. Un jour le capitalisme sera aboli, remplacé par une autre forme dominante d'organisation économique; en attendant ce jour qui interviendra dans l'espace, il serait temps de prendre acte de la mort du libéralisme  une idéologie commerciale, impérialiste et irrationaliste, qui présenta quelques avantages au départ dans le mouvement général des Lumières, mais qui dégénéra vite en ultra/néolibéralisme et qui aujourd'hui pourrit en miasmes infects, tel un sinistre cadavre à la renverse.