vendredi 28 octobre 2011

Le martyr de la démocratie libérale

La mort de Kadhafi ne doit nullement nous laisser croire que cet exemple incarne l'alternative à l'impérialisme et au colonialisme. Kadhafi est un chef tribal qui est mort assassiné par la tribu qui avait accepté de coopérer avec l'OTAN sur ce coup (certains des Misrata). Mais telle la légende du Phénix, la mort symbolique de Kadhafi signifie que l'homme va renaître de ses cendres et que quel que soit le temps que cela prendra il ne va pas accepter le sort d'autodestruction que les désaxés de l'OTAN et leurs contrôleurs des mondes de la finance lui promettent. Kadhafi a été capturé à Syrte par les commandos de l'OTAN (ceux qui peuvent combattre effectivement), puis il fut livré en pâture à la vindicte des abrutis et autres dégénérés venus de Misrata qui hurlaient des "Allah Akbar!" antimusulmans tandis qu'ils le lynchaient - lui tirant une balle dans le ventre avant de l'achever d'une balle dans la tête.
http://oumma.com/Kadhafi-a-t-il-ete-livre-a-ses
Pauvres types. On mesure les effets de la doctrine impérialiste du double standard chère à un Cooper selon laquelle le standard démocratique vaut pour l'intérieur de l'Occident alors qu'à l'extérieur la loi du plus fort devient permise. On considère que les tribus libyennes sont des peuplades arriérées et dégénérées qui à l'exemple de ces hordes de combattants manipulés et hors d'eux (drogués?) sont juste capables de semer le chaos et la discorde, la sauvagerie et la barbarie. Il est normal que les civilisés de l'OTAN se soient servis d'eux pour punir le chef tribal Kadhafi qui avait refusé de leur obéir et de céder le pouvoir. Le racisme qui transparaît de cette morale peut se vérifier avec la réponse hallucinante de Hillary Clinton qui ose rire à propos de ce lynchage et parodier les paroles de César.
C'est au moins lucide : les dirigeants de l'Etat américain se comportent en impérialistes déboussolés, à cette précision près qu'ils n'agissent pas pour le compte politique des Etats-Unis, mais pour le compte des factions financières apatrides qui composent l'Empire britannique et qui désespérées par leur désintégration inexorable sont prêtes à toutes les monstruosités pour prolonger leur toute-puissance éperdue. On mesure à quel point le racisme du double standard énoncé par Cooper le théoricien de l'impérialisme postmoderne européen se vérifie avec l'assassinat atroce et médiatisée de Kadhafi, qui n'aurait pas été envisageable il y a une décennie encore. Les responsables politiques d'alors, surtout au nom de la démocratie, n'auraient jamais entériné une pareille scène de vengeance qui fait suite au pseudo-assassinat (fictif) sous prétexte de vengeance juste d'Oussama et aux assassinats ciblés un peu partout dans le monde de soi-disnat membres d'al Quaeda ou d'ennemis des Etats-Unis (y compris de citoyens américains), sans jugement et au nom de la démocratie. Avant le 911, la souveraineté des Etats avait encore un sens, alors que désormais au nom de l'ingérence démocratique on peut dévaster un pays et passer (seulement pour un temps, au début) pour démocrate.
Le visage d'Obama la catastrophe atlantiste et des dirigeants occidentaux affidés est en train d'apparaître clairement. Ce sont des pervers qui subvertissent le sens de la démocratie aux fins de l'impérialisme et de formes politiques que l'on peut nommer néo-fascistes : le lynchage de Kadhafi exprime la preuve médiatique de cette dégénérescence dans l'extrémisme et la violence et de l'irresponsabilité des dirigeants occidentaux qui l'ont commandité, approuvé, élaboré. Quant aux populations occidentales qui la plupart du temps se fichent de cette réalité (la montée du chaos et du néo-fascisme) pour le moins inquiétante, voire soutiennent la sauvagerie au nom de leurs petits intérêts égoïstes à courte vue, elles se comportent comme aux pires moments de l'histoire, comme des couards et des autruches, comme lors de la montée des fascismes européens dans les années trente (déjà en pleine crise financière), quand la plupart préféraient fermer les yeux et cautionner l'inacceptable plutôt que de faire preuve de courage et de lucidité.
Qui s'oppose au Nouvel Ordre Mondial dont on voit la hideur la plus évidente en Libye depuis février 2011, en Irak ou en Afghanistan (notamment)? Qui décrypte l'imposture de l'ingérence démocratique, elle qui en Libye a encore accru sa virulence mortifère? Quelques dizaines de milliers de morts en huit mois (bagatelle), un pays détruit (bagatelle bis), un nouveau gouvernement fantoche à la botte des colons d'Occident et, cerise sur le gâteau, le lynchage symbolique de l'ancien chef d'Etat, qui dénote par sa mort en martyr la terrible épreuve que traverse l'humanité - au-delà du cas libyen déjà emblématique. Mais pour les nombrilistes Occidentaux qui estiment plus ou moins que la Libye est encore trop loin de l'Occident pour mériter une attention soutenue et que l'on finira bien par s'en sortir et par sauvegarder le principe de l'immanentisme selon lequel seul compte l'intérêt du désir, qu'ils se rassurent : le feu qui dévaste tout au loin, la politique de la terre brûlée et du chaos, ont déjà commencé très vite par revenir ici, dans le coeur de l'Occident, là où l'on vous susurre avec des avis experts qu'il ne peut rien se produire parce qu'on vit en paix depuis plus d'un demi siècle.
A côté de la théorie du double standard, qui légitime la sauvagerie de psychopathe assumée hors de l'Occident démocratique et libéral, on trouve pour entériner la dégénérescence des régimes libéraux et la mort effective du libéralisme britannique une autre théorie divine, concoctée par le conseiller de l'ultraconservateur libéral britannique Cameron Philipp Blond : le retour au corporatisme néo-médiéval, qui consiste à démanteler les acquis de l'Etat-nation et à les remplacer par des structures locales privatisées et d'ordre féodal. Le féodal équivaut au tribal. Cette théorie survient à point nommé pour légitimer la crise financière terrible et justifier du remplacement de l'ordre né de la Paix de Westphalie par le désordre du chaos, si tant est que l'expression oxymorique d'ordre du chaos recèle une quelconque consistance.
Les théories d'un Cooper donnent une inflexion et une direction à la politique étrangère des démocraties libérales qui soutiennent l'Empire britannique; les théories d'un Blond orchestrent et encadrent de manière complémentaire le fonctionnement interne de l'Empire britannique à la dérive : on démantèle la notion de public et on la remplace par la privatisation, qui revient à accroître la loi du plus fort entre rapports strictement privés. La norme du public permettait de remplacer la loi du plus fort privée par le principe républicain du public. 
Le lynchage qui est arrivé à Kadhafi est bien entendu une projection de l'état dans lequel se trouve la Libye dévastée et plus encore l'Empire britannique en faillite, avec lequel Kadhafi a toujours collaboré dans l'espoir de parvenir à une entente tarabiscotée qui profiterait au peuple libyen, une fédération intertribale sur le modèle de la fédération impériale. Mais le tribalisme libyen n'est jamais que l'image de ce que souhaitent les Blond avec leur apologie du retour au corporatisme médiéval : Kadhafi avait réussi à imposer un modèle seulement supérieur de tribalisme qui demeurait confiné aux limites du tribalisme; les impérialistes ont détruit la Libye et attisé les luttes intertribales pour proposer un retour au corporatisme médiéval, pour le moment à l'extérieur de l'Occident.
Un Blond ne propose rien d'autre que le retour au modèle tribal travesti en apologie postmoderne du médiévalisme; et Cooper ne fait rien d'autre que légitimer le tribalisme sur la question des rapports avec l'étranger : le tribalisme favorise les relations fondées sur le rapport de force et l'absence de principe. C'est l'option rebattue que défendent depuis les conférences de Yalta et Pugwash les stratèges de l'Empire britannique, singulièrement quand ils opèrent sur le territoire américain, comme ce Kissinger qui prétendit s'inspirer du modèle de Metternich pour défendre ce modèle impérialiste des rapports fondamentalement de force entre Etats. Sans doute que les stratèges désaxés actuels derrière Hilary Clinton (notamment ceux du Pentagone autour du NSC et du nouveau JSOC) partagent cette conception quand ils poussent leur représentante à verser dans des déclarations stupides et suicidaires sur le modèle simpliste de César l'Empereur romain.
Le tribalisme défendu par les impérialistes britanniques prend acte de la régression de la domination qui n'est plus en mesure de permettre un certain ordre international fondé sur l'impérialisme financier. Du coup, on demeure dans l'impérialisme, mais en promouvant le fondement le plus inférieur et régressif : le féodalisme ou petite unité tribale. Kadhafi en Libye avait réussi à agréger les innombrables tribus régionales en une fédération intertribale. C'est vers ce fédéralisme bigarré et instable que tendent les préconisations de Blond, à ceci près que le postmodernisme tribaliste en déclin introduit la supériorité du féodalisme britannique (et des territoires de l'Occident qu'il contrôle) sur le restant du monde. La supériorité occidentale impérialiste repose sur la domination financière et militaire.
On le vérifie en Libye, où l'OTAN incomparablement supérieur en termes militaires a détruit le pays sans aucune pitié pour son développement honorable depuis quarante ans. Aucune compassion démocratique ou humaniste : mais le fonctionnement de la City est-il démocratique? L'oligarchie implique qu'une petite élite domine le monde. L'oligarchie britannique domine les États plus libéraux que démocratiques d'Occident, la fédération à l'extérieur de laquelle c'est le chaos qui règne. Ce schéma terrifiant, dont on mesure la monstruosité non viable en Libye (les résistants libyens auront le fin mot, sur le modèle vietnamien), implique une destruction croissante de l'espace intérieur suite à la destruction de l'espace extérieur.
Le double standard adossé sur le modèle du féodalisme postmoderne finirait en chaos total (démantèlement chaotique) : mais je suis trop optimiste au regard de l'histoire pour croire que l'homme ne réagira pas de manière constructive. En termes libyens actuels : le martyr abject de Kadhafi (sans idéaliser le personnage, en particulier certaines de ses actions passées) constitue le sacrifice final qui ne sauvera pas son peuple et son pays - mais de de manière plus générale qui amorce et annonce le salut l'humanité entière. Le martyr est le témoin de son temps. Le martyr Kadhafi en dit long sur ce que les démocrates libéraux sont (des zombies) et sur le péril majeur qui court si l'on ne fait rien pour prendre les bonnes mesures : sortir du libéralisme d'un point de vue politique; sortir de l'immanentisme d'un point de vue religieux (culture et religieux).

Aucun commentaire: