lundi 17 octobre 2011

L'identité provisoire


Qu'est-ce que l'identité? C'est l'identité provisoire, la constitution d'une identité aussi provisoire que progressive - alors que dans l'oligarchie, l'identité est détruite ou en voie de destruction. Fondamentalement, le politique est subordonné au religieux. D'où : l'identité politique est englobée par l'identité religieuse, parce que le religieux parle de la structure du réel, quand le politique reprend ce discours au niveau humain, dans l'organisation de la cité (possiblement en le déformant). L'identité renvoie à la structure hétérogène du réel, entre le donné (l'ordre) et le malléable (que le nihilisme appelle le non-être ou que par incompréhension on définit comme le désordre).
Que l'identité soit provisoire indique que la quête d'une identité définitive n'est pas possible et que cette attente est plus la résultante du schéma nihiliste que du schéma transcendantaliste. Certes, l'ontologie espère trouver une forme d'ensemble, mais cette forme est toujours conditionnée à l'infini; tandis que le but du nihilisme se trouve quant à lui conditionné au fini. La différence est de taille : le but dans l'infini n'est pas atteignable de manière finie; quand le but dans le fini n'est pas atteignable - mais d'ores et déjà atteint. L'identité provisoire implique une tension constante entre la reconnaissance de l'infini et la définition du fini. Cette tension implique que le fini soit toujours redéfini, soit que le fini ne soit pas le réel, mais le réel provisoire.
L'identité implique que l'identité parvienne à constituer un état, un donné, mais que ce donné ne soit jamais fermé sur lui-même, constitué, achevé, selon la terrible formule : "une fois pour toutes" (ceux qui comme Derrida goûtent cette formule sont des sectateurs du totalitarisme). L'identité provisoire est ouverte sur sa mutation de croissance. La tentation de toute identification est de chercher à prouver sa validité en prétendant avoir atteint (enfin) le seuil de l'identité définitive fixe et stable. Eh bien, c'est l'inverse qui est vrai : tout ce qui est assujetti au but de la stabilité est dans le réel inférieur, promis à la déréliction et à la dégénérescence. L'identité est valable quand elle est ouverte sur son changement, qui passe par son agrandissement.
On peut opposer deux approches de l'identité  : l'identité provisoire contre l'identité finaliste et figée. L'identité finaliste en voulant accomplir sa perfection en vient à dénaturer son extériorité sous prétexte de trouver sa perfection interne - d'où la contradiction dans les termes. Pourtant, l'identité si elle veut s'adapter au format et à la structure du réel ne peut chercher de finalité et de stabilité sans que cette chimère n'aboutisse à sa destruction. Raison pour laquelle l'identité marxienne n'a jamais abouti qu'à des catastrophes marxistes : parce qu'elle entend trouver la fin de l'identité. L'identité provisoire reconnaît l'infini. Le provisoire en question reconnaît aussi la constitution de l'état (du donné), mais toute création d'une forme, aussi réussi soit-elle, n'est jamais achevée.
Sans quoi l'achèvement trouve comme écho le sens sinistre que contient le verbe achever : tuer. Celui qui achève un travail de quelque nature qu'il soit ne peut qu'engendrer la souffrance. C'est d'ailleurs ce que prouve le libéral Fukuyama qui considérant le triomphe du libéralisme sur le communisme défunt en vint à forger sa fin de l'histoire libérale en écho à la fin de l'histoire hégélienne, qui ne dit rien de bon sur les conceptions de Hegel en matière d'histoire, de politique (et d'ontologie). La constitution de l'identité est intérieure, et repose quand elle est de valeur sur des créations remarquables. On parle de constitution pour désigner l'exercice d'identification politique.
Plus la constitution est remarquable, plus elle risque de tendre vers la velléité de perfection, soit d'immobilisme. C'est alors qu'elle sombre dans le totalitarisme, qui consiste en premier lieu à sauvegarder l'état d'une constitution si remarquable - surtout que l'immobilisme engendre nécessairement la dégradation de l'état en question. Nul donné qui ne demeure intact. Mais cette intériorité exclusive et chancelante explique sa friabilité et sa fragilité par son caractère tronqué. Le provisoire provient de la notion de processus, de passage, de dynamique.
L'intérieur se trouve en lien avec l'extérieur. Quand l'intérieur seul existe, l'avantage immédiat est qu'il se prétend totalité et peut se targuer de sa fin, mais l'inconvénient est qu'en brisant la chaîne du processus, il s'autodétruit. L'intériorité seule est une escroquerie d'identité parfaite, car il s'agit d'identité tronquée.  L'identité provisoire signifie l'identité viable, mais aussi insatisfaisante. Mais elle en dit long sur le réel : si la partie pour forger son identité a besoin d'un provisoire, de l'union entre l'intérieur et l'extérieur, le réel tronqué n'est pas le réel, c'est un réel qui s'étiole en se croyant autosuffisant. Pourquoi le réel définitif à l'inverse du réel provisoire s'autodétruit-il?
Ce n'est pas l'extérieur qui détruit intentionnellement ou frontalement la partie coupée. La partie isolée initie en se coupant une forme différente de la forme extérieure englobante. L'intérieur signifie que l'impulsion du réel se retourne en forces contraires et contradictoires. Le définitif est le contradictoire. La destruction vient du fait que l'ensemble de la forme partielle suscite la contradiction destructrice qui commence par détruire pour sauver le centre et puis qui revient en un processus fermé détruire le centre lui-même destructeur. Le provisoire est le garant de l'identité pérenne.

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