jeudi 8 décembre 2011

Le testament ontologique


Les pensées les plus admirables prononcées dans l'époque moderne d'un point de vue philosophique et religieux? Elles émanent des dernières paroles de Sophie-Charlotte sur son lit de mort, en 1705 : « Ne soyez pas triste pour moi, car maintenant je vais satisfaire ma curiosité sur les principes des choses que Leibniz n’a jamais été capable de m’expliquer : l’espace infini, l’existence et le néant. » Sophie-Charlotte de Prusse, fille de Sophie de Hanovre, la prétendante de l'époque au trône d'Angleterre, était l'élève de Leibniz. Que Leibniz n'ait pas été en mesure de résoudre ces problématiques fondamentales doit nous interpeller. Les propos concis de Sophie-Charlotte indiquent l'enjeu de la philosophie moderne jusqu'à nous - et ce que doit instaurer la philosophie nouvelle à l'avenir (si l'on veut poursuivre l'aventure humaine en crise) : tout se joue autour de l'infini par rapport au néant. Les deux termes fondamentaux sont aussi indéfinis, tant par le nihilisme (Aristote ou Spinoza) que par l'ontologie (Platon ou Leibniz). Ils rappellent à quel point Leibniz, esprit universel, qui surgit à la suite du renouvellement métaphysique initié par Descartes et qui s'oppose à l'immanentisme de Spinoza, en pleine guerre des idées modernes, et en plein renouvellement suite à la sclérose scolastique, représente le parti ontologique et la poursuite de l'ontologie contre la métaphysique moderne. 
En particulier, Leibniz et le parti ontologique s'opposent directement et frontalement à la position de Spinoza, qui tente de radicaliser le cartésianisme. En ce sens, le vrai ennemi de Spinoza n'est pas Descartes, mais Leibniz. L'honnêteté de Leibniz et de son élève Sophie-Charlotte les conduit à avouer qu'ils ne sont pas en mesure de définir l'infini (l'Etre, l'existence) et le non-être, bien que Leibniz ait tenté de tout son esprit de prolonger les travaux de Platon sur ce point crucial. L'approche de l'ontologie moderne contient en son sein le vice de raisonnement du prolongement : il ne parvient à définir ni l'infini, ni l'existence, ni le néant. Dans le raisonnement leibnizien, le néant est inféodé à l'existence infinie de Dieu, conformément à la conception de l'ontologie, dont Leibniz est le plus éminent représentant moderne, lui qui de son vivant lutte politiquement et diplomatiquement contre l'Empire britannique. Le testament de Sophie-Charlotte élève éclairée de Leibniz nous indique quel est le débat le plus important selon les termes de la philosophie moderne. Les termes n'ont pas changé depuis.
Il convient de proposer en ce moment de crise terminale transcendantaliste une innovation à l'ontologie (en tant que la forme ontologique est l'expression philosophique spécifique interne au monothéisme et donc au transcendantalisme). Si le problème est mal posé en termes ontologiques et monothéistes, sa résolution par une réponse claire n'est pas possible. Pourtant, il serait aveugle de s'en tenir à la même évaluation critique de type consensuel pour l'erreur nihiliste que pour son pendant ontologique : le nihilisme s'est trompé bien davantage que l'ontologie, dans une ampleur autrement plus importante. Le mérite du nihilisme est de sentir qu'existe une hétérogénéité au réel, qu'il ne comprend pas et qu'il attribue à une opposition contradictoire entre l'être (fini selon la définition d'Aristote) et le non-être, un concept irrationaliste qui n'étant pas défini ne découle d'aucun principe et ne recouvre aucune réalité positive. Si l'ontologie se garde de définir sa maîtresse-idée l'Etre en tant que principe infini s'opposant au non-être en tant que principe irrationaliste, le principe qui meut l'Etre est diamétralement opposé à l'irrationalisme nihiliste en ce qu'il est fondé sur l'idée qu'il ne peut y avoir que du quelque chose (ainsi que le professe Leibniz).
Si l'on souhaite renouveler et rénover l'ontologie, d'une manière identique à la démarche de la Renaissance par rapport à la scolastique, il convient d'opposer l'ontologie et le nihilisme et dans cette optique de rompre avec l'hypothèse du prolongement - de raisonnement monothéiste plus largement plus qu'ontologique, en lui substituant l'idée de l'hétérogénéité, pas de l'hétérogénéité antagoniste propre au nihilisme, mais de l'hétérogénéité harmonieuse qui considère que le réel est formé de deux textures différentes, compatibles, ce qui revient à définir le non-être comme le faire et à refuser qu'on puisse ne pas définir une partie du réel, surtout quand cette partie ets aussi importante. Le testament de Sophie-Charlotte, pour lumineux qu'il soit, indique à nos générations en crise leur devoir cardinal et fondamental : l'ontologie ne possède pas l'approche théorique pour résoudre les problèmes qu'elle perçoit inadéquatement - qu'il faut la renouveler pour progresser. Eh bien, au nom de Sophie-Charlotte et en nos noms, progressons, changeons - nous irons dans l'espace.

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