vendredi 16 décembre 2011

Rebelote


Pourquoi la métaphysique via ses innombrables avatars scoliastes, comme le mouvement des péripatéticiens, a-t-elle connu un tel succès dans le christianisme? Pourquoi les auteurs nihilistes de l'Antiquité ont-ils disparu dans une forme de censure qui résulte de la vengeance des copistes à l'esprit monothéiste? Démocrite, Gorgias, Protagoras, Epicure... Si Aristote est le seul à être demeuré lisible parmi les écrivains de tradition nihiliste, quoique en partie perdu pour certains écrits comme ses dialogues, c'est qu'il a proposé une compatibilité entre l'ontologie et le nihilisme. L'ontologie est en philosophie antique l'expression compatible avec le monothéisme naissant, dont le christianisme sera longtemps le porte-flambeau, avant d'être accompagné par le prolongement islamique.
La tradition islamique montre aussi une grande révérence pour l'aristotélisme, avec une constante : trouver un compromis entre le monothéisme et l'aristotélisme, parce que le mérite de l'aristotélisme consiste à proposer une méthodologie réaliste dans le fini, qui si elle devenait compatible avec la spéculation monothéiste concernant l'ensemble du réel couronnerait la pensée, l'achèvement des problèmes spéculatifs. Ce compromis ne peut fonctionner parce que le réel  dense et défini d'Aristote étant fini, il se trouve environné par le non-être. Le non-être est incompatible avec le monothéisme; l'idée selon laquelle le monothéisme peut se perfectionner avec la métaphysique repose sur l'illusion selon laquelle on forge l'être en l'entremêlant avec le non-être.
La fin de l'aristotélisme sous sa forme terminale de scolastique était prévisible puisque sa théorie sous prétexte d'achèvement est sclérosante. Mais la méthode de l'aristotélisme va se trouver renouvelée et régénérée par l'intervention du cartésianisme postscolastique. On présente Descartes comme le rénovateur de la philosophie qui romprait avec l'obscurantisme de la scolastique - alors qu'il a rompu avec la scolastique pour préserver la métaphysique et la prolonger en la renouvelant. Descartes est le rénovateur de la métaphysique qui détruit de l'intérieur l'obsolescence de la scolastique. La scolastique exprime la métaphysique originaire (aristotélicienne et associés) poussée dans ses ultimes retranchements, moquée par ses Aristoteles dixit depuis les satiristes de la Renaissance, tandis qu'à l'opposé Descartes, loin de symboliser la rénovation de la métaphysique, lance au contraire la métaphysique seconde, pas comme il l'annonce la rupture avec la scolastique pour proposer un mouvement qui serait la Renaissance de la philosophie. 
La Renaissance a soit proposé le prolongement de l'ontologie - soit a versé dans une contre-révolution idéelle avec d'un côté le cartésianisme qui prolonge la tradition métaphysique en changeant ses aspects obsolètes (scolastiques); de l'autre, la radicalisation immanentiste impulsée par Spinoza de l'intérieur de l'optique métaphysique contre le cartésianisme (comme un Malebranche par exemple). C'est dans cette tradition immanentiste qu'il faut ranger les idéologies dont le nom émane des idéologues, mais dont les productions les plus remarquables sont le libéralisme conservateur issu de la Compagnie des Indes - et l'idéologie progressiste marxienne avec ses applications communistes, dont il convient de noter qu'elle se veut progrès à partir du libéralisme et non contre lui, alors qu'elle entend proposer le couronnement dialectique fini du capitalisme (en ce sens, l'erreur du marxisme est théoriquement fondamentale).
L'immanentisme constitue l'opposition interne à la métaphysique cartésienne (postscolastique), mais les deux, l'immanentisme et le cartésianisme sont la poursuite du nihilisme antique. Quand le monothéisme entend opérer une jonction avec la métaphysique pour parvenir à son achèvement, c'est parce que le nihilisme dispose comme atout considérable de réussir à isoler (au sens chimique) du réel dense et sensible (fini), alors que la métaphysique échoue à réunir sa spéculation sur le divin avec l'existence la plus concrète (même problème non résolu que ce qu'Aristote reprochait au platonisme). L'intervention de Descartes suite à la faillite de la scolastique reconnaît cette faillite définitive de l'association oxymorique entre métaphysique et christianisme. Descartes reste dans le standard de la métaphysique aristotélicienne originelle qui a accouché de la scolastique. Il ne cherche pas à réformer le standard du réel fini énoncé par Aristote comme naissance de la métaphysique et couronnement du nihilisme antique, il lui ajoute une évolution qu'il prend pour la réforme enfin viable de la métaphysique, alors que la métaphysique ne peut être réformée, puisque le ver est dans le fruit : l'être fini d'Aristote était expliqué par le non-être inexplicable (dont on voit mal comment il se concilierait avec le Premier Moteur, qui est un anti-principe irrationnel et anti-divin, abolissant le principe créatif et la possibilité de compréhension).
Descartes réforme en profondeur le non-être d'Aristote en le transformant en divin miraculeux. L'irrationnel intrinsèque au non-être devient le divin miraculeux, ce qui fait que l'approche de la métaphysique cartésienne par rapport à la métaphysique originelle n'a guère changé : si Dieu est reconnu dans son existence par Descartes autrement que sous le terme antidivin de Premier Moteur, ce Dieu miraculeux ne peut intervenir et changer le fini que d'une manière miraculeuse, qui échappe à la raison mécaniste et qui du coup rejoint la faiblesse de la métaphysique originelle et chrétienne par son caractère d'inexplicabilité. La traçabilité (terme peu élégant) de Descartes par rapport à son héritage scolastique l'inscrit dans une rénovation de la métaphysique, et pas dans une stratégie de rupture avec la métaphysique. Contre l'annonce ultérieure de Pascal, Descartes prétend réformer ses connaissances passées, apprises au lycée La Flèche des bons pères jésuites. En fait, sa réforme le pousse non pas à changer de paradigme épistémologique, mais à conserver le même paradigme, en gros métaphysique, pour ensuite révoquer en doute les connaissances métaphysiques passées aux fins de fonder de nouvelles et plus valables connaissances, tout aussi métaphysiques.

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