dimanche 18 mars 2012

De l'excellence médiocre

Que constate-t-on quand on parle de l'oligarchie des incapables? Loin de personnifier l'excellence, les meilleurs dans la performance académique deviennent bizarrement des médiocres, des incapables, à l'aune de critères qui devraient leur assurer leur excellence. Que s'est-il passé pour que les excellents deviennent des médiocres? Pourquoi assiste-t-on au retournement de l'excellence quantitative, qui loin de recouper le qualitatif se retourne au contraire au moment où il devrait en consacrer l'acmé?
Ce qu'on nomme le quantitatif ne recoupe pas le réel; l'excellence donnée finit par se retourner en médiocrité et par incarner la baisse de performance qualitative. La baisse qualitative surgit au moment où l'excellence quantitative est atteinte. Le quantitatif ne recoupe pas le qualitatif. L'excellence académique consiste de plus en plus à prévenir la destruction du donné. C'est la limite du quantitatif par rapport à l'excellence, qui ne peut être que qualitative - ou l'excellence quantitative renvoie à une baisse de performance illogique vers la médiocrité.
L'effondrement qualitatif s'accompagne de son déplacement dans la réduction et l'infériorité autant quantitative que qualitative. D'ordinaire, on considère que l'amélioration des performances quantitatives engendre l'amélioration d'ordre qualitatif. Un coureur de cent mètres est considéré comme d'autant plus performant qu'il court vite : le physique recouperait selon l'académisme le qualitatif, à tel point que l'on pourrait estimer détenir un critère fiable de mesure. Au contraire, le quantitatif excellent finit par correspondre à la médiocrité qualitative. Le critère n'est pas objectif au sens où il ne sert qu'à mesurer des paramètres physiques.
De même que le nihilisme se veut d'autant plus universel qu'il réduit son champ de théorisation au fini, de même le quantitatif ne recoupe pas la bonne unité de mesure et d'appréciation, mais renvoie à l'idée selon laquelle le donné est le réel. Derrière cette réduction, le phénomène inexplicable, selon lequel la courbe quantitative ne suit pas la progression qualitative, et arrive même à une inversion à partir d'un certain niveau d'excellence quantitative (l'excellence quantitative signant la médiocrité qualitative), n'est explicable que si le réel ne se résume pas au donné, autrement dit si le réel est hétérogène.
Dans un cadre quantitatif, l'excellence quantitative est toujours supérieure à ce qui lui est inférieure. Par exemple, le coureur de cent mètres le plus rapide est le meilleur. Si le quantitatif perd en excellence dans un cadre qui devient qualitatif, c'est que non seulement le qualitatif est supérieure au quantitatif, mais que l'ordre qualitatif est différent du quantitatif, et même que le quantitatif perd de son ordre en regard du qualitatif, quand il s'y trouve intégré. Pourquoi le quantitatif s'effondre-t-il en confrontation du qualitatif?
Parce que non seulement le quantitatif est intégré dans le qualitatif, mais parce que surtout le qualitatif est de structure hétérogène au quantitatif. Quand le quantitatif s'effondre, c'est parce qu'il entre en confrontation avec le qualitatif hétérogène. Le quantitatif exprime la valeur objective du donné, pas la valeur du réel. Le donné est soumis à la physique de l'entropie, ce qui implique que sa courbe d'excellence finisse par s'effondrer. Plus l'excellence est soumise à un niveau élevé d'exigence, plus elle s'effondre, alors que dans un schéma linéaire progressif, on serait en droit d'attendre que l'exigence élevée accouche de l'excellence,  non le phénomène inverse.
Si l'on observe la dissociation de l'excellence, du qualitatif et du quantitatif, c'est que le donné exprime la partie de réel qui entre en opposition avec le réel à partir du moment où elle entend en être l'exclusif représentant. Le donné exprime l'infériorité du modèle biaisé, qui aboutit à la destruction. Telle est l'explication aux résultats étranges et inattendus que l'on obtient dans l'expression de l'excellence, avec une excellence quantitative qui bientôt se révèle médiocre (d'où la réputation d'impéritie de l'oligarchie, alors qu'elle devrait incarner l'excellence).
Mais pourquoi le résultat de destruction qui découle de la médiocrité excellente, soit de l'oxymore caractérisant le critère d'évaluation quantitatif? Parce que le réel contient son facteur de pérennité le sens, principe de développement. L'accroissement du réel signifie le sens, soit le fait que le réel pour se pérenniser gagne en espace et en temps. Dans ce cadre, le sens que porte le réel soit se tourne vers le développement extérieur, soit se retourne contre lui-même. Le cercle, souvent invoqué comme figure du réel, se révèle faux et destructeur (ce qui en dit long sur le renouvellement que propose Nietzsche, avec sa sphère comme perfectionnement géométrique et sémantique du cercle). L'insécable crée les conditions de l'espace et du temps, ce qui indique que l'insécable préexiste à l'élaboration du domaine physique.
L'ordonnation passe par l'édiction de l'espace et du temps, deux catégories qui n'existent pas dans l'insécable et qui résulte de la résolution de la contradiction originelle. Le temps exprime la résolution de la contradiction : il est à la fois en tant que norme l'expression attitrée de l'ordre et en même temps il lui est postérieur. Raison pour laquelle on observe le curieux phénomène de dépérissement de l'excellence quantitative en médiocrité réelle sous l'effet du critère de qualitatif. C'est que l'ordre s'épanouit dans l'espace et le temps et que nous prenons le donné quantitatif pour le réel alors qu'il n'en est que la manifestation seconde et postérieure à l'originalité du qualitatif. Pour autant, le qualitatif ne renvoie pas à la complétude de l'Etre, mais à la contradiction, dont la résolution qualitative passe par l'ordre quantitatif.

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