mercredi 18 avril 2012

La sortie de la méontologie

De la méontologie (suite).

Aristote n'est pas pour rien l'élève de Platon. Platon est celui qui entend rien moins qu'achever l'ontologie, en particulier perfectionner les systèmes élaborés par Pythagore et Parménide. Mais Aristote n'est pas attiré par la perspective ontologique. Il remarque que Platon ne parvient pas à définir l'Etre et que s'il perfectionne le monisme de Parménide en inféodant l'autre à l'Etre, il demeure dans un système imparfait : s'il ne définit pas son fondement l'Etre, c'est que l'ontologie n'est pas une philosophie conséquente.
Aristote devient-il métaphysicien du fait de l'imperfection fondamentale de l'ontologie ou à cause de son inclination sociale et familiale envers l'oligarchie? Qu'est-ce qui a poussé Aristote vers la métaphysique? Son appartenance sociale ou son raisonnement? Je crois que c'est le théorique qui prime sur l'influence familiale, même si le raisonnement se fonde, non sur la créativité, mais sur le mimétisme. C'est ainsi que le Premier Moteur que développera Aristote pour expliquer de manière finaliste l'existence de l'univers n'explique rien, au sens où il rompt la chaîne causale sans résoudre la question de l'infini; et abolit la notion de créativité, au sens où Dieu est le Créateur. 
Chez Aristote, le mimétisme remplace dans le fonctionnement physique la possibilité de créativité. Dès lors, l'enseignement que suit Aristote ne peut que le mener à vouloir dépasser l'imparfaite ontologie de Platon par une tentative se situant dans le physique (ce que ses disciples baptiseront métaphysique). Mais là où Platon veut dépasser Parménide en perfectionnant son ontologie, ce à quoi il ne parviendra que relativement, Aristote veut sortir de l'ontologie car il estime que le système ontologique comporte une erreur interne et qu'on ne peut réformer de l'intérieur ce système sans reprendre l'erreur fondamentale de l'Etre.
Ce à quoi Aristote n'a pas fondamentalement tort, quand Marx confond le capitalisme avec le libéralisme, son erreur ne signifie pas qu'il ne faille pas dépasser le capitalisme, tant s'en faut; mais qu'il n'y parviendra pas en amalgamant et confondant libéralisme et capitalisme. Ce faisant, Marx qui entend achever le capitalisme par le communisme oublie qu'il ne peut figer l'infini de la pensée dans le terme qu'il forge : le communisme; et que l'erreur du libéralisme qu'il reprend  pour corriger le capitalisme ne peur que l'emmener à accroître son erreur fondamentale. Non seulement jamais théoriquement il ne parviendra à corriger le capitalisme, quel que soit la profondeur de nombre de ses analyses; mais pratiquement, toutes les tentatives d'appliquer aboutiront à des échecs retentissants.
La métaphysique d'Aristote connaîtra le même sort pratique, à ceci près qu'il s'agit d'une théorie philosophique qui prétend théoriser sur le réel dans son ensemble, non d'une idéologie qui se borne à analyser les comportements humains, par le prisme réducteur du social. Platon a été poussé à demeurer dans le giron de l'ontologie parce qu'il s'agit de la plus haute expression philosophique et que l'aristocrate et l'érudit qu'il est se trouve poussé à considérer que la philosophie est l'expression la plus aboutie du religieux, en particulier du monothéisme qu'il théorise à sa manière.
En particulier, Platon trouve dans l'ontologie la reconnaissance du plus haut problème qui se pose pour la pensée : l'infini. Seule l'ontologie se trouve à même de poser le problème de l'infini et c'est pourquoi il tente d'améliorer, voire de parachever la théorie telle que la laisse Parménide. Platon n'était pas insensible à la revendication des sophistes selon laquelle c'est l'homme qui engendre le raisonnement et qui se montre capable de penser. En particulier, la constitution de Thiouroi devient la matérialisation fascinante de cette conception par l'érudit Protagoras.
Platon n'a pas pris au sérieux le jeu théorique paradoxal de Gorgias, consistant à revendiquer l'irrationalisme au nom du fait que tout exercice de théorisation est vain. S'il s'est attaqué de manière aussi virulente (et assourdissante) à Démocrite d'Abdère, c'est qu'il estimait que le propre de la méontologie était de tendre vers l'effort de théorisation, alors que les sophistes refusent la théorisation, ainsi que le montre le concepteur de la constitution de Thiouroi qui déclarait dans une des rares sentences qui nous sont parvenus que « pour ce qui est des dieux, je ne peux savoir ni qu’ils sont ni qu’ils ne sont pas, ni quel est leur aspect. Beaucoup de choses empêchent de le savoir : d’abord l’absence d’indications à ce propos, ensuite la brièveté de la vie humaine ».
Platon estime que l'effort de théorisation n'est pas possible sans la prise en compte de l'infini. Le propre de la théorisation finie de nature méontologique consiste à couper le réel entre le fini qui serait le seul être et le non-être qui remplacerait l'infini et qui n'est pas défini. Platon ne s'inquiète pas trop de cet effort et ne perd pas son temps à répondre à Démocrite : selon lui, l'inconséquence de la méontologie parle plus que la tentative de la démentir et de perdre de la sorte son temps. La méontologie ne peut rivaliser avec l'ontologie.
C'est ici qu'intervient Aristote. Au moment où Platon pense avoir résolu le principal problème du monisme ontologique de Parménide, Aristote surgit pour contester la trouvaille la plus notable et impressionnante de Platon : ce dernier, au contraire de Parménide, parvient à concilier Etre et non-être en  identifiant le non-être à l'autre et en inféodant ainsi le non-être à l'Etre. Si Aristote est venu étudier chez Platon, ce n'est pas suite à un dessein préétabli de facture complotiste, tentant de mieux comprendre la doctrine platonicienne pour détruire l'ontologie; c'est parce que l'Académie était le centre le plus performant de son temps en Grèce et que l'enseignement de Platon était le plus innovateur et profond.
Sur ce point Aristote ne s'est pas trompé. Son éducation l'a certes influencé, mais il se peut aussi que l'enseignement qu'il reçoit et dans lequel il brille par certains points le laisse indécis. Aristote penche, son coeur balance. D'un côté il est séduit par l'ontologie, de l'autre sa manière d'aborder la connaissance de l'ontologie se réduit à du savoir : au point que Platon pour le railler le comparera à un brillant singe, un érudit.
Mais que seront plus tard les péripatéticiens, les sorbonnards, les scoliastes, sinon des perroquets savants, incapables d'inventer et se bornant à répéter l'héritage métaphysicien? Aristote aborde la critique de l'ontologie (et du platonisme) sans innover, mais en essayant de ne pas répéter purement. Le compromis entre ontologie et nihilisme qu'il intente n'est pas de la pure répétition au sens scoliaste; il s'agit de combiner des donnés préexistants et de ne rien inventer de fondamental.
Platon avait inventé l'autre. Aristote se targue-t-il d'avoir inventé la multiplicité du non-être qui lui permette de relier l'être au non-être et de rendre possible la théorisation de l'être multiple? Son point de vue part du principe (hérité de son éducation oligarchique) selon lequel seul ce qui est fini peut être approché et compris par l'intelligence : la raison est ce qui cerne. Comprendre, c'est faire le tour du problème envisagé. Fort de ce principe, Aristote valide la théorisation finie.
Pour ce faire, il faut envisager la possibilité de théorisation comme l'unification dans le domaine fini. D'un côté, cette perspective rend possible l'acquisition rapide de la connaissance réduite au savoir; quand chez Platon l'extrême abstraction de l'Etre dissout la théorisation dans l'évanescent et aboutit au paradoxe selon lequel le théorique se résout par son application pratique. De l'autre, il s'agit d'expliquer pourquoi la théorie finie peut exister (est viable) : parce qu'elle n'est pas à la fois seule et finie, ce qui poserait le problème de ce qui existe à côté du total fini; mais que le non-être existe et rend possible le fini en tant que total.
Mais quel est ce non-être? Bien qu'Aristote relie le non-être à l'être par le multiple, de sorte que l'exercice de théorisation devient possible, cette unité vole en éclat du fait de l'antagonisme entre l'être et le non-être. Mais aussi parce que le non-être ne se trouve pas davantage défini que l'Etre. Aristote entend rendre la définition finie seule viable - alors que la définition infinie relèverait de l'erreur te de l'illusion. Son non-être n'est pas plus défini que l'Etre, alors qu'il dénonçait cette lacune fondamentale. Le préfixe "non" est purement négatif, ce qui ne définit rien et donne au projet grandiose de sortie de l'ontologie une saveur d'imposture théorique.
Aristote a repris le nihilisme qui le précède et lui a apporté les corrections issues de l'enseignement de Platon. Qu'Aristote ait été un élève critique de Platon, rien à redire; mais qu'il ait utilisé son esprit critique pour produire une théorie qui prétend sortir de l'ontologie, alors qu'elle ne résout rien et qu'elle se borne à corriger les erreurs nihilistes qu'il reconnaît, montre que la sortie de l'ontologie par l'option finie n'est pas viable. Au contraire, loin de corriger les erreurs nihilistes, Aristote les réintroduit dans le sein de la philosophie reconnue et académique. C'est ce que l'on nommera après lui l'histoire de la philosophie.
Aristote n'a pas nommé sa démarche "métaphysique". Il s'agit d'un terme bigarré, biscornu, qui signifie que la théorie est possible dans le prolongement du physique et contre la particularité de l'ontologie, qui consiste à proposer l'englobement de l'être dans l'Etre - alors que la méthode aristotélicienne oppose l'être au non-être tout en les reliant l'un à l'autre et en accordant la précellence au non-être. Quand Aristote décide de relier l'être au non-être par le multiple, il n'a nullement résolu le problème de l'antagonisme viscéral propre au nihilisme : d'un côté, son être est relié au non-être; de l'autre, les deux sont opposés.
Dans ces conditions, la sortie de l'ontologie s'apparente à un projet dénué de viabilité théorique et qui s'appuie sur le pratique pour triompher. Aristote reprochait à l'ontologie platonicienne de proposer une théorie séduisante qu'elle se contentait de valider par la pratique peu codifiée du dialogue socratique (dialectique en son sens classique). Lui fait pire : son pragmatisme revendiqué repose sur la théorisation bancale et sur la pratique faussée. L'opposition de l'être et du non-être en lieu et place de l'être englobé dans l'Etre isole dans un premier temps un réel très concret, très immédiat; puis dans un second temps cette concrétude contradictoire finir par se déliter, exploser. C'est historiquement ce qui s'est produit avec l'histoire de la métaphysique, qui se fige bientôt, se sclérose et finit discréditée avec la scolastique.
A tel point que la physique expérimentale moderne cherchera de nouvelles bases à la méthode scientifique, sans pour autant réussir à élaborer de théorie philosophique qui succède de manière enfin viable à la métaphysique. L'immanentisme cherchera à s'imposer comme cette succession philosophique, mais l'examen de la théorie immanentiste révèle qu'elle ne représente pas de théorie du réel, seulement la théorie qui ne s'intéresse qu'au désir en tant que le désir serait l'expression de l'activité humaine - et que le restant du réel n'intéresse pas la possibilité de théorisation.
Si Aristote n'a pas cherché de son vivant à définir la spécificité de sa philosophie, c'est qu'il ne veut pas sortir du pragmatisme et qu'il sait que sa théorie du non-être multiple reliée à l'être multiple souffre de multiples contradictions, qui ont enterré le non-être plutôt que de le résoudre. Aristote entend sortir à la fois de l'ontologie et du nihilisme avec l'innovation métaphysique, mais cette sortie se révélera insatisfaisante, car elle repose sur le pragmatisme plutôt que sur la possibilité d'expliciter le substrat théorique. D'un côté, Aristote comprend qu'on ne peut avancer le pragmatisme sans le doter d'un arsenal théorique, et il s'attache à produire cet effort inexistant avant lui.
De l'autre, il ne parvient pas à fonder de théorie conséquente de type métaphysique, si bien que son projet de sortir de l'ontologie se heurte au reproche qu'il lui adresse, tout en empêchant la théorie qu'elle promeut : si l'ontologie propose une théorie continue qui ne définit pas l'Etre, au moins cette théorie déficiente permet-elle de proposer l'harmonie du monde, soit de rendre la théorie possible (défaut paradoxal selon lequel la théorie bancale accouchant du pragmatisme scabreux, fondé sur l'innovation par la dialectique, laisse apparaître la possibilité de théorisation et d'unité); alors que la métaphysique propose la théorie bancale et contradictoire, dont le principal inconvénient est d'utiliser la possibilité théorique de ne pas définir la majeure partie du réel, soit de décider que l'on peut théoriser dans l'irrationalisme et la confusion.
C'est ici que la métaphysique s'oppose à l'ontologie dans ce qui pourrait apparaître comme leur point commun et qui n'est qu'une similitude cachant l'opposition : ne pas définir le fondement théorique et déboucher sur le pragmatisme. Si l'ontologie permet l'unité et l'harmonie, la métaphysique rejette ces deux possibilités : pas d'unité dans l'opposition de l'être et du non-être, fussent-ils reliés par l'arbitraire indécidable (le multiple); pas d'harmonie dans la vision du réel, mais la figure rédhibitoire et nullement corrigée de l'antagonisme (être/non-être), qui empêche l'avènement de la théorisation.
La fin de l'ontologie est théorique; la fin de la métaphysique serait pragmatique. La théorie ontologique bancale cherche à rendre la théorie possible; tandis que la théorie métaphysique est bancale parce qu'elle empêche l'exercice de théorisation. La théorie implique la reconnaissance de l'infini, soit que le réel ne soit pas réductible à l'exercice de finitudisation. Le réel ne peut être connu d'un coup et d'emblée par la conscience, ce qui rend le rêve d'Aristote ridicule (et après lui des métaphysiciens qui reprendront ce type de rengaines, comme Hegel dans l'époque moderne) : achever la philosophie, parvenir à la fin des questions.
Ce qu'il importe de constater pour situer le niveau de cette théorie impossible, c'est que son argument auto-apologétique consiste à louer ses résultats pratiques, d'ordre physique et scientifique. Le métaphysicien cultive l'image avantageuse de l'érudit qui privilégierait les résultats à la théorie : l'intellectuel proche du réel, en quelque sorte. On ne se demande pas à quel prix s'obtient ce pragmatisme revendiqué. La méthode métaphysique ne consiste pas à trouver du réel, au sens où le chimiste aurait isolé la molécule qu'il recherche.
Elle tend plutôt à isoler, dans tous les sens du terme, soit à détruire : quand on isole, on crée les conditions de coupure qui empêchent l'unité de la théorisation. Le propre du réel est de réunir les conditions d'antagonisme dans l'isolement : l'objet isolé se situe en antagonisme contre l'environnement extérieur. Le réel unit pour poursuivre sa pérennité, ce qui implique que la théorie délivre la possibilité de connaître - au sens de rendre pérenne l'existence particulière. La théorie permet au particulier d'accroître sa pérennité en tendant vers l'universel.
L'isolement de nature métaphysique est de l'anti-théorique, qui joue sur la réduction de la théorie au fini : la revendication d'Aristote, c'est que le réel est fini, ce qui exprimerait l'option connexe selon laquelle le réel est le physique. Théoriser le physique serait l'objectif d'Aristote. Mais il ne peut y parvenir : toute théorie du physique revient à l'englober dans l'infini, ce qui implique que ce qui est fini soit englobé et que la structure du réel soit en englobement (plus exactement en enversion, avec une hétéronomie fondamentale qui rend l'englobement homogène simpliste et incompréhensible).
La méthode métaphysique dans la sphère du physique immédiat aboutit à des résultats scientifiques qui la poussent à dire : je n'ai pas de théorie véritable, mais mes résultats plaident pour ma démarche pragmatique, pour le caractère valable de ma méthode. Je parviens à définir le réel et je le prouve, non pas par la production théorique, mais par des résultats effectifs. Cette démarche se trouve invalidée historiquement avec la faillite scientifique de la métaphysique, qui commence par figer la possibilité de recherche scientifique, puis qui aboutit bientôt à son discrédit.
Ne survit que l'exigence de réalisme pragmatique : comme le parti opposé de l'ontologie ne parvient pas à produire de définition de l'Etre, les métaphysiciens conservent leur crédit en arguant qu'ils cherchent à produire de la théorie réaliste et efficace, alors que les ontologues se perdraient dans le brillant de l'abstraction. Ils produiraient de l'abstraction profonde dénuée d'application, tandis que les métaphysiciens parviendraient sans vraie théorisation à des applications pertinentes.
Cette présentation est fausse, car il convient d'ajouter que la méthode métaphysique consiste à séparer l'objet isolé, puis à le détruire, et que c'est le résultat qui ressort avec clarté de l'histoire de la métaphysique : non seulement les résultats deviennent inopérants en moins d'un demi millénaire, mais la métaphysique en tant que théorie est décédée avec Heidegger, qui est le dernier des métaphysiciens, avec son Dasein tentant non pas de renouer avec ce qui précède l'ontologie des Grecs antiques, mais avec ce qui précède la métaphysique et qui se tiendrait chez les nihilistes explicites. Heidegger essaye d'initier un retour aux sources impossible, qui est pourtant la seule possibilité de sauver la métaphysique. Sans quoi cette option convient d'être abandonnée et ne peut parvenir à sortir de l'ontologie.
Non seulement la métaphysique ne produit aucun résultat physique sur le terme, mais son substrat théorique est dès son départ absurde. Qui cherche à rappeler le fondement de la philosophie d'Aristote, selon lequel l'être multiple est relié au non-être multiple? La métaphysique se détruit parce que son substrat théorique est absurde. Le tableau de Raphaël selon lequel le mérite de Platon serait de s'intéresser aux abstractions, et son tort de délaisser la pratique; alors qu'Aristote aurait pour mérite de chercher à concilier la théorie et le pratique; ce tableau oublie d'énoncer le titre principal d'Aristote : il agit sur le terme. Il a sacrifié le pratique à l'exigence de fini. La théorie d'Aristote est soumise aux contingences des normes finies.
En voulant sortir du nihilisme comme de l'ontologie, Aristote a conservé de l'ontologie l'exigence de théorisation et du nihilisme le réel entendu comme fini. Si la métaphysique est infestée par le nihilisme alors qu'elle proclame en sortir, c'est qu'elle ne résout pas ce qui remplace l'Etre et qui ne se trouve pas défini : le non-être. Le restant ne peut être opérant parce que l'ontologie ne définit pas l'Etre, mais essaye de s'y attaquer (de définir l'infini); tandis que la démarche métaphysique reprend la stratégie d'obscurantisme et d'irrationalisme du nihilisme en décrétant qu'il existe dans le réel une part qui ne peut être ni définie ni connue, et qui de ce fait obéit au négatif.
Le négatif signifie l'incompréhensible et le contradictoire de la présence : ce qui n'a pas été résolu. Aristote innove par rapport au nihilisme en liant l'être au non-être, soit en ne craignant pas de violer le principe de non-contradiction qu'il ne cesse de vanter. C'est le signe que pour lui le principe de non-contradiction est valable dans le domaine de l'être, mais qu'il cesse avec le non-être. On comprend pourquoi la métaphysique finit de manière aussi désastreuse dans ses résultats scientifiques et théoriques : dès le départ, elle prétend se montrer d'autant plus rationnelle que sa rationalité affichée concerne seulement le domaine du fini.
Le non-être exprime le caractère incompréhensible et destructeur de la majeure partie du réel, ce qui rend du coup les efforts scientifiques et logiques dérisoires : quoi qu'il arrive, la tentative de comprendre le réel, de le connaître, est soumise à la destruction. La sortie de l'ontologie se fait sur un constat d'échec : Aristote n'a pas donné de nom à sa philosophie, ni aux particularités "théoriques" qu'il a forgées. Sa métaphysique est un système qui est différent du nihilisme, mais qui y retourne du fait de son ancrage dans l'antagonisme être/non-être et de sa reconnaissance du non-être.
La métaphysique n'est plus du nihilisme puisqu'elle mélange subtilement nihilisme et ontologie, rendant possible la théorisation du fini. Cette sortie du nihilisme aboutit au résultat le plus calamiteux : l'illusion selon laquelle on peut philosopher et connaître le réel tout en s'attachant à un domaine circonscrit (le fini) et en rejetant le restant comme antagoniste et incompréhensible (le non-être). Le résultat pratique de cette métaphysique bancale, c'est que la méthode aboutit à des résultats épistémologiques faux et catastrophiques, s'appuyant sur une théorie bancale et assez simpliste. C'est ce qu'à terme Heidegger expérimentera avec son Dasein entouré de néant et c'est la raison pour laquelle il se fourvoya politiquement dans le nazisme, puis après son échec retentissant dans le mutisme désespéré.