lundi 6 août 2012

La nature de Dieu

"Nature ou Dieu" ne signifie pas la même chose que : "Deus sive natura". Spinoza n'est pas seulement un philosophe libéral chassé par les juifs orthodoxes de sa communauté marane. Son maître-ouvrage (posthume), L'Éthique, signifie que que son hérésie cartésienne va plus loin que la rénovation métaphysique entreprise par Descartes, cherchant à rendre la métaphysique compatible avec la révolution scientifique expérimentale, sous couvert de rompre avec la scolastique et de trouver la démarche apportant la certitude. L'immanentisme est le vrai continuateur de la métaphysique et porte l'esprit du nihilisme bien plus que les métaphysiques modernes, dont le kantisme, puis la phénoménologie, constituent les derniers soubresauts. 
Heidegger est un phénoménologue qui tente de rompre avec l'héritage de son maître Husserl (qu'il a réellement tué?) et qui renoue avec la tradition présocratique, par haine du platonisme. La mission que Heidegger se fixe? Dépasser Aristote qu'il admire tant, pour résoudre les défis que Nietzsche a laissé intacts : Heidegger lance la réconciliation de l'ontologie et de la métaphysique, en décrétant que la véritable ontologie existait avant Socrate, ce qui est une manière de restaurer l'Age d'or de manière un brin complotiste (si l'on donne à ce terme son acception authentique, et non si l'on valide le brouet infâme de propagande consistant à nier les complots historiques).
L'immanentisme commence par lancer ce grave défi : "Dieu ou la nature" est la subversion de "la Nature ou Dieu". On joue ici sur le sens polysémique de la conjonction "ou". Le propre du nihilisme  consiste à subvertir les sens transcendantalistes proposés, étant entendu que le nihilisme n'a rien à proposer de viable et qu'il ne peut subsister, une fois une réponse apportée à son défi, que par la subversion. Aristote subvertit le vocabulaire platonicien. Spinoza subvertit l'ontologie en s'évertuant à faire coïncider la Nature et le divin.
Le ou n'est plus exclusif et alternatif, mais synonyme. Le divin devient anti-transcendant, soit immanent : ce n'est plus le divin dont on peut montrer que la forme diffère du sensible, c'est un divin identique à l'être fini. Spinoza va plus loin que le Premier Moteur d'Aristote, qui avait pour notable inconvénient de ne pas expliquer comment surgissait l'être parmi le non-être, soit de proposer une théorie bancale du réel. Spinoza remplace le Premier Moteur par la substance, qui serait incréée.
Et tant pis si on lui demande de définir l'incréé. Les spinozistes considèrent que le raisonnement immanentiste n'a pas besoin de définir l'infini immanent au-delà de cet habile subterfuge, qui est un terme négatif et qui ne fait que reculer le problème en l'enfouissant plus profondément. Dieu vu comme la Nature signifie que Dieu désignerait l'ensemble de la Nature, mais pas au-delà, pas en transcendant le plan de l'immanence (pour m'exprimer comme le postmoderne paranoïaque Deleuze). Loin de résoudre la question de Dieu, cette présentation instaure le déni. Elle justifie le postulat selon lequel l'important réside dans le désir.
Le déni réfute l'existence de ce qui est supérieur à la réduction reconnue et qui met en péril sa viabilité. Il prétend moins qu'une autre chose n'existe pas qu'aucune rivalité ne la contrecarre, en particulier quand cette dernière se montre supérieure. Le déni nie le danger, en particulier quand il est le supérieur. Quand on instaure l'immanence comme explication au réel, on ne résout pas le problème de l'infini. L'infini ne peut demeurer sur le même plan, sans quoi :
- l'on postule le non-être pour compléter l'être immanent;
- l'on postule l'immanentisme, sans résoudre l'infini autrement que par le dogme inexplicable de l'incréée, sorte de poubelle conceptuelle (pour reprendre le terme spinoziste par opposition à l'idée platonicienne).
Le transcendantalisme entend concilier l'homogénéité avec la différence : selon le vocabulaire ontologique, l'Etre serait transcendant à l'être tout en lui étant homogène, ce que l'identité de nom suggère. Problème de ce schéma qui se confronte à l'infini : il ne le définit pas, ce qui en fait un schéma supérieur à l'immanentisme comme expression modernisée du nihilisme, mais pas un schéma satisfaisant pour autant. Comme il avait laissé l'espace à la métaphysique, du temps de Platon, il encourage le surgissement de l'immanentisme comme révision, changeant plus que la métaphysique moderne impulsée par Descartes. Mieux vaut se confronter à l'infini que de le dénier : la confrontation engendre la reconnaissance de ce qui est supérieur et se traduit concrètement par la possibilité de définir le fini dans l'infini indéfini.
Cette possibilité rappelle que la reconnaissance de l'infini, même inadéquate, permet la définition du fini; tandis que son déni aboutit à la destruction du fini. D'où le fait que l'idéalisme parvient à un résultat pragmatique dépourvu de théorisation viable, tandis que l'immanentisme propose une forme théorique erronée revendiquant son efficacité immédiate. L'ontologie est moins périmée que la métaphysique sur le terme : alors que la métaphysique, malgré ses rénovations, est obsolète, Gödel pourra encore se prévaloir de Platon pour expliquer sa conception du réel au-delà de la sphère mathématique et l'application philosophique qui peut être opérée à partir du théorème d'incomplétude.

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