mardi 23 octobre 2012

Le rationalisme

Quand on explique que la raison peut comprendre le réel, on entend qu'il est formé comme la raison. C'est ce que Spinoza pose et c'est la réputation qu'on prête à Aristote. De quel réel parle-t-on? Aristote estime être parvenu à la fin de la connaissance suite à son invention de la métaphysique. Pourquoi? Dans le réel de standard fini, la connaissance est finie - destinée à atteindre son achèvement. Les commentateurs contemporains se gardent de mentionner que leur maître présente le réel scindé en deux formes antagonistes : l'être fini et le non-être (que l'on devrait plus définir comme l'inconnaissable que comme l'antidote à l'infini).
Aristote passe pour le grand rationaliste de l'Antiquité, au motif qu'il s'intéresserait en premier lieu au concret et s'opposerait aux velléités idéalistes de son maître-ennemi Platon. La raison chez Aristote est d'exigence particulière : donnée, elle épouse la forme du réel fini, fixée et figée une bonne fois pour toutes. Elle exprime le rationalisme fini, selon lequel la connaissance finie est possible. Le rationalisme fini s'oppose au rationalisme ontologique, qui reconnaît l'infini et nie le non-être (Platon en fait l'autre, inféodé à l'Etre, c'est sa principale innovation).
L'opposition de ces deux rationalismes recoupent l'ambiguïté que comporte la théorisation sur le réel. On retrouve l'ambivalence autour du terme réalisme, qui connote l'attention prêtée au réel et s'applique en particulier aux tenants de la métaphysique. Est-on authentiquement réaliste quand on vante le réel seulement fini? Est-on plus réaliste quand on se focalise sur le fini et l'immédiat - au risque de ne pas considérer que le plus réaliste est réputé tel dans la mesure où il se concentre (dans tous les sens du terme) sur la portion réduite et congrue du réel et qu'il crée de façon irrationaliste et insatisfaisante le non-être pour remplir à défaut d'expliquer l'espace vacant.
Il existe des formes irrationalistes qui nient la possibilité de connaître. Pour autant, si Spinoza valide cette possibilité, est-il rationaliste? Question connexe : l'homme a-t-il tout compris du réel - la raison étant donnée - ou la raison peut-elle comprendre suite à un cheminement ardu? Le rationalisme donné diffère du rationalisme infini. Spinoza de Platon. Spinoza se déclare immanentiste de la même façon qu'il considère que la raison peut tout connaître : évidement, Spinoza la joue plus fine qu'Aristote si l'on peut dire.
Aristote se discrédite en déclarant, même subrepticement, que le réel est fini; Spinoza se concentre sur la complétude du désir. Mais le résultat est identique : la raison peut connaître à fond le connaissable. L'immanence crée les conditions de la connaissance finie. Ce n'est pas un hasard si le rationaliste Spinoza démasque la nature de son rationalisme en l'adossant à une structure de connaissance et de réel finie. Mais il importe de rappeler que le rationalisme ne s'oppose pas à l'irrationalisme au sens où le rationaliste étudierait l'infini, quand l'irrationalisme se cantonnerait à l'infini.
Les penseurs de la Renaissance associaient la foi et la raison, comme Cues : ils considéraient que la raison menait à la foi et que la foi s'exprimait dans la raison. Leur réconciliation évacuait le rationalisme fini d'Aristote, et c'est contre cette tendance chrétienne que Spinoza cherche à promouvoir le rationalisme le plus fini, plus étriqué que celui de la métaphysique, par le truchement du désir complet. Quand Kierkegaard veut dépasser le rationalisme classique par son arationalisme, on peut se demander pourquoi il n'en revient pas à la réconciliation chrétienne foi et raison (outre le fait qu'il est protestant et que ce sont plutôt les chrétiens catholiques qui ont repris ces positions).
L'arationalisme tend à occulter que le rationalisme mène vers l'infini, tandis qu'il institue une catégorie médiane et indéfinissable pour ne pas retomber dans les errances de l'irrationalisme et les réductions du rationalisme fini. Ce qui motive tant le rationalisme fini que l'arationalisme contre le rationalisme classique prétendant réconcilier l'infini et la connaissance, c'est que rien n'explique ce qu'est la foi et en quoi elle échappe au mystère.
L'arationalisme surgit ainsi comme le moyen commode de préserver cet équilibre en le coiffant d'un terme qui est négatif et privatif, mais qui n'a pas de sens positif propre. C'est toujours le miracle qui se trouve derrière le schéma transcendantaliste, et c'est la raison pour laquelle Descartes proposera le miraculeux comme la définition du divin. Le point faible du transcendantalisme, pour la question du rationalisme comme pour la définition du réel, c'est qu'il ne parvient à expliquer par l'homogénéité, mais qu'il en reste à une pseudo-explication du type : même si la théorie est en partie contradictoire, la contradiction se trouve levée, parce que ça fonctionne à peu près.
Mais ça ne fonctionne que pour le périmètre monothéiste. Pour le domaine délimité au globe. Le transcendantalisme possédait un problème dès ses racines : il prolonge le réel comme s'il était homogène, ce qui fait que le réel inconnu et étranger demeure à la fois supérieure et identique. D'où la contradiction dans les termes et d'où les tentatives du nihilisme d'éradiquer cette erreur initiale. Par la suite, le monothéisme ne fera qu'amplifier l'erreur initiale en essayant de la rendre homogène et de faire coïncider l'être et l'Etre (en termes ontologiques). On arrive à une dénaturation de la doctrine de Platon par Simone Weil : l'être devient l'appendice inutile et inexplicable de l'Etre parfait.
Pour tenter de sauver l'absurde porche du miraculeux, une drôle de définition du rationalisme, Kierkegaard intervient notamment pour proposer l'arationalisme. Mais cet arationalisme est tout aussi inexplicable que le rationalisme monothéiste du fait de l'erreur transcendantalisme, qui s'est amplifiée avec le temps et du fait de son décalage croissant avec le réel. Il reste à corriger cet erreur parce que ce n'est pas le rationalisme qui est en cause. Il convient de dénoncer :
1) l'irrationalisme initial et franc, propre au nihilisme, et qui s'exprime entre autres chez Gorgias le sophiste ou chez son successeur contemporain Clément Rosset
2) le rationalisme initié par la métaphysique et repris par son hérésie gradatoire l'immanentisme, selon lequel le rationalisme est fini.
Pour couper court aux contre-arguments, aussi solides que négatifs, du nihilisme au sens large (et de toutes les formes qu'il inspire et dans lesquelles il tient une place de choix), il convient de réfuter l'homogénéité du schéma transcendantaliste tel qu'il s'exprime dans l'ontologie, notamment sous sa forme la plus convaincante, chez Platon. Le schéma néanthéiste permet de proposer l'hétérogénéité contre l'homogénéité, mais l'hétérogénéité avec lien, pas l'hétérogénéité antagoniste et irréconciliable. L'hétérogénéité liée aboutit à ce que le lien ne soit pas la réunification supérieure en transcendantale enter l'être et l'Etre, mais le lien en enversion entre l'être et le faire. Il n'y a pas d'Etre, mais un lien au même point qui fait que le réel passe de 0 à 1 et se trouve interconnecté - lié.

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