jeudi 24 janvier 2013

Misère du mystère

Une autre contradiction du complotisme tient dans l'équivalence :
complot = instabilité,
alors que le complotisme se targue de stabilité dans son analyse.
L'analyse complotiste est prise en flagrant délit de contradiction, puisque le propre du complotisme consiste à ne jamais dévoiler les responsables d'un complot, et, plus loin dans la grille de lecture, à expliquer in fine le déroulement du réel, du moins du monde de l'homme, de la société, de la culture, par le complot. C'est ainsi rédupliquer le mystère. Mystère particulier du complot. Mystère du complot généralisé.
Dans le 911, le complotiste ne va jamais mettre en lumière les dernières déclarations de Bob Graham, huile de la politique américaine, de tendance démocrate comme l'actuel Président, un des rouages essentiels du monde du renseignement américain, et un des acteurs centraux du renseignement à propos du 911. Cet individu dévoile, ainsi que le déclaraient LaRouche et Steinberg de l'EIR, que les commanditaires du 911 sont à chercher, non pas dans le mystère, celui du complexe militaro-industriel par exemple, mais dans la relation tortueuse et capitale de l'Empire britannique et de l'Arabie saoudite, nouée autour des Etats-Unis, premier Etat-nation mondial, et quand je dis autour, je pense à un étranglement menant à la mort.
Cette information essentielle, surtout si elle était creusée avec autant de perspicacité par certains chercheurs de vérité que les liens particuliers entre le 911 et telle compagnie de sécurité du WTC - ou les défaillances inexplicables de la sécurité aérienne américaine, autant civile que militaire, permettrait d'arrêter les vrais commanditaires, qui courent toujours, et sur le sol américain, voire de comprendre comment l'alliance de l'impérialisme et de l'oligarchie a permis que ce soient des alliés explicites des États-Unis qui intentent le complot, non des ennemis déclarés et surveillés - comme c'était le cas du réseau trouble et régionaliste d'al Quaeda.
Mais qui est cette al Quaeda, quand on se remémore les accusations documentées du sénateur Graham? Un réseau de jihadistes arabes censés aider les moudjahidins afghans à se battre contre les Soviétiques, puis une machine à recycler l'argent de la drogue dans le terrorisme, et le coeur des opérations troubles en la matières des services secrets saoudiens et pakistanais (alliés régionaux). On retrouve l'ombre tutélaire des Saoudiens, en particulier des services secrets dirigés d'une main de fer par le prince Turki de 1977 à ... septembre 2001.
2001, voyons voir, juste près le 911? Oui, c'est ça. Précisons que le grand accusé dans l'affaire du 911 est le prince Bandar, qui est l'actuel responsable des services secrets saoudiens, calqués sur les institutions américaines. Graham l'accuse d'avoir financé certains des pirates présumés du 911, avec sa femme, la princesse Haifa, soeur de ... Turki. Après 2005, notre fumeux prince Bandar quitte ses fonctions d'ambassadeur.
Qui le remplace? Turki, qui avait exercé les fonctions d'ambassadeur en Grande-Bretagne depuis 2003. Nous assistons au chassé-croisé entre Bandar et Turki, qui relèvent tous deux du clan des Sudeiris. Turki a été chef des services secrets saoudiens pendant quinze ans, un record. Sa jeunesse est anglophone, tout comme celle du prince Bandar - des élites saoudiennes. Dans cette anglophonie wahhabisée, il convient d'inclure les formations dans les universités d'élites américaines, comme Harvard, temple du renseignement et de l'esprit british sur le sol américain, et vivier des talents recrutés par la Côte est américaine pour servir de dirigeants à l'oligarchie anglophile américaine alliée à l'aristocratie dégénérée britannique, dont la Couronne est le symbole (et dont le principe Philip exprime la mentalité raciste et décroissante).
Aujourd'hui, Bandar se débattrait entre la vie et la mort, suite à une opérations terroriste menée officiellement par les services secrets syriens, en représailles de l'opération terroriste qui a décimé une partie du commandement général syrien. Tout se passe comme si cette opération, qui n'a pu être menée sans l'appui stratégique des services russes, voire chinois, qui sont opposés à la politique atlantisto-saoudienne en Syrie, avait permis d'éliminer le représentant principal des Saoudiens sur le sol américain, la figure qui symbolise l'alliance entre l'anglophilie et le wahhabisme. Mais qui est ce Turki, lui qui ne peut avoir ignoré de son poste de dirigeant des services secrets saoudiens les préparatifs du 911, quand on consulte la liste des agents saoudiens qui surveillaient et encadraient les pirates de l'air présumés (ce que confirme Graham)?
C'est un anglophile forcené, qui a effectué ses études en Angleterre, qui fut ambassadeur au Royaume-Uni, qui jouit d'une excellente réputation parmi les diplomates du Foreign Office et qui a pris la succession de Bandar aux Etats-Unis. Alors que Bandar, impliqué dans le 911, aurait péri, sans le secours de ses alliés américains, qui ne pouvaient pas le lâcher visiblement, mais qui ne seraient pas fâchés d'avoir perdu ce manipulateur ultraconservateur, le visage oligarchique des Saoudiens est en train d'apparaître en étudiant le profil de Turki, lui qui a survécu au terrorisme made in al Quaeda et aux événements du Printemps arabe.
Il ne s'agit pas d'incriminer Turki comme LE commanditaire des attentats du 911. Il est l'homme des secrets d'un clan et il n'a pu agir sur le sol américain qu'avec la complicité de factions anglophiles américaines, et surtout avec l'appui de certaines factions de l'Empire britannique, des initiés de la City de Londres, de son mode de fonctionnement de paradis fiscal central, des éléments qui considèrent que l'équilibre du monde n'est valable que s'il demeure inchangé et fixe, favorable à l'oligarchie britannique. C'est la raison pour laquelle les attentats du 911 ont été effectués : pas parce que des terroristes islamistes ont décidé de s'en prendre avec des canifs aux symboles de la puissance américaine, mais parce que des alliés des États-Unis ont décidé de détruire la puissance américaine pour perpétuer la puissance britannique.
Les Saoudiens sont des alliés séculaires de cet Empire - des nostalgiques de l'anglophilie snob et décalée. Ils sont d'autant plus en lien avec les clans américano-anglophiles des Bush&Co. ou de certains milieux de Wall Street (les banquiers de tweed) que ces gens représentent l'anglophilie historique des Etats-Unis et qu'ils détestent dans les États-Unis l'impulsion républicaine et l'indépendance vis-à-vis de cet Empire, qu'il existe politiquement ou qu'il ait mué depuis la décolonisation en force financière centrée autour de la City et de ses paradis fiscaux.
Quand on dévoile ce pan, officialisé par Graham, de l'Empire britannique alliés aux Saoudiens, on se rend compte qu'il est possible de désigner des responsables (au moins partiels) au complot du 911 - et que leur désignation tend à détruire le halo de mystère qui entourait le 911 et qui le rendait "événement surnaturel" (label déposé). Du coup, ce surévénement, démystifié et rationalisé, devient déceptif, à la limite de l'ennuyeux. Comme si le retour au réel, au physique, faisait perdre l'attrait complotiste au complot, la valeur ajoutée que le complotisme apporte au complot : plus que l'historicité et la physique, la faculté à transcender le naturel pour lui conférer des éléments de surnaturel.
Le complotisme attribue au complot une dimension surnaturelle et irrationnelle, qui a pour inconvénient de rendre morne le retour au complot historique. A côté des hypothèses les plus audacieuses, dont certaines incriminent rien de moins que l'existence enfouie et extraterrestre des reptiliens, race hybride entre l'homme et le serpent, qui sévirait depuis l'aube de l'humanité, le retour à l'hypothèse historique du complot trop humain fait pâle figure. Plus d'origine fabuleuse, plus de familles démoniaques et tentaculaires, plus d'identité à laquelle s'en prendre - d'autant plus qu'elle se révèle cachée. En lieu te place, la triste et implacable vérité : le complot résulte d'une alliance oligarchique entre des éléments ultraconservateurs saoudiens et britanniques, avec la complicité de cercles américains anglophiles (voire d'éléments alliés, piqués de sionisme radical).
L'autre attrait qu'apporte le complotisme est de biffer la contrainte et le désagrément qu'induit le travail par la magie du complotisme, auquel Internet a apporté un apport aussi illusoire qu'aveuglant. Quand on se meut dans cette interprétation surnaturelle, on réalise le miracle de ne plus avoir besoin de travailler : les hypothèses deviennent simples, monocausales, le travail fastidieux de l'historien pour débrouiller les fils du complot se trouve remplacé avec avantage par le recours à l'imaginaire du maléfique tout-puissant et toujours gagnant, à une hypothèse d'autant plus irréfutable qu'elle est sortie des lois de la physique, autant que de l'histoire.
L'avantage avec le surnaturel est qu'on peut tout y expliquer sans vérification, puisque ce ne sont plus les lois causales et rationnelles qui jouent les références, mais la production de l'imaginaire accommodant. Si ressurgit le désir tout-puissant et complet derrière l'imaginaire, ce dernier présente une image bien répugnante, puisque la représentation de maléfice toute-puissante, outre qu'elle légitime le mal au nom de la puissance, comme l'y appelait Nietzsche en fin de vie consciente, tend à proposer une vision de l'homme sombre, pour ne pas dire pessimiste. Sans doute est-ce la raison pour laquelle la pensée classique se défie autant du désir comme norme, telle que l'institue l'immanentisme :
1) c'est une pensée qui nie l'extériorité à la sphère de l'homme du réel;
2) c'est une pensée qui valide et légitime le mal en tant que nécessité dominatrice.
Du coup, la négation fondamentale de la caractéristique du réel, d'être extérieur à l'homme, interdit la revendication de stabilité du complotisme et l'enferme dans son monisme, l'idée selon laquelle on ne sort pas du désir, l'on y demeure rivé dans l'immanence, engoncé tel des mouches collées à leur ruban mortifère, le postulat selon lequel le réel est fixe, figé, immobile, statique, au sens où il déploie ses linéaments sur le même plan.
Le complotisme évoque le basculement de l'explication par le désir en crise. Tant que l'explication immanentiste ne sombre pas dans la crise, elle recourt à la stabilisation par son centre aveuglant, l'extériorité étant suffisamment en place pour permettre ce genre de décentrement interne - narcissique. Quand cette extériorité se délite, loin de consacrer le triomphe de l'immanentisme, elle le détruit plutôt : le désir sans l'extériorité dont elle se désintéresse, qu'elle baptise incréé ou non-être, ne peut subsister.
Sa stabilité provisoire et éphémère ne peut tenir sans l'appoint de ce qu'elle rejette comme superfétatoire. L'explication complotiste n'est valable que dans la vérification de l'extériorité. L'intériorité seule, exclusive, débarrassée de l'extériorité, peut se permettre de délirer dans la toute-puissance de son monisme limité dans le temps de l'instantané. Dès qu'on rétablit l'existence de l'extériorité, l'interprétation complotiste révèle son aspect délirant, qui dénote deux caractéristiques :
1) le mauvais état de la structure immanentiste, qui se désagrège en ne pouvant plus compter sur son extériorité;
2) le caractère contradictoire de l'interprétation complotiste se manifeste par son instabilité dénotant son manque de pérennité.
L'instabilité complotiste ne fait que rédupliquer l'instabilité inhérente aux complot. Les comploteurs sont des instables qui tentent le complot avec l'illusion d'instaurer la stabilité dans l'instabilité. De même, les anticomplotistes, les zélateurs de la thèse simpliste selon laquelle les complots n'existent pas, donc que la VO est la seule juste, en tant que l'officiel a forcément raison, sont les alliés médiatiques des comploteurs : s'ils ne se connaissent bien entendu pas tous, s'ils ne se sont pas davantage concertés à l'avance, ce qui induirait que le réel n'est pas mystérieux pour les initiés, encore une contradiction avec la théorie du mystère (mystère épais et insaisissable pour les profanes, mystère simple et simpliste pour les initiés), ils jouent la même partition, s'accordant non sur la conscience, mais sur le mimétisme : le plus fort a raison; le mystère est la conséquence du raisonnement mimétique.

jeudi 17 janvier 2013

Complotscepticisme

A force de lire des études approfondies sur les événements du 911, je constate qu'à les suivre, on ne sait toujours pas précisément qui serait l'auteur du 911. Pas une personne ou deux. Mais quel groupe, quelle faction. La plupart des auteurs se réfugient derrière le mystère le plus opaque ou usent de périphrases anonymes et indéfinies. Pour les uns, ce serait le complexe militaro-industriel, plus ou moins secondé par les sionistes; pour les autres, ce serait Israël in fine; certains lorgnent du côté de militaires haut gradés américains appartenant à des sectes nazies; il y en a même pour expliquer que les attentats relèveraient de la guerre psychologique, d'une opération d'hologrammes sophistiqués, menée cette fois par le coeur dirigeant de la NASA.
Le problème avec toutes ces interprétations, c'est qu'elles peuvent se montrer très fouillées et pointues dans des domaines particuliers, sans jamais proposer d'interprétation générale. En gros, tous ces commentateurs nous martèlent que la VO est fausse certainement, mais qu'il est impossible de proposer une alternative. On peut se demander comment on peut savoir que la VO est fausse sans alternative. Cette manière de procéder relève du complotisme dans ce qu'il comporte de plus répandu. Le complotisme rigoureux, tout expliquer par des complots, est assez peu revendiqué, car son aspect délirant est facile à exhiber.
Mais cette manière de décréter que le positif n'existe pas et que ce qui est visible est faux tout en refusant la possibilité de remplacer le faux par du vrai, le visible faux par du visible vrai (dans une optique purement sensible, voire matérialiste), évoque irrésistiblement ce à quoi mène le scepticisme quand on lui donne une application vérifiable. Dans sa théorie, le scepticisme peut sembler avisé et modeste, en refusant que l'Etre puisse être connu. Pratiquement, il débouche sur le complotisme, comme une forme incohérente qui s'en tient au mystère.
Le mystère est un nihilisme intenable qui explique que le négatif est supérieur au positif. La suspension du jugement n'est pas une forme de compromis sage et avisée, mais un nihilisme qui trouve bon de refuser la théorie fondamentale pour s'en tenir à des bribes de savoirs superficiels. Les complotistes sont prêts à déployer des trésors d'ingéniosité et d'érudition pour approfondir tel ou tel aspect du complot qu'ils dénoncent, à condition qu'aucun puzzle d'ensemble ne se forme. Le complotiste considère que la vérité ne peut être atteinte, comme le sceptique.
Il y a dans ce raisonnement une contradiction : si la vérité ne peut être atteinte, comment sait-on qu'elle existe? On objectera que la logique permettrait de connaître en théorie ce qu'on ne peut vérifier en pratique. Mais cette disjonction épistémologique, outre qu'elle pose le problème du lien, notamment entre le corps et l'esprit; d'une manière plus générale entre toutes les parties du réel, pas seulement de l'homme; n'est pas possible parce qu'on ne voit pas comment ce qui est connaissable ne pourrait être connu, autrement dit comment le théorique serait incapable d'accéder au pratique, surtout si le pratique est inférieur au théorique.
Ce n'est pas parce qu'on considère que le réel n'est pas homothétique, à la suite de Cues notamment, que l'on tient certaines de ses parties comme inconciliables avec d'autres. De surcroît, on voit mal également pourquoi le supérieur ne pourrait connaître l'inférieur. Pour maintenir le mystère indéfini, il faut pourtant concevoir que les parties qui forment le réel sont inconciliables entre elles, que le supérieur ne peut connaître l'inférieur, et que le réel soit compris comme un tout doté de complétude. Trois dimensions de préjugés, qui empêchent de saisir le réel dans sa structure si malaisée à concevoir, précisément parce qu'il est à la fois lié et non-homothétique, mais disjonctif, selon l'enversion.
Contre le scepticisme, qui considère que le réel est scindé, schizoïde peut-être, il reste à se confronter à un complot pour se rendre compte de deux évidences :
1) contre les tenants du complotisme, qui nient les complots et préfèrent leur substituer l'inexplicable hasard propre à la loi du plus fort (pourquoi perdre son temps à expliquer ce qui ne relève pas du plus fort, soit du désir?), il reste à rappeler que les complots existent, singulièrement quand ils épousent les contours de la loi du plus fort et qu'ils se déroulent dans les allées du pouvoir en voie de destruction;
2) quand la vérité sur un complot est réhabilitée, quand la VO mensongère est enfin reconnue comme fausse par son coeur même, ce pouvoir en déclin et vacillant, elle se révèle aussi simple que déceptive. La déception provient de ce qu'elle prend subitement un visage réel, sensible, humain, et qu'elle perd son halo de mystère, son aura d'évanescence. C'est ce qui s'est produit avec le témoignage précis et clair, au scalpel, de Bob Graham, sénateur démocrate, figure de la vie politique américaine, huile du renseignement américain (président de la Commission sur le renseignement au Sénat au moment du 911), et de ce fait autorité américaine consacrée en matière de 911 (membre de la Commission parlementaire 2004 sur le 911).
Bob Graham déclare que la VO du 911 est fausse sur les points capitaux : le vrai responsable n'est pas ben Laden; la complicité des Saoudiens au niveau officiel est consignée dans des documents qui ont été classés secret défense par Washington. Ces Saoudiens se trouvent associés au réseau financier entre l'Arabie saoudite et la City de Londres (Graham cite la connexion entre l'Al-Rajji Bank et la BCCI, une banque impliquée dans les guerres de l'opium et récemment lourdement condamnée pour blanchiment de drogue).
Le visage de l'opération 911 sur le sol américain se lève : les commanditaires sont ce complexe anglo-saoudien ou britanno-saoudien, avec des appuis logistiques sur le sol américain (il est possible en sus que des éléments extérieurs aient participé, comme certains agents israéliens cités par le quotidien israélien de gauche Ha'aretz). La logistique d'une opération aussi tortueuse a nécessité le recours à plusieurs agences d'Etats, avec cette précision que les États en question sont des alliés stratégiques des États-Unis, pas des ennemis (loin de la nébuleuse terroriste al Quaeda, officiellement cataloguée comme l'ennemi aussi invisible qu'antagoniste).
Quoi qu'il en soit, le passage de la nébuleuse complotiste et sceptique (un complot insaisissable) à la réalisation effective du complot ôte tout le mystère à l'opération et lui donne un aspect rationnel. Alors qu'il était surnaturel que 19 pirates appuyés par le Vieux de la Montagne et une logistique improbable aient pu réussir une opération sur le sol américain, notamment contre le Pentagone, en déjouant la sécurité civile et militaire poussée des États-Unis, la version que délivre le stratège de premier plan Graham, initié aux secrets du 911 de première main, devient limpide, claire, précise - soudain lumineuse, au point que l'on se demande comment l'on n'y avait pas pensé auparavant.
On pourrait la résumer comme suit : les Saoudiens qui ne sont pas vraiment un Etat et se trouvent sous la coupe des réseaux financiers anglo-saxons, ont commandité les attentats en compagnie d'éléments particulièrement conservateurs de la City de Londres et de Wall Street. La préparation du complot a nécessité la collaboration active d'un réseau encore actif de conjurés sur le sol américain. L'hydre loufoque et montagnarde al Quaeda/Oussama, au demeurant jamais accusés juridiquement, est la diversion idéale pour que l'opinion publique occidentale regarde ailleurs, oublie de rappeler les évidences et d'accuser les vrais suspects.
Parfois, certains accusations grossières et confusionnelles viennent réactiver les pires déviances extrémistes en nommant au mieux des participants mineurs de l'intégralité du complot. Ce serait le cas si l'on accusait au final les Israéliens d'avoir fait le coup - ou les néo-conservateurs derrière la première administration W. Avec cette rationalisation du complot 911, qui reconnaît autant le complot qu'il dénonce le complotisme, on voit se dégager la pensée complotiste comme la pensée qui nie les complots sous couvert d'anticomplotisme :
1) La complotisme refuse que l'homme puisse tout contrôler de manière visible, alors qu'il le pourrait de manière cachée et secrète. Cette folie contradictoire se trouve renforcée par l'aspect à jamais indéfinissable, telle la différance derridienne, de ce pouvoir secret, d'autant plus tout-puissant qu'il est caché et indéfinissable. Le secret indéfini est le plus sûr moyen de perpétuer l'inconnaissable et l'arbitraire comme manière de penser. Autrement dit, le mystère s'adosse à la possibilité de ne rien dire de fondamental et de procéder par allusions, ellipses, comme si seule la surface importait et comme si le fondamental était inaccessible. D'où l'idée selon laquelle le plus important constitue aussi le plus illusoire - ou que le réel véritable serait le réel le plus insaisissable.
2) L'anticomplotisme ne tient pas la route d'un point de vue rationnel (pas davantage que le complotisme dont il est le reflet dénégateur). Il est incohérent. S'il triomphe sur le court terme, c'est parce qu'il exprime la loi du plus fort, le point de vue des oligarques, des puissants, des dominateurs. La plupart des gens établissent leurs opinions en fonction du rapport de forces, de manière mimétique, selon la loi du plus fort. Ils sont sous la coupe et le contrôle de la loi du plus fort, dont le propre est de n'être pas l'expression de personnes, mais de mécanismes et de passions, non pas de conscience, mais de mimétisme.
On le vérifie dans la spéculation, qui est l'apanage de cercles oligarchiques dans la mesure où ils recourent à des machineries puissantes pour opérer leurs complexes opérations de calcul. De même, quand des enquêtes sérieuses et poussées sont effectuées pour déterminer qui sont les responsables et les commanditaires d'un complot, qu'il soit d'Etat ou privé, on en arrive à la conclusion surprenante selon laquelle ceux qui se trouvent accusés sont incapables d'expliquer pourquoi ils ont agi de la sorte : ils se sentent dépassés par un acte qu'ils n'ont pu concourir à commettre que sous l'effet du mimétisme. Moralité : le mimétisme dépasse l'idée de responsabilité, qu'elle soit individuelle ou collective.

mardi 15 janvier 2013

2013, année prolifique

La crise que nous traversons signifie que l'homme va repartir. Que restera-t-il de la France et de l'Europe dans cette transformation aussi innovante que violente? Sur le long terme, ce changement majeur n'est pas seulement la fin du libéralisme, ni celle de la modernité, pas davantage celle, plus ample, du monothéisme. C'est celle, inconnue, de la fin du transcendantalisme. On comprend les soubresauts d'un tel changement. Le centre du libéralisme, l'Occident britannisé et atlantisé, connaît des perturbations majeures, parce qu'il incarne la terminaison de tout ce processus long, complexe, labyrinthique, dont les terminaisons s'apparentent à des miasmes rances et fétides. L'homme repartira, vers l'espace, mais entre temps, il risque de se produire bien des souffrances, bien des fins de cycle, bien des disparitions. Que des formes inférieures disparaissent pour laisser place à des formes supérieures, comme le christianisme supplanta l'Empire romain polythéiste, c'est une donnée positive, qui amène l'optimisme; que ce changement puisse déboucher sur des transitions chaotiques et violentes, des guerres et des destructions, cible directement l'Occident en pleines décadence et désagrégation. Vous voyez les hordes de barbares qui sont déployées en Libye, Syrie, Mali - et les pays autour? Le chaos au Soudan, pays multimillénaire? C'est ce qui reste d'arriver ici, tel un boomerang aimanté, si l'on continue à semer le chaos pour éviter de suivre le changement. Les cercles oligarchiques de l'Empire britannique veulent empêcher le changement, sous les injonctions de décroissance, parce qu'ils veulent conserver le processus de la mondialisation sous la coupe de leur NOM étriqué et intenable, étouffant. Ce n'est pas en ralentissant le processus de changement qu'on le renversera! Les parties qui s'opposent au changement disparaîtront, et non le changement qu'elles entendent éradiquer. Que 2013 lance les prémisses de ce changement, quelles qu'en soient les conséquences. Ceux qui en France proclament avec déni que tout va très bien madame la marquise, et que la crise est derrière nous, reprennent les slogans de ceux qui hier, expliquaient avec emphase et conviction que la crise des années 1920-1930 est derrière nous et que le pire est passé. Si la France disparaît, ce sera comme disparaissent les cultures quand elles se trouvent en voie de déclin : incapables d'échapper à leur sort funeste, elles se secouent de miasmes en dérobades, ponctuées parfois de sursauts erratiques et désordonnés. Machiavel a analysé ce phénomène du déclin politique et culturel dans son Discours sur la première décade de Tite-Live. Machiavel le diplomate florentin favorable aux cercles républicains de Florence vivait les derniers soubresauts de la République oligarchique de Venise, capitale de l'usure avant la modernité et avant que l'Empire britannique ne reprenne peu à peu le flambeau - depuis la City de Londres. Nous, nous vivons l'agonie du système monétariste dernier avatar de l'Empire britannique (officiellement décolonisé). Et si nous ne réagissons pas, l'Esprit de la Raison cher à Hegel partira s'implanter dans d'autres contrées pour progresser et s'intensifier. Ce ne sera pas en Chine ou en Afrique, mais dans l'espace. Et ce n'est pas vraiment l'Esprit de la Raison cher à un autocrate patenté, métaphysicien éperdu prenant Napoléon l'oligarque narcissique et mégalomane pour l'incarnation de la Raison, comme l'on prend des vessies pour des lanternes. En tant qu'Européens et que Français, notre combat à court terme tourne autour de la question : comment conserver l'héritage de l'Occident? Sinon, eh bien, nos idées et nos progrès profiteront à l'homme, désormais qu'il est universel et qu'il s'apprête à s'envoler vers l'espace. De mon point de vue, c'est tant mieux.

vendredi 11 janvier 2013

Le bienfaisant

Comment peut-on rendre bien le mal? L'homme a tendance à chercher le bien, y compris dans le mal : par exemple, à trouver bonne la richesse criminelle. S'il trouvait crapuleuse la richesse criminelle, il la rejetterait aussitôt. Si Nietzsche passe tant de temps à définir son artiste créateur, c'est qu'il estime avoir conféré une définition claire et non hétéronome au plus fort. L'autonome est-il indépendant? Nietzsche se montre fidèle à l'étymologie d'autonomie, en proposant d'adjoindre la précision : "de ses propres valeurs". Que serait l'autonomie? Pour Aristote, qui se montre oligarque au sens classique de son milieu et de son temps, c'est la domination dans un milieu fini qui définit l'autonomie.
Descartes rénovera la métaphysique en lambeaux (scolastiques), en proposant que ce soit le cogito rationnel entouré de miraculeux (entre Dieu et le non-être) qui domine. Dans le fond, entre Descartes et Aristote, c'est toujours l'intelligence qui domine, avec cette précision chez Descartes que l'intelligence humaine se trouve déconnectée de l'intelligence miraculeuse divine; quand pour Aristote, on en restait prudemment à un schéma purement humain, une fois entendu que le Premier Moteur, loin de désigner une certaine représentation du divin, relevait d'un prétexte artificiel et inexplicable - pour expliquer l'origine de l'être fini et multiple.
Chez Aristote, Dieu ne s'est pas retiré du monde, mais le divin est un gadget saugrenu, qui laisse la place belle à la domination humaine. Dans les deux cas, l'autonomie repose sur l'antagonisme entre ce qui est fini et ce qui en l'est pas, antagonisme reposant sur l'opposition du positif au négatif (Aristote nuancera en liant par la multiplicité l'être et le non-être). Spinoza va se concentrer sur l'autonomie, en prenant conscience que le projet métaphysique tend à relier le sujet à l'être - que l'autonomie n'existe pas vraiment, mais s'inscrit dans un projet collectif. Chez Aristote, l'oligarchie porte dans ses germes l'idée de groupe élitiste; même chez Descartes, le projet de rénovation métaphysique s'ancre dans une mentalité chrétienne, qui a besoin de l'épanouissement de la société.
Spinoza provient de l'immigration marane, marginalisés peu nombreux, au sein d'une société en plein délitement, et promouvant des hérésie protestantes. Culturellement, Spinoza favorise l'individualisme dans l'individualité et que son expression qui se concentre sur la complétude du désir s'explique par cette quête impulsée par l'entourage. Les positions de Spinoza le poussent à quitter violemment sa communauté et à vivre dans la solitude, même s'il bénéficie d'appuis et s'il connaît du monde dans les milieux commerciaux éclairés et intellectuels agnostiques.
Le projet d'autonomie de Spinoza part d'une rupture : ce n'est plus la domination par l'intelligence, qu'illustrent Aristote ou Descartes, mais le désir mâtiné d'intelligence, ce qui rend l'autonomie hétéronome et suffit à ruiner le projet dès son lancement. La rupture s'explique parce que Spinoza se rend compte que l'intelligence ne suffit pas à fonder l'autonomie, tout comme elle est impuissante à tout maîtriser, tout connaître, tout comprendre. Du coup, il se demande comment faire pour trouver un élément qui soit autonome. Et il tombe sur le désir. Problème : en isolant le désir, qu'il proclame complet, Spinoza se rend compte qu'il n'a pas résolu le problème de la domination.
S'il faut que des désirs dominent, le désir en tant que tel ne peut être autonome. Et Spinoza parvient à cette définition en proposant que la liberté relève de l'accroissement de la puissance, ce qui renvoie au projet de domination. L'autonomie chère à Spinoza, qu'il proclame sous le terme de complétude, indique son échec : elle a besoin pour se préciser de l'adjonction de l'intelligence, dont la caractéristique inavouable est de rétablir l'hétéronomie. C'est la raison pour laquelle Nietzsche intervient : trouver la bonne autonomie, en s'inscrivant dans les pas de l'immanentisme, en parfaisant le projet d'hérésie philosophique, qui part de Spinoza, mais demeure incomplet.
Nietzsche entendait certes finir la philosophie, comme Aristote, mais dans une intention plus précise : non pas autour du fini trop vaste, circonscrit au vaste réel, non avec la problématique de Spinoza, tenant à se concentrer sur le désir en se débarrassant du problème classique de l'infini par l'incréé, mais avec l'idée de réconcilier rien de moins l'idéalisme et la métaphysique pour clore l'immanentisme. Nietzsche n'a pas conscience de ses mouvements, mais sa haine farouche de Platon, ainsi que son adoration des sophistes, des sceptiques et de Spinoza (dont il reprend les thèmes), s'explique par le besoin de les surmonter tous en les dépassant tous.
L'échec de Nietzsche est retentissant et est biffé par le traitement intellectuellement malhonnête que les commentateurs font de la folie de Nietzsche. Si Nietzsche s'est effondré, c'est parce que son projet de mutation impossible n'est pas possible, tout comme il conviendrait d'abolir le principe de non-contradiction pour réussir l'exploit de muter sans muter, de changer de réel tout en restant dans le réel tel qu'il est. Ce n'est pas un hasard si Nietzsche réhabilite les principes rattachés au mal, tandis qu'il dénigre le bien, sous prétexte qu'il proviendrait de l'idéalisme et du monothéisme, en particulier chrétien.
Qu'est-ce que le mal? C'est dans l'immanentisme tout ce qui établit la césure entre la partie et le tout. Si Spinoza ne place pas l'accent sur ce thème, c'est parce qu'il escompte encore trouver un système d'immanence centré sur l'exclusivité du désir; tandis que Nietzsche se rend compte que ce système d'autosuffisance ou de complétude ne fonctionne pas et se délite. L'immanentisme aurait besoin pour perdurer de changer les coordonnées fondamentales du réel afin de réussir sa focalisation sur le désir complet.
Pour que le désir soit complet, pour que l'immanentisme soit viable, il faudrait que le réel change fondamentalement te réussisse une mue que Nietzsche identifie comme la mutation impossible. Il ne s'agit pas de muer de manière transcendantale, mais de muer de telle manière que la mure accouche du réel immanentiste possible, suffisant et pérenne. Raison pour laquelle Nietzsche voudrait muer sans muer : il s'agirait de retrouver à la fois ce qui est tout en changeant ce qui ne va pas. Conserver l'élitisme de la domination, tout en abolissant ce qui va à l'encontre de l'élitisme et qui mène vers l'égalitarisme, dont le marxisme et les idéologies socialistes constituent à l'époque le gros mot.
Nietzsche décide de vanter le mal parce que le mal constitue la possibilité de permettre la mutation. La cruauté dont se réclame Nieztsche permet la domination. Si le mal seul était retenu dans le réel tel qu'il est, ce serait le réel auquel Nietzsche aspire, car il rendrait possibles la domination - et les conditions de pérennité de l'oligarchie intellectuelle qu'il appelle ardemment de ses voeux. Nietzsche favorable à l'immanentisme reproche plus que l'absence d'élitisme, voire l'égalitarisme aux idéalismes, populaciers ou sophistiqués, chrétiens ou platoniciens.
Les immanentistes ont en commun de chercher à aller plus loin que la métaphysique pour résoudre l'absence de définition du camp transcendantaliste. Quand Nietzsche reproche au monothéisme chrétien en particulier son idéalisme, dont le platonisme ne serait que la forme intellectuelle et raffinée, c'est parce qu'il identifie plus que le problème ontologique ou platonicien, mais un courant de pensée religieux, qu'il réduit trop encore au seul christianisme, mais qui comporte déjà une ampleur.
Le reproche de fond contre l'idéalisme, c'est de ne pas définir le réel et de recourir à des idoles illusoires pour faire mine de la définir. Quand Nietzsche estime que l'idéalisme illusoire produit des productions intellectuelles qui équivalent à rien, des fonds faux alors que le réel équivaudrait à la seule superficie, il rétablit insidieusement le rien et estime peut-être que le réel peut changer en prenant une place de modification et de correction qui est rendue possible par cette coexistence intrigante et impossible à théoriser de l'être et du non-être.
Le mal devient pour Nietzsche le moyen de légitimer sa mutation et de lui donner une consistance : il est à la fois ce qui est rejeté par l'histoire majoritaire, celle que Nietzsche nomme l'idéalisme, et fait partie du réel tel qu'il est. Il est le symbole idéal (sans vilain jeu de mots) entre le réel tel qu'il est et le réel tel qu'il devrait être. Il deviendrait la possibilité de passer de ce monde vers l'idéal, tout en assurant la permanence du réel dans l'idéal - une tête de pont, un passage, une transition constante, qui prouverait que cette mutation sans mutation peut réussir.
Le problème est qu'à moins d'abolir le principe de non-contradiction, l'on ne voit pas comment cette possibilité est envisageable - et l'on comprend pourquoi Nietzsche a sombré dans la mania. Par contre, on comprend que dans la logique immanentiste, le réel se place au même niveau. Isoler une partie un domaine, et décréter que c'est le seul domaine de complétude est ainsi possible. Ce qui rend l'immanentisme pratiquement invalidé, c'est le résultat auquel il parvient : le domaine en question s'autodétruit!
Le mal constituerait la tentative de constituer un domaine particulier et de refuser que ce domaine évolue. En tant que refus de l'évolution, le mal peut désigner le fini. Le fini qui refuse l'évolution, c'est justement qui pourrait définir l'immanence. Si le transcendantalisme a recours à l'infini et tente d'expliquer le changement par la structure transcendantale du réel, c'est parce qu'il faut expliquer le changement : si l'explication par l'Etre débouche sur l'indéfinition, elle permet au moins de proposer un début d'explication, même insatisfaisant, au phénomène de persistance du donné fini.
Le mal désignerait ainsi ce qui s'oppose au changement. Platon n'a pas trop de mal à expliquer le non-être ou le mal. Il peine par contre à définir le Bien et l'Etre. Pourtant, il en fait des équivalents, ce qui impliquerait que le mal soit l'équivalent du non-être. Pourtant, le non-être chez Platon se trouve intégré dans son explication, contrairement à Parménide : c'est donc qu'il y a disjonction et rupture entre le schéma de l'être et celui de l'être. Le mal est en disjonction avec le Bien. Le principe du mal est sensible.
Nietzsche répète inlassablement que seul le sensible est le réel. Le mal serait selon lui la vraie règle du réel, ce qui explique son apologie de la cruauté comme marque de distinction aristocratique et d'élection. De ce point de vue, rendre bien le mal s'explique tout à fait par le fait que le mal est le réel. Si le bien est l'idéal illusoire, la restauration du seul bien réel exige la réhabilitation paradoxale du mal. Le mal permet de passer du monde tel qu'il est au monde tel qu'il devrait être, étant entendu que cet idéal paradoxal entend à la fois expurger le réel tel qu'il est et demeurer le réel tel qu'il est.
Afin de parachever l'immanentisme, Nietzsche n'a rien trouvé de mieux que d'essayer de fonder un idéal immanent, sans se rendre compte que son projet d'idéal immanent est oxymorique. L'immanence s'oppose à l'idéal et l'idéal ne peut se concilier avec l'immanence, sauf à ruiner le principe de non-contradiction. Pour l'immanence, tout est donné ici et maintenant, et peu importe ce que cache l'incréé ou ce qu'il révèle, puisqu'il suffit de se concentrer sur l'essentiel exclusif, l'existence de son désir. L'immanentisme décrète que le réel est l'ici et maintenant - que le reste n'est rien, même s'il est quelque chose.
L'école la plus métaphysique, celle de Bergson au vingtième siècle, considère que le rien ne peut exister, que forcément il faut qu'une chose se substitue à une autre. Mais cette profession de foi reste indémontrable. Or, dans un monde gouverné par la nécessité et faisant du possible une illusion rétroactive, il n'est pas possible d'en inférer à un Être dont le caractère arationnel permettrait d'expliquer que seul quelque chose existe. Bergson se place implicitement dans l'orbite de de Descartes, selon lequel Dieu intervient miraculeusement pour changer le cours nécessaire du physique.
Selon cette métaphysique rénovée, nullement en rupture avec la scolastique, dégénérescence de l'aristotélisme et des péripatéticiens, l'on accroît encore le caractère du non-être, en ne le reconnaissant plus explicitement, comme c'est le cas de la métaphysique à partir d'Aristote, mais en l'enfouissant, tel un déchet radioactif, sous l'enveloppe du non-dit et du déni. Bergson affirme miraculeusement que le rien ne peut exister? C'est sa profession de foi, mais elle n'est nullement originale. Elle ne fait que reprendre la rengaine depuis les cartésiens, rengaine encore mise à l'honneur par les immanentistes depuis Spinoza.
Le défaut dans la cuirasse de cet appareillage conceptuel, c'est l'absence de définition  : l'incréé n'est pas défini chez les immanentistes; l'être nécessaire de toutes choses pas davantage, à l'image de Bergson. Dans ce tabou généralisé du non-être, l'intervention de Nietzsche est mal comprise. Lui-même est persuadé de se tenir dans la vérité de sa philosophie, si tant est qu'il reconnaisse encore la vérité classique. Le mal lui permet ainsi de passer d'un réel sensible inchangeable vers un réel reformaté et recomposé, comme s'il était possible d'expurger le réel de ses caractéristiques jugées mauvaises et de n'en conserver que les bonnes caractéristiques.
Nietzsche espère instaurer son opération de mutation dans le réel même, ce qui ruinerait l'illusion d'idéalisme classique et ferait de cet idéalisme immanent et oxymorique un idéal instauré et installé dans le réel tel qu'il est. Cohabiteraient ainsi les hommes ordinaires, en proie aux passions ordinaires, avec les individus ayant réussi à atteindre le surhumain. Ce que l'on nomme hâtivement les surhommes ne sont pas des superhommes, même sans vilaine intention fasciste, mais des hommes qui ont réussi à atteindre le projet de désir complet cher à Spinoza.
Nietzsche prend bien soin de désigner cet état par un adjectif, le surhumain, histoire de montrer que la mutation s'opère dans ce réel, mutation impossible, anti-mutation en un sens paradoxal, où ce sont ceux qui atteignent l'état de surhumain qui trouvent le Graal de l'immanentiste, ce désir complet qui vaut plus que la transmutation de n'importe quel plomb en or mirifique. Nietzsche cherche vraiment une unité de valeurs qui lui permettent d'opérer cette mutation à l'intérieur du réel tel qu'il est, mutation anti-idéaliste et impossible, au sens où elle brise les règles de la non-contradiction, telle qu'Aristote les a édictées de manière éternelle pour l'historien de la philosophie.
Et il trouve un passage possible dans le mal, qui isolé pourrait servir son projet de surhumain et se teindrait du côté du sentiment. Par ailleurs, il permet de muter à l'intérieur du réel, ce qui satisfait l'exigence cardinale de Nietzsche. Seul problème : Nietzsche n'a pas révolutionné le réel, ni l'histoire de la philosophie, en particulier de l'immanentisme. Au moment où il toucherait au but, où il appelle de ses voeux la transmutation des valeurs, où il définit de plus en plus précisément le nihilisme, Nietzsche se trouble et s'effondre.
Mais, avant de proférer des absurdités, comment ne relie-t-on pas les déclarations emportées et amphigouriques avec sa confusion dans le nihilisme, entre nihilisme divin, celui qu'il escompte fonder via l'immanentisme tardif et dégénéré qu'il promeut pour clôturer l'immanentisme, et nihilisme réactif? Cette hallucination duplicatoire entre le bon et le mal est remarquable où elle dédouble le même entre le bon et le mal. Elle se révèle de ce fait impossible, car le mal sorti de son environnement reviendrait à considérer que le fini peut perdurer sans autodestruction.

samedi 5 janvier 2013

La force mineure

Dans La Force majeure, Rosset note que l'on peut éprouver la "satisfaction totale au sein de l’infini même". Il lui oppose l'espoir en général, notamment celui, politique, d'escompter changer la vie. L'ouvrage est écrit au début du premier septennat "socialiste" du président Mitterrand. L'espoir de cette nomination se trouvera vite démenti par une politique de plus en plus indexée aux canons de l'ultralibéralisme cher à Friedmann - appliqué en Grande-Bretagne par Thatcher, aux Etats-Unis par Reagan et Bush Sr. - tous socialistes et progressistes notoires.
Rosset se réclame d'une citation du fabuliste La Fontaine, un moraliste immoraliste, puisqu'il mêle le moralisme propre au dix-septième siècle, qui diffère du moralisme exacerbé propre au sentiment moral, à la pensée libertine dans son sens propre (dont le libertinage constitue l'acception usuelle la plus réductrice, voire dégradée) : "Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste". Le nihilisme est la forme souterraine qui parcourt l'histoire de la pensée de manière négative et qui ne peut s'affirmer pour cette raison précise, à l'exception des périodes de crise religieuse, comme celle concernant le passage du polythéisme au monothéisme.
L'influence la plus courante du nihilisme n'est pas l'expression explicite, dévoyée quand elle est affirmée de but en blanc, mais l'influence indirecte, suivant l'art du compromis, ainsi qu'il advient avec la philosophie d'Aristote, qui prétend fonder ce que ses disciples appelleront après lui la métaphysique, art du compromis entre l'ontologie et le nihilisme. Aristote prétend que le réel est fini, ce qui constitue une influence manifeste de l'enseignement nihiliste, mais en même temps que l'être est théorisable, ce qui ressortit de l'ontologie, en particulier de la mouture la plus élaborée fournie par son maître Platon (dont il suivit l'enseignement avec trop d'attention pour qu'il ne calomnie pas quand il prétend que pour Platon, le non-être est le faux).
Rosset est plus qu'un de ces philosophes qui singent, se faisant appeler philosophes alors qu'ils constituent des historiens de la philosophie, experts, spécialistes ou érudits. Ils représentent le spécimen de l'immanentisme de période terminale, mieux que les postmodernes, des contemporains qui déforment trop l'immanentisme en gauchisme pour prétendre à la profondeur et faire de l'immanentisme ce qu'il représente depuis le départ : l'apologie de l'oligarchie et de la puissance. Spinoza, quand il définit la liberté comme puissance, montre ce qui est en cause politiquement derrière son système éthique.
S'il propose l'éthique comme substitut à la morale, c'est parce qu'il entend promouvoir le retour à la loi du plus fort, qu'il nomme puissance et qui d'un point de vue théorique prend la forme chez lui de la complétude du désir (le tout) environné de qui indiffère et qui ne présente aucune influence (l'incréé). L'incréé est la formulation immanentiste du non-être tel qu'il se trouve codifié dans la métaphysique, à ceci près que le champ d'intérêt de l'être s'est réduit du fini vers le désir. L'incréé propose un suffixe négatif qui revient à dire que ce qui ne relève pas du désir est ce qui n'est pas - créé. 
Aussi bien le créé se trouve-t-il dépourvu de signification autre que l'être puisque la création en renvoie à rien d'autre qu'à la complétude du donné. Créer reviendrait en somme à dominer, en aucun cas à inventer. Le nouveau n'a pas de sens dans une conception où c'est le donné qui prime. L'infini tel que Rosset s'en réclame pourrait donner à croire que les immanentistes reconnaissent l'infini et lui confèrent un sens original, tout comme ils proposeraient un sens original à la liberté. C'est exactement l'inverse qui se révèle à l'aune de la définition de La Fontaine.
C'est que "la satisfaction au sein de l'infini" implique que l'on se focalise sur le tout et que l'on se désintéresse de ce qui au final compte pour rien. Le reste qui est rien désigne l'incréé, le tout le désir. au sein de cet infini entendu comme incréé, il est un moyen découvert par Spinoza de vivre de manière pleine et satisfaisante : c'est de rejeter comme inutile tout ce qui n'est pas du désir, tout ce qui ne recoupe la sphère réduite au périmètre humain du désir.
Quel est ce tout dont se réclame La Fontaine et qui permet à Rosset de prétendre vivre dans l'infini? C'est un tout bizarre, un tout qui ne totalise pas, un tout qui serait totalitaire au sens où il dénote l'arbitraire. C'est un tout qui réussit l'exploit de n'être pas tout et de coexister avec rien. La doctrine dont se prévaut La Fontaine est celle des libertins, qui croisent l'hédonisme, le matérialisme, l'atomisme, voire la métaphysique. Dans tous les cas, nos libertins intellectuels n'ont pas progressé dans la cohérence depuis les difficultés insurmontables rencontrés par Démocrite d'Abdère pour trouver un système cohérent dans un cadre nihiliste.
Le tout coexiste avec rien, ce qui relève du contradictoire, sauf que l'on notera que rien ne se place pas sur le même plan que le tout, du point de vue de l'usage pronominal (pas de pronom/pronom défini) en particulier. C'est que rien renvoie à de l'indéfinissable plus encore que de l'indéfini, tandis que le tout est connoté comme la seule partie qui soit définie et donc définissable. La nuance est d'importance et se comprendrait très bien - si elle n'était incohérente. Car ce tout n'est pas le tout : c'est le connu; et rien n'est pas rien, mais l'inconnu.
Avec une incompréhension de surcroît : tout ce rapport de forces est stable. La stabilité est sans raison. On ne voir guère pourquoi le donné est donné (ni d'ailleurs par qui). La satisfaction au sein de cet infini bien particulier supposerait l'acceptation de l'incohérence qu'il comporte, l'infini oscillant entre l'addition du connu stable et de l'inconnu stable. Maintenant que nous avons identifié quel est cet infini et quelle distorsion en réalité il suppose, l'infini selon Rosset se définirait comme ce qui n'est pas connaissable et de ce fait relève de l'inintéressant.
Le moyen de vivre avec l'infini consiste à se réfugier dans le fini, comme si l'on avançait que pour endurer l'inconnaissable, il convient de se focaliser sur le seul connaissable. Mais cette conception ne serait valide que si elle s'appuyait sur une représentation justifiée du réel. Or l'évidence témoigne du contraire. Je veux dire : le réel n'est pas stable. Si le réel n'est pas stable, si le connaissable selon Rosset diffère du connaissable selon Nietzsche et Spinoza, pour s'en tenir à l'histoire moderne de l'immanentisme, que l'on pourrait étendre à l'histoire des origines de la métaphysique, avec Aristote, la stabilité invoquée équivaut au dérisoire cliché pris à un moment donné et qui se révèle d'autant plus décalé et hors sujet qu'il est ancien.
Le réel stable ne veut pas dire grand chose S'y réfugier reviendrait à provoquer contre soi l'autodestruction après avoir engendré la destruction de ce qui vous est rattaché. Pas par superstition ou pensée magique, mais parce que ce qui n'avance pas se sclérose te empêche ce qui lui est relié de progresser. Du coup, la destruction est le moyen de permettre la poursuite du changement. Le nihilisme est ce qui refuse le changement. Rosset qui se définit comme conservateur, voire réactionnaire (bien qu'il conteste ce point non sans raison), n'est pas proche que d'un point de vue idéologique avec l'ultraconservateur Schopenhauer.
Si Rosset a étudié avec tant de soin la pensée de Schopenhauer, au point de l'exhumer à l'époque du postmodernisme, où l'on mettait en valeur le nietzschéisme de gauche pour rester en accord avec la domination idéologique du marxisme, c'est parce que Schopenhauer définit le refus du changement : derrière le défilé des mouches qui bourdonnent, c'est toujours la même mouche qui viendrait importuner  l'individu importuné par cette activité aussi inutile que buttée. Le refus du changement cache l'apologie de la  stabilité. Schopenhauer était un partisan de l'absurde qui tenait l'existence pour épineuse et qui se montrait misanthrope convaincu.
Sa philosophie n'est pas un hasard, mais résulte de ce que Rosset considère comme la piste intéressante pour concilier l'héritage de Spinoza avec le réalisme. Partant du principe que Nietzsche a échoué dans son projet pour le moins fumeux de mutation impossible du réel, consistant qui plus est à changer sans changer, Rosset cherche un réaliste qui permette d'appliquer l'héritage spinoziste sans en changer la ligne immanentiste, centrée autour du désir (le tout). Du coup, il se tourne vers Schopenhauer, qui a le mérite de proposer une grille de lecture applicable, donc lucide.
Rosset apprécie Nietzsche, mais il lui reproche d'avoir échoué dans son projet de rénovation. Si Spinoza n'a pas réussi à fonder la viabilité de l'immanentisme, c'est parce qu'il s'est a cru dans la possibilité de généraliser l'expérience du désir complet. Mais Schopenhauer propose l'élitisme comme seul remède à la puissance. Sortir de ce monde, de manière tarabiscotée, mène à la folie. Il ne reste que l'élitisme, les postmodernes ayant montré une autre voie vers l'inapplicable, l'alliance entre le gauchisme et Nietzsche.
Le point faible de l'immanentisme tel que le propose Rosset, cette alliance bizarre entre Spinoza et Schopenhauer, matinée de Nietzsche, réside dans la destruction qu'il génère, qu'il autorise et qu'il excuse. L'immanentisme se comporte de manière contradictoire, comme si pour pallier à son caractère impraticable, il surenchérissait dans l'impraticable. Rosset se moque de ce qui adviendra pour la suite, tant à l'homme qu'à l'immanentisme. Il lui importe seulement que ce mouvement lui sied dans son existence, coincée entre le vingtième et le vingt-et-unième siècle.
Le reste est pourtant significatif : voilà un mouvement qui arrivé en bout de course démontre qu'il n'est pas capable de chercher sa propre permanence. Pis, il assume la destruction qu'il génère, sans se soucier que cette destruction immédiatement palpable s'accompagne rapidement d'autodestruction. L'immanentisme terminal montre ce qu'est l'immanentisme depuis son départ : en tant qu'hérésie de la métaphysique cartésienne, il est condamné à une disparition rapide, voisine de celle de la métaphysique.  Mais comme l'immanentisme constitue un mouvement plus virulent, ses figures terminales sont moins marquantes.
La génération des postmodernes génère la multiplicité de ses représentants, parce que chacun pris individuellement, surtout au vu de leur individualisme confinant avec le narcissisme, n'a pas la valeur de s'affirmer comme une voix singulière et majeure. Alors que la stature de Heidegger clôture l'histoire de la métaphysique, plus encore que de la métaphysique cartésienne, les immanentistes se sont éparpillés et sont incapable de faire preuve de la moindre inventivité. Ce n'est pas que la créativité soit le propre des métaphysiciens, puisque la métaphysique depuis son fondement aristotélicien a aboli la créativité, mais elle laisse une latitude supérieure à l'immanentisme, quant à l'espace de l'être.
Pour le métaphysicien, l'on peut associer des éléments donnés dans l'être, ce qui laisse une part importante au travail théorique et qui explique pourquoi Heidegger peut encore espérer créer tant de siècles après Aristote, et alors qu'Aristote revendiquait avoir achevé le projet philosophique. Mais les immanentistes vont encore plus loin dans l'absence de créativité, puisque le caractère confiné du désir fait que la théorie est moins étendue que dans le cadre métaphysique. Du coup, l'accent est encore plus portée sur l'érudition que sur la création.
Rosset ne crée plus. Il se contente de savoir beaucoup et d'associer les philosophes aux écrivains, voire aux artistes, en particulier les musiciens, en revendiquant sa culture personnelle et sa capacité à penser en collant. Les thèses de Rosset sont évocatrices de sa grande culture personnelle, pas de sa créativité. Mais c'est normal dans l'optique d'un immanentiste, pour qui la créativité n'a pas de raison d'exister. Rosset corrige à la limite les erreurs de ses prédécesseurs dans l'immanentisme et se targue d'avoir réussi à forger des propositions cohérentes pour l'immanentisme, contrairement à ses contemporains Deleuze, Derrida, voire Foucault.
L'erreur tragique est de croire que l'immanentisme fonctionne à partir du moment où sa cohérence interne serait assurée. Pour Rosset, d'une certaine manière, Spinoza+Schopenhauer+Nietzsche = l'immanentisme abouti et achevé. Rosset en croit pas si bien dire : l'immanentisme est achevé. Pas dans le sens qu'il entend d'achèvement ultime et supérieur, harmonieux; mais dans celui d'achèvement par disparition et autodestruction. Et c'est ici que la cohérence interne montre ses limites, si tant est que la partie puisse sans démesure se targuer de la complétude.
De même que Deleuze jugeait que la valeur d'un pensée se mesure à l'aune de sa cohérence interne, ce qui indique la grille de lecture déficiente qui mouvait les historiens de la philosophie au vingtième siècle, de même Rosset estime que l'immanentisme sera achevé quand sa cohérence interne sera assurée. Et son extériorité? Le prix de cet oubli est rédhibitoire pour le thuriféraire immanentiste. Il consiste à disparaître, après avoir réussi à forger le mythe de l'unité interne.
Cette erreur de Rosset, son ancêtre véritable Gorgias l'avait déjà commise. Gorgias entendait théoriser de manière provocatrice et désinvolte le mouvement sophiste, derrière les disparités entre ses membres et l'absence d'unité, voire son refus. Gorgias aboutit à proposer une anti-théorie qui, loin de clore quoi que ce soit, sombre dans les inanités de la définition déficiente du non-être. De ce point de vue Protagoras, autre figure de proue des sophistes, s'était montré plus conséquent en refusant toute tentative de théorisation et en se bornant à résumer son approche méthodologique par deux points ramassés, voire lapidaires.
Gorgias serait le véritable inspirateur de Rosset. Rosset est érudit comme Gorgias. Comme Gorgias, il refuse de distinguer entre le summum du savoir et la connaissance créatrice, comme si la création constituait le couronnement du savoir. Rosset biaise par rapport à Gorgias sur la question de l'infini et du non-être : Gorgias définit les non-étants en lieu et place de l'infini; Rosset évacue le sujet, fidèle à la tradition instituée par Spinoza qui parle d'incréé. Le problème relève du domaine philosophique.
Au final, le déni ne restaure pas la qualité philosophique, qui consiste, non pas à instaurer la cohérence interne, mais à proposer une définition du réel. Rosset est celui qui est allé au bout du déni pour ne pas avoir à définir le réel. Son imposture philosophique sur ce point de dévoile puisqu'il ne définit pas le réel alors qu'il utilise ce terme comme fondement. Il argue que tous les philosophes majeurs font de même. C'est faux.
Car les philosophes avant lui qui se réclament de fondements non définis, ainsi de l'Etre de Platon, proposent dans le même temps un renouvellement dans l'application pratique qui implique des éclaircissements théoriques secondaires, même importants. Si Platon n'a pas bouleversé la terminologie ni la théorie ontologiques, il en est le promoteur antique le plus importants, car il définit le non-être comme l'autre, résolvant ainsi le problème du faux et dire la reconnaissance de ce qui n'est pas.
Par ailleurs, Platon propose une définition pratique de l'Etre avec la méthode dialectique, qu'il impute à Socrate en grande partie. Mais qui est Socrate? Le personnage génial et théâtral de Platon? Les caricatures des propagandistes Aristophane et Xénophon? Peut-être Platon déforme-t-il Socrate pour lui donner son propre rôle? Rosset a déformé l'histoire de la philosophie, pour faire de Parménide un curieux maître, en reconnaissant que sa lecture pour le moins hétérodoxe irait contre l'avis de Nietzsche lui-même!
Nietzsche n'avait pas osé se réclamer de Parménide et de la lignée ontologique menant jusqu'à Platon. Rosset expliquerait que c'est Platon qui a falsifié l'héritage de Parménide et que Parménide reconnaîtrait que l'être est l'être et que le non-être est le non-être. Ce qui importe à Rosset, c'est de relire l'histoire de la philosophie à l'aune de la formule de La Fontaine : cette formule contradictoire, dont nous venons de mesurer le danger, ne peut comporter de réelle influence. La Fontaine est un petit moraliste du dix-septième siècle, trop engoncé dans son libertinage pour se soucier de la valeur théorique de son héritage.
C'est précisément ce que recherche Rosset : non la cohérence, mais la domination dans l'instantané et l'éphémère. Il est parvenu à son but, mais pour lui seul : normalien, agrégé de philosophie, docteur en philosophie, notre philosophe représentatif de l'immanentisme terminal a réussi à dominer, mais a échoué dans sa tentative de fonder un immanentisme pérenne, qui dure sur le temps. L'immanentisme ne peut s'installer dans le temps. L'échec de Rosset était prévisible. Quand il se lamente récemment, dans une émission de radio (Surpris par la nuit d'Alain Veinstein), qu'il serait un philosophe mineur, il ne se rend pas compte que son apport philosophique ne pouvait être majeur du fait du courant dans lequel il s'inscrit et des objectifs qu'il se fixe.
Objectifs : dominer intellectuellement dans son temps. Contradiction : se plaindre que l'on ne durera pas. Mais la longévité d'un philosophe se mesure à l'aune des nouvelles idées qu'il apporte, pas de l'érudition dont il fait preuve. Les nouvelles idées impliquent que l'on ne cherche pas à parfaire un système de l'intérieur, ce qui dénoté une mentalité d'érudit, mais à agrandir physiquement (à approfondir qualitativement) la compréhension du réel. Rosset chercherait plutôt à empêcher tout changement, qu'il définit comme de l'espoir, et à s'installer dans l'alternative selon laquelle le principe de la domination garantit lui aussi l'infini.
Mieux : il définirait précisément cet infini qui se dérobe à l'ontologie et que seul l'immanentisme aurait permis, enfin, d'apprécier. Ce que l'immanentisme apporte : non la définition de l'infini, qui serait la définition du réel, mais la définition de la complétude, qui décrète que l'infini est inutile et incertain, pour parodier le mot de Pascal concernant Descartes. La définition de l'infini consiste non pas à éclaircir, mais à détruire. Raison pour laquelle la longévité de cette pensée est éphémère, et gagne en friabilité à mesure qu'elle progresse dans son processus : l'infini est le rien, l'important est le tout.