samedi 23 février 2013

La fascination de l'uniforme

Le sens n'est pas uniforme, formé en prolongement, il est hétérogène et disjonctif, passant de la contradiction à sa résolution, l'être. D'où l'illusion étymologique, consistant à chercher dans le passé un sens originel nimbé de pureté - fantasme poursuivi par Heidegger avec son alliance pompeuse et désespérée (nihiliste) de la poésie et de l'ontologie présocratique : il s'agit de chercher le sens perdu du côté de l'introuvable.
En même temps, l'étymologie peut servir à débusquer l'évolution du sens pour retrouver le sens originel par rapport à son contexte. La tradition ne constitue jamais une référence absolue, parce que son recours signifierait autrement qu'il convient de se montrer traditionaliste, tel un Guénon, soit de considérer que le réel est un donné et qu'a existé un temps de référence, auquel il convient de revenir pour que les affaires  fonctionnent.
Mais si le réel n'est pas donné, si tout présent possède des dimensions de nouveauté et de différence par rapport au passé, la tradition ne peut qu'être une référence pour inventer l'action présente, voire prévenir les actions futures. L'avènement de nouveauté signale que l'hypothèse de l'uniformité n'est pas possible ou rend inexplicable l'Etre, qui prolonge l'être tout en échappant à l'effort définitoire. Toute tentative, comme Heidegger, visant à suggérer, même de manière subtile et érudite, qu'il existerait un temps dont il faudrait s'inspirer pour retrouver la vérité est bornée, au sens où elle postule que le donné existe. Dans la théorie heideggerrienne, l'Etre est Dasein - et il se trouve entouré de Néant.
Il était prévisible que Heidegger s'embarque dans ce mythe du paradis perdu, comme s'il existait une vallée bucolique et inconnue dans laquelle l'homme avait trouvé comment vivre, en toute quiétude. Il est d'autant plus prévisible qu'une époque condamnée, sentant sa fin advenir, se retourne vers le passé et cherche à extraire un Âge d'or, de telle sorte qu'elle puisse repartir. Mais cet instant inexistant ne pourrait être repris, y compris de manière adaptée : les conditions impliqueraient que la vérité soit un moment stable et atteignable, qui, même s'il n'a pas encore été atteint, puisse l'être, surtout s'il a été frôlé, et qu'il devienne subsumé, aux fins d'être repris et perfectionné.
Le perfectionnement est un progrès particulier, qui possède sa propre fin, son parachèvement, sa perfection. Tout perfectionnement est fini et accessible. C'est dans ce schéma que Heidegger se situe, à ceci près que Heidegger est plus sombre que ses devanciers métaphysiciens : les autres estimaient encore possible que la métaphysique parachève le monde par la production théorique, tandis que l'hérésie immanentiste signale par la gradation l'échec du programme cartésien (et sa suite). Heidegger prend acte de cet échec impressionnant et se trouve réduit pour trouver encore une solution à faire confiance à la violence.
Son schéma du Dasein nimbé de Néant est profondément violent. Il implique que l'Etre devient à tout moment Dasein par sa rencontre violente avec le Néant : la violence définit l'Etre du Dasein. L'inscription de l'Etre dans le temps se fait par sa rencontre avec la violence, qui est aussi inexplicable que décisive. Raison pour laquelle Heidegger adhéra un temps à l'idéologie nazie et refusa par la suite de se dédire de cette erreur inquiétante de jeunesse : non qu'il soit nazi, mais que sa métaphysique, qu'il nomme avec amalgame ontologie, dans le sens très particulier de retour à l'ontologie présocratique, d'obédience héraclitéenne, entre en correspondance superficielle et momentanée avec l'idéologie nazie.
L'ancrage de Heidegger dans la violence et la réaction historique est bien plus profonde que les contours d'une simple idéologie. Si l'engagement nazi fut bref, c'est que Heidegger estima que le nazisme ne pouvait incarner durablement, sur le terrain politique, son engagement philosophique. C'est dire que l'engagement de Heidegger est plus profond que l'idéologique, voire le politique. Il est philosophique, au sens où il cherche à dépasser les étants pour cerner l'Etre. L'idéologique s'en tient aux étants. Heidegger entend débusquer le territoire de l'Etre. Le nazisme revendique la violence politique comme moyen hallucinatoire de construire la grande politique, détournant au passage la référence à Nietzsche.
Si Heidegger se réclame tout aussi bien de Nietzsche, sans le comprendre, c'est parce que tous deux pensent en philosophes et essayent de trouver une alternative viable à la faillite conjointe de l'immanentisme et de la métaphysique. Nietzsche essayera de réhabiliter l'immanentisme, faisant de la violence le terrain et le terreau de sa folie. Heidegger, qui a étudié de près Nietzsche sans pour autant se situer dans ses pas, est un métaphysicien, qui reprend plutôt l'héritage de Hegel et qui pense un temps que la violence fondamentale qu'il perçoit dans le déroulement du Dasein peut trouver une incarnation politique dans le nazisme.
Quand les commentateurs transis de Heidegger, tout comme avec Nietzsche, claironnent que leur référence philosophique n'est pas le nazisme et n'a rien à voir avec le nazisme, ils ont beau jeu de montrer que les terrains revendiqués ne se situent pas au même plan, et que la philosophie vise un endroit plus profond et fondamental que la politique (l'idéologie contemporaine). Effectivement, Heidegger n'a jamais été nazi, pas davantage que Nietzsche ne se situe sur un plan politique. En réalité, ce sont deux philosophes. Heidegger paria un moment sur le nazisme, comme pouvant incarner le prolongement idéologique momentané de la philosophie.
Il avait à coeur de ne pas en rester à une attitude apolitique ou philosophique, qui laisse le champ pratique libre pour le pragmatisme. Heidegger avait perçu le danger nihiliste, que Nietzsche sent poindre, et l'avait identifié dans le libéralisme. Heidegger est désespéré après la Seconde guerre mondiale, une fois que l'échec des fascismes est patent : c'est le boulevard pour le libéralisme, qui d'un point de vue politique porte en lui le nihilisme. Heidegger a cru que le nazisme pouvait réaliser sur le plan politique les aspirations philosophiques de son Dasein, de même qu'il a cru que le Dasein pouvait résoudre les problèmes jusqu'alors rencontrés par la philosophie - et que tous auparavant ont échoué à résoudre.
Nietzsche lui aussi a échoué. Heidegger prend fort au sérieux la démarche et le défi de Nietzsche, tout comme sa folie finale. Il essaye de lui donner une inflexion philosophique en proposant le Dasein, qui est la clôture de la démarche métaphysique, et qui clôture effectivement l'histoire de la métaphysique par son projet de violence définissant l'Etre. Le temps est la réponse pour que l'Etre soit défini par la violence. Heidegger est prisonnier du prisme métaphysique, selon lequel, si l'Etre est fini, il doit être clôturé. Le Dasein est la tentative ultime de clôturer l'Etre. Après, Heidegger voit venir le nihilisme, dont le libéralisme est le visage idéologique, et dont il avait espéré contrecarrer l'avènement avec le nazisme.
Si Heidegger fut critique du nazisme, sa position très théorique (pseudo-ontologie + poésie) montre qu'il n'a pas changé dans son engagement, qu'il reste le partisan de cette vision métaphysique de la violence définissant l'Etre. Le nazisme ne devait servir qu'à révéler cet état théorique sous-jacent et plus profond. Heidegger a échoué à trouver une incarnation politique à sa philosophie. Il craint que cette incarnation ne soit possible dans l'immédiat et qu'en lieu et place, ce soit le nihilisme entrevu par Nietzsche qui triomphe. Heidegger ne pouvait expliquer sa vision philosophique de la violence définissant le Dasein, car au sortir de la guerre, elle se serait révélée plus monstrueuse que le nazisme, surtout pour quelques philosophes comme Jaspers.
Tout comme Nietzsche, Heidegger accorde une place première et originelle à la violence. La violence n'est politique que parce qu'elle est philosophique, ontologique, théorique. Heidegger est un partisan philosophique de la violence, qui exprime un phénomène plus profond que le point de vue seulement politique, tel que les idéologies peuvent les porter, en faisant de la politique la réduction philosophique dans le champ des étants (à l'image du nazisme ou du libéralisme). Il entend aller au-delà du politique et a voulu se servir du nazisme pour imposer son point de vue philosophique. Il espérait que l'ontologie présocratique à laquelle il aspirait, qui devait déboucher sur le Dasein, soit portée, non par la conversion générale, mais par celle des élus, de la petite minorité que Nietzsche appelait déjà de ses voeux depuis sa jeunesse et à laquelle il donna le vocable d'artistes créateurs.
Heidegger se place dans le paradigme nihiliste, qui regroupe autant la métaphysique que l'hérésie immanentiste depuis le cartésianisme : l'antagonisme entre l'être fini et le non-être n'est plus seulement relié depuis Aristote par le multiple. L'Etre embrasse l'ensemble des étants, au sens où il est possible de théoriser les étants sous la bannière de l'Etre. L'Etre constitue l'erreur d'optique rationnelle dans le système antagoniste. Alors que dans le transcendantalisme, l'Etre repose sur une dimension inexplicable, dans le nihilisme, l'explication de l'être est limpide : c'est la revendication du nihilisme que de proposer des résolutions scientifiques, qui attestent de sa bonne connaissance de l'être.
Le problème est : est-ce qu'isoler du fini revient à connaître l'être, surtout dans son intégralité? Le nihilisme décrète que ce qui importe, c'est de tenir un morceau de réel identifiable. Mais il ne peut expliquer le non-être, dont il a décrété depuis le départ qu'il était l'élément inconnaissable, ce qui rend suspect cet être connaissable délimité avec arbitraire. Du coup, il adhère à la revendication selon laquelle il faut rechercher dans le passé et la tradition l'Age d'Or qui permettra de poser enfin la bonne forme de réel fini. Si jusqu'à lui, les hommes ont échoué malgré de multiples tentatives, dont l'histoire de la métaphysique, à trouver cette "bonne forme", c'est parce que ladite forme n'est pas seulement politique, elle est plus complexe et profonde - à la fois finie et unifiée.
Heidegger pense que l'idéologique peut mener vers le philosophique, mais qu'il en constitue l'expression tronquée. Le politique exprime l'action, la surface du réel, dont le propre est la méditation et qui ne peut se résumer au politique. L'idéologie est l'erreur qui estime que l'on peut s'en tenir au politique et qui réduit le politique à sa pure apparition sociale. Heidegger a adhéré un temps au nazisme, parce qu'il a cru que l'idéologie nazie pouvait mener peu à peu à la réalisation de son programme philosophique, que les populations bientôt se rendraient compte que l'idéologie est insuffisante et qu'elle nécessite d'être complétée par l'apport philosophique.
Heidegger se veut d'autant plus réaliste qu'il n'entend nullement étendre l'engouement philosophique à la majorité de la population, mais qu'il le réserve à la minorité des éclairés, seuls capables de saisir le sens du Dasein. L'idéologie serait la superficie de la philosophie, qui permettrait de sélectionner les élites capables d'accéder au supérieur. Heidegger se détourne du nazisme, parce qu'il se rend compte que le nazisme est voué à l'échec et que l'idéologique ne peut mener à sa conception philosophique.
Le nazisme est une violence seulement destructrice, qui ne construit rien et ne permet d'élaborer aucun Dasein; l'idéologie manquera toujours l'Etre, en ce qu'elle considère que ce qui importe, c'est l'application de l'étant. La critique de Heidegger contre la technique serait à adapter à l'idéologie, y compris au nazisme. Le silence de Heidegger suite à son erreur de jeunesse, importante, s'explique parce que Heidegger estime que le danger le plus profond ne réside pas dans le nazisme, malgré sa faillite criminelle, mais dans le nihilisme tel que Nietzsche l'a annoncé, et que le nihilisme est porté par l'esprit du libéralisme.
Heidegger se rend compte assez vite qu'il s'est trompé sur le rôle qu'il attribua un temps au nazisme, en ce qu'il n'a pas vu que toute idéologie est vouée à l'échec et manque l'Etre, que l'idéologie soit le nazisme ou le libéralisme. Heidegger a identifié l'erreur libérale comme porteur symptomatique du nihilisme, contre lequel il convient de mettre en oeuvre toutes les solutions pour y échapper; mais il a cru que l'idéologie nazie pouvait contrecarrer l'idéologie libérale, en tant qu'expression du nihilisme diagnostiqué par Nietzsche - et permettre de mener vers la philosophie du Dasein.
Si par la suite, Heidegger se tait, c'est que son erreur le laisse désemparé : pas question pour lui de condamner le nazisme, problème subalterne, alors que le vrai problème à ses yeux n'a fait que s'amplifier depuis la défaite nazie/fasciste et est devenu impossible à dénoncer. Heidegger se trouve confronté à une impasse qui le glace. Condamner le nazisme revient à éluder le vrai problème, qui est : comment accéder au philosophique, de telle sorte que ce soit l'élite intellectuelle qui en soit imprégnée et que le politique, à commencer par ses dirigeants, soit régi par cette élite intellectuelle de facture oligarchique (en opposition avec l'idéal platonicien de la république dirigée par les philosophes)?
Heidegger s'inclut dans ce processus de domination par l'oligarchie philosophique et estimerait être parvenu à ses fins si le nazisme avait encouragé l'approfondissement philosophique qu'il défend, la domination du Dasein - ou si, après avoir entériné les erreurs naïves contenue dans la possibilité d'amener au philosophique, l'erreur d'avoir cru que le nazisme pouvait amener à l'idéal oligarchique du Dasein, Heidegger avait trouvé une autre voie. Il n'en est rien : Heidegger en reste sur un constat d'échec, qui ne le fait nullement évoluer dans son positionnement, mais qui lui fait voir qu'il ne parvient pas à imposer son modèle (sans qu'il le remette en question).
Impossible de répandre le Dasein, bien que Heidegger ait conscience que la profondeur ne se forme pas en prolongement direct de la superficie; cependant, jamais Heidegger n'aurait intenté pareille entreprise consistant durant un temps à pactiser avec le nazisme, s'il n'avait cru que fondamentalement l'Etre du Dasein se tient, certes plus profondément, dans la clairière de l'Etre que l'étant idéologique, mais toujours de manière uniforme et homogène. Le silence de Heidegger s'interprète à l'aune de cette incompréhension de la structure du réel : comment proposer autre chose que l'erreur nazie une fois que l'on reconnaît l'erreur nazie, le nihilisme libéral, et plus généralement le nihilisme idéologique?
Le Dasein philosophique se tient plus profondément que le nazisme au niveau de la pensée de l'Etre. Le nazisme n'est que la manifestation superficielle d'une pensée plus profonde, à laquelle adhère Heidegger, parce qu'elle explique la définition de l'Etre par la violence, tandis que le nazisme explique au plan idéologique la définition de la cité par cette même violence. Heidegger a adhéré un temps au nazisme, parce qu'il est le métaphysicien de la violence, qui considère le nazisme comme une manifestation de sa profondeur.
Si Heidegger comprit que le nazisme était faux parce qu'il détruisait seulement et que lui Heidegger avait cru qu'une idéologie de la violence pouvait encourager l'avènement de sa métaphysique du Dasein, c'est parce que selon lui le nazisme relevait du nihilisme et que lui Heidegger avait été aveuglé par le nihilisme qu'il prétendait circonscrire et auquel il oppose son Dasein salvateur. Jamais Heidegger n'en vient à se dire que s'il en est venu à commettre une erreur si profonde concernant le nazisme, c'set que sa propre conception du Dasein, loin d'être plus profonde que le nazisme, est frelatée.
Les commentateurs heideggerriens considèrent que la profondeur de leur maître vénéré excuse toutes ses erreurs et ne peut en aucun cas s'expliquer par l'erreur fondamentale de son adhésion métaphysique à l'Etre, qui lui permet de proposer l'innovation du Dasein. Quelle que soit l'importance de Heidegger dans le vingtième siècle, il serait bon de considérer que sa conception du Dasein se révèle aussi monstrueuse que le nazisme, sous prétexte de proposer la fin de la métaphysique, quand bien même elle se montrerait emplie de richesse théorique et d'érudition philosophique.
Heidegger aboutit à révéler la violence inouïe que contient la métaphysique dans l'histoire de la philosophie, et plus loin encore la réduction nihiliste qu'elle contient (que l'on retrouve mentionnée dans la Métaphysique). Elle se trouve moins dévoilée que la violence nazie, parce qu'elle opère sur un terrain théorique, abstrait, moins chargée de résultats, et qu'elle est parée de traits positifs, comme la définition claire du réel, fût-il un élément fini. La métaphysique entend théoriser le fini. Cette exigence d'abstraction rend sa violence moins palpable, même si, à mesure qu'elle manque son objectif de réalisme, sa violence apparaît plus clairement.
Le Dasein sert de révélateur à la violence métaphysique. Il en charrie la facture terminale, qui exprime la gradation en fonction de son échec. Pour ma part, si je considère que la philosophie du Dasein intervient à un niveau plus profond que le nazisme pour prétendre à une équivalence, la violence plus théorique qu'elle contient est aussi plus virulente. La vertu du Dasein, identifier l'Etre dans l'instant, au point que l'Etre rétrécit et se trouve environné de Néant de plus en plus oppressant, va de pair avec son vice profond, cette violence qui est identifiée comme constructive, alors qu'elle est destructrice jusqu'à l'autodestruction.
L'erreur fondamentale de Heidegger s'explique par le statut cardinal qu'il accorde à l'uniforme, postulat dont il ne discute pas la validité, parce qu'il ressortit pour lui de l'évidence. Le principe de non-contradiction d'Aristote a énoncé l'évidence : l'être est uniforme, tout comme l'antagonisme (l'uniformité se trouve codifiée chez Aristote par le multiple). La non-contradiction est indiscutable dans l'être, à condition qu'elle ne soit pas le principe fondamental du réel et qu'elle n'aboutisse pas à son but premier : rendre le réel stable et fixe, non soumis au changement, ce qu'implique l'ordre de l'être fini entouré de non-être.
Heidegger pense résoudre le paradoxe en rétrécissant le domaine de l'Etre au Dasein (l'instant de l'Etre) et en accordant à la violence du non-être un rôle créateur, dans un sens non croissant et progressiste, mais stabilisateur. Heidegger est emprisonné dans les rets du cercle vicieux de la violence, qui est fondée sur l'uniformité. Mais cette violence n'est pas le fondement du réel, ce qui fait que Heidegger prend le secondaire pour l'originel. Elle a raison de prendre l'uniforme pour sa loi, mais elle confond sa loi avec celle du réel. L'erreur de Heidegger vient de cet amalgame entre la loi de l'être et la loi du réel.
Le réel n'est pas régi par l'uniformité. Pour avoir adhéré à ce postulat cardinal, Heidegger a basculé dans la légitimation de la violence, qui, si on ignore son rôle de création fondamentale, se révèle politiquement fort destructrice - et suicidaire. La violence est positive dans un système où le fondement est uniforme et antagoniste. La violence exprime l'action du changement, quelque chose comme l'effet du non-être. Si selon Heidegger, on ne sait pas ce que sont l'Etre et le Néant, en revanche, on obtient un résultat pratique avec la violence, qui indique que le réel est un état stable, apaisant. Si c'était un schéma adéquat, la violence produirait un effet bénéfique, qui engendrerait la viabilité du réel; tandis que cette forme aboutit à l'autodestruction, comme en témoigne le nazisme.
L'uniformité n'est pas une manière correcte de représenter le réel. Ce serait même une autojustification commode, en ce que l'on décrète que le moyen est la fin : la violence prouverait que le réel fonctionne sur le mode uniforme. Or, l'uniformité est le schéma qui explique le fonctionnement de la violence, pas du réel. Cette confusion empêche Heidegger de percevoir le problème inhérent à son approche du réel : il va jusqu'au bout des conséquences de la métaphysique comme théorie du réel, mais il ne considère jamais que la métaphysique n'est pas l'expression définitive de la philosophie à propos du réel, parce que le propre de l'uniformité est d'instaurer la circularité autojustificatrice.
L'autojustification entraîne la difficulté à sortir de l'erreur qu'elle institue. L'erreur consisterait moins à dire quelque chose de faux au sujet du réel qu'à empêcher la remise en question. Comme si la définition du réel fini bloquait la quête de sens dans cette finitude. La stabilisation engendre la fonction connexe d'acceptation unilatérale et définitive, parce que le fini implique qu'il désigne la totalité de l'être, le restant étant rejeté comme non-être, antagoniste. La stabilisation ferme le domaine autoproclamé totalité et détruit la propriété de malléabilité. Le réel présente la faculté à figer l'esprit critique qui va de pair avec la malléabilité, à partir du moment où il fixe le domaine dans un état de clôture. La clôture physique correspond à la clôture mentale.
Si le fini empêche la remise en question, c'est parce que l'uniforme introduit l'idée d'égalité, ce qui empêche la remise en cause de ce qui en tant que domaine fini est connaissable. Le fini possède une propriété de réflexion stabilisatrice, qui donne l'illusion de croire qu'on a achevé la connaissance, en même temps que l'on bloque les possibilités de critique, au sens de remise en question. Heidegger a été victime de son adhésion à la métaphysique, plus encore de sa réduction et de son accroissement de la finitude au Dasein (fini réduit à l'instant). La stabilisation inhérente à la finitude crée les conditions de l'illusion, dont la principale est de croire qu'on peut achever la connaissance.
Le geste de Heidegger de puiser dans le passé la tradition apte à achever l'histoire de la métaphysique en peut se concevoir que s'il est enfermé dans un domaine fini. Le passé sert à améliorer le domaine, puisque ce qui est passé en fait partie et aidera à améliorer le présent. C'est dans une mentalité guidée par l'uniformité que l'on se sert de la tradition du passé pour améliorer le présent constitué en droite ligne. Résultat : on légitime la violence, on fonce vers l'autodestruction et on s'avère incapable de changer son programme fondamnetale. Le mutisme final de Heidegger.

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