vendredi 1 mars 2013

Le mimétisme inférieur

Le mimétisme constitue la forme inférieure de la créativité. Ce sont les deux tendances de représentations qui dépeignent le réel : l'on ne peut parler du réel autrement qu'en cherchant sa créativité où en la réduisant au mimétisme. La représentation créative n'entend pas représenter le réel de manière définitive et totale, comme s'il était figé à un certain stade, même à développer, mais de manière dynamique (en peinant à concilier cette dynamique avec le donné total et incompréhensible de Dieu/Être); le mimétisme réussit à dépeindre le réel selon ces critères accessible à la raison comme constituant la fin du réel (atteindre le définitif, le total, le figé), mais il en donne une vision finie, tronquée, qu'il est obligé de compenser en instaurant l'inexplicable complément indicible du non-être.
Le raisonnement mimétique ne résout pas la question de l'infini, bien que ce terme contienne une vision négative (-in) et contestable du problème : si le réel était fini, nous n'aurions pas l'idée qu'il manque quelque chose au fini, qui présente la caractéristique de ne pas se résoudre au fini, tout en demeurant inexplicable selon les critères du fini. L'entendement rationnel pense en termes de fini, ce qu'avait compris Aristote, mais cet entendement recourt à autre chose que Platon dénommait dynamique et qui n'est pas fini. Et pour expliquer que la raison puisse comprendre ce quelque chose négativement désigne comme infini, l'on peut recourir à l'idée (et non au concept, terme fini désignant l'idée) de créativité.
1) le mimétisme implique que le réel est instantané, figé, qu'il repose sur une forme finie, stable, qui ne peut être environnée que de non-être; la logique qui meut le mimétique est l'intérêt personnel, individuel, qui réduit le réel à son périmètre et qui ne voit pas qu'elle travaille pour le mimétique par le truchement de son intérêt;
2) la créativité en prolongement, de modèle transcendantaliste implique que créer rejoigne l'acte englobant et supérieur (transcendant) de l'Etre.
Le problème de cette mentalité : elle fonctionne, seulement en pratique, dans les bornes du monothéisme (la Terre), mais demeure théoriquement inexplicable, ce qui est un paradoxe pour l'idéalisme au sens platonicien, qui se présente comme théorisant et que se détracteurs tancent comme intellectualiste. Tout ce que Platon arrive à dire à ce sujet, c'est : le dialogue est le moyen de progresser et de créer. Il le mettra lui-même en pratique, mais il ne l'expliquera pas, et l'époque monothéiste qui le suit et qui se manifeste par le progrès Gutenberg en matière de diffusion des idées n'est pas capable de susciter la créativité, de l'étendre, ni de l'expliquer.
Dès lors, il faut considérer où le bât blesse.
3) La créativité néanthéiste réfute le prolongement comme explication au complément de fini - l'infini -, et considère que le réel est structuré selon la disjonction propre à l'enversion. Cette créativité ne se forme pas de manière homogène et prolongée, ce qui explique pourquoi l'on ne peut l'expliquer dans les bornes du prolongement ou de l'antagonisme, qui eux-mêmes impliquent un extérieur impossible, infini ou non-être. Tant le prolongement que l'antagonisme posent le réel selon la même identité uniforme. L'inexplicable est la valeur-étalon du réel à partir du moment où l'on s'en tient à la considération selon laquelle l'identité se rapporterait in fine à la signification de l'identique. Le transcendantalisme n'a pas réussi à sortir du piège nihiliste en s'en prenant à la vraie cause de son erreur : l'identité identique. Au contraire, il a rédupliqué l'erreur en percevant dans le non-être la cause de cette erreur.
Le non-être évoque la mauvaise définition du réel qui se place sur le même plan que ce qu'elle juge insuffisant. Le non-être est ce qui n'est pas. Mais qu'est-il? Il est ce qui n'est pas : non seulement on ne sait pas ce qu'il est, mais en plus on sait qu'en n'étant pas, il est sur le même plan. Ne pas être ne signifie pas autre chose qu'être, mais être moins. Le nihilisme pense que le réel est formé à son niveau minimum d'être, mais que cette forme rare est formée fondamentalement, de façon maximum, de non-être. Le transcendantalisme répond en inversant la tendance : le non-être est le minimum, ce qui ira jusqu'à des traditions pour lesquelles le non-être désigne la matière la plus brute (voire vile).
Le maximum ne peut être l'être, mais en prolongement l'Etre. Tant dans le transcendantalisme que dans le nihilisme, l'être se trouve au même niveau. L'Etre remplace le non-être au motif que le non-être est insuffisant du fait qu'il est négativité pure et refus de la définition. Mais le nihilisme perdurera, car le transcendantalisme ne parvient pas à définir l'Etre. Du coup, le nihilisme répond en rappelant que lui au moins parvient à très bien définir l'être de l'instant, tandis que le transcendantalisme se vante, lui, d'obtenir des résultats qui valideraient sa structure théorique, tout en appuyant cette affirmation sur ses résultats.
Le transcendantalisme a plus de validité que le nihilisme, il obtient un réel moins instantané, plus durable, mais il se montre incapable d'expliquer autrement cette durabilité/pérennité autrement que par des résultats pratiques, qui indiquent certes qu'il possède une certaine pérennité, mais nullement qu'il est vraiment pérenne. Rien n'indique que le transcendantalisme ne s'effondrera pas, et c'est ce qui se produit en ce moment parce que l'Etre est adossé sur une erreur qui contient suffisamment de justesse pour durer, mais c'est une durabilité porvisoire. L'Etre n'est pas de l'éphémère, mais pas davantage du stabilisé.
L'Etre est un résultat hybride qui garantit une certaine durabilité tout en nécessitant sur le long terme (environ deux millénaires) une réforme qui ne s'avère pas interne, mais structurelle. Il ne s'agit pas d'ajuster le transcendantalisme tout en conservant la doctrine, mais de changer de doctrine pour changer de paradigme et tenir compte de la croissance du réel, qui rend obsolète le transcendantalisme. Curieusement, le transcendantalisme en vient à proposer un compromis entre la théorie et la pratique. Le compromis exprime le pragmatisme, et le transcendantalisme n'est pas pragmatique en tant qu'il considère qu'il faut s'appuyer sur la théorie pour en venir à des résultats valables, mais comme il ne parvient pas à définir l'Etre, il considère que le dialogue est le moyen d'obtenir les résultats qu'on ne peut appuyer directement sur la théorie.
C'est ce que Platon propose avec sa méthode dialectique qui est le moyen le plus simple pour parvenir au réel et qui n'exprime nullement la structure alambiquée que revendiquera de manière subversive Hegel sous le même vocable. Ce compromis est un aveu de faiblesse en ce que à la fois le transcendantalisme revendique la supériorité de la théorie sur le pratique, sans parvenir à définir le théorique. Implicitement, le transcendantalisme demande à ce qu'on respecte sa contradiction théorique, tout en ajoutant qu'il convient pour ce faire de s'entretenir aux résultats pratiques et pragmatiques issus du dialogue.
La différence entre le transcendantalisme et le nihilisme est importante, mais elle repose sur le pragmatisme et la confiance : le transcendantalisme demande sans preuve que l'on fasse confiance à son affirmation indémontrée selon laquelle sa théorie est peut-être indémontrée, mais elle est juste. Le transcendantalisme affirme l'existence de la théorie comme possibilité de connaissance et comme témoignage selon lequel le réel est quelque chose qui dure et qui possède de la consistance autant que de la cohérence.
L'éloignement entre le transcendantalisme et le nihilisme n'est pas étayé. Du coup, la proximité entre nihilisme et transcendantalisme est patente. Elle repose sur l'impossibilité théorique pour les deux courants de pensée de définir le réel. L'identité entre le transcendantalisme et le nihilisme recoupe l'identité identique qui prévaut dans leur vision du réel. Tous deux s'opposent sur la même ligne et reproduisent la même erreur : à partir du moment où ils postulent que le réel est uniforme et stable, ils ratent l'identité croissante du réel, l'enversion, même si le platonisme a essayé avec la dynamique d'introduire la nuance dans son système d'homogénéité.
Mais la dynamique en demeure au stade du pragmatisme, via le dialogue et l'expérience créatrice, notamment dans la géométrie. Ces contradictions font que le transcendantalisme comporte des failles en son sein qui empêche que sa viabilité soit continue et qu'il puisse proposer une définition juste et adéquate du réel. Le compromis implique un défaut théorique dans lequel on concède qu'on manque de théorie, bien qu'on soit en mesure de se prévaloir de cette théorie défaillante. La théorie est juste, lais défaillante.
La métaphysique intervient après l'ontologie platonicienne, comme couronnement de l'entreprise ontologique dans l'Antiquité, et émane d'un élève brillant de Platon, Aristote, qui s'oppose à Platon. Pourquoi Aristote s'oppose-t-il à Platon? Parce que Platon ne résout pas les défis du nihilisme et qu'il en vient à exiger qu'on se soumette à son idéal, tout en concédant qu'il ne peut que le démontrer empiriquement. Aristote ne réagit pas en balayant d'un revers l'ontologie de Platon, mais en remarquant qu'elle ne résout pas les faiblesses du nihilisme et qu'elle se montre moins performante et attirante dans l'exigence instantanée, sur le court terme.
Pour autant, il reconnaît que l'exigence de théorie qu'avance l'ontologie, en particulier Platon, est fondée et que la connaissance du réel ne peut s'opérer sans exigence théorique. Tout le débat que lance Aristote, tel qu'il se trouve consigné dans la Métaphysique posthume, oscille autour du problème du fondement de la forme : la forme est-elle idéal au sens platonicien (réaliste au sens médiéval) ou est-elle nominaliste au sens nihiliste? Rappelons qu'Aristote dans le débat mathématique considère que les nombres ne renvoient pas vers l'existence d'un monde idéal qui englobe le sensible (position de Gödel au vingtième siècle), mais n'existent que par rapport à l'abstraction humaine produite seulement pour la norme humaine (norme qui finit par être sociale).
S'il n'est pas facile de savoir si Aristote est plutôt nihiliste qu'ontologue ou plutôt modéré dans son compromis, la métaphysique trouve un compromis dans son questionnement sur le fondement de la forme : ce sera la possibilité de théoriser à l'intérieur du fini. Aristote reprend dans sa philosophie sa conception des mathématiques : la théorie existe mais à l'intérieur du monde de l'homme. L'idéal n'existe pas indépendamment de l'homme.
Aristote a opéré une correction par rapport au nihilisme, si bien qu'on ne peut pas dire qu'il soit plus nihiliste que transcendantaliste, mais on peut par contre considérer que la reconnaissance du nihilisme et son introductions dans le système métaphysique implique la gangrène de l'ensemble du problème. Quand Aristote reconnaît brièvement, ce qui n'est jamais cité de manière importante et développée par les commentateurs adoubés de l'aristotélisme, que l'être fini est relié au non-être par le multiple, il consent à ce que son système métaphysique soit une innovation finie, parce que le propre du nihilisme est d'accepter la brièveté.
Du coup, le problème d'Aristote est de s'insérer dans un système momentané, qui dure plus que le nihilisme, mais moins que l'ontologie dont elle s'inspire pour partie. La métaphysique n'est pas faite pour durer, mais pour satisfaire l'instantanéité avec un peu plus de durée que les modèles plus explicitement nihilistes. Les sophistes ou les Abdéritains ont construit des systèmes qui ont beaucoup de qualité de savoir et de domination sociale et politique, mais dont on sait qu'ils ne survivront pas à leur auteur.
La métaphysique est une forme différente des systèmes nihilistes explicites, en ce qu'elle essaye d'instaurer le compromis entre nihilisme et ontologie. Compromis tout comme l'ontologie? Si sa structure repose sur la même erreur, l'ontologie prône le compromis entre Être et uniformité; quand la métaphysique reprend du nihilisme le non-être (auquel elle ajoute le multiple unificateur) et de l'ontologie la possibilité de théorisation, qu'elle applique avec restriction au fini. Quand Aristote annonce qu'il va clôturer par sa méthode posthume, baptisée métaphysique, la philosophie et la connaissance scientifique, il l'annonce en triomphateur, sans s'aviser que sa prédiction est aussi lucide que funeste : son invention risque de détruire l'entreprise de connaissance baptisée philosophie.
La métaphysique est construite pour durer plus longtemps que les essais nihilistes, mais elle ne peut perdurer de manière solide et cohérente. Elle est condamnée à se déliter. Elle commence par exhiber sa qualité principale, qui est de permettre de théoriser avec efficacité, voire efficience, le physique. La métaphysique déduirait sa qualité théorique principale, philosophique, par ses résultats scientifiques immédiats.
Aristote a forgé un système philosophique qui soit proche de l'ontologie, mais qui en corrige les aspects déficients, et il est parvenu à proposer une forme plus efficace pratiquement et moins pérenne théoriquement. Le verdict interviendra après la période florissante de l'ère péripatéticienne se finissant avec la scolastique : Descartes rénovera pour cinq siècles la métaphysique obsolète, mais dès que l'hérésie immanentiste rencontre le succès peu de temps après, c'est déjà le signe que la rénovation est déjà condamnée et que ses jours sont comptés.
Heidegger a clôt la métaphysique en essayant de l'achever : à partir du moment où un projet prétend être achevable, il est promis à l'achèvement - la disparition. La constante de la métaphysique est de fonctionner par rapport au mimétisme : Aristote explique la création de l'Univers par le Premier Moteur, qui crée l'univers en même temps qu'il abolit les règles de création continue et qu'il instaure l'univers fini et mimétique. Descartes reprendra ce fini mimétique en le baptisant physique. Le physique est gouverné par la nécessité, mais Dieu a le pouvoir d'en changer miraculeusement les lois physiques.
Le mimétisme est la loi qui gouverne la métaphysique, qui instaure les conditions d'un mimétisme intelligent. Il s'agit de rendre possible le théorique pour forger ce mimétisme intelligent. Le mimétisme produit la faculté d'appauvrir petit à petit le réel, à des vitesses différentes en fonction du degré d'actualité du mimétisme. Le mimétisme intelligent de la métaphysique ralentit le rythme de sa destruction programmée, mais le mimétisme est la forme inférieure de la créativité.

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