jeudi 28 mars 2013

L'inspiration des commanditaires

Dans un complot aussi complexe que le 911, il n'existe pas de commanditaires au sens délibéré et planificateur, qui auraient délégué à des exécuteurs, qui auraient délégué à des exécutants, dans une structure pyramidale schématique. Non seulement la structure est diffuse, mais elle est réductrice au sens où elle reprend la forme de la synecdoque : tout pour la partie, partie pour le tout. Le constat n'implique pas que les complots d'Etat n'existent pas, mais que les commanditaires réels du 911, une fois qu'on a démasqué l'imposture al Quaeda, n'existent pas, au sens où certains auraient commandité ces gigantesques attentats, qui ont changé le cours du monde, avec la conscience préalable de ce qui a eu lieu. Pas question de fuir ses responsabilités : certains ont bel et bien commandité des parts de ces attentats, en reprenant ce que leurs alter égos leur avaient inspiré et insufflé.
Ces commanditaires ont un rôle parcellaire : ils n'ont pas agi en représentants, sinon désignés, du moins reconnus tacitement, de leur milieu, mettons le milieu bancaire, mais en reprenant la mentalité diffuse, selon laquelle il fallait intenter quelque chose, façonner un événement catalyseur, pour changer le cours stratégique mondiale et légitimer la guerre contre le terrorisme. La plupart des milieux financiers n'étaient pas au courant du complot, même si ces conséquences agréaient leur vision du monde, et même si certains parmi eux savaient vaguement, sans être dans le secret des dieux, qu'un événement allait se produire. Ceux qui ont commandité cet attentat n'ont pas en agi en représentants de leur milieu, professionnel et libéral, mais ont estimé qu'ils détenaient l'occasion unique de jouer un rôle plus important que leur place effective dans le milieu financier. Ils ont agi en tant que tout pour la partie, avec pour motivation principale de concrétiser l'inspiration.
Les principaux se seraient trouvés en accord avec un acte qui les favorisaient, mais ce ne sont pas tous les acteurs majeurs du milieu financier qui ont agi selon un accord tacite et secret. Seulement certains, qui ont décidé de faire quelque chose, dans des réunions informelles, situées après des réunions officielles, guidées par le protocole. Ces commanditaires sont des représentants synecdocquiques, au sens où ils ne représentent qu'une partie efficiente, mais une partie inspirée par le tout, de manière mimétique et intelligente, diffuse et inconsciente.
Dans ce cadre, chercher des commanditaires responsables (et non partiels) à un complot revient à accepter que la plupart soient inconscients, tout comme pour le blanchiment du trafic de drogue : tous en profitent, peu sont au courant. Et ceux qui le sont ne sont pas au parfum des montages ayant conduit à la vente de la drogue. Ils se situent à l'étage supérieur du blanchiment financier et ils ne s'intéressent pas à ce qui se produit en dessous et qui existe indépendamment d'eux. De même, les commanditaires parcellaires du milieu financier dans le terrorisme ne connaissent pas les étages oscillant entre les exécuteurs et les exécutants, singulièrement dans une opération aussi sophistiquée que le 911. Tous ces étages forment un tout peu cohérent, grouillant, magmatique, qui fonctionne sur le mimétisme et son corolaire l'intérêt, avec de multiples compartiments, non pas unilatéraux, à l'avantage de l'étage supérieur, mais disjonctifs et en circuits parallèles.
L'observateur qui estime la situation de l'extérieur a tendance à verser dans le complotisme en estimant qu'il faut bien des responsables suffisants, qui aient bénéficié de la claire conscience de ce qui se tramait; malheureusement, si des enquêteurs pugnaces et impartiaux menaient l'enquête, ils auraient bien du mal à remonter jusqu'aux inspirateurs et ne pourraient mettre en cause in fine qu'une mentalité qui a inspiré de manière diffuse, et pas commandité de manière pyramidale, et, si jamais ils arrivent à remonter aux acteurs synecdocquiques, ils seront déçus de constater au surplus que ce sont des acteurs mineurs du milieu qui ont pris cette décision, et qu'on ne peut expliquer cette commande qu'en recourant à l'imprégnation diffuse, presque la macération, qui inspire comme une tisane infuse.
Quand vous buvez une tisane, vous chauffez de l'eau, puis vous placez dans l'eau un sachet d'infusion qui diffuse une coloration et un goût dans l'ensemble du bol. On ne peut estimer que l'action de fabriquer la tisane résulte d'une action consciente : ni des objets, qui sont dépourvus de conscience et d'intelligence; ni des acteurs, les préparateurs-buveurs, qui ont soif et peuvent avoir envie par appétit ou habitude de faire une tisane, mais qui agissent de manière mimétique. De ce fait, les commanditaires au sens classique sont, du fait qu'ils sont cachés, en situation parcellaire et insuffisante, avec le coefficient supplémentaire de leur faiblesse insigne. Nanti de l'ingrédient libéral, ils agissent selon leur intérêt, au sens commercial.
Du coup, échouant à tenir des commanditaires, et craignant de lâcher la proie pour l'ombre, des enquêteurs de complots ont tendance à s'en tenir aux exécuteurs, qu'ils prennent pour des commanditaires, parce que leurs traces sont plus classiques à magnifier, voire exagérer. Par ailleurs, toute action humaine tend à se donner plus d'importance qu'elle n'en a. Le petit dealer de drogue tend à se rêver en gros bonnet, en plus des standards stéréotypés et puérils, empruntés au cinéma, qu'il introduit dans sa bêtise de futur. Le visage du complot implique qu'il n'existe pas de commanditaires au sens d'accusés dont on puisse dire qu'ils sont responsables du 911.
Il existe une foule de participants qui ont collaboré partiellement pour perpétrer le 911, mais, s'il est attendu que les subalternes présentent une participation limitée, indirecte, au point qu'ils puissent avoir effectué des petites tâches sans avoir même conscience du complot auquel ils participaient, l'enquête sérieuse aboutirait au même constat troublant pour les plus hautes sphères présumées, qui elles devraient logiquement présenter des seuils de responsabilité et de culpabilité maximaux et entiers. Or le constat est inverse : personne n'a la capacité (juridique et physique) d'endosser la responsabilité - et non ne veut endosser, ce qui serait tout à fait compréhensible. Que des comploteurs refusent de reconnaître leur responsabilité s'ils sont découverts, passe encore.
Et si personne ne peut, ce n'est pas de la mauvaise foi, mais parce que le complot n'est pas engendré par des comploteurs suffisants : les comploteurs effectifs ne suffisent pas à expliquer l'avènement de l'événement.  Le complot révèle qu'il se met en place et s'effectue, non pas suite à des volontés humaines destructrices et puissantes, mais suite à sa déshumanisation. Raison pour laquelle les complots laissent un goût d'inachevé et que les institutions ne parviennent à trouver des comploteurs : les enquêteurs ne se trouvent pas seulement de mauvaise foi, même si souvent, en tant qu'institutionnels, ils cherchent à préserver le bon fonctionnement de leurs institutions en péril et se réfugient dans la langue de bois.
Les enquêteurs se montrent aussi et surtout incapables de trouver des responsables à la hauteur du complot. Raison pour laquelle le complotisme sort, pour rattraper cette carence en identité (l'absence criante de responsables conséquents au complot dénoncé, voire leur remplacement par des fantoches). Elle peut être lancée aussi par des responsables conservateurs, qui n'ont pas intérêt à ce que les choses changent et qui emploient de manière abusive ce terme, dans l'espoir que les populations ne se révoltent pas contre les complots d'Etat qui les menacent, continuent dans leur aveuglement indifférent et croient que les complots n'existent pas - ou pas trop.
Indépendamment de cette manipulation médiatique, le complotisme réactif existe aussi - surtout, en tant qu'il est involontaire. Il exprime la tentative abusive et confusionnelle de surinterpréter (d'où la paranoïa), clamant qu'il existe forcément des responsables suffisants au complot, et que si on ne les trouve pas, c'est qu'ils se tapissent dans les coulisses, toujours cachés et tout-puissants, en développant une vision du monde selon laquelle le caché se révèle supérieur au visible, voire remplacerait la toute-puissance divine par l'alternative humaine, avec son versant diabolique.
Les complotistes ressassent d'autant plus qu'il existerait un principe de responsabilité caché qu'ils se montrent incapables d'identifier avec clarté des responsables suffisants. Et pour cause. Ils recourent alors, pour pallier à leur faiblesse obvie, au stratagème du mystère indéfini. Mais ce n'est pas par goût du mystère ou parce qu'ils ne voudraient pas dévoiler le pot aux roses. C'est parce qu'ils sont aussi certains de leur dénonciation anonyme et inindentifiable (il y a eu un complot!) qu'ils dénoncent avec vigueur et confusion, très capables de dire, avec justesse, que la VO est fausse, que les choses ne se sont pas passées ainsi, mais incapables par contre de dévoiler ce qui s'est produit en lieu et place. Parce qu'il faut bien, si la VO est fausse, proposer une version crédible, claire, réelle.
La contestation la plus fameuse sur le 911 est taxée de complotisme parce qu'elle a eu le tort de verser dans ce travers : Meyssan a eu le courage de dénoncer le mensonge patent de la VO du 911 dès le départ, mais il a incriminé en lieu et place l'obscur et anonyme lobby militaro-industriel. Il est clair que ce n'est pas Oussama et al Quaeda qui sont les commanditaires, les exécuteurs et les exécutants. Mais qui est-ce? Pourquoi remplacer une VO claire et mensongère par une alternative contestataire et enfumée? Qui est le lobby militaro-industriel? Meyssan ne répondra pas à cette question, pas plus que l'historien américain Tarpley, qui développe un arrière-plan d'accusés potentiels plus complexe, mais dont la trame déçoit encore plus, parce qu'il se garde bien d'identifier qui que ce soit et qu'il en reste à la négativité impénétrable et ténébreuse du mystère à jamais différant.
Ce n'est pas par hypocrisie, paresse intellectuelle ou manque d'acuité que ces dénonciateurs de complots ne parviennent pas à identifier les comploteurs effectifs, en lieu et place des accusés officiels, qui sont des lampistes, des fantoches et des faux nez (ainsi que l'illustre le cas, devenu proverbial, d'Oussama l'illuminé manipulé qui aurait accompli un miracle, tour de force, s'il pouvait être le commanditaire possible du 911). C'est tout simplement (et cruellement) parce qu'il leur est impossible d'édicter une liste, non pas de responsables partiels, mais de responsables suffisants - qui permettent d'expliquer le complot. Les accusés ne sont pas au niveau de l'événement qu'ils auraient engendré. D'où le recours au complotisme - au mystère impénétrable et ténébreux pour masquer cette issue baroque.
Le complot semble dépasser de tellement loin ses instigateurs qu'il en deviendrait soudain sans auteur. L'irrationalisme ne côtoie pas le surnaturel. Le complotisme surgit : un événement sans cause devient inacceptable. Le complot survient justement pour sanctionner une crise. Le complot d'Etat signale la crise institutionnelle, crise qui peut être d'importance, quand on s'avise que le 911 ne fut pas une sortie de route sans incidence, mais lança la terrible crise que nous traversons et dont tant s'accordent désormais à reconnaître qu'elle est bien plus profonde qu'économique - à mon sens de niveau religieux, soit de type fondamental.
Quand le mécanisme de causalité se grippe, c'est mauvais signe pour la pérennité de la forme concernée, qui se prend pour le réel dans sa totalité. C'est à l'aune de ce constat que l'on devrait relire la critique de la causalité selon Hume, pour se rendre compte que lorsque l'on peine à subsumer le mécanisme de causalité, ce n'est pas qu'on a trouvé une découverte d'importance, mais parce que la partie à laquelle on fait partie se fissure. Hume pensait avoir réalisé une découverte philosophique fondamentale, portant sur le fonctionnement du réel; tandis qu'il a fait une découverte profonde, mais partielle et interne, portant sur la partie à laquelle il appartient, le libéralisme (non l'humanité), qui se désagrège.
Le complotisme agit comme la restauration désespérée, restauration d'un ordre qui se révèle promis à la dérive depuis au moins l'intervention de Hume, plus encore de Nietzsche, fortement avec Heidegger, et qui ne saurait se récupérer en se raccrochant à l'impossible secours du caché, comme si le caché pouvait être supérieur au visible. A cet égard, le caché agit comme l'expression de la causalité faible ou invisible : un événement qui se révèle dépourvu de cause évoque ce réel qui fonctionnerait de manière pérenne, quoique maléfique, grâce au caché.

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