jeudi 4 juillet 2013

Au mépris de l'intelligence

Ami lecteur, au moment où tombe la confirmation de la dégringolade du niveau scolaire en histoire-géographie,
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/06/26/01016-20130626ARTFIG00449-college-le-niveau-des-eleves-s-effondre-en-histoire-geographie.php
je lis l’article que Slate consacre à la dieudonnisation des esprits par le bas. Le titre est juste, même si la sujet se montre tout aussi condamnable que le fait qu’il dénonce. Le processus délétère de dieudonnisation n’aurait jamais été possible sans le soutien tacite des journalistes. Ils agissent comme la caution trouble dénonçant dans leur méprise le bas peuple pour mieux réhabiliter les valeurs complémentaires de l’oligarchie, croyant naïvement faire partie des élites, alors qu’ils n’en sont que des serviteurs (la perversion du contre-pouvoir journalistique au nom de la communauté de valeurs pervers et dégénérées). La reconnaissance par le bas de l’humoriste Dieudonné n’est pas bon signe : elle ne signifie pas que le bas peuple se révolte, ni qu’il progresse, ni que la catégorie de l’humorisme accède à une qualité supérieure. L’humorisme est-il devenu le renouvellement de la comédie, au sens où l’on célèbre les comédies de Molière et où le comique est tenu pour un art majeur? Ami lecteur, le constat lucide amène à l’inquiétude inverse : Dieudonné estime être parvenu à la dimension supérieure (ultime?) de l'humorisme grâce à la politisation de son discours. Il aurait fait passer son mauvais art du comique vers l’humour, étant le pionnier qui permet à l’humorisme de passer de sa préhistoire à sa réalisation. Mais si l’un des complices de Dieudonné n’est autre que Soral le réconciliateur des socialistes et des nationalistes sur l’autel de l’alternationalisme (synonyme de néo-nazisme?), c’est que la dieudonnisation évoque la poujadisation des esprits sous couvert d’humour. La preuve que Dieudonné n’a nullement oeuvré à l’édification d’un genre nouveau et majeur (comme le cinéma), c’est que sa popularité se manifeste par la violence des idées et l’absence d’esprit critique - sous couvert de contestation et de résolution par le rire. Quel est ce rire qui mène au fascisme et qui détruit l’esprit critique? C’est le rire niveleur de la seule valeur qui soit universelle : la bêtise. Le rire de Dieudonné est un rire bête, qui joue sur les mécanisme de la bêtise : la haine et la frustration du raté. On se moque de la mentalité racaille consistant à détruire y compris son propre intérêt, dans l’expression d’un je-m’en-foutisme nihiliste. La racaille est tellement conséquente qu’elle préfère s'autodétruire que de ne pas recourir à la destruction. Le rire bête est universel et concerne au premier chef les victimes de la crise actuelle, ceux que le journaliste de Slate nomme le bas peuple, les précaires et les rejetés, les sans emploi. Quel est le public qui se rue aux spectacles de Dieudonné? Les 2.0, les cousins de Joey, de même que les beaufs seraient les cousins de Johnny. Dieudo s’adresse aux enfants de l’immigration africaine, les musulmans, les Noirs, les Arabes, tous ceux qui se sentent (souvent avec raison) brimés par une certaine xénophobie. Tout comme son public, le Dieudonné phénomène de société est né de sa contestation incohérente de l’esclavage. Les fans de Dieudo n’ont aucune envie de renverser l’ordre établi, ils attendent juste de rire de leur condition et de trouver dans ce rire apaisant le substitut au changement politique. Pis, le rire vulgaire leur donne l’exutoire leur permettant d’estimer que puisqu’ils rient, ils ont accès à leur culture, culture de valeur, mais culture incomprise par les tenants de la culture officielle - différente au sens où la vulgarité inférieure est différente. Que ce rire ne puisse être culturel, que dénué d’alternative, il ne puisse venir dans l’esprit des fans décérébrés, est un détail qui sera logiquement mis de côté, voire raillé, au nom de ce rire justement, puisque la particularité de ce rire comme de ceux qui l'épousent, tel une cause déculpabilisante, revient justement à prôner la contradiction et à détruire l’esprit critique.
Quel est la nature de ce rire destructeur qui détruit en premier lieu et surtout l’esprit critique de ses thuriféraires? C’est le rire de la haine : rire résolument et seulement négatif, totalement dénué de positivité. Rire impuissant et du ressentiment, dont le propre consiste à soulager le rieur dans la mesure où il décharge de toute action. En ce sens, c’est le rire aux antipodes exactes du rire de Rabelais, qui consistait à engager l’homme sur le chemin de la Renaissance culturelle et intellectuelle. Le rire de Dieudonné engagerait plutôt vers l’acceptation de la décadence, la résignation à son sort pourvu qu'il soit triste. Ce rire concerne bien entendu la catégorie des 2.0 et rencontre le succès populaire en ce qu’il accompagne la paupérisation des populations en France et leur abaissement culturel et intellectuel. Jamais des gens cultivés et critiques n’adhéreront au rire que propose Dieudonné, jamais ils n’en arriveront à considérer que cette subversion est positive parce qu’ils attendent de la subversion autre chose que des provocations vulgaires comme Shoahnanas, hymne que reprennent en choeur tous les damnés de la société française (leur exclusion va trop souvent de pair avec leur abêtissement). Le phénomène Dieudonné va de pair strictement avec la crise et avec sa caractéristique première : l’oligarchisation des esprits, qui implique que le soutien au mode oligarchique (au nom de sa nécessité sombre) s’appuie sur ces masses de 2.0 et de déshérités, qui foncent aux spectacles de Dieudonné, parce qu’ils leur procurent, non des alternatives (auxquelles ils ne croient pas), mais un peu de relativisation de leur situation désespérée et du caractère implacable de l’oligarchie. Il faut être désespéré pour se rendre aux spectacles de Dieudonné, comme il faut être désespéré pour soutenir contre ses intérêts primordiaux l’oligarchie. Dès lors, le rire dieudonnesque est nihiliste autant que suicidaire. Il mène certainement au suicide des fans et il ne se trouve soutenu que dans la mesure où il fait le lit des attentes oligarchiques. Bien qu’il se vive en mode contestataire et subversif, le rire de Dieudonné fait partie du plan oligarchique. Il est un mode de canalisation, d’autant plus inoffensif qu’il se prétend subversif. Il permet à la tyrannie oligarchique de trouver un moyen de calmer les contestations des masses, peut-être mieux que le sport-spectacle dérivé des jeux du cirque. Car le rire est plus qu’anesthésiant, au sens où l’anesthésie est passagère. Il est au contraire indéfini dans la mesure où il s’appuie sur l’idée que l’impuissance au changement ne repose pas sur le social, mais est fondamental (philosophique, culturelle, intellectuelle). Dès lors, rien ne sert de proposer quoi que ce soit. L’humoriste constitue dans cette vision profondément sombre et nihiliste le dernier rempart, comme il convient de fêter le naufrage quand il se précise (exemple du Titanic). Se montrer border line, avec Dieudonné, c’est estimer que le monde court à sa perte et que le plus pressant consiste à rire de sa mort prochaine. Rien ne sert de s’en désespérer. Rien ne sert davantage de s’en plaindre, et surtout de se révolter. C’est en ce dernier sens que Dieudonné rencontre un véritable succès de génération : la génération des 2.0 qui est grossie par la crise a son héraut, qui l’encourage dans le fatalisme; les oligarchies sont ravies de ce rôle de bouffon et l’encouragent par diverses persécutions qui loin de l’interdire ne font que hausser sa popularité. La société des classes moyennes aisées et des bobos suit l’impulsion instillée par les oligarchies et rejette Dieudonné, si bien que se fait jour un clivage plus ancien et profond, que Chirac avait diagnostiqué en 1995 et qui se cristallise dans les médias autour du bouffon Dieudonné.
Les médias reprennent bien entendu, en tant que voix des oligarchies et des bobos, le point de vue du rejet sans se rendre compte que Dieudonné jouit de plus en plus de soutien dans les petites classes et chez les 2.0. Dieudonné est sanctifié parce qu’il subit une certaine ostracisation des médias et du show business et que les vrais soutiens du show business sont les plus pauvres. A l’heure où ces derniers sont réduits en lambeaux, ils se retournent vers ceux qui les défendent encore. Dieudonné est leur voix, leur soutien, leur réplique. Il est le people qui représente la voix du peuple en décrépitude. Qui est Dieudonné? Un métisse camerounais. Il est dans sa chair non pas le métisse universel et glorieux, dont Obama devait être le parangon, avant que de trahir ses promesses lumineuses de changement, mais le métisse qui unit dans la galère néo-coloniale le Blanc et le Noir. Il parle comme une canaille parisienne, ses références sont populistes, sa révolte l’amène vers l’alternationalisme de Soral. Les valeurs de Dieudonné sont celles du 2.0. Dieudonné est le 2.0 le plus représentatif de son temps et c’est pour cette raison peu ragoûtante qu’il est célébré, adulé, mythifié autant que honni et rejeté. Tout dépend du point de vue selon lequel on se place. Mais si Dieudonné encourage les clivages sociaux et les partitions de crise qui mènent vers la guerre civile, il est bel et bien l’inverse de ce qu’il proclame : le produit numéro un des oligarchies, de ce système dont il se moque et qu’il a déformé, croyant naïvement qu’il est mené par des élites sionistes, alors que l’idéologie sioniste est au mieux le pantin d’oligarchies financières qui s’empresseront de jeter aux orties le sionisme quand il aura servi et qu’usé il ne servira plus à rien.
Il en ira de même pour Dieudonné : quand il ne servira plus à rien, les critiques parmi les journalistes au lieu de le traiter d’extrémiste antisémite et de faire monter sa cote auprès des exclus sémites (les immigrés arabes pour la majeure part) de l’immigration française l'oublieront. On insistera sur ses contradictions de fond autant que le niveau de langage qu’il emploie. On s’avisera soudain de sa médiocrité, de sa vulgarité, plutôt que de le mythifier en infréquentable qui a au moins le courage de s’en prendre aux puissants. Dieudonné sert le dispositif oligarchique tant qu’il canalise le parti des opprimés qu’il représente. Le jour où il sera périmé, le jour où son rire passera pour de l’entourloupe, il sera rayé de la liste des "humoristes". Les mêmes qui accouraient à ses spectacles le bouderont. Ruiné et honni, il n’aura d’autre issue que de se taire. Ce jour approche, puisque Dieudonné n’est qu’une étape aussi bouffonne que narcissique et mégalomane, lui qui estime n’être plus un simple humoriste beauf, mais incarner les lettres de noblesse de l’humoriste en lui ajoutant sa dimension culturelle et intellectuelle de contestation aussi gratuite que méchante (inviter Faurisson en guise de quenelle humoristique en dit long sur le niveau de l’humoriste qui s’y adonne). En attendant que Dieudonné se rende compte qu’il n’est qu’un pantin, le bouffon d’une cour obséquieuse qui le méprise, la question est : s’agit-il d’un plan concerté de certaines factions oligarchiques, ou de quelle impulsion inconsciente et involontaire dérive-t-il? Si le phénomène Dieudonné est promu par certaines factions et si certains groupes ont pu jouer un rôle direct et calculateur dans l’accompagnement de notre météorite, Dieudonné est moins une marionnette manipulée par des marionnettistes fourbes et rusés que le résultat d’un processus (l’oligarchisation) qui produit de part et d’autre des monstres (monstres oligarques comme monstres beaufs). Et de même que l’on trouve des crétins à la cervelles échauffée pour nous raconter que le football est un art, de même certains analystes de l’humorisme ont-ils conclu, tels Soral ou Dieudonné himself, que notre Dieudo avait franchi le mur du çon et qu’il n’était désormais plus un simple humoriste à la sauce ancienne, comme Bigard, mais un authentique artiste subversif et maître quenelleur. Et comment se produit ce processus qui n’est finalement programmé et maîtrisé par personne?
Si personne ne s’est concerté pour mettre en place l’oligarchisation, si le phénomène Dieudonné résulte d’une action qui n’est pas délibérée par l’homme, il faut bien qu’il y ait une cause! Et cette cause, c’est la primauté accordée au désir sur l’intelligence. Alors que l’intelligence tendait à instaurer les conditions de structurations d’institutions supérieures à l’individu, sur le  modèle de la volonté générale, le désir ramène furieusement les aspirations de l’homme au niveau individualiste et créent les conditions pour que la dépossession de la liberté se fasse sur le modèle de la nécessité  et inférieure. Ce que l’homme perd en liberté, il le gagne en nécessité; ce qu’il perd en intelligence, il le gagne en désir. Le désir rejoint l’inanimé et la mort - soit les deux grandes forces qui meuvent l’univers en dehors de l’intelligence dans le réel. Nietzsche le savait, qui dresse l’apologie de l’inanimé sur l’animé. Le but est de détruire paradoxalement par le propos intelligent l’intelligence, qui tend à constituer des structurations supérieures à l’individu (superstructures) et à libérer l’homme de ses limites individuelles (corporelles comme intellectuelles). Le désir ne condamne pas l’intelligence, mais la soumet à l’individualisation. Autant dire que l’intelligence est condamnée à dresser l’apologie de ce qui va la détruire, l’inanimé, mais celui qui se fait le héraut du désir s’en moque, puisqu’il est dans une stratégie suicidaire et qu’il veut retourner au néant (via l’animal et l’inanimé). avant le stade régressif de l’animalité, on trouve l’oligarchie comme processus naturel à l’humanité qui emmène l’humanité vers le déclin. C’est en ce sens que l’oligarchie est tenue pour un mode d’organisation inférieure à la république et qu’elle produit des résultats consternants de part et d’autre de sa chaîne hiérarchique. Du côté inférieur, le résultat est moins surprenant : un Dieudonné est le résultat de la frustration. De l’autre côté, on attendrait plus naïvement que les oligarques soient des gens aussi mauvais que performants, alors que si les régimes oligarchiques s'effondrent, c’est parce que l’oligarchie produit la bêtise (l’excellent titre L’oligarchie des incapables montre comment le passage de l’intérêt public à privé engendre la bêtise des élites et leur médiocrité inattendue, paradoxale, mais prévisible). L’oligarchie crée les conditions de la crise : la bêtise croissante et généralisée, aux deux bouts de la chaîne, au point que l’effondrement soit dépersonnalisé, désindividualisé, objectif au sens où l’objet remplace l’intelligence et la possession de son destin. Personne n’a programmé Dieudonné parce que personne ne maîtrise l’effondrement que nous vivons et que les éventuels marionnettistes sont aveuglés et incompétents. Ils sont juste capables d’agir pour la satisfaction de leurs intérêts, selon la fable des abeilles. Rousseau dirait qu’ils agissent au nom de leur perfectibilité dévoyée, de leur amour-propre naturel transformé en amour de soi social et dégénéré. On pourrait parler de passion pour désigner ce comportement aveugle et finalement anonyme, dans lequel toute faculté de liberté se perd au profit de suivisme mimétique et de la nécessité objectivante et dépersonnalisante (désindividualisante aussi, si tant est que l’individualisme exacerbé aille de pair avec la désindividualisation).
C’est au nom de la perfectibilité dévoyée que les oligarques estiment qu’il est bon de favoriser l’éclosion de phénomènes comme le cas Dieudonné, en sus d’autres programmes de manipulation, comme les jeux virtuels; mais Dieudonné lui-même estime suivre cette perfectibilité en poursuivant son propre programme de subversion alternationaliste. Personne ne maîtrise ce programme, et pourtant il existe. C’est donc que son existence n’est plus portée par une responsabilité humaine individuelle ou collective au sens où la responsabilité renvoie à la liberté et à la conscience, mais qu’elle n’est plus préméditée et que de ce fait elle rejoint la cohorte inférieure des actes nécessaires et objectifs (au sens où l’objectif, loin de constituer un progrès sain de la perfectibilité, ramène plutôt vers l’objet inanimé et involontaire). La perfectibilité est une notion pertinente de Rousseau au sens où elle ne désigne pas seulement une faculté humaine, mais aussi animale voire propre à l’ensemble du réel - quelque chose comme une caractéristique anti-entropique, qui aurait pour spécificité de se produire de manière indépendante de la conscience humaine et d’échapper à toute forme de préméditation délibérée. La liberté exprime la perfectibilité vertueuse autant que cette perfectibilité peut se dévoyer et suivre la pente inférieure de la nécessité. Dès lors, elle se produit de manière inconsciente et collective. Il faut alors parler d’inconscient collectif, au sens où l'ensemble des participants suit une façon de procéder qui échappe à leur lucidité et dont il sont les victimes autant que les marionnettes. Mais ce n’est pas parce que les individus sont dépassés que l’action se trouve portée par une quelconque force, humaine ou surhumaine (comme divine, maléfique...). En fait, l’action devient impersonnelle au sens où elle perd la notion d’auteur, de responsable et qu’elle verse dans le schéma du mimétisme aveugle et anonyme. C’est le schéma de l’oligarchie : dépersonnaliser son action au point qu’au final, plus personne ne contrôle et ne sait ce qui va se passer. Ce n’est pas rassurant au sens où tous au fond suivent une manière de procéder qui est cohérente, mais au contraire où l’abandon de la responsabilité et de la liberté induit le recours à des façons de faire inférieures et incohérentes, qui mènent à l’impéritie des différents acteurs et à leur incompétences caractéristiques. Au final, chacun agit comme un irresponsable, puisque le principe de responsabilité se trouve bafoué.
Que personne ne soit responsable, que le processus soit irresponsable au sens où l’irresponsabilité induit l’objectivation, implique que les comportements soient mus par un aveuglement respectif, qui pousse chacun à suivre des buts relatifs et personnalisés, alors que le but effectif est différent et plus lointain, vaste, profond. Cette dissociation aveuglée serait expliquée par Rousseau comme la distinction dans la perfectibilité entre deux mouvements, l’un régressif, l’amour de soi, l’autre ascendant, l’amour propre. Mais encore faut-il préciser que la perfectibilité ainsi entendue crée les conditions de l’existence de superstructures, dont la volonté générale n’est que l’expression sociale et humaine, mais qui peuvent de loin dépasser cette seule volonté générale fédérant des volontés individuelles et qui indique l’existence de corps supérieurs aux corps individuels tels que nous les connaissons. Ce que nous nommons des idées sont la manifestation de l’existence d’agrégation supraindividuels et surtout extrahumains. Le réel est formé de forces et de puissances qui dépassent le terme individuel et humain que nous identifions selon notre perception imitée. Du coup, la perfectibilité mérite d’être précisée avec deux autres qualités :
1) sa réabilité, au sens où le réel n’est pas mû par une force aveugle et hasardeuse, qui laisserait l’homme maître de sa destinée et de ses décisions (comme dans l’existentialisme sartrien), mais que le caractère involontaire de la plupart des événements qui surviennent, non pas tant dans le monde, que pour l’homme montre que l’homme est impuissant à diriger son destin, aussi influents soient ses dirigeants. Donc : si l’homme même est mû dans sa propre sphère d’influence par ce qui lui extérieur, étranger et inconnu, c’est la preuve que des forces supérieures existent et même que l’homme, contrairement à ce qu’estimait une tradition égyptienne reprise par Platon, appartient à des corps plus importants, et n’est pas indépendant de ces forces supérieures et/ou enveloppantes;
2) sa liberté, au sens où la liberté désigne l’état supérieur de croissance, quand la nécessité implique la décrépitude, sous couvert de ne rien pouvoir changer et de devoir accepter le fatum tel qu’il advient. La liberté recoupe le moment où l’homme en croissant s’avère identique (au sens d’identité) avec le réel. La nécessité dissocie les parties, affirme leur singularité et crée des différences, qui bientôt sont des fossés.
Si personne n’est plus moutonnier et conservateur que Dieudonné; si personne ne va plus dans le sens des intérêts oligarchiques qu’il dénonce, c’est que la dénonciation pure est le propre des esclaves, des dominés, des opprimés, de tous ceux qui déshérités n’ont pas eu accès à l’éducation et l’esprit critique et qui du coup ne sont capables que de manifester leur mauvaise humeur quand elle survient et de manière contradictoire. C’est l’esclave qui est la figure privilégiée du rebelle, cette prolongation consternante de l’âge adolescent, quand le futur adulte, paumé, essaye avec maladresse de se révolter pour créer sa propre identité. Les méséduqués sont des rebelles avec une cause contradictoire. Leurs positions ne tiennent pas debout et ne valent rien. C’est dans ce sillage et à ce niveau qu’il faut situer Dieudonné, dont on pourrait oser qu’il singe l’humour pour les nuls. Son humour est dénué d’esprit critique et empli de stéréotypes? Notre comique est populaire parce qu’il promeut les idées démagogues dans les classes peu cultivées, notamment auprès de ces descendants de l’immigration, qui sont nés dans les banlieues et qui pensent que le rap de rue est de la philosophie et l’humour de Dieudonné du théâtre? Se rendent-ils compte que Dieudonné promeut l’esprit de crise chez les défavorisés, ce qui montre sa fonction sociale et son rôle historique : le bouffon est l’histrion des oligarques, le messager des défavorisés, indépendant à l’instar de ces rappeurs à label dit tel, prisonniers de la stratégie de marketing mise en place par des producteurs comme Steve Rifkind (et leurs circuits de distributions)? Au final, se rendent-ils seulement compte que leur révolte contre les discriminations effectives dont ils sont les victimes se manifeste par leur adhésion au - fascisme? Pas du tout par la revendication de plus de justice, plus de liberté, plus d’intelligence?
C’est en suivant l’exemple de Dieudonné que l’on comprend pourquoi certains peuples européens durant l’entre-deux guerres ont basculé dans le fascisme. Que l’on résout la question : comment se fait-il que l’Allemagne, peuple de culture tous azimuts, ait engendré le monstrueux nazisme? Parce que la terrible crise de l’époque a accru l'inégalitarisme, augmenté la mauvaise éducation, et que les hordes de paupérisés n’avaient pas le niveau pour se révolter intelligemment contre leur sort injuste et ont choisi la violence comme exutoire. Toujours la même rengaine : on choisit la violence pour se défaire de la violence; on sombre dans la contradiction pour lutter contre l’injustice (de nature contradictoire). Mais qu’est-ce que le fascisme sinon la réponse violente du populisme contre l'inégalitarisme et en faveur de l’oligarchie? Le fascisme a promu au pouvoir les oligarchies responsables (autour du comte Volpi di Misurata) de leur appauvrissement et de l’état lamentable de la société italienne! Mais l’analyse pourrait être opérée dans le restant de l’Europe, tant en Allemagne qu’en France ou en Espagne, avec des différences, mais surtout une communauté tournant autour de la bêtise : la bêtise crée la crise, qui accroît la bêtise via l’effondrement culturel, intellectuel et matériel des classes les plus défavorisées, touchées par la crise, justement. Au final, l’Allemagne nazie est née de la bêtise, pas de l’intelligence, et c’est une opération décalée et fallacieuse que de comparer les cercles qui accouchèrent  d’un Goethe ou d’un Schiller avec les masses affamées et révoltées légitimement qui portèrent au pouvoir Hitler. Comme de juste, ces électeurs étaient des rebelles, sauf que rébellion + bêtise : fascisme. C’est ici qu’il convient de préciser que le fascisme de l’époque n’est pas le fascisme d’aujoutrd’hui, tout comme le nationalisme complexe qui découlait directement de Maurras ou du juriste du Troisième Reich Carl Schmitt est devenu plus complexe avec notre époque. Quelle est l’innovation dominante? La mondialisation. Mais la mondialisation est l’innovation terminale introduite par le libéralisme. Encore un ingrédient qui rappelle que décidément libéralisme et nationalisme font bon ménage. Le fascisme d’aujourd’hui serait une sorte de fascisme mondialisé qui entendrait promouvoir les opprimés contre les oligarchies, discours typique de l’alternationalisme, adaptation du discours nationaliste vernaculaire.
Le fascisme nationalisé serait l’expression la plus populiste de l’alternationalisme, et le phénomène Dieudonné rentre modestement dans ce dispositif. Il est un comique franchouillard, vulgaire et relativiste, qui manie l’ironie à des fins de moquerie, avec un vrai talent de gouailleur. Si Dieudonné renouvelle l’humorisme, genre mineur et démagogue, il l’adapte plutôt à l’exigence de la mondialisation, donc au format libéral, et c’est tout naturellement qu’il se dirige vers l’alternationalisme depuis le populisme antiraciste, vaguement libertaire, dont il vient. Dieudonné maquille son évolution en provocation, et il n’a pas tort, car il ne ment pas quand il prétend agir par provocation, entre Le Pen père parrain et Faurrisson invité d’honneur d’un spectacle (grandiose, forcément!). Ce qu’il nomme provocation, c’est l’idée selon laquelle rien ne se vaut sous le soleil. "Au-dessus, c’est le soleil!" signifie en fait : sous le soleil, tout se vaut finalement, puisque les oligarques sont méchants, tandis que les gentils sont dominés. Le simplisme de Dieudonné, qui réhabilite son public de frustrés et qui dézingue les puissants à condition de les conforter dans leur pouvoir immuable, relève du relativisme cynique et désabusé : car si rien ne vaut rien, cela ne signifie pas que rien soit inégalitariste, mais que toute hiérarchie est, plus encore qu’injuste, absurde. Cet absurde n’aboutit au comique de l’absurde, au non-sense, mais à son expression vulgaire, comme si l’absurde était d’essence inégalitariste contenant en gros une expression élitiste et une expression vulgaire. Voilà où se situe Dieudonné et voilà la caractérisation qui convient pour définir son public et ceux qui le soutiennent. Loin d’améliorer une situation déliquescente, en la dénonçant seulement, et avec agressivité, ils ne font que la conforter et manifester leur impuissance médiocre et veule.

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