jeudi 29 août 2013

La faiblesse du mal

Ami lecteur, le mal n'est pas le concurrent du bien, son alter ego sombre, son Dark Vador religieux. C'est son inférieur, qui perd toujours, comme le diable. Le domaine du mal est un domaine prévisible et défini, dans lequel sa partition est déjà écrite. Alors que le bien reste à faire, le mal est déjà acté. L'univers du mal est régi par la nécessité, obligation de vendre son âme au diable : l'éternité renvoie plutôt à la liberté. Quand on vend son éternité, c'est qu'on estime que le mal ne peut se faire si l'on est libre. La condition du diable pour gagner en apparence et perdre au final est d'être le roi de ce monde, le prince du sensible. Socrate selon Platon enseignait que nul ne commet le mal volontairement. Chez Platon, le mal est inférieur au bien. Il naît d’une incompréhension des choses, d’un problème qui a plus à voir avec la mauvaise qualité de l’entendement qu'avec l'affrontement de deux puissances rivales et équivalentes. L'infériorité du mal se traduit par son autodestruction, terme du cercle ou de l'autotélisme, quand le bien indique la progression vers l'aménagement ordonné en être de la part malléable du réel. L'infériorité renvoie à la dimension originelle du réel, la contradiction, qui ne peut être résolue que par la progression. Le mal désigne le réel incomplet, tandis que le bien reste à faire en ce que le réel pour résoudre ne parvient pas à une solution définie et stable, mais à un constat travail d'indéfinie progression. Pourquoi le mal est-il circulaire? Pourquoi la circularité est-elle autodestructrice? Pourquoi la circularité n'engendre-t-elle pas une forme de viabilité? Cette forme correspond à ce que Clément Rosset nomme le démon de la tautologie, comme si l'essence des choses se ramenait à leur identité inexplicable (A est A étant le constat inexplicable). Le parti que défend Rosset incline vers l'autodestruction, bien qu'il n'en prenne pas la mesure et qu'il se borne à estimer que l'important réside dans l'expression du désir complet. Le réel possède en son sein le principe de dépassement, selon lequel ce qui n'est pas dépassé s'autodétruit. Pourquoi la circularité n'est-elle pas immuable? Le cercle délimite un domaine; or cette délimitation n'est pas suffisante pour la propriété du réel. L'autodestruction provient de la carence intrinsèque que génère la forme circulaire. L'immuabilité n'est pas possible. Pour ce faire, il conviendrait que le réel soit viable en tant que contradiction. Mais la contradiction signale que le réel ne peut perdurer dans l'immuabilité (la stabilité). La contradiction désigne moins l'antagonisme des éléments à l'intérieur d'un domaine fini (le cercle) que le refus de sortir du domaine. Pourtant ce qui est réel ne peut être compris dans un domaine que dans la mesure où il en sort. Ainsi le réel possède-t-il la faculté de sortie ou d'extensibilité, qui lui interdit de pouvoir considérer que le domaine entendu comme fini peut être envisagé comme viable. La contradiction n'est pas une forme qui a pu exister seule, qui peut être indépendante, qui peut exister de manière rivale, mais de manière inférieure à la forme supérieure de l'extensibilité. Autrement dit, le mal ne peut exister sans le bien, et encore, sa défaite assurée signifie que le mal est inférieur au bien. Faut-il choisir le bien ou le mal? La question serait évidente et irréfragable si le bien était un état tout comme le mal est un état (l'inférieur est un état, quand le supérieur est extensible), mais le bien reste toujours à faire en tant que malléabilité indéfinie et extensibilité. Le mal présente la caractéristique d'être infiltré par l'extensibilité, alors que l'extensibilité est univoque : elle ne fonctionne que si elle est utilisée pour sa faculté positive; tandis que si elle est déniée, son imprégnation tourne en crise d'autodestruction. Mais entre l'autodestruction et l'insaisissable, il n'est pas si évident de choisir, et l'homme a l'impression de lâcher la proie pour l'ombre. La proie : l'état; l'ombre : l'extensible. Voilà pourquoi le diabolique triomphe dans l'immédiat, alors que les principes attribués au bien, au divin sont assurés de gagner. Car le réel qui serait réduit à l'autotélique ou au tautologique correspondrait à la tronque de ce qui est le réel entendu comme l'extensible. Toute extensibilité comprend en son sein un domaine, une forme, un état, auquel on peut s'arrêter si on envisage seulement le réel en termes de définition. Le problème tient sans doute à la coexistence pénible et tortueuse entre la raison assujettie à la définition nominale et la propriété du réel qui implique l'extensibilité. Il faudrait que la philosophie qui se présente comme réflexion rationnelle s'avise que la réflexion ne doit pas tenir la raison pour sa fin. Sinon, comment expliquer que des métaphysiciens comme Aristote se réclament plus encore de la raison que leurs rivaux ontologues, Parce que la raison est assujettie au domaine de finitude, tandis que la raison et la réflexion entretiennent des relations ambiguës. La réflexion ne doit pas viser l'irrationnel, mais tenir la raison pour inférieure à son but, qui fait la spécificité de la réflection : la raison au service de l’inventivité entendue comme effort de la pensée.

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