jeudi 22 août 2013

La perfection douteuse

L’obtention de la perfection par le doute n'est pas possible. Par le doute, on tombe sur le domaine le plus fini et le moins malléable, et, loin de le critiquer pour ce qu’il est, on le tient pour assuré et certain. La démarche de Descartes est confusionnelle avant d’être rigoureuse : elle confond le réel avec un certain réel, qu’elle nomme réel certain. Ce faisant, elle n'affronte pas la question de l'unité. Elle tient le certain pour LA question. Mais le plus important est déjà à l’époque de Descartes d’expliquer le néant dans le réel. Comment Dieu s'il est parfait peut-il tolérer du néant avant et dans sa création? La déformation irrationnelle à laquelle parvient Descartes dans son système (l’erreur, le néant et l’irrationnel existent) provient de ce que la perfection, elle, ne peut exister, contrairement à la définition qu’en propose Descartes. L'expérience du doute confère une portée négative à la perfection, qui n’est jamais défini de manière précise, ce qui fait de la perfection un terme évaluatif sans norme. Le lecteur sait que le parfait est Dieu, mais qu’est-ce que la perfection? Elle n’existe que négativement, et Descartes prend soin d’expliquer que l’entendement imparfait de l’homme ne peut comprendre les desseins de Dieu, aussi parfaits soient-ils. La négativité s’éclaire avec son caractère inexplicable. A y bien regarder, les valeurs cartésiennes reposent au final sur le négatif. Telle est la métaphysique - moderne? Loin d’expliquer ses axiomes, Descartes privilégie le certain à l'unité. D’où l’illusion : si au départ, le certain semble indiquer que l’objectif est trouvé, au final, la certitude ne met en lumière que du certain à condition qu’à côté flotte l’incertain et le vague. Si le réel n’est pas unifié, il admet le néant. Descartes minore le rôle du néant dans sa philosophie en lui accordant une part marginale, d’ailleurs négative (le défaut). Mais le néant se retrouve à imbiber toutes les dimensions de la métaphysique, parce que le défaut se tient au coeur de la perfection. Si ce qui a du défaut s’oppose à la perfection, comment expliquer que le parfait puisse être indéfinissable et incompréhensible? Serait-ce que le parfait contient du défaut? Dès lors, le parfait est-il défectueux ou le défaut - parfait? La métaphysique ne repose-t-elle pas sur la contradiction majeure de la perfection - imparfaite? Quel est le rôle du doute dans cette contradiction majeure? Si l’on se focalise sur ce que Descartes annonce comme le certain, on tombe sur le cogito. Le cogito désigne le certain universel, que ceux qui peuvent employer leur entendement à cette intellection difficile sont aptes à saisir. Pourtant, à y bien regarder, le cogito s'avère aussi certain que ce qu’on nommerait l’autre, au sens d’extérieur. Rien n’indique que l’autre soit moins certain que le cogito, à partir du moment où le parfait ne désigne pas seulement le cogito : il faut alors bien que ce qui est créé par Dieu soit d’une viabilité égale. Mais alors si la perfection recouvre autant le domaine du cogito que l’autre, comment expliquer l’erreur? Descartes ne répondra jamais clairement à cette question. Tout juste peut-il rappeler que l’erreur fait certainement partie des desseins de Dieu et que la partie ne peut pas davantage comprendre l’erreur qu’elle ne peut comprendre la perfection. L’erreur fait partie des desseins de Dieu autant que la perfection. Il convient de l’accepter sous le sceau de la toute-puissance divine, qui est la volonté divine directement en rapport avec la volonté humaine (dont Descartes nous explique qu’elle est la faculté la plus fidèle avec le divin, la volonté humaine ne différant qu’en termes de puissance d'avec la volonté divine). Dès lors, comment expliquer que le cogito soit tenu pour plus certain que l'autre, alors que les deux découlent de Dieu? Parce qu'il est porteur de limite. L’autre est potentiellement illimité, tandis que le cogito est cernable. Mais comment tirer la perfection de la limite? Ce qu'on nommera positivement ne sera dénommable que négativement. C’est par le négatif que Descartes parvient à concilier la perfection et l’imperfection. Tout son édifice est investi par le négatif, à commencer par le doute. Ce n’est pas pour rien que Descartes recourt au doute pour fonder son entreprise de véridiction et de vérification. Le doute est l’instrument logique et naturel du négatif, depuis l'intérieur. Le cogito est le positif qui émane du négatif. Mais qu’est-ce que le négatif? Outre qu’il sert à Descartes de délimitateur, Descartes s’empresse de suivre cette voie qui lui permet d’édicter du réel, tout en rejetant comme défaut ou manque ce qui n’est pas défini, et en réussissant l'exploit de minorer grandement l’importance du négatif dans son édifice théorique, puisque le négatif s'avère bien plus important que le marginal défaut qu’il réduit à la portion congrue de ce qui n’est pas dit (et dont on ne sait s’il n’existe pas ou seulement à peine). Descartes réussit encore mieux : s'il n'a pas trouvé le réel, il a trouvé l’identification métaphysique moderne correspondant à la révolution expérimentale. Son négatif lui permet de tirer du positif presque selon un calcul mathématique : - X - = +. Il ne se préoccupe pas de définir le réel, mais du réel, ce qui fait que le métaphysicien suit la tradition nihiliste selon laquelle on ne répond pas à la difficulté de définir le réel, mais on biaise en définissant du réel et en arguant qu’au moins il se montre ainsi certain, assuré, définissable. Le philosophe a agi en physicien, réduisant la certitude à la connaissance finie et tombant pour ce faire sur le moi. Du pur solipsisme... La perfection est à l’image du doute : c’est un sentiment qui est présenté comme le résultat de l’investigation de l’entendement, une donnée rationnelle, alors qu’elle est une conception dont la forme est faussée par la négativité.

Aucun commentaire: