samedi 14 septembre 2013

La réforme du donné

Dans le Deuxième Discours de la méthode, Descartes propose que "pour toutes les opinions que j’avais reçues jusques alors en ma créance, je ne pouvais mieux faire que d’entreprendre un bonne fois pour toutes de les en ôter, afin d'y remettre par après ou d'autres meilleures, ou bien les mêmes, lorsque je les aurais ajustées au niveau de la raison."
Commentaire de l'édition : "Cette admirable formule ("ajustées au niveau de la raison") marque bien aussi l'un des traits de la réforme cartésienne qui vise moins l’acquisition de vérités nouvelles que la conquête méthodologique d'une certitude où les vérités anciennes apparaîtront, en quelque sorte, dans une lumière nouvelle."
La méthode de Descartes est une réforme du donné, l’ancien, qui considère qu'il faut remettre en ordre ce qui existe déjà, que la nouveauté ne consiste pas à ajouter du nouveau au donné, juste à le réagencer par la réforme de la raison. Descartes resserre à l’individu le projet de réforme, au motif que le cadre politique est trop important et inadapté : "Elles (les opinions) sont quasi toujours plus supportables que ne serait leur changement."
Descartes par sa réforme entend découvrir le vrai, entendu comme l’expression de ce qui existe déjà. Tout son projet envisage le réel comme un ensemble stable, assez vaste pour qu’on puisse prendre pour du changement ce qui est de l'étendue. La question à poser avec Descartes : le changement existe-t-il? Par rapport à Aristote, Descartes reprend la configuration fini/infini, en modifiant la méthode aristotélicienne, ayant dégénéré en scolastique. Ce qu'il faut changer, c'est la méthode, pas le réel. Le réel demeure inchangé, d'où le conservatisme de Descartes, qui est métaphysique, et non seulement politique (ou pédagogique). Si le réel ne change pas, le souci de méthode estime que le réel ne se donne pas de manière automatique, d’emblée, en première intention, de manière immédiatement rationnelle (définition de l’intuition philosophique?), mais qu’il convient de trouver une méthode fondée sur la raison (l’ordre des raisons) pour déterminer dans le réel ce qui relève du certain et de l’incertain. Et si l’incertain n’est pas l’illusoire, l’illusoire existe avec Descartes : c’est l’erreur certes, mais cette dernière se trouve adossée sur le défaut ou le manque, soit l’idée qu’il existe paradoxalement, pour légitimer l'existence de l’erreur dans la mentalité métaphysique, du néant à côté du réel. Mais y a-t-il au sein de ce qui est du certain et de l’incertain, ou au contraire faut-il considérer que le réel côtoie le néant? C’est vers al seconde option que s’oriente Descartes, à ceci près qu’il n’explique pas pourquoi l’erreur côtoie le réel (surtout si Dieu est parfait et tout-puissant). L’on touche du doigt le défaut du système cartésien, et le défaut de la réforme métaphysique que lance aux débuts de la modernité Descartes : comment expliquer l’erreur si l’erreur ne peut être intégrée à Dieu le tout-réel? Si tout ce qui est relève de Dieu, comment peut-il y avoir du ce qui n’est pas (du non-être, du néant, du défaut, du manque)? Comment peut-il y avoir de l’erreur, si tant est que l’erreur soit, puisque Descartes prend soin à plusieurs reprises de préciser que l’erreur ne saurait être? Chez Platon, Platon s’est attelé à la difficulté, en redéfinissant le non-être par rapport à Parménide. Parménide entendait que ce qui est est, et ce qui n’est pas n’est pas. Platon se rend compte de la difficulté : comment ce qui n’est pas peut-il être en n’étant pas? Il y aurait là une contradiction qui viendrait singulièrement affaiblir le système envisagé (en l’occurrence, celui de Parmnéide). Platon redéfinit donc le monisme strict de Parménide en estimant dans le Sophiste que ce qui n’est pas est d’une certaine manière, qu’il n’est pas comme ce qui est pleinement, mais qu’il est un peu, ou moins que ce qui est. Du coup, ce qui n’est pas est aussi, sous la forme du changement. Ainsi, le non-être est intégré à l’Etre, dans un système dont le défaut récurrent demeure l’indéfinition de l’Etre. Descartes reprendrait-il l’erreur de Parménide? Loin de se placer dans le sillage de l’ontologie, l’influence de Descartes est tournée vers la métaphysique. Il est nourri à l’école (et même l’Ecole) de la scolastique issue de la métaphysique. Il renouvelle la métaphysique en corrigeant sa sclérose donnée, mais en conservant son principe fondamental, voire son postulat indémontrable : loin de chercher à définir le réel, ce qui pose le problème de sa limitation, te de ce qu’il y aurait à côté (du néant? Rien?), le métaphysicien depuis Aristote s’emploie plutôt et plus modestement à définir du réel. Peu importe que du réel soit une certaine part du réel, pourvu qu’il en soit la part la plus certaine. En cela, Aristote avait cru qu’il suffisait pour appliquer sa trouvaille conceptuelle de chercher du fini (et de se défier de l’infini, quitte à adouber le non-être, sans chercher pour autant à l’élucider - quelle importance?). Descartes prend acte des erreurs de la métaphysique 1, en rétrécissant son champ d’investigation à ce qu’il prend soin explicite de nommer le certain et le clair, et qu’il intègre au fini : le fini peut être certain comme incertain; tandis que le non-être si obscur (car indéfini) se trouve évacué au profit d’une définition irrationaliste de Dieu (Dieu étant parfait, il ne saurait être défini). C’est ainsi que Descartes le rationaliste si rigoureux fonde son système sur l’irrationalisme et sur une pirouette, évacuant le non-être au profit de l’indéfinissable. C’est ainsi que cette erreur réapparaît justement dans le statut si étrange qi est accordée à l’erreur : l’erreur est d'autant plus reconnue qu’elle ne serait pas.

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