lundi 21 octobre 2013

Question de doute


Ami lecteur, trois remarques :

Descartes occupe une place particulière dans l’histoire de la philosophie. De même qu’il cherche un pont entre la représentation et le réel extérieur (ce sera le cogito) ; de même il est le pont (lui-même sorte de cogito) entre la métaphysique et sa rénovation (1 et 2). C’est parce qu’il occupe ce rôle qu'il tient une place spéciale : aussi bien parce qu’il permet de relancer la connaissance que parce qu’il donne à ce sauvetage en allure orientée, en faisant du sauvetage la sauvegarde, au sens où ce qui est sauvé est la conservation du système ancien sous la forme de sa remise à jour ou de sa réactualisation. Descartes estime que l’on ne peut instaurer le réel que dans le domaine fini, au sens où l’objet philosophique poursuit un domaine fini, aussi bien que l'objet scientifique. La principale force de Descartes est de permettre la poursuite de la rigueur comme la quintessence de la démarche philosophique, ce qui constituait la force du style aristotélicien. Sa principale faiblesse empêche que la philosophie affronte le problème de l’infini, qui rendre obsolète l'antagonisme être/néant. La finitudisation, que l'on retrouve derrière le substitut de l'indéfini chez Descartes, amène dans son application exclusive à rétablir du néant (le partitif est utilisé pour tenter de désigner pour un ensemble mystérieux, qui ne recoupe pas le clarté reconnue du fini) pour que le réel existe (avec cette erreur que le réel cohabite avec du fini, dans un mélange entre le partitif et le défini), tandis que l'infini affirme que le néant ne peut exister, notamment avec son état paradoxal (et intenable) de positivité. La métaphysique implique que le rationalisme se déploie en acceptant l’irrationnel. Le défaut de qui avait constitué la métaphysique et que renouvelle Descartes en accroissant la part d’irrationnel. Si l’on donne à irrationnel le sens d’inconnaissable, la métaphysique est une drôle d’approche de la connaissance, qui consiste à estimer que le connaissable est une part finie, historiquement révisable, et que l’inconnaissable est un part de réalité incompressible.
Qu’est-ce qui fait que le connaissable engendre l’antagonisme de l’inconnaissable ? C’est justement son caractère fini : si le connaissable est fini, alors l’inconnaissable ne peut que lui être différent, en clivage. L’antagonisme naît de cette différence entre ce qui est et ce qui n’est pas. A y bien regarder, l’antagonisme vient d’une vision déformée du réel, selon laquelle ce qui n’est pas est opposé à ce qui est : la négation n’est pas conciliable avec le positif. Pourtant, s’ils sont unissables, la différence prend des allures autres : elle est l’inconnu qui peut être connu. En ce sens, le non-être est le connaissable. Tout peut être connu, tout est connaissable. Le connaissable ne peut délivrer la vérité finie, puisque tout domaine étant extensible implique sa malléabilité – son extensibilité. L’erreur, qui est celle de la métaphysique, est d’envisager la connaissance en termes de finitude, en accordant un terme à la connaissance. Si le réel est un continuel emboîtement de domaines, qui n'ont ni début, ni fin, du fait du principe de malléabilité qui définit le réel (le réel est, non le changement, mais la malléabilité); la vérité n’existe pas en termes métaphysique ; et ce qu’on nomme vérité existe sous forme, plus précisément qu’interprétative, malléable et adaptable, au sens où le principe de vérité est extensible. La vérité n’existe pas comme état, mais comme faculté de croissance. Cette propriété est à distinguer du miracle chez Descartes : le cours du réel peut être révisé par l’intervention de Dieu; tandis que la croissance obéit à une constante qui n’a rien de miraculeux, mais qui est le compréhensible opposé à l’irrationnel.

La métaphysique ne peut exister sans l’adjonction du néant, quand bien même ce néant serait la forme de réel la plus misérable. Comment se fait-il que le néant soit rejeté de Dieu entendu comme infinie perfection ? Comment Dieu s’il est perfection et toute-puissance peut-il supporter le néant comme extériorité au réel, et donc imperfection par rapport à sa perfection? Comment Descartes peut-il expliquer le statut qu’il accorde au défaut, au manque, au néant, sachant qu’il se trouve en contradiction avce la perfection qu’il prête à Dieu?

Le doute relève du néant. Le néant est l’épreuve de touche qui mène au réel. Si l’on sort de cette épreuve, c’est que l’on découvre le vrai réel, le réel le plus haut, qui est le nom de Dieu, par les idées claires et distinctes. Mais comment le doute peut-il délivrer la connaissance du réel, s’il est ce qui est tellement bas qu’il n’est pas intégré au réel et qu’il est l’erreur, le manque ou le défaut? Comment le négatif, en admettant que le néant puisse avoir quelque positivité, peut-il permettre la découverte du positif? Soit le néant ne fait pas partie du réel, ce que Descartes estime pour que son système soit viable, soit le néant relève de la partie inférieure du réel, et l’on voit mal comment l’inférieur rendrait possible l’accès au supérieur (au principe de Dieu). Il y a là un mystère central qui pose la question : pourquoi Descartes a-t-il besoin du néant alors que le néant est inutile si Dieu est parfait (si Descartes a découvert la perfection, qu’a-t-il seulement besoin de sauvegarder le néant, surtout si l’on vante chez Descartes sa rigueur)? Pourquoi ce manque de rigueur chez Descartes? Descartes a besoin du néant, parce que sa perfection, aussi étrange que ce fait puisse apparaître, est finie. Du coup, pour que le parfait soit cohérent, il a besoin du néant. L’expérience du doute provient du fait que le négatif ne permet pas de parvenir au supérieur, mais d’encadrer, de détecter, d’isoler au sens d’un précipité chimique, le réel parfait. Qu’est-ce qui est parfait selon Descartes? C’est le certain, le clair. Le problème est plus général que celui de Descartes. Il ressortit de la métaphysique depuis Aristote, et du nihilisme depuis les origines de la pensée : si l’on cherche du réel certain, démarche louable pour son souci d’exactitude, on en arrive à façonner un type de réel qui est certain, mais qui est en même temps déformé par le souci de certitude, et dont la déformation consiste en la finitude. Le doute est la preuve que ce que Descartes nomme infini n’est pas infini. D’une part, Descartes propose de substituer à l’infini l’indéfini, pour rendre l’infini plus compréhensible; d’autre part, l’infini chez Descartes est le suprême autant que l’incompréhenisble. Seul le fini peut être compris.

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